Medtech
Santé humaine
Édito
De la variole au cancer : les avancées étourdissantes du vaccin depuis plus de deux siècles !
Edito de René Tregouët, en partenariat avec RT Flash 19/06/2015
Nous avons à plusieurs reprises évoqué dans RT Flash les remarquables progrès de la vaccination en montrant à quel point cet outil avait permis, depuis plus de deux siècles, d’immenses avancées en matière sanitaire et médicale. Mais à côté de l’apparition récente de nouveaux vaccins, déjà disponibles ou en cours d’expérimentation contre plusieurs maladies graves (dengue, chikungunya, paludisme, méningite B, gastro-entérite, virus HPV, Zona, asthme, hépatite C) mais aussi le cancer (j’y reviendrai en seconde partie de cet édito), deux autres révolutions médicales, peu connues du grand public, sont en train de bouleverser les perspectives d’utilisation des vaccins, les vaccins oraux et les nanopatchs. Dans une étude publiée le 1er juillet 2014, des scientifiques indiens présentent un vaccin oral contre le choléra, issu d’agents infectieux vivants, dont l’efficacité serait supérieure à celle des vaccins aujourd’hui utilisés, issus d’agents inactivés.
Le vaccin VA1.4 a été élaboré par l’Institut de Technologie Microbienne de Chandigarh (IMTECH), en collaboration avec l’Institut National du Choléra et des Maladies Entériques (NICED) et l’Institut Indien de Chimie Biologique (IICB), tous les deux basés à Calcutta. “Notre vaccin, entièrement conçu et fabriqué en Inde, donne 66 % de séroconversion après une seule dose, alors que celui qui existe déjà n’atteint que 53 % après deux doses” a expliqué Amish Ghosh, scientifique émérite au NICED et corédacteur de l’article. Rappelons que le vaccin oral de première génération contre le choléra est déjà utilisé en Inde à large échelle et avec succès depuis 2006, comme le souligne l’OMS. En mai 2014, une étude publiée dans le NEJM (Voir The New England Journal of Medicine) a montré que le vaccin oral contre le choléra, appelé Sanchol, s’est avéré efficace dans plus de 86 % des cas. Dans cet essai réalisé en Guinée, 316.000 doses de vaccin ont été administrées pendant une période de six semaines en 2012, pour un taux de vaccination estimé à 75 %. Ces travaux montrent que ce vaccin a permis de réduire fortement la transmission du choléra. Ce vaccin Sanchol présente en outre l’avantage d’être bien moins cher : 1,50 euros la dose contre 4,50 euros la dose du vaccin classique. Ce vaccin oral, qui ne cesse d’être amélioré, va donc permettre une avancée décisive dans la lutte contre le choléra qui se transmet surtout par de l’eau contaminée et toucherait jusqu’à cinq millions de personnes par an dans le monde (Voir Doctors Without Borders).
Outre-Atlantique, des chercheurs américains ont mis au point un nouveau type de vaccin oral à faible coût contre l’hépatite B. L’hépatite B est une infection virale qui s’attaque au foie et peut évoluer vers une cirrhose, voire un cancer. Elle touche près de 3,2 millions de personnes en France et environ 240 millions dans le monde. Même s’il existe déjà un vaccin efficace pour se protéger de la maladie, la plupart des pays touchés par ce virus ont du mal à y accéder ou à le stocker correctement, à basse température. Le laboratoire de l’Applied Biotechnology Institute a développé une nouvelle technique basée sur du maïs génétiquement modifié pour produire une particule non infectieuse d’un virus. La farine produite à partir du grain de maïs peut être mélangée à du sucre et de l’eau pour créer une espèce de galette. Une fois cette dernière consommée, les chercheurs ont observé une réponse immunitaire jusqu’à quatre fois plus élevée chez les souris testées. Autre avantage majeur : ce vaccin peut être conservé pendant des années à température ambiante sans perdre son efficacité. Ses composants coûtent beaucoup moins cher que ceux des vaccins actuellement en circulation, et il peut être administré sans personnel médical. Ce nouveau vaccin pourrait être disponible à partir de 2018 (Voir Science Daily).
Mais parallèlement au développement des vaccins oraux, deux nouvelles techniques d’administration vaccinale pourraient bien également révolutionner cet outil médical en le rendant à la fois plus efficace, plus simple et moins coûteux (un facteur décisif pour les pays en voie de développement). La première de ces méthodes vient d’être expérimentée, il y a quelques semaines avec succès par des chercheurs de l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM) pour traiter un cancer de la peau (mélanome) chez des souris de laboratoire. Le vaccin, qui ne contient aucun adjuvant, a été administré aux cobayes via des micropores formés dans leur peau grâce à un laser. Actuellement, la plupart des vaccins restent administrés à l’aide d’une aiguille qui traverse le derme et libère la solution vaccinale dans l’hypoderme ou dans le muscle. Mais les chercheurs de l’Inserm ont eu l’idée d’utiliser un laser qui permet la création de micropores dans la couche externe de l’épiderme. Les scientifiques ont exposé la peau de souris à ce rayon laser puis ont appliqué localement la solution vaccinale. L’effet a été rapide, soulignent les chercheurs : la vaccination a arrêté la progression de la tumeur dans le premier groupe de souris et protégé le second groupe (des souris qui n’étaient pas malades) contre le cancer (Voir INSERM et NCBI). Selon les chercheurs de l’Inserm, ce procédé innovant de vaccination, qui présente en outre l’avantage de pouvoir se passer complètement d’adjuvants, pourrait en fait s’appliquer à tous types de vaccination, notamment contre des agents bactériens ou viraux.
L’autre innovation qui pourrait bien reléguer définitivement l’aiguille au rang des accessoires du passé, est le patch posé sur la peau. Mis au point après plusieurs années de recherche par un chercheur australien, Mark Kendall, ce nanopatch est recouvert d’antigènes, principes actifs d’un vaccin, qui pénètrent dans la peau grâce à plus de 20 000 micro-aiguilles indolores. Outre le fait qu’il est indolore, l’intérêt immense de ce nanopatch, en cours d’expérimentation, est qu’il n’a pas besoin d’être conservé au froid et reste utilisable jusqu’à dix semaines à une température ambiante de 37°C… Autre avantage, ce patch ne coûterait pas plus de 50 cents, contre 2 dollars en moyenne pour un vaccin classique. Ce faible coût de production s’explique notamment par la faible dose de principes actifs ajoutés. Pour être efficace, un patch ne requiert qu’1 % de la dose d’antigènes normalement utilisée. Cette très faible quantité d’antigènes utilisés réduit également les risques d’effets secondaires indésirables, heureusement fort rares, que peuvent entraîner chez certains sujets, certains vaccins.
L’OMS suit de près ces travaux et envisage d’utiliser cette nouvelle technique de vaccination pour parvenir à éradiquer la polio dans le monde et à combattre encore plus efficacement la tuberculose et la rougeole. On le voit, grâce à ces nouvelles techniques très prometteuses, vaccins oraux, perforation laser et nanopatch, la vaccination va connaître une nouvelle jeunesse et devenir accessible à l’ensemble de la population mondiale, tout en gagnant encore en efficacité et en innocuité. Mais, on l’oublie souvent, les vaccins ne sont pas seulement des instruments irremplaçables de prévention qui sauvent chaque année des dizaines de millions de vie dans le monde. Ils sont également en train de devenir – et cette nouvelle révolution ne fait que commencer – de véritables outils thérapeutiques qui peuvent aussi soigner avec une efficacité remarquable des patients déjà atteints par certaine maladies graves, notamment des cancers.
Contrairement à la vaccination préventive, la vaccination thérapeutique vise à stimuler les réponses immunitaires des patients quand le cancer est déjà déclaré. Ces vaccins anticancéreux se sont multipliés depuis trois ans et, comme l’ont confirmées les communications du grand congrès annuel de cancérologie qui vient de se tenir à Chicago (ASCO 2015), ces vaccins thérapeutiques et cette approche immunologique de plus en ciblée sont en train de devenir la « voie royale » contre de nombreux cancers, en synergie avec la chirurgie, la radiothérapie et la chimiothérapie. Début 2014, des chercheurs britanniques de la Nottingham Trent University ont mis au point un vaccin thérapeutique particulièrement prometteur contre le cancer de la prostate. Baptisée Provenge, cette nouvelle stratégie se base sur une immunothérapie « personnalisée ». Les chercheurs ont en effet travaillé sur les voies de reprogrammation des cellules immunitaires afin qu’elles ciblent les cellules tumorales prostatiques. Concrètement, les cellules immunitaires modifiées ciblent une protéine spécifique, la phosphatase acide prostatique (PAP), que l’on retrouve dans la plupart des cancers de la prostate à un niveau élevé. Les premiers essais cliniques de ce vaccin, réalisés en double aveugle contre placebo, ont montré qu’il augmentait sensiblement la survie de patients atteints d’un cancer avancé de la prostate. L’Agence européenne des médicaments (EMA) a donc préconisé une mise sur le marché de ce vaccin pour les patients devenus réfractaires à l’hormonothérapie (Voir NHS). Il y a un an, des chercheurs américains de l’Université de Géorgie Regents ont montré l’efficacité d’un vaccin contre le cancer du foie chez la souris. Le cancer du foie est l’un des plus meurtriers avec un taux de survie à 3 ans de 17 % et ce candidat vaccin, basé sur une protéine exprimée par les cellules du cancer du foie, représente une piste prometteuse (Voir Wiley Online Library). Cette protéine, l’alpha-fœtoprotéine (AFP) est exprimée à un taux élevé au cours de la grossesse dans les tissus embryonnaires et dans les maladies du foie, dont le cancer du foie. Ainsi, AFP est exprimée par environ 80 % des cellules de cancer du foie mais pas chez les adultes en bonne santé. C’est donc un biomarqueur reconnu de cancer du foie. Mais cette protéine, présente au cours du développement embryonnaire, n’est pas considérée comme un antigène et donc ne déclenche pas de réponse du système immunitaire. C’est pourquoi les chercheurs de l’Université Regents Cancer Center ont modifié la protéine de manière à ce que le système immunitaire puisse la reconnaître. Ces chercheurs ont acheminé la protéine AFP via un lentivecteur aux cellules de souris modèles de cancer du foie et ils ont constaté que ce vaccin permettait de bloquer le développement de la tumeur dans 90 % des cas. En avril dernier, c’est une équipe de chercheurs de l’Université de Saint-Louis aux Etats-Unis qui a mis au point un nouveau vaccin thérapeutique « sur mesure » contre le mélanome, la forme grave de cancer de la peau. Pour mettre au point cette injection, dont la composition est propre à chaque cancer, les chercheurs ont analysé les tumeurs de trois patients, souffrant de mélanomes à un stade avancé, avec un risque élevé de récidive, précise l’étude. L’ADN des cellules cancéreuses a été séquencé pour mettre en évidence les mutations responsables de chaque cancer. C’est à partir de l’identification et de la localisation de ces mutations que les chercheurs ont pu concevoir la composition de leur vaccin. La cible du traitement : les néo-antigènes, des protéines nouvelles, qui apparaissent à la surface des tumeurs lors de leur formation. Au final, trois cibles par patient ont été retenues, des protéines pour lesquelles le système immunitaire a naturellement l’action la plus marquée. Après trois injections du vaccin, tous les patients étaient en rémission, sans aucuns effets indésirables. Ces résultats sont qualifiés de « très encourageants » par les chercheurs qui soulignent par ailleurs la “qualité de la réponse immunitaire” en expliquant que ce vaccin ne se contente pas de combattre les cellules malignes efficacement mais entraîne également une hausse et une diversification sensible des lymphocytes T dans l’organisme, des cellules essentielles du système immunitaire….
Il y a quelques semaines, des chercheurs américains de l’Ecole de médecine de l’Université de Washington ont mis au point un vaccin thérapeutique contre le cancer du sein. Celui-ci a été testé sur 14 patientes et a donné de bons résultats, à l’issue de l’essai clinique de phase I. Le rôle de ce vaccin est d’encourager certains globules blancs du système immunitaire à détruire les cellules comportant une protéine appelée mammaglobine-A (MAM-A) (Voir Fierce Vaccines). La mammaglobine-A est présente de façon très importante dans le tissu tumoral, dans 40 à 80 % des cancers du sein. Donc, si les patientes n’ont pas cette protéine, ce traitement est inefficace. Pour les autres, le vaccin ralentirait la vitesse de progression de la maladie. Fait encourageant, au cours des premiers essais, aucune patiente n’a manifesté d’effets secondaires sévères, ce qui prouve que le vaccin est sans danger. Ce traitement a pu stopper la progression du cancer chez la moitié des patientes (7) pendant un an alors que sans ce vaccin, seules 3 femmes ont vu la progression du cancer stoppée.
Enfin, il y a quelques jours, le CHRU de Besançon a annoncé l’expérimentation d’un nouveau vaccin thérapeutique anticancer à partir de juin 2015. L’UCPVax (Universal Cancer Peptide), sera testé sur une période d’environ trois ans sur 54 patients atteints d’un cancer du poumon. L’UCPVax est un vaccin thérapeutique de nouvelle génération, dit “universel” car il cible la “télomérase”, une enzyme qui rend immortelles les cellules cancéreuses. Concrètement, ce vaccin active les lymphocytes T CD4, des cellules du système immunitaire efficaces pour lutter contre la tumeur et mobilise ainsi l’ensemble du système immunitaire du malade contre la tumeur. Si ces essais cliniques donnent les résultats espérés, ce vaccin universel pourra devenir une nouvelle arme de choix contre de nombreux cancers… Edward Jenner, le grand scientifique anglais qui pratiqua la première vaccination contre la variole en 1796, n’aurait sans doute jamais imaginé, même dans ses rêves les plus fous, que près de deux siècles après sa mort, la vaccination connaîtrait un tel essor au niveau mondial et permettrait à la fois de prévenir un nombre croissant de maladies infectieuses d’origine bactérienne ou virale mais également de soigner et de guérir des maladies graves, comme certains cancers, hier encore incurables. Souhaitons que la France, pays de Pasteur et de Yercin, qui dispose d’un savoir-faire mondialement reconnu dans ce domaine, se donne les moyens de rester en tête dans cette compétition scientifique et industrielle majeure qui sera au cœur des grandes avancées médicales de ce siècle.
René TRÉGOUËT Sénateur honoraire Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat