Santé humaineDiagnostics
Communiqué de presse
Covid-19 : une première étude sérologique en France et déjà beaucoup d’enseignements
Fin mars 2020, 661 personnes reliées à un lycée de Crépy-en-Valois (Oise) ont fait l’objet d’une investigation épidémiologique menée par les chercheurs de l’Institut Pasteur avec le soutien de l’Agence régionale de la santé des Hauts-de-France et de l’Académie d’Amiens, avec l’appui de l’Etablissement Français du Sang. Grâce à la population de Crépy-en-Valois, et suite à l’utilisation de tests de détection du virus, associés à trois tests sérologiques développés par l’Institut Pasteur, cette étude révèle que 26% de la population étudiée a été infectée par le SARS-CoV-2 et possède des anticorps contre ce virus. Plus précisément, parmi les personnes fréquentant le lycée, 41% ont été infectées, alors que parmi leurs proches, le pourcentage est de 11%. Ces résultats seront publiés en ligne prochainement.
- Le taux d’attaque de l’infection dans cette communauté est estimé à 25,9%. • Plus précisément, parmi les personnes ayant fréquenté le lycée, le taux d’attaque est de 41%. Parmi les proches des lycéens, le taux d’attaque est de 11%.
- Le taux d’hospitalisation dans cette population jeune (âge médian de 37 ans) est de 5,3%, et il n’y a pas eu de décès.
- La perte de l’odorat et la perte du goût sont les deux symptômes qui ont une valeur prédictive très forte en faveur d’une infection.
- La proportion de personnes infectées sans symptômes pendant la période d’étude est d’au moins 17%.
- Les sujets fumeurs semblent moins infectés par le virus : 7,2% des fumeurs de l’étude sont infectés, contre 28% des non-fumeurs.
- Trois tests sérologiques mis au point par les chercheurs de l’Institut Pasteur ont montré leur efficacité sur le terrain pour détecter de manière spécifique et sensible les anticorps contre le SARS-CoV-2.
L’article scientifique publié ce jour fait état d’une étude séro-épidémiologique réalisée dans un lycée à Crépy-en-Valois du 30 mars au 3 avril 2020. En effet, début mars 2020, plusieurs centaines de personnels et élèves d’un lycée de Crépy-en-Valois ont fait l’objet d’une première investigation épidémiologique à une époque où le virus SARS-CoV-2 circulait considérablement dans la région de l’Oise. Cette première étude avait pour objectif de préciser le pourcentage de personnes touchées par cette maladie parmi celles qui présentaient des symptômes évocateurs de Covid-19. « Afin d’enrichir ces données préliminaires, il est devenu essentiel de détecter la présence d’anticorps dirigés contre le virus SARS-CoV-2 chez l’ensemble des personnes qui ont fait l’objet de l’investigation épidémiologique début mars, qu’elles aient été symptomatiques ou non, » précise Bruno Hoen, dernier auteur de l’étude et directeur de la recherche médicale à l’Institut Pasteur.
Au total 661 personnes ont participé à l’étude, dont l’âge médian est de 37 ans1. Les scientifiques ont constaté que 171 personnes possèdent des anticorps contre SARS-CoV-2, ce qui signifie que le taux de pénétration du virus est de 25,9%. Parmi les personnes ayant fréquenté le lycée de Crépy-en-Valois (lycéens, enseignants, personnel non enseignant du lycée), le taux d’attaque était de 41%. Parmi les proches des lycéens (parents et fratrie), le taux d’attaque était de 11%.
Aucun décès n’a été observé dans la population du lycée. 5,3% des personnes infectées ont été hospitalisées.
Au moins 17% des personnes infectées n’ont présenté aucun symptôme. Le chiffre représente certainement une sous-estimation, car certains symptômes des sujets infectés ont pu être dus à d’autres virus respiratoires qui circulaient à l’époque de l’étude.
Les chercheurs soulignent plusieurs faits intéressants constatés parmi les personnes infectées :
– les personnes hospitalisées sont plus âgés : ils ont 49 ans en moyenne, contre 18 ans chez les personnes non hospitalisées ;
– le taux de pénétration du virus est similaire chez les femmes et les hommes ;
– les vacances scolaires le 14 février, et le confinement de Crépy-en-Valois, le 1er mars, ont entrainé une forte baisse de la circulation du virus ;
1 A noter que l’échantillon de l’étude n’est pas représentatif de la population générale française. Il est lié à un cluster issu d’une région qui a été particulièrement touchée par l’épidémie de Covid-19.
– l’étude révèle deux symptômes majeurs permettant d’identifier qu’une personne a été contaminée : 84,7% des personnes ayant eu une perte d’odorat et 88,1% ayant eu une perte du goût sont infectées ;
– on a pu estimer le risque de contamination au sein d’un même foyer. Le risque d’être infecté au sein du domicile passait de 9% à 17% pour les parents si le lycéen était infecté, et de 3% à 21% pour la fratrie si le lycéen était infecté. Les 9% de parents infectés quand le lycéen ne l’était pas donnent une estimation de la circulation du virus en population adulte à Crépy-enValois. Cette estimation est à comparer aux 3% de donneurs de sang infectés dans deux banques de sang des environs ;
– les chercheurs ont relevé que le taux de pénétration du virus varie entre les fumeurs et les non-fumeurs. Seulement 7,2% des fumeurs de la cohorte ont été infectés, alors que 28% des non-fumeurs de la cohorte ont été infectés. A rappeler que selon Santé publique France, le tabac est responsable de 75 000 décès par an en France. Le tabagisme ne peut donc pas être proposé comme une façon de se protéger contre le nouveau coronavirus. Cependant, si cette observation est confirmée par d’autres études, comprendre comment le tabagisme protège du nouveau coronavirus peut ouvrir la voie vers des pistes de traitement préventif ou curatif du Covid-19.
« Dans l’ensemble, les résultats de cette étude ont des implications importantes pour les mesures de santé publique et le suivi de l’épidémie. Les taux d’attaque observés parmi les participants de l’étude suggèrent que l’immunité collective ne s’établira pas rapidement. De plus, d’autres régions de France, où le virus n’a pas encore circulé, sont quasiment naïves par rapport à ce virus, » commente Arnaud Fontanet, premier auteur de l’étude et responsable de l’unité Epidémiologie des maladies émergentes à l’Institut Pasteur. « L’accès à des tests sérologiques fiables, et la collaboration de la population de Crépy-en-Valois, nous ont permis de faire une étude très riche d’enseignements en très peu de temps » complète Arnaud Fontanet.
Trois tests sérologiques pour mieux appréhender la cinétique de l’immunité
Pour la réalisation de cette étude, trois équipes de l’Institut Pasteur ont mis au point trois tests sérologiques avec différents niveaux de sensibilité et une spécificité élevée (> 99%), de sorte qu’un signal positif avec un seul test puisse être considéré comme un vrai positif. Les chercheurs précisent que cette étude ne permet pas de conclure si avoir des anticorps est synonyme de protection.
Sources :
Cluster of COVID-19 in northern France: A retrospective closed cohort study, Institut Pasteur, 23 avril 2020
Arnaud Fontanet, MD, DrPH1, 2 Laura Tondeur, MSc1 Yoann Madec, PhD1 Rebecca Grant, MSc, MPH 1,3 Camille Besombes, MD, MPH1 Nathalie Jolly4 Sandrine Fernandes Pellerin PhD4 Marie-Noëlle Ungeheuer5 Isabelle Cailleau6 Lucie Kuhmel,
MD7 Sarah Temmam8 Christèle Huon8 Kuang-Yu Chen9 Bernadette Crescenzo10, 11, 12 Sandie Munier10, 11, 12 Caroline Demeret, PhD 10, 11, 12 Ludivine GRZELAK 11, 12,13 Isabelle STAROPOLI11, 12,13 Timothée BRUEL11, 12 ,13 Pierre Gallian14, 15 Simon Cauchemez, PhD16 Marc Eloit, PhD8,17 Olivier Schwartz, PhD11, 12, 13 Sylvie van der Werf, PhD10, 11, 12 Bruno Hoen MD, PhD1
1 Emerging Diseases Epidemiology Unit, Institut Pasteur, Paris, France
2 PACRI Unit, Conservatoire National des Arts et Métiers, Paris, France
3 Sorbonne Université, Paris, France
4 Center for Translational Sciences, Institut Pasteur, Paris, France
5 ICAReB Biobanking Platform, Center for Translational Science, Institut Pasteur, Paris, France 6 Direction de la recherche médicale, Institut Pasteur, Paris, France
7 Medical Center of the Pasteur Institute, Institut Pasteur, Paris, France
8 Pathogen Discovery Laboratory, Department of Virology, Institut Pasteur, Paris, France
9 RNA Biology of Influenza Virus, Department of Virology, Institut Pasteur, Paris, France
10 Molecular Genetics of RNA Viruses, Department of Virology, Institut Pasteur
11 UMR 3569, Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS)
12 Université de Paris, France
13 Virus and Immunity Unit, Vaccine Research Institute, Department of Virology, Institut Pasteur, France
14 Etablissement Français du Sang, 93210, La Plaine-Saint-Denis, France
15 Unité des Virus Émergents (UVE): Aix Marseille Univ, IRD 190, INSERM 1207, IHU Méditerranée Infection, Marseille, France
16 Mathematical Modelling of Infectious Diseases Unit, Institut Pasteur, UMR2000, CNRS, Paris, France. 17 National Veterinary School of Alfort, Maisons-Alfort, France
Ces travaux ont été entièrement financés par l’Institut Pasteur et menés en collaboration avec les autorités de santé françaises.