En partenariat avec RTFLASH, édito du Sénateur René Trégouët 19 06 2020

Comme chaque année, le congrès de l’ASCO (Association Américaine de l’Oncologie Clinique), la plus grande réunion mondiale de cancérologie, s’est tenu – de manière virtuelle, pandémie de Covid-19 oblige – du 29 au 31 mai 2020. Disons-le d’emblée : ce bilan 2020 est excellent et confirme l’accélération des progrès réalisés dans la lutte contre le cancer, tant sur le plan fondamental qu’en matière clinique et thérapeutique, sans oublier l’apparition de nouveaux outils collaboratifs numériques, appelés à jouer un rôle croissant dans l’efficacité des soins et le confort de vie des malades.

Impossible ici, en quelques lignes, d’énumérer de manière exhaustive les très nombreuses communications scientifiques venues du monde entier, mais certaines d’entre elles méritent d’être évoquées et développées.
Première tendance forte de cet ASCO 2020, la montée en puissance et la diversification des immunothérapies, notamment pour mieux traiter les cancers avancés de la vessie et du côlon.

Le laboratoire Merck a ainsi présenté, en partenariat avec Pfizer, un nouveau traitement prometteur contre le cancer de la vessie, appelé Bavencio (avelumab), qui fait partie de la classe des « inhibiteurs de check-point » anti-PD-L1 (Programmed death-ligand 1). Le cancer de la vessie se place au 10e rang des cancers les plus fréquents dans le monde (environ 550 000 nouveaux cas en 2018). Il entraîne plus 200 000 décès par an, selon l’OMS. Peu de progrès majeurs ont été enregistrés pour ce cancer pendant plusieurs décennies, mais les choses ont changé depuis 2015, avec l’arrivée des immunothérapies, jusqu’à Bavencio, aujourd’hui, utilisées en deuxième ligne, quand la maladie récidive.

L’étude JAVELIN Bladder 100, conduite chez 700 patients ayant répondu à la chimiothérapie, montre que le traitement Bavencio augmente la survie globale de presque 50 % par rapport aux soins de support seuls : les patients recevant l’immunothérapie ont eu une survie globale médiane de 21,4 mois, contre 14,3 mois chez ceux recevant uniquement les soins de support, soit une différence de 7,1 mois. « C’est la plus longue survie globale jamais documentée dans une étude de phase III dans le cancer urothélial métastatique, quelle que soit la ligne de traitement », a souligné Elizabeth R. Plimack, du Fox Chase Cancer Center (Philadelphie) en commentant l’étude. Dans l’essai présenté, le Docteur Petros Grivas a choisi de délivrer directement aux patients ce traitement anti PD-L1, après stabilisation de la maladie par la chimiothérapie. Cette nouvelle approche thérapeutique devrait devenir rapidement le nouveau traitement standard pour ce type de cancer agressif.

Une autre étude portant sur l’inhibiteur de point de contrôle, Keytruda (pembrolizumab), l’étude KEYNOTE-177, a montré, chez certains patients porteurs d’une mutation génétique particulière, un doublement de la survie sans progression et une forte réduction des effets indésirables (par rapport à la chimiothérapie), en première ligne de traitement du cancer colorectal métastatique, et ce médicament, qui ne cesse d’élargir ses indications thérapeutiques, devrait devenir le nouveau traitement de référence en première ligne chez ces patients.

Il faut également souligner que le Keytruda, combiné à une chimiothérapie, améliore significativement la survie sans progression, comparativement à la chimiothérapie seule dans le cancer du sein triple négatif, selon les données de l’essai Keynote 355, lui aussi présenté au cours de l’ASCO.

A côté des inhibiteurs de PD-L1, l’ASCO 2020 a également confirmé les attentes placées dans les inhibiteurs de la PARP (poly-ADP-ribose-polymérase-1), une nouvelle classe de molécules qui agit au niveau du système de réparation de l’ADN. L’étude SOLO2, présentée cette année, et portant sur 300 femmes en rechute d’un cancer de l’ovaire avec une mutation BCRA, a permis une augmentation sans précédent de la survie globale qui a atteint 42 % à 60 mois. Selon la Professeure Frédérique Penault-Llorca (Vice-présidente Unicancer– Directrice générale du Centre Jean Perrin de Clermont-Ferrand), il s’agit d’une avancée historique, et cette chercheuse rappelle qu’il y a 10 ans, toutes les patientes atteintes de ce type de cancer étaient décédées avant 5 ans.

Une autre étude a fait sensation cette année au congrès de l’ASCO, l’étude mondiale Adaura, portant sur le cancer du poumon le plus répandu et présenté par Roy S. Herbst, responsable du service d’oncologie médicale au Yale Cancer center au Smilow cancer Hospital (New haven, Connecticut, États-Unis). Ce vaste essai mondial, randomisé, en double aveugle et contrôlé par placebo, s’est déroulé simultanément aux États-Unis, en Chine, en Corée, en Australie et en Europe auprès d’environ 700 patients, qui étaient tous atteints d’un cancer du poumon de type CBNPC (cancers bronchiques non à petites cellules), avec mutation EGFR. Ces patients ont bénéficié d’un traitement utilisant une thérapie ciblée de troisième génération, à base d’osimertinib (Tegresso, laboratoires Astra Zeneca). Selon le Docteur Herbst, ce traitement a, pour la première fois, permis d’obtenir une amélioration significative de la survie sans progression de la maladie pour ce type de cancer,
Comme le montre un autre essai présenté par des chercheurs de Gustave Roussy, certains cancers du poumon non à petites cellules en échec thérapeutique pourraient par ailleurs bénéficier d’un traitement innovant, associant un médicament cytotoxique et un anticorps. Ces conjugués anticorps-médicaments (antibody drug conjugate ou ADC) permettent de détruire plus efficacement et plus spécifiquement les cellules cancéreuses grâce à des doses cytotoxiques plus puissantes qu’avec une chimiothérapie classique.

Cette approche ciblée et combinée, également expérimentée dans le traitement des cancers du sein métastatiques sur-exprimant HER2, ouvre une nouvelle voie thérapeutique dans le traitement de certains cancers du poumon, comme l’a montré l’étude présentée par le Docteur Anas Gazzah, oncologue au sein du département d’innovation thérapeutique et essais précoces (Ditep) de Gustave Roussy. Ces recherches montrent que ce nouveau type de traitement parvient à stabiliser ce type de cancer chez les deux-tiers des patients atteints de cancers du poumon non à petites cellules, localement avancés ou métastatiques qui se trouvaient en échec thérapeutique.

Une autre étude présentée à l’occasion de ce congrès a fait sensation. Elle portait sur l’efficacité thérapeutique des nanoparticules développées par Nanobiotix, qui ont été conçues pour amplifier l’intensité de la radiothérapie prescrite aux patients. Ces minuscules particules, d’un diamètre d’environ 50 nanomètres, sont constituées d’un matériau inerte, de l’oxyde d’hafnium. Elles sont injectées au niveau même de la tumeur, ce qui permet, lors des séances de radiothérapie, de démultiplier la puissance des rayons, sans effets secondaires et d’améliorer ainsi considérablement la destruction des cellules cancéreuses. Ces travaux, présentés par le Docteur Christophe Le Tourneau, oncologue médical à l’Institut Curie, ont montré, chez 30 patients atteints d’un cancer de la tête ou du cou, que l’injection de NBTXR3 permettait, au bout de cinq mois, d’augmenter le taux de réponse objective de la tumeur globale à 83 %, un résultat considéré comme remarquable par le Docteur Le Tourneau.
En matière de recherche fondamentale, une autre étude très intéressante mérite d’être évoquée. Elle concerne le rôle surprenant que joue dans la dissémination des cellules cancéreuses la protéine appelée ApoE, que nous produisons tous, mais déclinée dans différentes versions selon les individus, notamment ApoE2, ApoE3 et ApoE4.

On savait déjà que ces protéines avaient un rôle-clé dans la régulation du cholestérol et le transport des lipides, mais ces nouvelles recherches ont montré que la version ApoE4 réduisait sensiblement le risque de progression des métastases, en comparaison à ApoE2, par une action stimulante sur le système immunitaire. Cette étude confirme que, de manière surprenante, la maladie d’Alzheimer et les cancers ont une base génétique commune, qui s’exprime par la protéine ApoE. Cette étude confirme qu’il existe chez certaines personnes une prédisposition génétique qui rend malheureusement plus probable la formation de métastases, en cas de cancer.

Terminons enfin ce rapide tour d’horizon de ce très riche congrès de l’ASCO 2020 par l’étude CAPRI, présentée par des chercheurs français de Gustave Roussy, un travail qui a été reconnu comme remarquable par la communauté scientifique internationale. Les traitements anticancéreux par voie orale sont en plein essor. Depuis 20 ans, plus de 50 nouvelles thérapies orales ont été développées et permettent de traiter de plus en plus efficacement, et de manière beaucoup plus confortable pour le malade, de nombreux cancers.

Mais ces traitements oraux provoquent de nombreux effets secondaires et nécessitent un suivi personnalisé et précis pour adapter en permanence la posologie, en fonction de l’état du patient et de sa réponse aux médicaments prescrits. Or, ce suivi n’était absolument pas satisfaisant dans le cadre classique des visites de contrôle tous les trois mois chez le cancérologue. Face à ce problème qui ne cesse de prendre de l’ampleur, avec l’apparition de traitements oraux de plus en plus complexes, associant plusieurs médicaments, les chercheurs de Gustave Roussy ont voulu mettre en place une télésurveillance personnalisée qui permette à la fois de réduire les effets secondaires et d’améliorer l’efficacité thérapeutique.

La grande originalité de ce télé-suivi CAPRI est qu’il articule de manière très innovante une solution technologique et une organisation humaine, composées d’infirmières de coordination, spécialement formées à ce nouveau métier d’accompagnement en oncologie. L’interface numérique CAPRI (plate-forme Internet et application mobile), associe dans un réseau numérique de soins l’ensemble des acteurs médicaux participant à la prise en charge du patient, (cancérologue, médecin traitant, infirmières spécialisées, intervenants à domicile). Ce dispositif permet de visualiser et enregistrer l’ensemble de ses rendez-vous et comptes rendus médicaux. Il permet également de transmettre à tout moment les données relatives au suivi de son traitement, mais aussi les questions du patient, à l’équipe d’infirmières de coordination, qui est joignable en permanence sur une ligne dédiée. L’équipe soignante assure par ailleurs un suivi régulier de l’état général du patient, par téléphone ou messagerie sécurisée.

En cas de problème, les intervenants peuvent recourir à un vaste panel d’algorithmes conçus pour définir la conduite à tenir face à chaque situation problématique, chaque symptôme, selon leur intensité ou gravité et l’état du patient. L’étude montre que, dans 75 % des cas, les infirmières de coordination, épaulées par ces nouveaux outils, sont capables de répondre seules aux sollicitations du patient et d’anticiper des situations cliniques complexes.

L’étude présentée à l’ASCO 2020 a porté sur 609 patients, tous traités par un anticancéreux oral, thérapie ciblée ou chimiothérapie. La moitié des patients recrutés dans l’étude a bénéficié, en plus du suivi standard par leur oncologue-référent, du télé-suivi CAPRI. Résultat : l’efficacité du traitement, évalué en considérant la dose intensité relative a été meilleure dans le bras CAPRI (93,4 %) que dans le groupe « suivi standard » (89,4 %). Le dispositif a également permis de diminuer de 30 % les effets secondaires les plus sévères et le nombre d’hospitalisations en cours de traitement oral. L’étude montre également une augmentation significative du ressenti positif des patients, concernant la qualité de leurs relations avec les soignants, ce qui va à l’encontre de bien des idées reçues concernant une inévitable déshumanisation qui serait inhérente à la télémédecine et à la numérisation des soins.

Encore plus remarquable, ce dispositif s’est avéré transposable à d’autres situations nécessitant un télé-suivi à domicile : Gustave Roussy a ainsi pu adapter rapidement cet outil collaboratif pour développer l’application CAPRICovid, afin de pouvoir surveiller et guider à domicile ses patients contaminés par le coronavirus, et mieux prendre en charge leurs fragilités spécifiques. Compte tenu de ces excellents résultats, CAPRI devrait se généraliser dans les années à venir pour améliorer le suivi de thérapies orales de longue durée qui sont appelées à se multiplier en cancérologie.
Cette étude apporte donc la preuve scientifique qu’un dispositif bien pensé, alliant de manière judicieuse et intelligente les outils numériques et une nouvelle organisation humaine plus coopérative, peut améliorer de manière considérable le suivi clinique et le confort de vie de patients traités par thérapies anticancéreuses orales.

En conclusion, ce congrès de l’ASCO 2020 confirme les révolutions thérapeutiques en cours en matière de lutte contre le cancer, avec non seulement l’arrivée massive de traitements ciblés et d’immunothérapies combinées de plus en plus efficaces, y compris contre les cancers les plus graves, mais aussi le développement d’outils thérapeutiques extrêmement prometteurs, recourant aux nanotechnologies, et le recours à de nouveaux outils numériques et à l’intelligence artificielle.
Alors que l’on évoque souvent, à juste titre, avec enthousiasme, les formidables progrès intervenus depuis quelques années en matière de dépistage et de traitements des cancers, on parle beaucoup moins souvent d’une révolution tout aussi importante, qui reste à venir, consistant à utiliser toutes les potentialités des outils numériques pour optimiser le parcours de soin de plus en plus complexe chez les malades du cancer, améliorer l’efficacité thérapeutique de leurs traitements et leur permettre de retrouver une qualité de vie globale bien meilleure.
Notre pays devrait s’inspirer des enseignements positifs de ce projet CAPRI pour accélérer, tant pour le cancer que pour les autres pathologies lourdes, l’accès généralisé à la télésanté et au suivi médical personnalisé à distance, qui peuvent, pour un coût très modeste, au regard des bénéfices individuels et collectifs, changer véritablement la donne en matière de soin, mais aussi de prévention active (un levier d’action décisif et sous-employé pour le cancer) sur l’ensemble de notre territoire.

A l’heure où le Gouvernement, tirant les leçons de la pandémie de coronavirus qui nous a durement frappés, et avec laquelle nous allons sans doute devoir apprendre à vivre pendant de longues années, vient de lancer une grande concertation nationale pour réformer en profondeur nos hôpitaux, et plus largement l’ensemble de notre offre de soins, nous devons donner à la télésanté, et à l’accompagnement médical numérique individualisé, une place centrale dans la future architecture de notre système de santé, car nous voyons bien que ces outils, lorsqu’ils sont bien conçus et utilisés, peuvent contribuer de manière puissante à replacer l’homme, ses besoins et ses angoisses, au cœur de la machine médicale et sanitaire.

René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com