MedtechDispositifs médicaux connectés
Interview
Chez Medtronic France, prime au collectif
Interview de Florence Dupré, Directrice Générale de Medtronic France
Medtronic est en acteur engagé en France dans le domaine des technologies médicales. Son objectif : promouvoir une médecine du futur, communicante, apprenante, personnalisée, efficiente. Cela passe par des expérimentations de type Article 51, dont il faut faire la preuve du bénéfice pour les patients auprès des institutions de santé, avant que ces innovations technologiques passent dans les usages organisationnels des hôpitaux.
Vous avez publié une tribune libre sur l’Intelligence collective ?
En tant que dirigeante, il m’a fallu une vie de dirigeante, pour comprendre que la chose la plus importante ce sont les hommes et les femmes d’une entreprise. Evidemment, vous pouvez avoir les innovations technologiques, organisationnelles, si vous n’avez pas la bonne équipe ou si cette équipe ne fonctionne pas bien ensemble, vous n’y arriverez pas. J’ai mis du temps à théoriser cette pensée, on dit souvent qu’il faudrait que 1+1 =3 mais il existe concrètement une formule pour que 1+1=4. C’est mathématique. Si vous élevez 1 au carré, vous obtenez toujours 2 : 1² + 1² =2 ! Maintenant si vous mettez 1+1 entre parenthèse et élevez ça au carré, cela fait 4 : (1+1)²=4 et si vous rajoutez encore 1 dans la parenthèse alors vous passez à 9 …. Mettre des parenthèses, ça veut dire créer un collectif. Il faut que chacun soit « je » dans la parenthèse, il faut que « je + je » forme un nous, et quand on élève le nous, alors c’est imbattable. C’est l’illustration de la pensée collective et de l’intelligence collective. Si on est ensemble, ce résultat s’exprime dans un meilleur programme commercial, programme de recherche, de ressources humaines, de partenariat avec le monde extérieur car cette équation créatrice de valeur va bien au-delà de nos simples entreprises et peut s’étendre à l’ensemble de notre écosystème avec lequel nous pouvons et devons faire équipe. La pensée collective est une marque de fabrique extrêmement importante pour moi. Je suis un leader très inclusif avec cette compréhension que l’intelligence collective est la seule façon de progresser. Inclusion = diversité= performance. Chacun peut être soi-même. C’est une formule mathématique.
Parlons de Medtronic, un groupe américain dont 7 % des effectifs sont en France (1600 salariés versus 10 700). Vous avez 4 champs d’intervention « en expansion » et vous adressez 70 pathologies.
En effet, nous avons 4 champs d’intervention : cardiologie, diabète, neurosciences et l’instrumentation chirurgicale qui est un vrai cœur de métier. Les innovations de Medtronic vont de l’aiguille ou de l’agrafe qui ferme un champ opératoire, jusqu’au robot, en passant par les pacemakers, les stimulateurs cérébraux. Sans oublier la pompe à insuline qui permet de mesurer la glycémie en continu et d’adapter la dose d’insuline en permanence. Le champ de nos innovations est vaste. Vous avez des entreprises dans les technologies de santé qui sont très focalisées, chez Medtronic nous avons un champ très vaste. Ce qui nous caractérise est d’offrir ces technologies aux établissements de soins et aux patients. Le portefeuille est vraiment large, il a été vraiment développé au chevet des patients. Je viens de l’industrie pharmaceutique, la grosse différence avec l’industrie des technologies de santé, c’est que ces dernières sont beaucoup plus intriquées avec la vie des praticiens et la vie de l’hôpital parce que ce sont des innovations tant technologiques qu’organisationnelles. Une technologie qui permet d’opérer en deux heures plutôt qu’en 8 heures, elle change l’organisation de l’hôpital ; une technologie qui permet d’avoir un patient mieux préparé qui sort plus vite, qui permet d’opérer dans une salle d’opération mais aussi dans une salle un peu moins équipée grâce à des technologies moins invasives, voire qui permet grâce à des lunettes d’utiliser moins d’anesthésiques, va changer l’organisation des soins.
Des lunettes ?
Lunettes de réalité virtuelle qui permettent de mettre des patients sous une forme d’hypnose, et vous avez des expérimentations en cours pour leur administrer la juste dose d’anesthésique. Leur avantage : le patient se réveille plus vite, c’est important parce que ça a moins d’impact sur sa santé. C’est un point important, nos innovations sont technologiques mais aussi organisationnelles.
Avec l’expérimentation BARIA up (menée dans des CHU à Toulouse, Lille et Lyon), vous avez construit un parcours de chirurgie bariatrique “aligné sur la feuille de route Obésité des pouvoirs publics. ” C’est toute la question de l’expérimentation de l’Article 51, l’un des sujets débattus dans un colloque du SNITEM le 16 février dernier.
L’article 51, c’est une expérimentation, ça vous permet de vérifier des hypothèses. Est-ce que si on prépare mieux le parcours du patient en chirurgie bariatrique, en le suivant mieux après, est-ce que ça va avoir un impact? C’est tout l’enjeu de l’article 51. Intellectuellement on s’en doute, mais il faut le démontrer. Sauf que c’est trop long.
En quoi est-ce trop long ?
Parce qu’il y a un temps d’expérimentation et d’évaluation, mais c’est trop long. S’il y a des “articles 51” qui arrivent à démontrer des choses, tant mieux. Comme c’est expérimental, vous devez écrire des protocoles, les discuter pour avoir la réponse à cette question, c’est très structuré. La question qui me tient à cœur est la suivante : est-ce qu’on peut mettre en place des expérimentations moins longues pour que la solution arrive plus vite au patient ?
D’autant plus que vous avez mobilisé un certain nombre d’acteurs académiques, cliniques, des chirurgiens, des praticiens, des professionnels de santé dans le cadre de ce projet.
C’est un projet autour de la chirurgie et autour du patient. La chirurgie bariatrique, c’est une chirurgie de l’estomac classique, vous pouvez juste faire une chirurgie et attendre ou bien préparer le patient et le suivre. Mais si vous voulez savoir à quel point ça va être mieux, il faut définir quels acteurs sont utiles et à quelle fréquence ils vont intervenir : des psychologues, des nutritionnistes etc… Chez Medtronic, nous sommes parmi les premiers à avoir utilisé l’article 51. Nous sommes complètement solidaires de l’expérimentation. Pour autant, on ne peut pas tout traiter par l’article 51. Sinon il faudra des années. C’est toute la balance entre l’évaluation qui nécessite du temps, des acteurs, et l’efficacité. Il vaut mieux que ce ne soit pas trop lourd avec trop d’acteurs pour que ça ne dure pas trop long.
Comme nous avons un portefeuille assez large, ça permet d’explorer dans différentes directions. Dans une période où les contraintes et les coûts augmentent, nous pourrions avoir tendance à être contre. Il est important de souligner que nous avons une approche collaborative à laquelle je tiens, non pas de « faire contre » mais de « faire avec ».
Avec des start-ups ?
On parle d’intelligence collective. En France, nous avons mis en place un programme sur l’accompagnement des startups, Destin Action, qui en est à sa 4ème saison. Le programme a une visée double : d’abord, permettre à nos employés d’être plus connectés avec le champ des start-ups qui vont plus vite, sont plus agiles, les amener à capter le meilleur de cette culture, et d’autre part, accompagner les start-ups à accélérer. Notre accélérateur est à Paris mais il est aussi au cœur de chacun de nous. C’est à la fois un programme de développement interne des compétences et d’économie des startups.
Medtronic procède par rachat d’entreprises. Dans le domaine de la chirurgie, par exemple, le Groupe a fait l’acquisition de Mazor Robotics en 2018 et de Titan Spine en 2019. Puis a racheté la société française Medicrea en 2020, pionnier dans la chirurgie du rachis (colonne vertébrale) avec la plateforme UNiD ASI qui conjugue IA, machine learning et analyse prédictive pour créer notamment des implants sur mesure.
Ce qui est acquisition de technologies, c’est au niveau monde du Groupe et de chacune de ses directions, c’est une décision d’acquisition internationale. Ce qui est intelligence collective, c’est en France, et il s’agit presque d’un programme de développement personnel.
Aujourd’hui, Medtronic se positionne sur ce qui n’est plus désigné comme du Medical Device mais comme des technologies de santé : elles envoient des signaux, la plupart sont communicantes et permettent de faire de la télésurveillance ; elles permettent aussi de détecter des signaux faibles sur l’état de santé du patient et de le convoquer de façon préventive.
Toutes ces technologies comprennent de l’IA embarquée. Dans le domaine du diabète, par exemple, le contrôle continu du taux de glucose, permet d’envoyer la bonne dose d’insuline. Ces applications médicales s’adaptent en continu. Adaptation aussi, dans la maladie de Parkinson : notre logiciel va repérer comment se positionnent les gestes du patient et adapter les signaux qui lui sont adressés. C’est de la médecine personnalisée.
Enfin, ces technologies sont apprenantes. Quand on parle des tiges UNID conventionnées dans la chirurgie du rachis, on a analysé tout ce qui se passe avant ou après l’opération, sur un grand nombre de tiges utilisées. Et l’on sait que si l’on prend telle tige, et si elle est orientée dans telle direction, le patient va se redresser. Aussi réalisons-nous à présent des tiges sur mesure.
Planification chirurgicale pilotée par l’IA, implants rachidiens personnalisés, implantation via une chirurgie du rachis assistée par robotique, (cette dernière activité ayant été lancée en 2019), l’IA est partout présente chez Medtronic.
“En combinant la collecte de données, l’IA et notre connaissance du corps humain nous créons quelque chose d’extraordinaire, nous ajustons les thérapies en temps réel. ” Tel est notre leitmotiv. Auparavant l’adaptation de la tige se faisait pendant l’opération. Aujourd’hui, on réfléchit en amont à la manière de cintrer la tige, on regarde les radios, on discute avec le chirurgien sur le mode opératoire, la tige à utiliser. La tige est préparée avant l’opération et on va la mettre en place avec le médecin qui aura le meilleur pronostic pour la suite.
Après, on a des enjeux d’accès au marché, les tiges sur mesure sont mieux remboursées aux Etats-Unis. En France, il est difficile d’obtenir un meilleur financement. La question est bien là : comment on finance cette IA, cette intelligence collective ? L’article 51 est une façon de le financer, mais ça va mettre du temps avant d’entrer dans la pratique, ça reste un sujet préoccupant.
Il en est de même pour la télésurveillance ?
La télésurveillance. D’abord il y a eu une partie expérimentale, puis, en juin 2021, l’entrée dans le droit commun a été annoncée, mais la question aujourd’hui est : à quel prix ?… Certains des acteurs se sont retirés. Et si tant est qu’on arrive à montrer le bénéfice pour le patient. On est toujours entre le marteau et l’enclume, une technologie peut apporter plus mais comment transformer notre analyse pour qu’on arrête de considérer les technologies comme des coûts et qu’on les envisage comme des investissements qui contribuent à l’efficience en santé. Quel est le rapport entre le coût et l’efficience ? Etre efficient, cela signifie utiliser moins de ressources pour plus de résultat. Obtenir un meilleur résultat à moindre coût, ça demande de décloisonner, et de réfléchir que nous ne sommes pas des coûts mais des investissements. C’est le gros de nos discussions avec les pouvoirs publics.
Les tiges sur mesure sont mieux remboursées aux Etats-Unis qu’en France? Vous avez pourtant une usine de fabrication de ces tiges en France, à Rillieux-la-Pape dans la région lyonnaise ?
Aux Etats-Unis, les tiges personnalisée sont largement mieux prises en charge que les tiges droites parce qu’il y a cette compréhension d’un meilleur résultat des tiges sur mesure. En France, il faudrait que ce soit mieux remboursé pour pouvoir bénéficier au plus grand nombre. Oui, nous avons cette usine à Rillieux-la-Pape. Mais il faut apporter la preuve que nous apportons un meilleur bénéfice patient.
Quelle est la spécificité de la filiale française et son importance au niveau européen? En France, Medtronic emploie 1600 collaborateurs et a 8 sites, dont 5 centres de fabrication et un centre de formation à Strasbourg. Est-ce que vous collaborez avec des instituts de recherche en France?
Oui, nous avons 1600 salaries, dont 900 dans la structure commerciale. Etant donné que nous sommes présents dans 70 pathologies, nous sommes fournisseurs de tous les hôpitaux du territoire. Nous commercialisons deux robots : l’un dénommé MAZOR, pour mieux planifier les opérations sur la colonne vertébrale, dont l’action est synergique avec Medicrea. La chirurgie du dos est d’ailleurs rangée dans le champ des neurosciences comme la maladie de Parkinson. Le second HUGO, en chirurgie des lésions des tissus mous, est utilisé dans les cancers de la prostate, des systèmes digestifs et gynécologiques.
Nous sommes très engagés dans la Chaire BOPA (Bloc Opératoire Augmenté) avec l’AP-HP en tant que mécène de ce programme mené sous la direction d’Eric Vibert, professeur de chirurgie digestive qui travaille à l’Hôpital Paul Brousse à Villejuif , sur toutes les composantes qui permettent d’imaginer le bloc du futur. Cette chaire s’intéresse à la façon dont on peut augmenter les capacités humaines et organisationnelles via la technologie et la transformation des pratiques.
Nous avons en France deux centres de recherche, celui de la société Medicrea, société française que nous avons rachetée en novembre 2020 et qui a gardé son unité recherche. Sur la maladie de Parkinson, nous collaborons avec l’équipe de Deep Stimulation de l’Université de Grenoble-Alpes. Ce sont des équipes mi-industrielle, mi-universitaire. Notre second centre de recherche sur les hernies est situé au sein de notre site de fabrication à Trévoux, toujours dans la région lyonnaise. C’est un centre mondial de recherche et de production dans le domaine du renforcement tissulaire implantable. (Ces pôles de compétences incluent expertise textile et extraction, purification et transformation de polymères d’origine biologique tels que le collagène.)
Nous travaillons avec les IHU, notamment sur les troubles de rythme cardiaque avec l’IHU de Bordeaux spécialisé en cardiologie. Sur le plan de la formation, nous sommes partenaires d’écoles Rennaises, l’une sur la manière dont on traite les données, et une autre, sur les technologies informatiques. Nous avons également un centre de formation à Strasbourg, en chirurgie-robotique, au sein de l’IRCAD.
Quelle proportion des essais cliniques monde sont menés en France? Quel est votre objectif ou votre stratégie à l’échelle du territoire?
Nous avons plus de 350 essais cliniques partout dans le monde. Notre stratégie en France est de travailler aussi avec les industriels du médicament. Nos patients sont les mêmes. Il est important de savoir à quel moment nous leur donnons des médicaments, à quel moment nous utilisons des dispositifs médicaux. Le patient est pris en compte du début à la fin du parcours.
Chez Medtronic France, ma mission est surtout d’appliquer cette théorie de l’intelligence collective (1+1)²=4 . La façon dont l’entreprise est organisée peut être représentée ainsi : chaque ligne, business, fonction, grand compte, remonte au niveau global comme une fibre optique. Il n’y a pas que la technique, il y a aussi les personnes. Il faut créer un collectif, et amener ce collectif à réaliser ensemble, c’est très structurant. Quand vous travaillez sur le collectif autour de trois sujets, le client, la façon d’exécuter nos stratégies dans l pays, les employés, vous maximisez le résultat. Comment on exécute nos stratégies dans le groupe ? Comment on crée une entreprise où il fait bon vivre ? Les relations font qu’on maximise l’apport de nos gammes. Nous avons un meilleur impact sur les relations partenariales. Le business en France est différent de celui qui se pratique dans un autre pays : on s’adapte à la réglementation française car on applique la loi. On fait entreprise. On essaie de faire bouger les choses, en étant des ambassadeurs auprès des clients et des pouvoirs publics. C’est un état d’esprit : être co-créateur avec l’écosystème de la médecine. Ça commence par les hommes et les femmes de notre entreprise.
C’est ce que vous appliquez depuis deux ans ?
Depuis que je suis arrivée chez Medtronic, je cherche à accélérer cette tendance et je l’ai orientée sur un axe digital et sur un axe humain. Nous cherchons à améliorer la pratique, améliorer nos technologies médicales (au travers de l’Article 51) et permettre de financer ces améliorations. Il faut le faire. Si ça ne marche pas dans une gamme, ça marchera dans une autre. Nous sommes tous confrontés à cela, ça portera ses fruits même si ce n’est pas immédiat. Medtronic est pionnier dans son approche.
J’apprends des conséquences de ce qu’on met en place. Il faut faire les choses sinon ça n’existe pas. C’est une question de stratégie et d’exécution ensuite. Les idées surgissent, les hommes et femmes de l’entreprise permettent qu’elles deviennent une réalité. C’est en franchissant les obstacles qu’on avance individuellement et collectivement. C’est ce qui permet d’apprendre, de progresser, de construire. Surtout ne pas rester sur les chemins établis.
Propos recueillis par Thérèse Bouveret