Très actif chez certains, le système immunitaire peut chez d’autres manquer d’efficacité, ce qui a des conséquences importantes sur le niveau de protection de notre organisme contre les pathogènes. A quoi cela est-il dû ? Savoir ce qui détermine la façon dont nous répondons aux infections virales et bactériennes est aujourd’hui un enjeu majeur pour mieux comprendre la prédisposition à certaines maladies et pour préparer la médecine personnalisée de demain.
Dans une vaste étude publiée cette semaine dans la prestigieuse revue Cell, des chercheurs de l’Institut Pasteur et du CNRS décodent la réponse immunitaire de 200 individus Africains et Européens. Leurs travaux démontrent qu’il existe bel et bien une différence dans la manière dont ces populations répondent aux infections, que cela est, en grande partie, sous contrôle génétique, et que la sélection naturelle a également participé à modeler nos profils immunitaires. Ils apportent en outre la preuve que l’héritage que les Européens tiennent de l’Homme de Néandertal a en particulier influencé leur aptitude à se protéger des virus. Face à une infection ou en réponse à un traitement thérapeutique, les systèmes immunitaires de deux individus ne répondent pas de la même manière. Pour comprendre les bases génétiques et évolutives de ces différences, l’équipe de Lluis Quintana-Murci, directeur de recherche CNRS, directeur scientifique de l’Institut Pasteur et responsable de l’unité Génétique évolutive humaine (Institut Pasteur/CNRS), a lancé il y a quatre ans une vaste étude, publiée ce jeudi dans Cell. En collaboration avec des équipes du Centre national de génotypage (CEA), du Max Planck Institute (Leipzig) et de l’université de Gand, les scientifiques y ont analysé l’expression de l’ensemble des gènes de la réponse immunitaire de 200 personnes, 100 d’origine européenne et 100 d’origine africaine.
Ils ont plus précisément séquencé la totalité de l’ARN de ces individus pour caractériser la manière dont les cellules immunitaires, appelées monocytes, acteurs de la réponse immunitaire innée, répondaient à l’attaque par des ligands bactériens ou viraux, y compris le virus de la grippe. Premier enseignement : Africains et Européens diffèrent dans l’amplitude de leur réponse immunitaire, notamment pour certains gènes impliqués dans les réponses inflammatoire et antivirale. Ces différences sont en grande partie dues à des mutations génétiques, différemment distribuées entre Africains et Européens, qui modulent l’expression des gènes de l’immunité. Ce résultat fournit ainsi des pistes pour mieux comprendre la sensibilité de certaines populations à des maladies comme le lupus, dont l’incidence est plus importante en Afrique qu’en Europe.
Les chercheurs ont ensuite pu démontrer que la sélection naturelle avait favorisé certaines de ces mutations génétiques, aidant chacune de ces populations à mieux s’adapter à son environnement. De manière frappante, selon des processus indépendants jouant sur des gènes différents, la sélection naturelle a abouti, chez les populations d’Europe et d’Afrique, a un même résultat : diminuer la réponse inflammatoire. Cet exemple d’évolution, dite convergente, vient confirmer que bien que protégeant efficacement des infections, une réponse immunitaire trop forte, comme dans le cas des allergies ou des maladies autoimmunes, est à éviter.
Enfin, alors que l’on sait aujourd’hui que les Européens ont rencontré l’Homme de Néandertal, et que leur génome porte aujourd’hui la trace de ce croisement – il est pour 4% d’origine néandertalienne – les scientifiques ont cherché à déterminer si ce mélange avait eu un impact sur leur aptitude à répondre aux infections. L’étude révèle ainsi que Néandertal a en effet transmis aux Européens des mutations d’importance pour le contrôle de la réponse immunitaire, et notamment des mutations qui modulent l’expression génique suite aux infections virales. Ces mutations régulatrices ont conféré un avantage aux populations qui en ont hérité, ce qui explique aujourd’hui leur fréquence élevée parmi la population européenne.
En identifiant les variants génétiques responsables de la modulation des gènes impliqués dans la réponse immunitaire, cette étude donne de nouveaux outils pour comprendre les mécanismes qui sous-tendent la mise en place de la réaction immunitaire face aux infections ainsi que la prédisposition aux maladies, aussi bien au niveau individuel qu’à l’échelle des populations humaines.
Hélène Quach (1,2,3,11), Maxime Rotival (1,2,3,11), Julien Pothlichet (1,2,3,11)#, Yong-Hwee Eddie Loh (1,2,3,11), Michael Dannemann (4), Nora Zidane (1,2,3), Guillaume Laval (1,2,3), Etienne Patin (1,2,3), Christine Harmant (1,2,3), Marie Lopez (1,2,3,5), Matthieu Deschamps (1,2,3,5), Nadia Naffakh (6), Darragh Duffy (7), Anja Coen (8), Geert Leroux-Roels (8), Frederic Clément (8), Anne Boland (9), Jean-François Deleuze (9), Janet Kelso (4), Matthew L. Albert (7,10) and Lluis Quintana-Murci (1,2,3) (1) Institut Pasteur, Human Evolutionary Genetics Unit, Paris 75015, France (2) CNRS, URA3012, Paris 75015, France (3) Center of Bioinformatics, Biostatistics and Integrative Biology, Institut Pasteur, Paris 75015, France (4) Department of Evolutionary Genetics, Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology, Leipzig 04103, Germany (5) Université Pierre et Marie Curie, Cellule Pasteur, Paris 75015, France. (6I) nstitut Pasteur, Molecular Genetics of RNA Viruses Unit, Paris 75015, France (7) Institut Pasteur, Dendritic Cell Immunobiology Unit, Paris 75015, France (8) Center for Vaccinology, Ghent University and University Hospital, Ghent 9000, Belgium (9) Centre National de Génotypage, CEA, Evry 91000, France (10) Department of Cancer Immunology, Genentech, California 94080, USA (11) Co-premier auteur #adresse actuelle: DIACCURATE, Institut Pasteur, PARIS 75015, France