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La communauté scientifique s’accorde à considérer qu’avec le cancer, les maladies cardiovasculaires et les grandes maladies infectieuses, l’ensemble des pathologies qui touche le cerveau et le système nerveux, qu’il s’agisse d’affections psychiatriques ou de maladies neurodégénératives, représente l’un des grands défis de ce siècle dans le domaine de la médecine et de la santé. Au cours de ces derniers mois, de multiples avancées ont été annoncées dans ces domaines et il n’est pas exagéré de dire que, comme dans d’autres domaines comme la cancérologie, nous sommes à l’aube d’une révolution dans le traitement des nombreuses maladies qui peuvent toucher notre cerveau.

En collaboration avec leurs collègues allemands de l’Université de Munich, des chercheurs de l’Institut de pharmacologie moléculaire et cellulaire de Sophia Antipolis à Nice viennent ainsi d’identifier l’amyloïde-? (êta), un nouveau peptide actif dans la maladie d’Alzheimer et proche du tristement célèbre amyloïde-?, qui s’accumule en formant des plaques dans les neurones des patients. L’amyloïde-? (êta), longtemps ignoré, semble pourtant jouer un rôle important dans le développement des symptômes comme la perte de mémoire ou le déclin cognitif. Ce peptide est présent en bien plus grande quantité dans le cerveau que la forme bêta (Voir Nature).

Comme l’amyloïde-?, sa cousine amyloïde-? est un produit de la protéine APP. Elle est naturellement présente dans le cerveau, et en plus grande quantité. « Nous avons découvert un nouvel acteur », souligne le Docteur Hélène Marie, co-auteur de l’étude et chercheuse à l’Institut de Pharmacologie Moléculaire et Cellulaire (IPMC). C’est l’équipe allemande qui a découvert l’amyloïde-êta. Les Français, eux, sont parvenus à expliquer son fonctionnement dans le cerveau.

Le peptide récemment découvert s’agglutine et perturbe le fonctionnement des neurones. « Nous avons démontré que l’amyloïde-? perturbe de façon importante un mécanisme cellulaire à la base de la mémoire, qui s’appelle la potentialisation à long terme, détaille Hélène Marie. On a montré qu’il diminue la capacité des synapses à renforcer leur communication lors d’un processus d’apprentissage. » Or, ce composé a été retrouvé en grande quantité dans le cerveau de souris modifiées pour développer une maladie d’Alzheimer et de malades humains.

Les recherches démontrent aussi un point commun entre les deux peptides cousins : ils diminuent le renforcement des synapses nécessaires à la mémorisation. En revanche, l’amyloïde-? rend les neurones plus difficilement excitables, alors que sa cousine plus célèbre provoque une hyperactivité neuronale.

Cette étude permet de mieux comprendre les mécanismes de la maladie d’Alzheimer. Elle présente aussi un intérêt pour les chercheurs impliqués dans différents essais cliniques. Certains tentent d’inhiber la bêta-sécrétase, ce qui permet de réduire la production d’amyloïde-?. « Il s’avère que lorsqu’on l’a inhibée en laboratoire chez des souris, on peut montrer qu’il y a une forte augmentation de l’amyloïde-?, ce qui pourrait être néfaste », précise le Docteur Marie.

Mais une autre étude très intéressante réalisée par des chercheurs de l’Université de Montréal et publiée il y a quelques jour dans le revue Stem Cell (Voir Cell Stem Cell) montre pour sa part que la maladie d’Alzheimer pourrait, au moins en partie, être provoquée par un trouble du métabolisme au même titre que le diabète et l’obésité.

Ces chercheurs ont examiné les cerveaux de neuf patients morts de la maladie d’Alzheimer et trouvé significativement plus de gouttelettes de gras en comparaison avec cinq cerveaux sains. Les scientifiques ont aussi observé la présence de ces gouttelettes chez des souris génétiquement modifiées pour contracter la maladie d’Alzheimer. Après des analyses, ils ont trouvé que ces dépôts de gras étaient des triglycérides contenant des acides gras, similaires aux graisses animales et aux huiles végétales.

« Nous avons découvert que ces acides gras sont produits par le cerveau, qu’ils s’accumulent lentement avec le vieillissement normal, mais que le processus est fortement accéléré en présence de gènes prédisposant à la maladie d’Alzheimer », précise le professeur Karl Fernandes, qui poursuit « Chez les souris prédisposées à la maladie, nous montrons que ces acides gras s’accumulent très tôt, dès les deux premiers mois, ce qui correspond à vingt ans chez l’être humain. Nous pensons donc que l’accumulation d’acides gras n’est pas la conséquence, mais plutôt l’accélérateur de la maladie. »

Ces chercheurs soutiennent qu’il existe des molécules pharmacologiques qui peuvent inhiber l’enzyme qui produit ces acides gras. Ces molécules, actuellement testées pour des maladies métaboliques comme l’obésité, pourraient s’avérer efficaces pour traiter la maladie d’Alzheimer. Karl Fernandes souligne également que le Docteur Alois Alzheimer lui-même avait remarqué, il y a plus d’un siècle, la présence de lipides dans le cerveau des patients après leur mort, lorsqu’il a décrit la maladie pour la première fois en 1906.

Sur le front d’une autre maladie neurodégénérative, la maladie de Parkinson, il faut également évoquer une avancée majeure réalisée par l’équipe du Professeur Louis-Éric Trudeau, de l’Université de Montréal (Voir Cell). Selon ces chercheurs, les symptômes de la maladie de Parkinson seraient liés à une surexcitation de certains neurones impliqués dans le contrôle du mouvement.

« Comme un moteur qui tournerait trop vite, ces neurones doivent produire beaucoup d’énergie pour fonctionner. Ils s’épuisent et meurent prématurément » explique le responsable des travaux publiés. Plus précisément, ce sont les mitochondries – petites structures cellulaires – qui, trop sollicitées, ne fonctionnent plus correctement et provoquent la mort cellulaire.

Selon les observations faites chez la souris, cette surchauffe est circonscrite à des régions spécifiques du cerveau comme la substance noire, le locus ceruleus et le noyau dorsal du nerf vague. En se concentrant sur ces zones, les scientifiques ont découvert que « le burn-out des mitochondries » est dû à des neurones très complexes connectés à plusieurs autres neurones et formant un nombre important de synapses (connexions). Or, ces multiples échanges entre neurones nécessitent une production d’énergie importante car la libération de neurotransmetteurs, comme la dopamine, est gourmande en énergie. Une surproduction qui mènerait à une usure prématurée de ces neurones.

Ce dysfonctionnement pourrait découler de l’allongement de l’espérance de vie. « D’un point de vue évolutif, certains de nos neurones ne sont pas programmés pour durer 80, 90 et même 100 ans comme on le voit de plus en plus. Il faut s’attendre à ce qu’une partie du système subisse plus difficilement les outrages du temps », souligne Louis-Éric Trudeau. Cette découverte ouvre de nouvelles pistes de recherches. Le chercheur canadien évoque par exemple le développement de médicaments capables de limiter la consommation d’énergie ou d’aider les neurones en cause à produire de l’énergie plus efficacement. En France, plus de 150 000 personnes seraient touchées par cette maladie qui ne se guérit pas. Les traitements actuels permettent de diminuer les symptômes et d’améliorer la qualité de vie des malades.

Mais un autre outil étonnant permet également d’améliorer sensiblement l’état des malades souffrant de cette maladie, notamment en matière de mobilité : la stimulation cérébrale profonde. Cette technique, qui ne cesse d’étendre ses indications thérapeutiques et a déjà donné des résultats prometteurs dans le traitement de certaines formes de dépression et de troubles obsessionnels compulsifs TOC) consiste à appliquer une bobine de cuivre faisant office d’aimant sur le cuir chevelu du malade, pour moduler ensuite l’activité des neurones des aires motrices du cerveau.

Conduites sur 17 patients parkinsoniens par des chercheurs coréens de l’Université Sungkyunkwan (Séoul, Corée du Sud), ces recherches ont montré, dans le cadre d’une étude en double aveugle contre placébo, que la stimulation magnétique transcrânienne permettait bien de diminuer les troubles moteurs chez les patients. En outre, ces améliorations étaient toujours observables une semaine après la fin des stimulations.

Une autre maladie neurologique redoutable, la sclérose en plaques (SEP) a également fait récemment l’objet de découvertes qui laissent espérer de réels progrès thérapeutiques. En avril dernier, MedDay, une société française de biotechnologie, a ainsi annoncé la mise au point d’une molécule prometteuse, le MD1003, qui améliore très sensiblement l’état des patients atteints de sclérose en plaques progressive primaire et secondaire. “Il semble, sous réserve d’études cliniques complémentaires en cours, que pour la première fois un médicament se montre capable à la fois de ralentir le taux de progression de la maladie et d’entraîner une amélioration d’une proportion significative de patients atteints de sclérose en plaques progressive », affirme Frédéric Sedel, président de MedDAy, une start-up spécialisée dans le traitement des troubles du système nerveux.

Soumis à une étude clinique pivot de phase III (dernier stade d’expérimentation avant une demande d’autorisation de mise sur le marché ou AMM), le MD1003 a, en effet, permis d’obtenir des résultats encourageants. Les patients traités (300 mg/jour) ont ainsi présenté une amélioration à 12 mois, accompagnée d’une diminution du risque de progression de la maladie.

Avant le dépôt effectif d’une AMM, il reste toutefois un second essai de phase III à compléter. Les expérimentations sont déjà en cours et les résultats attendus d’ici la fin de l’année.

Le MD1003 est un composé proche de la famille de la biotine (appelée aussi vitamine H ou B8). Cette coenzyme participe notamment au métabolisme des acides gras, ainsi qu’à la biosynthèse des vitamines B9 et B12. L’originalité du mode d’action du MD1003 repose sur le fait qu’il influence potentiellement deux cibles impliquées dans la Sclérose en Plaques progressive. Tout d’abord, l’action de cette substance permet d’activer une enzyme synthétisant certains acides gras, eux-mêmes nécessaires à la synthèse de nouvelles molécules de myéline. En parallèle, le MD1003 augmente la production d’énergie dans les neurones démyélinisés (cellules ayant vu leur gaine isolante de myéline détruite par la Sep).

En matière de prévention, une autre étude menée par Brent Richards, de l’Université de McGill au Canada (Voir PLOS) et publiée il y a quelques jours a conformé de manière très intéressante un lien entre un faible niveau de vitamine D et un risque plus élevé de développer la sclérose en plaques (SEP). Cette découverte pourrait permettre d’améliorer les traitements et la prévention de cette maladie.

En travaillant sur une population de 14 498 malades et 24 091 personnes en bonne santé, les chercheurs ont pu montrer que les sujets ayant des niveaux de vitamine D moindres, du fait de particularités génétiques, ont un risque deux fois plus grand de développer une SEP. Selon Benjamin Jacobs, directeur du service pédiatrique du Royal National Orthopedic Hospital de Londres « Soit la déficience en vitamine D provoque la SEP soit il y a d’autres interactions génétiques complexes mais nous ne savons pas encore si donner de la vitamine D à des enfants et des adultes en bonne santé améliore sensiblement les résultats”.

Enfin, signalons, mais la liste n’est pas exhaustive, deux autres découvertes importantes qui ouvrent également de nouvelles perspectives thérapeutiques et préventives dans la prise en charge de la schizophrénie, un trouble mental complexe, associant de multiples facteurs génétiques, biologiques et environnementaux. Selon ces recherches réalisées par une équipe internationale (Voir Nature), une supplémentation en oméga 3 (des acides gras essentiels, indispensables au bon fonctionnement du cœur et du système nerveux) pourrait réduire sensiblement le risque de développer une schizophrénie chez des jeunes à risque. Pour parvenir à ces conclusions, les chercheurs ont administré des compléments alimentaires à base d’oméga 3 pendant 12 semaines à un groupe de 41 personnes âgées de 13 à 25 ans, considérées comme très exposées au risque de développer des psychoses.

En les comparant à un groupe témoin de 40 sujets jeunes du même âge et présentant les mêmes risques, mais qui avaient reçu un placebo, les chercheurs ont pu établir que seulement 10 % des jeunes du premier groupe avaient développé une schizophrénie au cours des sept années suivantes, contre 40 % de ceux du 2e groupe. En outre, ce trouble sévère est apparu globalement plus tôt dans le groupe placebo qui a également présenté un plus grand nombre d’autres maladies mentales au cours de la période étudiée. Dans leur étude, les chercheurs estiment que leurs premiers résultats “offrent l’espoir d’alternatives aux traitements psychopharmacologiques chez des jeunes à risque de développer des psychoses“.

En matière de prévention de ce trouble psychotique, une étude, publiée également il y a quelques jours (Voir Columbia University Medical Center) par des chercheurs d’IBM et de l’Université de Columbia a présenté une technique, reposant sur l’utilisation d’algorithmes spécifiques. Cet outil a permis de détecter ces troubles avec 79 % de succès, en analysant la structure du discours et de la syntaxe des participants. Selon Gillinder Bedi, professeur de psychologie clinique à l’Université de Columbia, cette technique par ordinateur permet un traitement préventif plus ciblé avant l’apparition de la psychose.

Il faut enfin évoquer une hypothèse scientifique très intéressante qui semble être de plus en plus confortée par les avancées de la recherche fondamentale et clinique : celle de l’existence de mécanismes communs sous-jacents entre les maladies de Parkinson, d’Alzheimer et certaines formes de sclérose en plaques. On sait en effet qu’environ 20 % des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer présentent des symptômes reliés à la maladie de Parkinson tandis que 20 % des Parkinsoniens développent une démence.

Autre point commun dans les deux maladies : les défenses naturelles des cellules sont déréglées de la même façon. Elles ne peuvent plus éliminer les molécules qui s’accumulent chez elles. On observe aussi des altérations génétiques similaires chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer ou de Parkinson (notamment sur le chromosome 17).

Autre lien surprenant, celui mis en lumière il y a deux ans par des chercheurs de l’Université de Stanford entre la maladie d’Alzheimer et certains types de sclérose en plaques. Selon ces travaux, certains composants présents dans les plaques amyloïdes, qui détruisent progressivement les neurones des malades d’Alzheimer, pourraient également avoir une action anti-inflammatoire et un effet thérapeutique dans certaines pathologies neurodégénératives apparentées à la Sclérose en plaques. Ces recherches ont notamment montré que le peptide tau, fortement impliqué dans la maladie d’Alzheimer, avait une action anti-inflammatoire dans certains types de sclérose en plaques (Voir Science News).

Ces travaux dirigés par Lawrence Steinman, neurologue à l’Université de Stanford, ont révélé une troublante ambiguïté du rôle des plaques amyloïdes selon le type de pathologie considérée. Il semblerait en effet, même si cette hypothèse reste à confirmer, que ces peptides peuvent avoir, selon les circonstances, un rôle pathogène ou au contraire un rôle protecteur.

L’ensemble de ces recherches et découvertes récentes éclaire le cerveau d’une lumière nouvelle et confirme deux changements théoriques et conceptuels majeurs : d’une part, les frontières entre maladies psychiatriques, troubles neurologiques et pathologies neurodégénératives sont bien plus poreuses et complexes qu’on ne l’imaginait jusqu’à présent et des mécanismes biologiques et génétiques communs sont sans doute à l’œuvre dans ces différentes affections touchant le cerveau. D’autre part, il semble également, au sein des principales maladies neurodégénératives – Alzheimer, Parkinson et la sclérose en plaques – et sans nier leurs différences et leurs spécificités – qu’il existe des structures et processus biologiques et cellulaires communs qui restent à élucider.

Alors que le vieillissement accéléré de la population mondiale est un fait inéluctable, nous devons, c’est une évidence, en associant toutes les ressources de la biologie, de la génétique mais également de l’informatique, des mathématiques et de la physique, poursuivre cette passionnante exploration de ce continent encore largement inconnu qu’est notre cerveau.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat