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Biophytis lance une augmentation de capital pour accélérer le développement de Sarconeos (BIO101) dans les formes sévères de la COVID-19 et la sarcopénie

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Interview de Stanislas Veillet, co-fondateur et CEO de Biophytis

Vous lancez une augmentation de capital. Vous avez communiqué des bons résultats dans la phase 2/3 (étude COVA) dans le domaine des maladies respiratoires, liées au COVID-19, et vous attendez d’obtenir une autorisation d’accès précoce de la HAS ; par ailleurs, vous avez des autorisations en Europe et aux Etats-Unis pour lancer une étude de Phase 3 dans la sarcopénie (étude SARA), une dégénérescence musculaire liée à l’âge, ce qui est une première mondiale. Cependant, alors que Biophytis est proche de l’accès au marché, le cours de bourse de la société est au plus bas. Comment cela s’explique-t-il ?

Oui, on peut se poser la question du cours de bourse, qui est fortement impacté par des facteurs macro-économiques, comme de nombreuses autres biotechs. C’est la raison pour laquelle nous voulons lancer une opération publique qui permette à tous les actionnaires de souscrire et d’être associés au développement futur de la société.

En effet, nous avons bien progressé dans le développement de Sarconeos (BIO101) dans le traitement des formes sévères de la Covid-19 en capitalisant sur notre étude COVA. Cette étude de phase 2/3 a démontré une réduction de 44 % du risque d’insuffisance respiratoire et de décès avec notre candidat médicament par rapport au placebo. Ces bons résultats, positifs, nous permettent d’envisager le développement  de notre candidat médicament dans le traitement des formes sévères de la Covid-19,  et de manière plus générale dans le traitement du Syndrome de Détresse Respiratoires Aigue (SDRA), causé par des maladies respiratoires virales, comme la grippe ou d’autres virus respiratoires, en particulier chez les personnes âgées. Nous allons poursuivre les interactions avec les agences réglementaires pour demander les autorisations de traiter des patients dans le cadre de Programmes d’Accès Précoce (ie EAP) en France et au Brésil, dans la perspective de déposer des demandes d’Autorisation de Mise sur le Marché conditionnelle (AMM).  Les critères que les agences réglementaires appliquent pour donner ces autorisations dépendent de leur appréciation du besoin médical et du degré d’urgence sanitaire d’une part, et de la qualité du dossier clinique et industriel d’autre part. C’est pourquoi nous avons sollicité les avis scientifiques de ces agences en Europe (EMA), aux Etats-Unis (FDA) et au Brésil (ANVISA),  pour avoir leur accord sur un plan de développement clinique et industriel permettant d’obtenir ces autorisations. Rappelons que nous avons signé récemment des partenariats industriels avec Seqens et Skyepharma qui ont les agréments de ces agences pour l’industrialisation du principe actif et du produit pharmaceutique.

Le deuxième axe de développement de Sarconeos (BIO101) est le traitement des maladies neuromusculaires, et en particulier dans la sarcopénie, une maladie neuromusculaire liée à l’âge qui concerne plus de 30 millions de patients dans le monde. Nous avons démontré dans une étude internationale de phase 2 que Sarconeos (BIO101) stimulait la vitesse de marche sur 400 m chez ces patients âgés à risque de handicap moteur. Nous avons depuis obtenu l’autorisation de démarrer une étude clinique de Phase 3 en Belgique et aux Etats-Unis : une première mondiale qui montre notre avance dans le développement de traitements dans cette maladie très handicapante. Nous poursuivons la préparation de cette étude en particulier pour l’élargir à d’autres pays. Une telle étude qui a pour objectif de recruter plus de 900 patients qui seront traités en moyenne pendant 18 mois pour évaluer l’effet de Sarconeos (BIO101) sur le risque de perte de la marche, n’est pas accessible avec les ressources financières de la société actuellement disponibles. Nous cherchons donc des partenaires pour co-financer cette étude et co-développer ce produit jusqu’à l’AMM, des laboratoires pharmaceutiques régionaux et/ou internationaux.

Vous avez déjà réussi deux levées de fonds en 2023 ?

Oui, en effet. Il s’agit de la troisième opération de Biophytis depuis le début de l’année 2023 (2,3 M€ au printemps en France et 3,8M$ sur le Nasdaq en juillet) dans un contexte très tendu pour le financement des biotech. Le montant cible brut de cette augmentation de capital est d’environ 2,6 millions d’euros, susceptible d’être porté à 3 millions d’euros en cas d’exercice intégral de la clause d’extension. Elle est garantie par des investisseurs européens, qui sont des actionnaires fidèles de Biophytis. La société a connu des hauts et des bas depuis son introduction en bourse en 2015 : des bas en 2017, des hauts en 2018, ce qui nous a permis de lancer l’étude clinique SARA dans la sarcopénie, des bas en 2019 puis des hauts en 2020 qui ont permis de lancer l’étude COVA de phase 2/3 dans la COVID. Nous espérons aujourd’hui que les marchés financiers vont rebondir et que les biotech, actuellement valorisées au cash, reprendront des couleurs en 2024.

Cela dépend d’un contexte extérieur qui n’est pas favorable ?

C’est une opération publique dans laquelle 2 M€ sont garantis. Nous espérons atteindre 2,6 M€, et jusqu’à 3 M€ en fonction du succès de l’opération, des conditions de marché et de l’intérêt des actionnaires. Nous sommes une des rares biotech qui réussit à lever des fonds en 2023 dans des conditions de marchés extrêmement difficiles à la fois sur Euronext et au Nasdaq. La société Biophytis est clairement sous-valorisée par rapport au développement de son pipeline de candidats médicaments, en développement clinique avancé et proches du marché, ce qui peut offrir des opportunités en cas de rebond des marchés.

Quelle est votre position de cash suite à cette augmentation de capital, pourrez-vous assurer le financement de la société et des études jusqu’en 2024 ?

Nous avons du cash et une visibilité financière de plus de 12 mois : notre dernière position de cash fin juin était proche de 6 M€ et nous avons levé depuis 3,8 M$ au Nasdaq en juillet. En plus de cela, nous avons réduit notre cash burn à un peu moins d’1 M€ par mois. Nous sommes un peu moins de 30 personnes dans la société, n’avons plus d’étude clinique en cours et concentrons nos efforts sur la recherche de partenaires pour accélérer l’accès au marché de notre candidat médicament principal, Sarconeos (BIO101), dans 3 indications : la COVID-19, la sarcopénie et la myopathie de Duchenne.

Je préfèrerais que la société vaille 100 ou 200 millions plutôt que 5 à 10 millions ce qui a été le cas durant l’année 2023. Quand la société a été introduite au Nasdaq, elle était valorisée plus de 150 millions de dollars, ce qui correspond plus à sa valeur réelle compte tenu de ses actifs et du potentiel de Sarconeos (BIO101), en développement clinique avancé et proche d’un accès au marché.

Cette augmentation de capital se fait par voie d’émission d’ABSAR (Souscription d’Action à Bons de Souscription d’Actions Remboursables) avec maintien des Droits Préférentiels de Souscription (DPS) ?

L’intérêt dans cette augmentation de capital via des ABSAR est qu’elle peut être souscrite non seulement par tous les actionnaires de Biophytis d’une manière prioritaire, mais aussi pas de nouveaux investisseurs. De plus, le prix des ABSAR est sans décote par rapport au marché. Les actionnaires historiques qui veulent souscrire ont 8 actions pour une ABSAR et, pour chaque action achetée, ils auront un BSA.  Ils vont pouvoir exercer l’option si le cours remonte, ce que j’espère en 2024, et avoir ce premium qui peut les motiver pour souscrire, au-delà de la dilution inhérente à ce type d’opération d’augmentation de capital.

Les marchés, dans cet environnement macro-économique très compliqué, valorisent la plupart des biotech au cash. Biophytis n’échappe pas à cette logique et a atteint un point bas de valorisation,  bien inférieure à la valeur fixée lors de son introduction sur Euronext en 2015. C’est un niveau de valorisation ubuesque et qui n’a aucun lien avec la valeur intrinsèque de la société et au degré de maturité de son portefeuille… C’est le cas de la plupart des sociétés biotech cotées au Nasdaq.

Que peut-on espérer l’année prochaine qui permettrait de revaloriser la société ?

Sur le plan opérationnel, le démarrage de l’essai de Phase 3 dans la sarcopénie, qui est l’indication première de Sarconeos (BIO101), devrait permettre de modifier la perception que les investisseurs ont du potentiel de la société. Le démarrage de cette étude va dépendre de notre capacité à trouver des laboratoires pharmaceutiques partenaires. Depuis septembre dernier, nous avons un nouveau directeur du business et du développement (Chief business officer), Edouard Bieth. Il pilote notre stratégie d’accès au marché et de commercialisation et a la charge d’établir des partenariats en vue d’accord de co-développement et de licence de Sarconeos (BIO101 dans les 3 indications. Nous visons des partenariats régionaux et internationaux pour cofinancer les études cliniques et préparer le lancement. Dans les prochains mois cela devrait nous permettre de changer la perception que les investisseurs ont de la société.

Dans la COVID-19, votre candidat-médicament s’adresse à des patients atteints de troubles respiratoires sévères ?

Oui, ce sont des patients à l’hôpital développant une forme sévère de Covid-19. Les patients sont hospitalisés avec une décompensation respiratoire, en hypoxémie (leur taux d’oxygène plasmatique est inférieur à 92%) ou tachypnée, et risquent de développer un Syndrome de Détresse Respiratoire Aigüe (SDRA) et de décéder.  En cas de détresse respiratoire, la seule solution est de les intuber et de les passer en réanimation pour les sauver, c’est le stade dit critique où les patients peuvent passer plusieurs semaines en réanimation et le risque de décès est très important (40 %).  Il est donc très important d’éviter le passage en réanimation, et nous avons démontré dans l’étude COVA de phase 2/3 que Sarconeos (BIO101) pouvait réduire ce risque de plus de 44% ! Nous ciblons des patients pour lesquels le besoin médical est encore très important, et ce malgré les progrès faits depuis 3 ans dans la vaccination, le développement d’antiviraux, peu efficaces à ce stade de la maladie, ou la prise en charge de ces patients. Un objectif très important pour nous est de traiter des patients dans le cadre de programmes d’accès précoce en France et au Brésil, où nous avons obtenu cette autorisation l’an dernier, en condition de vie réelle et de contribuer ainsi à sauver des patients. C’est fondamental pour nous et cela représente une source de réappréciation que de commencer à traiter véritablement les patients avec notre produit sans les inclure dans une étude clinique.

Est-ce possible ?

Nous avons demandé une autorisation d’accès précoce en France et au Brésil. En France, nous avons reçu un retour mitigé de la HAS qui nous demande des compléments d’informations que nous sommes en train de réunir, et nous allons redéposer le dossier au premier trimestre 2024. En revanche, au Brésil, l’ANVISA nous a donné l’an dernier l’autorisation d’accès précoce. Ce pays de 200 millions d’habitants a déploré plus d’un million de morts de la COVID-19. Nous n’avons pas encore démarré le programme parce qu’il nous fallait partager avec eux les résultats cliniques alors que la phase d’investigation n’était pas encore terminée. C’est désormais chose faite, nous partageons les données et avons demandé la levée de l’arrêt du programme (de notre fait). Nous devrions pouvoir enfin traiter prochainement les patients. Si nous confirmons en situation réelle le profil d’efficacité de Sarconeos, c’est presque 50 % des patients qui seront sauvés.

Aujourd’hui, ce sont les seuls patients atteints de la COVID-19 que l’on peut traiter.  Mais dans le cadre des demandes d’autorisation de mise sur le marché (AMM) conditionnelle, nous avons également commencé à discuter avec l’EMA et la FDA pour élargir le produit à l’ensemble des infections virales respiratoires au stade sévère. Sur l’ensemble des patients qui arrivent à l’hôpital depuis des années, il y en a entre 5 000 et 15 000 tous les ans en France qui passent au stade d’insuffisance respiratoire, qui sont en réanimation et qui décèdent de la grippe. Nous essayons de réunir tous les éléments convaincants pour pourvoir élargir l’indication d’AMM conditionnelle au risque de détresse respiratoire sévère (Acute respiratory distress syndrom).

Quels sont les chiffres des patients hospitalisés dans la COVID-19 ?

Dans le monde, plusieurs millions de patients ont été hospitalisés avec un Covid-19 grave depuis le début de l’année. Si ce nombre a chuté par rapport à 2022, le besoin médical reste très important et le virus continue de circuler largement dans le monde avec plus de vingt millions de patients actuellement infectés. En France, nous avons eu 40 000 décès en 2022, et plus 200 000 personnes ont été hospitalisées avec des formes graves de la COVID-19. Nous avons publié une Tribune avec Jean Mariani (Opinion | Covid : peut-on se satisfaire de 40.000 morts par an en France ? | Les Echos ) en début d’année à ce sujet. Depuis le début de l’année 2023 en France, on observe une normalisation de la pandémie avec une baisse importante des patients hospitalisés et des décès, qui représente encore 40 000 ou 50 000 personnes hospitalisées avec des formes graves de Covid-19 et plus de 5 000 décès, soit des niveaux comparables à la grippe saisonnière.

Une étude confirmatoire de deux ans après une autorisation conditionnelle en 2024 devrait vous permettre d’obtenir l’AMM finale en 2026 ?

Notre priorité est d’obtenir l’avis scientifique de l’EMA et de la FDA au premier semestre 2024 sur le plan de développement de Sarconeos (BIO101) jusqu’à l’AMM. Nous préparons actuellement ce plan et espérons pouvoir déposer la demande d’AMM conditionnelle l’année prochaine en fonction des retours de ces agences. Ce plan de développement comprend entre autres la description de la production à l’échelle industrielle de Sarconeos (BIO101), avec nos partenaires Seqens et Skypharma. Il comprend par ailleurs la description d’une étude clinique dite confirmatoire qui permettra de confirmer la sécurité et l’efficacité de Sarconeos (BIO101) chez des patients développant des formes graves de maladies respiratoires virales causées par la Covid-19 mais aussi par la grippe saisonnière, hospitalisés à risque de détresse respiratoire et décès.

Qu’en est-il de votre programme dans la Myopathie de Duchenne ?

Nous avions arrêté temporairement en 2020 le programme MYODA de développement d’une formulation pédiatrique de Sarconeos (BIO101) dans la Dystrophie Musculaire de Duchenne (DMD), en raison de la pandémie qui ne permettait pas de démarrer l’étude de phase 1-2 comme prévu. De plus, pour des raisons de ressources financières et d’organisation, nous ne pouvions pas mener cette étude simultanément avec les études SARA et COVA. A présent qu’il n’y a plus de risques pour les enfants en insuffisance respiratoire d’aller à l’hôpital et que nous avons les preuves cliniques de la sécurité et l’efficacité de Sarconeos (BIO101) sur les fonctions musculaires et respiratoire grâce aux études SARA et COVA, nous allons démarrer en 2024 l’étude clinique MYODA, pour laquelle nous avions reçu les autorisations en Belgique et aux Etats-Unis.  Il faut noter par ailleurs que Sarconeos (BIO101) avait obtenu la désignation de médicament orphelin dans cette indication. L’objectif de l’étude MYODA de phase 1 /2 chez 45 enfants, non ambulants, qui sont en insuffisance respiratoire, est de démontrer l’efficacité de Sarconeos (BIO101) sur la fonction respiratoire et limiter ainsi le besoin d’assistance respiratoire. Nous sommes convaincus que c’est très pertinent, alors que nous partons avec un candidat médicament pour lequel nous avons maintenant les preuves cliniques de sa sécurité et de son efficacité. Le besoin médical dans la myopathie de Duchenne reste par ailleurs très important, malgré les progrès récents réalisés en thérapie génique, qui permettent au mieux de ralentir le développement de la maladie chez les plus de 200 000 enfants atteints de DMD.

L’étude clinique est menée en collaboration avec l’hôpital de la Pitié Salpêtrière (AP-HP) ?

L’AFM (Association Française de Myologie) nous a appuyé pour obtenir les preuves pré-cliniques et préparer le développement clinique de Sarconeos (BIO101) dans la DMD.  Ce sont en effet les chercheurs de l’Institut de Myologie à la Pitié Salpêtrière qui nous ont encouragé à développer notre candidat médicament dans la myopathie de Duchenne. L’AFM est toujours très intéressée par notre candidat médicament, qui pourrait non seulement traiter des enfants atteints de DMD, mais éventuellement d’autres maladies neuro-musculaires pédiatriques génétiques, comme l’amyotrophie spinale. C’est par ailleurs une étude de taille limitée que nous pouvons financer et lancer en 2024 et qui devrait permettre en cas de succès de déposer une demande d’autorisation conditionnelle de mise sur le marché en 2026 ou 2027.

Propos recueillis par Thérèse Bouveret