Santé humaineGénomique
Édito
ARN messager et ARN interférent : une nouvelle révolution médicale est en marche…
En partenariat avec RT FLASH N° 1130
Editorial du Sénateur René Trégouët
Avec la pandémie de Covid-19, les premiers vaccins à ARN messager de l’histoire de la médecine ont été largement médiatisés, et le grand public a ainsi pu apprendre que, contrairement à une idée assez répandue, l’ARN messager, ou ARNm, n’était pas une découverte récente, puisque son principe fondamental avait été découvert en 1961, par trois grands biologistes français, Jacques Monod, François Jacob et André Lwoff (tous trois récompensés par le prix Nobel de médecine en 1965), qui montrèrent que l’expression des gène n’était pas continue, mais activée à la demande, grâce à l’action de protéines régulatrices, les ARNm, qui sont capables de réaliser des « photocopies » des instructions contenues dans l’ADN, puis de porter celles-ci jusqu’aux bonnes cellules qui peuvent alors, grâce à ces plans précis, fabriquer les protéines dont elles ont besoin.
Mais à côté de l’ARNm, il existe un autre acide ribonucléique beaucoup moins connu, et pourtant porteur d’immenses potentialités thérapeutiques, l’ARN interférent, ou ARNi, qui a valu à ses découvreurs américains, Andrew Fire et Craig Mello, le Nobel de médecine en 2006. Contrairement aux ARNm qui permettent de stimuler la production d’une protéine utile, comme un antigène viral qui servira à l’élaboration d’un vaccin, les ARNi vont agir au niveau d’un gène précis pour bloquer, par un processus appelé « silençage », la production d’une protéine pathogène, c’est-à-dire responsable d’une maladie. La chercheuse, Katalin Kariko, pionnière de l’ARNm, souligne le caractère très particulier de ces ARNi, qui n’ont pas besoin de lipides de protection car il s’agit de doubles brins très courts.
On le sait peu, mais plusieurs médicaments utilisant la technique à ARNi sont déjà disponibles. C’est notamment le cas du Translarna, dans le traitement de la dystrophie musculaire de Duchenne, du Leqvio (inclisiran), un anti-PCSK9, pour traiter l’hypercholestérolémie, de l’Oxlumo (lumasiran) dans le traitement de l’hyperoxalurie primitive de type 1, du Givlaari (givosiran), dans la porphyrie hépatique aiguë, ou encore de l’Onpattro (patisiran) dans l’amylose héréditaire. Le patisiran a prouvé son efficacité pour améliorer la qualité de vie des patients dans le cadre de l’étude Appolo, la plus vaste étude du genre réalisée chez des patients atteints d’amylose avec polyneuropathie. Dans les 10 années à venir, une quarantaine d’autres molécules ARNi pourraient arriver sur le marché, principale ment pour traiter de nombreux types de cancer.
Il y a quelques semaines, le laboratoire Dicerna Pharmaceuticals a annoncé le lancement d’une étude de phase 1, soutenue par le gouvernement américain, visant à évaluer l’efficacité d’un ARNi – le DCR-AUD, capable de bloquer l’expression du gène ALDH2. Or, il se trouve que ce gène, lorsqu’il est défectueux, ce qui est le cas chez certaines personnes identifiées, provoque un fort dégoût physiologique à la moindre consommation d’alcool. Ces scientifiques font donc l’hypothèse qu’en provoquant à la demande un tel effet répulsif, il serait peut-être possible de proposer une nouvelle thérapie à certains patients incapables de maîtriser leur consommation d’alcool.
Outre-Manche, le gouvernement britannique va lancer une vaste expérimentation visant à diminuer la quantité de cholestérol sanguin chez plus de 300 000 malades, grâce à un traitement novateur, lui aussi à base d’ARNi, développé par le laboratoire Novartis. Ce traitement, baptisé Inclisiran, sera administré par injection sous-cutanée aux personnes sélectionnées deux fois par an au cours des trois prochaines années. Il sera prescrit à trois groupes de patients : d’abord à ceux qui souffrent d’une maladie génétique entraînant un taux de cholestérol élevé, ensuite à ceux qui ont déjà été victimes d’une crise cardiaque ou d’un accident vasculaire cérébral, et enfin, à ceux qui sont réfractaires aux traitements hypocholestérolémiants classiques. L’inclisiran devrait permettre un silençage génique visant à empêcher la production d’une protéine appelée PCSK9. Celle-ci joue un rôle-clé dans la régulation du cholestérol dans notre organisme, mais, dans le cas des patients présentant un taux élevé de cholestérol LDL (le mauvais cholestérol), cette protéine est produite en excès, d’où l’idée d’utiliser un ARNi qui va venir se fixer à l’ARNm qui porte les instructions pour la protéine PCSK9, puis va rendre illisible ces instructions, empêchant ainsi la production de PCSK9.
Dans la plupart des thérapies géniques, lorsque l’on veut acheminer jusqu’aux cellules malades une version saine d’un gène déficient, on utilise généralement un virus désactivé pour administrer le traitement. Le problème, c’est qu’il est difficile d’utiliser à plusieurs reprises ces vecteurs viraux sur un même patient, sous peine de provoquer des réactions immunitaires indésirables. Pour contourner cet obstacle, les chercheurs essayent alors de recourir à des vecteurs non viraux, parfois encapsulés dans des nanoparticules lipidiques. S’agissant de la nouvelle thérapie britannique contre le cholestérol, l’ARNi n’a pas besoin d’être enrobé dans une nanoparticule protectrice : il est en effet conçu de façon à pouvoir circuler directement dans le réseau sanguin, jusqu’au foie. Une fois sur place, cet ARNi reconnaît immédiatement les cellules-cibles, grâce à un ligand, une molécule qui possède la propriété de se lier de manière réversible à une macromolécule ciblée, protéine ou acide nucléique,
De nombreux médicaments de silençage génique font actuellement l’objet d’études pour traiter de nombreuses pathologies, qui vont de certains cancers (mélanome, pancréas, cerveau,), aux troubles neurologiques, comme la maladie d’Alzheimer ou de Huntington, en passant par des maladies de la vision, comme la dégénérescence maculaire et le glaucome.
Un autre ARNi, le téprasiran est capable de bloquer la production de la protéine p53, impliquée dans la transcription de nombreux gènes. Récemment, un essai de phase 2, en double aveugle contre placebo, a montré, sur 360 patients ayant subi une chirurgie cardiaque présentant un fort risque d’insuffisance rénale aiguë (IRA), une diminution sensible de la fréquence et de la gravité de ces IRA, une semaine après l’intervention (Voir AHA Journals).
L’ARNi pourrait bien également révolutionner la lutte contre le cancer en offrant un redoutable outil qui permettra de provoquer le suicide des cellules malignes, mais sans toucher les cellules saines (Voir Nature Communications). On sait que notre organisme produit en permanence, à cause de multiples facteurs, dont l’accumulation de mutations génétiques, des cellules malignes, qui sont heureusement le plus souvent repérées et éliminées par les multiples lignes de défense de notre système immunitaire. Ces cellules cancéreuses ont perdu leur capacité d’apoptose, une propriété qui permet le suicide cellulaire, par la synthèse de petits ARN interférents, dont la séquence est complémentaire de celle de l’ARN visé. Des chercheurs de la Northwestern University à Chicago ont donc eu l’idée d’utiliser des ARN interférents pour réactiver le mécanisme d’apoptose défaillant des cellules cancéreuses.
Ces recherches ont pu montrer que les cellules cancéreuses mouraient après introduction de certains ARN interférents. En outre, ces scientifiques ont pu observer avec satisfaction que les cellules cancéreuses traitées avec les molécules d’ARN ne devenaient jamais résistantes, car ces ARN interférents désactivaient simultanément plusieurs gènes nécessaires à la survie de ces cellules malignes, et celles-ci mouraient, sans avoir eu le temps de développer une résistance face à ces attaques multiples. Ces travaux ont également montré, de manière remarquable, que cette action de restauration de l’apoptose ne nécessitait même pas un ARN interférent entier, mais un simple fragment de seulement 6 nucléotides (éléments constitutifs de l’ADN et de l’ARN). Après avoir testé les 4.096 combinaisons différentes de cette séquence de 6 nucléotides, ces chercheurs ont découvert la plus toxique pour les cellules cancéreuses et ils s’attellent à présent à concevoir des micro ARN artificiels encore plus puissants contre les cellules cancéreuses que ceux développés par la nature.
Il y a quelques semaines, des chercheurs du MIT et de l’Université Harvard ont conçu un moyen d’activer de manière sélective les thérapies géniques dans les cellules cibles, y compris les cellules humaines. Leur technologie peut détecter des séquences d’ARN messager spécifiques dans les cellules, et cette détection déclenche ensuite la production d’une protéine spécifique à partir d’un transgène ou d’un gène artificiel (Voir Nature biotechnology). Cette nouvelle approche devrait considérablement élargir le champ d’action des thérapies géniques, notamment dans le domaine du cancer. Ces chercheurs vont à présent essayer de développer de nouvelles thérapies pour détruire les tumeurs en concevant leur système à base d’ARN de manière à identifier les cellules cancéreuses, puis à produire une protéine toxique à l’intérieur de ces cellules, pour les détruire de manière rapide et sélective. « Cette nouvelle technique représente un saut conceptuel dans le contrôle et la programmation du comportement des cellules des mammifères. Elle permettra à terme d’agir directement sur les cellules, afin que celles-ci réagissent de manière efficace, face à une multitude d’agents pathogènes, bactéries ou virus », souligne le Professeur Martin Fussenegger, chercheur à l’Ecole Polytechnique de Zurich.
En avril dernier une équipe française de l’Inserm, dirigée par Nicolas Tricaud a également réalisé une remarquable percée en expérimentant avec succès une thérapie génique à base d’ARNi contre la pathologie de Charcot Marie Tooth de type 1A, qui affecte les nerfs périphériques (Voir Nature communications). Cette maladie entraîne des atrophies musculaires au niveau des extrémités des membres, des déformations des mains et des pieds et un handicap à la marche. Le type 1A de cette pathologie est provoqué par une anomalie du gène codant pour la protéine PMP22. Ce dysfonctionnement génétique provoque une dégénérescence de la gaine de myéline, qui ne peut plus assurer la bonne conduction de l’influx nerveux. La thérapie génique imaginée par ces chercheurs vise à apporter dans les cellules de Schwann touchées par la maladie un ARNi qui va bloquer l’expression du gène PMP22 et réduire ainsi drastiquement la production de la protéine fautive. Ces ARNi ont été acheminés, à l’aide d’un vecteur viral, vers les cellules de Schwann en étant directement injectés dans le nerf sciatique de rats atteints par la maladie. L’étude souligne que les résultats ont dépassé les attentes des chercheurs, puisqu’une seule injection a suffi pour restaurer un niveau d’expression normale de la protéine PMP22, ce qui a supprimé les déficiences motrices et sensorielles pendant un an, une durée qui correspond à un tiers de la vie de l’animal.
Dans ce domaine d’avenir des ARN thérapeutiques, il faut également évoquer les travaux d’une équipe de chercheurs de l’Université de Tel-Aviv, qui vient de développer une technique capable de cibler et détruire des cellules cancéreuses, sans effet secondaire, ni récidive. Ces scientifiques, dirigés par le Professeur Dan Peer, ont réussi à utiliser une nanoparticule lipidique pour l’acheminement d’ARNm vers des tumeurs malignes. Baptisée CRISPR-LNPs, cette stratégie thérapeutique embarque un messager génétique encodant une enzyme spécifique qui agit comme un ciseau moléculaire. Les résultats de l’étude montrent une amélioration significative du taux de survie global dans deux cancers, parmi les plus mortels, le cancer métastatique de l’ovaire (+ 80 %) et le glioblastome (+ 30 %), (Voir Science Advances).
S’agissant de la révolution en cours de l’ARN messager, on ne peut que déplorer le retard de la recherche française, notamment en termes de vaccins, alors que L’ARN messager a été découvert, je l’ai rappelé, il y a plus de 60 ans, par deux très grands scientifiques Français, François Jacob et Jacques Monod. Il est regrettable que, ni le groupe Pasteur, il y a 30 ans, ni Sanofi, plus récemment n’aient véritablement perçu toutes les potentialités incroyables de ces ARNm. On peut aussi s’étonner que la percée décisive vers les vaccins à ARN réalisée en 2005 par la chercheuse américaine d’origine hongroise Katalin Kariko (devenue Vice-Présidente de BioNTech en 2013), pour prévenir la réponse inflammatoire à l’ARN messager, avancée qui permet à l’ARN synthétique de ne pas être reconnu par le système immunitaire, n’ait pas été appréciée à sa juste valeur par les grands laboratoires français.
Le fait que Sanofi se soit finalement résolu à abandonner son projet de vaccin ARN anti-Covid, qui serait arrivé sur le marché bien trop tard par rapport à la concurrence, en dit long sur l’échec cuisant, à la fois scientifique et industriel, de notre pays dans la maîtrise de cette technologie qui est déjà au cœur d’une immense révolution médicale. Sans doute faut-il chercher les causes de ce manque de clairvoyance et d’anticipation de notre recherche, non dans la qualité reconnue de nos chercheurs, mais plutôt dans la rigidité institutionnelle et l’insuffisance d’une culture scientifique et industrielle du risque et de l’audace, comme celle qui caractérise le monde anglo-saxon.
Il faut souhaiter que notre pays sache rapidement tirer toutes les leçons de ses échecs dans ce domaine si prometteur de la recherche biologique et médicale et se tourne résolument vers l’avenir en bâtissant un écosystème scientifique et industriel souple, créatif et réactif, entièrement dédié à l’ARN préventif (vaccins à ARNm) et thérapeutique (vecteurs d’ARNi). Il faut en effet bien comprendre que les Etats et laboratoires qui sauront les premiers exploiter les prodigieuses potentialités complémentaires des ARNm et des ARNi en matière de santé et de médecine, et les rendre accessibles au plus grand nombre, prendront une avance décisive dans le secteur-clé des biotechnologies qui sera, demain, l’un des principaux moteurs de l’innovation et de la compétitivité économique mondiales.
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com