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Interview
Changement de direction à la tête de Domain Therapeutics
De par son expertise en GPCRs (Récepteurs couplés aux protéines G), Domain Therapeutics, société biopharmaceutique au stade clinique, a identifié 70 GPCRs validés par des données précliniques et cliniques et d’intérêt en immuno-oncologie. L’entreprise a annoncé un pipeline de plusieurs candidats-médicaments, accompagnés de biomarqueurs, et a réalisé en 2022 une levée de fonds de Série A de 39 millions d’euros. Forte de ce résultat la société non cotée, prévoyait de réaliser une levée en Série B d’un montant plus important encore pour assurer le développement clinique en phase 1 de 2 candidats-médicaments en immuno-oncologie, l’un Best in class, l’autre First in class. Début 2024, on apprenait par voie de communiqué de presse que le CEO depuis 15 ans, Pascal Neuville, venait d’être remplacé par le Dr Antony Johnson. Bénéficiant d’un riche parcours au sein de groupes pharmaceutiques tels que GSK, Bristol Myers Squibb, AstraZeneca, Sanofi Genzyme c’est lui qui va présider et diriger la société depuis Boston. Motif invoqué : relancer la stratégie de Domain sur un développement mondial et viser l’expansion en Amérique du Nord des GPCRs en immuno-oncologie. De même, Michael Gottlieb devient président du Conseil d’administration, remplaçant Laurence Rulleau, directrice de Domain.
Questions au Dr Tony Johnson, Président et CEO de Domain Therapeutics
Nous avons été très surpris d’apprendre que vous aviez été désigné comme le nouveau CEO de Domain Therapeutics. C’est une entreprise dont la croissance a été lente, sur fonds propres, et qui a obtenu des résultats très prometteurs avec plusieurs candidats arrivant au stade clinique. Comment cette décision est-elle intervenue ? Par qui a-t-elle été prise? Pourquoi Boston ?
Tony Johnson : Tout d’abord je veux reconnaître l’excellence de Pascal Neuville que je ne manquerai pas une occasion de souligner, c’est un excellent leader. Au nom de l’équipe de direction, je veux exprimer ma sincère reconnaissance à Pascal qui a accompli un travail phénoménal durant 15 ans.
La vision de Domain est de développer des GPCRs pour l’immuno-oncologie, et c’est ce que Pascal Neuville a entrepris il y a quelques années. La vision de Domain, c’est avant tout de combattre le cancer. L’objectif est de comprendre les mécanismes des résistances immunitaires qui font que les traitements des patients échouent face aux immuno-modulateurs et aux inhibiteurs de points de contrôle (anti-PD1).
Domain a identifié plusieurs candidats-médicaments, et 3 candidats en sont au stade du développement dans notre portefeuille propriétaire. C’est une période charnière. Pour lever l’argent dont la société a besoin pour poursuivre les développements cliniques, le conseil d’administration a jugé qu’il fallait faire appel aux investisseurs, directement sur le marché américain. C’est une reconnaissance du travail formidable accompli par Pascal Neuville et toute son équipe, sans lesquels nous ne serions pas dans cette position aujourd’hui. Dans ma précédente expérience professionnelle, j’étais le CEO d’une biotech, Goldfinch Bio, et j’ai eu l’occasion de lever des fonds importants. Cette expérience y compris des rôles de leadership dans des entreprises de renommée mondiale, mes connaissances approfondies de l’industrie biotechnologique et ma capacité approuvée de gestion de la relation avec les investisseurs sont la raison de ma nomination.
Vous avez levé 100 millions de dollars?
C’était une série B, mais j’ai levé des sommes plus importantes encore. En dehors de cela, je connais des investisseurs aux « poches profondes » et qui financent largement les biotechs. Dans l’objectif d’atteindre ces sources de capital, il fallait que la société s’appuie sur un CEO qui ait une bonne connaissance du milieu de la biotech à Boston et qui sache lever des sommes conséquentes à la hauteur des enjeux de cette biotech si prometteuse. C’est ce que nous essayons de faire.
Laissez-moi préciser que nous ne sommes pas en train de quitter la France pour partir aux Etats-Unis. Il y a une équipe de recherche phénoménale à Strasbourg, de première classe dirais-je. Nous n’avons aucune intention de fermer le site ni de perdre l’opportunité d’avoir cette équipe spécialisée sur les GPCRs. Nous cherchons tout simplement à développer l’entreprise. Nous allons continuer à soutenir le développement des programmes de R&D sur place. Nous voulons accroître le développement clinique et, probablement, aux Etats-Unis, notamment à Boston, où nous allons engager les expertises cliniques qui pourront accompagner la croissance de l’entreprise.
Est-ce que Stephan Schann, le responsable scientifique, qui était aux côtés de Pascal Neuville depuis 15 ans, va rester sur le site d’Illkirch-Graffenstaden où il a largement contribué à renforcer le département de chimie ?
Oui tout à fait, Stephan Schann continue à diriger la R&D sur le site de Strasbourg. Comme je l’ai dit, mais nous allons développer une filiale à Boston, comme Domain Therapeutics l’a déjà fait à Montréal au Canada. Ainsi, nous pourrons facilement déployer cette expertise clinique nécessaire.
Fierce Biotech, un média américain, a écrit que lorsque vous avez levé des fonds pour Goldfinch Bio (100 M$), l’entreprise avait été fermée trois ans plus tard. Que s’est-il passé ?
En effet, Goldfinch a levé un montant important de financement pour se développer et nous avons fermé Goldfinch plus tard en effet, mais seulement après avoir transféré tous les actifs de la société à une autre biotech nommée Karuna.
Domain Therapeutics a son siège à Illkirch et une filiale à Montréal. Sur le plan clinique il y a aussi de bonnes capacités cliniques en Europe, dans les hôpitaux français, allemands ou suisses. Ferez-vous appel à eux ?
Le coeur de la société, son siège, est à Strasbourg. Et comme elle va se transformer en une société mondiale, nous allons créer en plus de la filiale à Montréal, une autre à Boston.
Les candidats médicaments découverts par Domain sont fabuleux mais il faut confirmer leur efficacité en clinique. Les essais cliniques jusque-là ont été menés en France et dans d’autres régions en Europe. Nous allons les élargir au marché américain.
2 essais de Phase 1 sont prévus pour 2025 et un autre est déjà en cours en partenariat avec Merck. Il y a aussi un partenariat avec Ono. Se poursuivront-ils ?
De nombreux partenariats sont en cours et vont continuer bien sûr. Et c’est encore à mettre à l’actif de Pascal Neuville que d’avoir établi de tels partenariats. Nous prévoyons d’en ajouter d’autres sur des GPCRs en immuno-oncologie. Je reconnais que l’équipe est très créative au plan scientifique et cela va créer des opportunités de partenariats avec des groupes pharmaceutiques et des biotechs.
En 2024, vous allez préparer la levée de fonds de série B comme c’était prévu au second semestre 2023 ?
Oui. Mes contacts et expériences vont aider à refinancer la société.
Seventure fait partie des investisseurs historiques. Comment réagissent-ils ? Les nouveaux investisseurs seront-ils tous américains ?
Les investisseurs sont tous très excités par les développements de Domain. Comme vous le savez, nos programmes demandent des besoins financiers importants et nous visons donc des investisseurs à l’échelle mondiale. Il est crucial de se connecter avec des investisseurs capables de suivre nos besoins. Force est de constater qu’il y en a une grande concentration aux Etats-Unis, et nous continuerons à en chercher en Europe.
La R&D va continuer de la même façon en Alsace à Illkirch ?
Domain restera une société axée sur la R&D avec une forte expertise basée à Strasbourg qui sera complétée avec des compétences cliniques aux Etats-Unis et un accompagnement dédié depuis Boston.
Quand prévoyez-vous d’obtenir un premier agrément de la FDA pour l’un de ces GPCRs First un class ou Best in class ?
Ces GPCRs montrent d’excellents signes d’efficacité au stade préclinique, les développements cliniques devront confirmer qu’ils vont lutter contre l’immuno-résistance aux traitements. Aujourd’hui, Domain a démarré des essais cliniques en Europe et nous visons l’obtention d’agrément de la FDA pour étendre les études cliniques aux Etats-Unis. C’est ainsi que les investisseurs et les régulateurs vont nous suivre afin que nous puissions commercialiser les premiers médicaments.
Avez-vous été à JPM début janvier ? Allez-vous recruter une équipe à Boston ?
Oui tout à fait. JPM est un rendez-vous incontournable pour notre secteur et Domain était présent pour de nombreux meetings. En présentant la société j’ai pu apprécier l’intérêt que suscitent les travaux de Domain auprès de potentiels investisseurs.
Propos recueillis par Thérèse Bouveret