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Comment breveter tout le potentiel d’un anticorps ?
Focus sur la brevetabilité des anticorps monoclonaux sous l’angle des homologies de séquences, fruit d’une analyse approfondie de la pratique de l’OEB (Office Européen des brevets) en la matière.
par Bérengère Boudeau, ingénieur brevet, et Nicolas Marro, Conseil en propriété industrielle au sein du Cabinet Beau de Loménie, Mandataire européen agréé auprès de l’OEB nmarro@bdl-ip.com
Depuis la première autorisation de mise sur le marché d’un anticorps monoclonal (Mab), Muromonab, en 1986, le système des brevets n’a cessé d’accompagner les innovations technologiques dans le domaine des anticorps.
Pour faire face à la rapidité des progrès technologiques et pour ne pas risquer de se faire doubler par la concurrence, les Mabs sont souvent protégés lorsqu’ils sont encore au stade de « prototype », avant même qu’un produit susceptible d’être développé ne soit disponible. Les demandes de brevet se sont adaptées à cette pratique pour pouvoir protéger non seulement les « prototypes » de Mab, mais également ses évolutions, par exemple en protégeant les Mabs au travers d’homologies de séquences.
Bien que séduisantes sur le papier, les homologies de séquences ne sont pas toujours acceptées par l’Office européen des brevets (OEB). Il existe néanmoins quelques astuces à connaitre pour optimiser ses chances d’obtenir des brevets basés sur des homologies de séquences.
Breveter un Mab en Europe : les règles de base
Il est possible de breveter un Mab de deux principales façons : soit via des revendications dites « fonctionnelles », soit via des revendication dites « structurelles ».
Le choix du type de revendications revêt d’une grande importance car ce sont elles qui définissent la portée de la protection conférée par le brevet.
Revendications fonctionnelles
Ces revendications sont généralement orientées vers la cible et son interaction avec le Mab. La portée des revendications fonctionnelles peut être très large puisqu’elle s’étend à tous les Mabs qui possèdent les caractéristiques fonctionnelles revendiquées.
Les revendications fonctionnelles peuvent se présenter sous la forme suivante:
« Anticorps qui se lie spécifiquement à l’antigène X avec un Kd < Y »
Revendications structurelles
Ces revendications définissent le Mab en tant que tel, le plus souvent au travers de ses séquences. Les revendications doivent a minima indiquer les séquences des 6 CDRs. Les revendications structurelles ont généralement une portée plus restreinte que les revendications fonctionnelles car elles sont limitées à des séquences spécifiques.
Les revendications structurelles peuvent se présenter sous la forme suivante:
« Anticorps qui se lie spécifiquement à l’antigène X comprenant une chaîne lourde de séquence Y et une chaîne légère de séquence Z »
Les homologies de séquences : oui, mais pas n’importe comment…
Aucune directive officielle n’a été émise par l’OEB en matière d’homologie de séquences. Une analyse des procédures d’examen et des décisions de chambres de recours de l’OEB permet néanmoins de mettre en évidence deux stratégies qui permettent de breveter un Mab avec des homologies de séquences.
La première stratégie consiste à imputer un degré d’homologie aux séquences du Mab tout en précisant que ce degré d’homologie ne s’applique pas aux CDRs. En effet, l’OEB considère généralement que la moindre modification des CDRs peut induire un changement de spécificité de l’anticorps pour l’antigène.
La seconde stratégie consiste à associer un degré d’homologie et au moins une caractéristique fonctionnelle (ex. un Kd, un épitope spécifique) et/ou un effet du Mab sur sa cible (ex. agoniste, antagoniste). Cette stratégie peut s’avérer particulièrement judicieuse lorsque la caractéristique fonctionnelle est le reflet d’une “propriété inattendue” qui permet de défendre l’activité inventive de l’objet des revendications.
Le degré d’homologie qui est souvent observé dans les brevets délivrés est au moins égal à 90%.
En conclusion, un Mab peut être breveté de différentes manières, notamment au travers de caractéristiques fonctionnelles, telle que l’affinité pour la cible et/ou au travers de caractéristiques structurelles, telles que les séquences. Lorsque les séquences doivent être protégées, il est souvent judicieux de prévoir des homologies de séquences pour pouvoir protéger tout le potentiel d’un Mab. Néanmoins, en l’absence de directives officielles de l’OEB, il n’est pas toujours évident d’obtenir un brevet avec des homologies de séquences.
Pour maximiser ses chances d’obtenir un brevet avec des homologies de séquences, nous recommandons de faire porter le degré d’homologie sur différentes parties du Mab et de prévoir des positions de repli permettant de combiner le degré d’homologie avec des caractéristiques fonctionnelles. Il est toutefois indispensable que toutes les combinaisons envisagées soient précisément décrites dès l’origine dans le texte déposé afin de satisfaire aux exigences rédactionnelles très strictes de l’OEB en matière de suffisance de description.
Les enjeux associés à la rédaction des demandes de brevet sont importants. En effet, alors qu’un brevet solide constitue un atout pour la valorisation d’un Mab, une protection hasardeuse peut avoir des conséquences catastrophiques sur les perspectives de développement.
Ce travail a été publié ce mois-ci dans la Revue européenne des mandataires brevets (cf. page 37).