Santé humainePrévention
Édito
De nombreuses pistes pour prévenir la maladie d’Alzheimer !
Edito RTFlash N° 992 du Sénateur René Trégouët
Selon l’OMS, il y aurait dans le monde plus de 35 millions de personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer (soit environ les deux-tiers de l’ensemble des démences) et le nombre de malades pourrait dépasser les 50 millions dès 2030, compte tenu du vieillissement général de la population mondiale, dont l’espérance de vie dépasse à présent les 70 ans.
En France, cette maladie représente 15 % de la population à 80 ans, soit environ 900 000 personnes (autant que l’ensemble des malades souffrant de Parkinson, d’épilepsie ou de sclérose en plaques), ce qui en fait, de loin, la première maladie neurodégénérative. On estime qu’Alzheimer touchera, en France, 1,7 million de personnes en 2030, compte tenu du vieillissement de notre population.
On constate cependant, et ce point est très important, que, si la prévalence (nombre total de cas) de cette terrible maladie augmente – en raison du vieillissement général de la population – l’incidence (c’est-à-dire la proportion de malades par classe d’âge) a sensiblement diminué dans les pays à haut niveau de revenus. En France, une étude réalisée en 2016 a montré que chez les femmes françaises par exemple, le risque de démence a baissé de 35 % entre 1990 et 2000. Cette diminution reste significative (-23 %), même après ajustement des facteurs de risques.
Cette évolution surprenante, mais confirmée par plusieurs études sérieuses, s’expliquerait par plusieurs facteurs : meilleure prise en charge des facteurs de risque cardiovasculaire tels que le diabète, le cholestérol ou l’hypertension, augmentation de la “réserve cognitive” due à l’élévation du niveau moyen d’études, meilleure hygiène de vie…
Nous savons donc à présent qu’il est possible d’agir de manière puissante, en mobilisant différents leviers, pour prévenir cette maladie, contre laquelle il n’existe pas encore de traitements efficaces, et dont les causes ne sont toujours pas clairement identifiées.
En 2014, des chercheurs de l’Université Rush de Chicago (États-Unis), ont mis au point un régime alimentaire qui est capable de réduire considérablement les risques de démence et d’Alzheimer. Leur étude porte sur 923 personnes et a permis de concevoir un régime spécifique, appelé « MIND » (pour Mediterranean-DASH Intervention of Neurodegenerative Delay) ; il combine le régime méditerranéen et DASH, destiné aux personnes qui souffrent d’hypertension artérielle. Mais il serait surtout plus facile à suivre et efficace que ces deux derniers.
MIND se base ainsi sur deux groupes alimentaires. Le premier est constitué de dix aliments sains qui contribuent au bon fonctionnement cérébral (légumes verts et autres légumes, noix, baies, haricots, graines entières, poisson, volaille, huile d’olive, vin). Le second comprend cinq types d’aliments plus néfastes – viande rouge, matières grasses animales, sucreries, aliments frits et fast food.
Le principe du régime MIND consiste à consommer quotidiennement des produits sains, en proportions variables. Ainsi, légumes et noix se consomment tous les jours, mais la viande blanche et les fruits peuvent n’être mangés que deux fois par semaine seulement. Les baies, comme la myrtille et la fraise, sont particulièrement recommandées pour leurs effets protecteurs sur le cerveau.
En matière d’efficacité, le régime MIND montre des effets similaires à celui de la Méditerranée, avec une réduction du risque d’Alzheimer de l’ordre de 53 % (54 % pour le second). Mais les auteurs soulignent que, contrairement au régime méditerranéen qui doit être suivi strictement pour se révéler efficace, le régime MIND peut être suivi moins rigoureusement, tout en produisant des effets. Ainsi, chez les sujets l’ayant modérément appliqué, la réduction des risques s’élevait à 35 % (Voir Alzheimer’s & Dementia).
Début 2018, deux équipes de recherches, l’une de l’EPFL, et l’autre de l’Université d’Arizona (ASU) ont confirmé l’intérêt de la piste des mitochondries, ces petites usines cellulaires productrices d’énergie, pour ralentir la progression de la maladie d’Alzheimer. Les deux équipes montrent qu’il est possible de protéger pharmacologiquement les mitochondries du stress oxydatif présent très tôt au cours de la maladie d’Alzheimer. Alors que l’équipe de Lausanne a testé la doxycycline et la vitamine nicotinamide riboside (une forme de vitamine B3) chez le ver C. elegans et un modèle de souris, l’équipe américaine a expérimenté un antioxydant, la coenzyme Q10 (CoQ10), sur des cellules humaines.
Les mitochondries sont vulnérables au stress oxydatif, un phénomène impliqué dans le vieillissement normal et les maladies liées à l’âge comme la maladie d’Alzheimer. Après avoir montré le rôle hautement toxique d’une forme de protéine bêta amyloïde, l’Abêta oligomérique (OA?) sur les mitochondries, l’équipe américaine de l’ASU a montré, sur des cellules neuronales humaines, que le CoQ10 permet de protéger ces organites de la détérioration induite par l’OA?.
Johan Auwerx (EPFL) se dit persuadé que piste mitochondriale ouvre une nouvelle voie préventive très intéressante contre Alzheimer, précisant que : « Nous avons montré que restaurer la santé mitochondriale réduit la formation de plaques – mais, surtout, cela améliore la fonction cérébrale, ce qui est l’objectif ultime pour tous les patients et les chercheurs dans l’Alzheimer. »
La piste des agents pathogènes pour prévenir Alzheimer avance également à pas de géants depuis quelques mois : en juin dernier, une équipe de recherche de l’Ecole de Médecine Mount Sinai de New York a montré de manière très convaincante que le virus de l’herpès aurait un rôle dans la pathogenèse de la maladie d’Alzheimer et apporte ainsi du crédit à l’hypothèse virale de la maladie. À partir d’analyses génomiques et protéomiques d’échantillons de cerveau de patients atteints ou non de la maladie d’Alzheimer, ces chercheurs ont pu cartographier les réseaux de gènes régulateurs au niveau des zones cérébrales affectées par la maladie afin de visualiser la façon dont gènes humains et viraux interagissent.
Cette étude montre que plusieurs virus semblent de plus agir sur les réseaux biologiques (ADN, ARN, protéines…) de la maladie d’Alzheimer. Les virus de l’herpès, en particulier ceux de type 6A et 7 (souvent présents à l’état latent) abondants dans les échantillons provenant de patients atteints de la maladie d’Alzheimer, auraient un rôle plus marqué. Les virus de l’herpès agissent notamment au niveau de la régulation du peptide amyloïde, dont le rôle dans la maladie est connu.
Cette étude conforte l’hypothèse qui relie l’activité d’espèces virales spécifiques aux aspects moléculaires, génétiques, cliniques et neuropathologiques de la maladie d’Alzheimer, mais les chercheurs précisent toutefois que « les résultats rapportés dans cette étude ne sont pas suffisants pour démontrer définitivement que l’activité virale contribue à l’apparition ou la progression de la maladie d’Alzheimer ».
Mais, à côté de certains virus, on suspecte également certaines bactéries d’être fortement impliquées dans le déclenchement de la maladie d’Alzheimer. En octobre dernier, une étude dirigée par Keiko Watanabe, de l’Université de l’Illinois, à Chicago, avait fait grand bruit en montrant un lien entre la présence chronique de bactéries parodontales, spécifiques des parodontites – inflammation de la gencive – et le risque d’Alzheimer – (Voir PLOS).
Ces chercheurs avaient en effet pu montrer que des souris exposées de façon répétée à la bactérie présentaient des quantités beaucoup plus élevées de bêta-amyloïde accumulée, une substance présente dans les tissus cérébraux des patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Elles souffraient également plus d’inflammation cérébrale et avaient de nombreux neurones abimés (Voir Science Advances).
Le 23 janvier dernier, une nouvelle étude dirigée par Stephen S. Dominy, de l’Université de Californie, a confirmé que le fait d’avoir une mauvaise hygiène bucco-dentaire et de souffrir de saignements et d’inflammations à répétition des gencives constituait un facteur de risque important de développer la maladie d’Alzheimer. Dans ces travaux, les scientifiques ont infecté la bouche des souris en bonne santé avec la bactérie Porphyromonas gingivalis, tous les deux jours. Au bout de six semaines, la bactérie a été retrouvée dans leur cerveau et la mort de plusieurs neurones, provoquée par les neurotoxines produites par ces bactéries, a été constatée. Mais, poursuivant leurs recherches, ces scientifiques ont constaté que les effets de ces neurotoxines pouvaient être efficacement neutralisés grâce à un traitement combinant deux inhibiteurs de gingipaïne (COR286 et COR271).
Toujours en juin 2018, une autre étude INSERM en collaboration avec le Department of Epidemiology and Public Health of University College London a montré qu’une pression artérielle élevée à 50 ans est associée à un risque accru de démence, en raison d’une exposition plus longue à de petites lésions cérébrales, « Nous supposons depuis longtemps un lien entre hypertension artérielle (HTA) et démence, mais cette association n’était pas retrouvée chez les personnes âgées », indique au « Quotidien » Archana Singh-Manoux, directrice de recherche INSERM et une des auteurs de l’étude. De précédentes observations suggéraient que l’HTA à un âge moyen augmentait le risque de démence à un âge plus tardif, sans que les données n’aient permis de définir précisément cet âge moyen (Voir Oxford Academic).
Lancée en 1985, la cohorte Whitehall II a permis de suivre 8.369 personnes pendant 30 ans et de mesurer leur pression systolique diastolique entre 50 et 70 ans, pour étudier le lien avec la démence. Au total, 385 patients ont développé une démence. Ces travaux ont montré que les personnes de 50 ans ayant une pression artérielle systolique (PAS) de 130 mmHg minimum avaient 45 % de risque en plus de développer une démence, en comparaison à celles ayant une PAS normale. Ce risque accru de démence n’a pas été observé chez les patients de 60 ou 70 ans. Aucune association avec la pression diastolique n’a été démontrée. Ces résultats suggèrent que la durée d’exposition à une PAS élevée a un impact sur le risque de démence. La survenue de lésions cérébrales non détectables pourrait en être la cause.
En juillet dernier, des chercheurs de l’Université du Kansas ont montré que les 3 allèles de l’apolipoprotéine E, modifiant le risque de la maladie d’Alzheimer, modulent différemment le métabolisme énergétique du cerveau, selon l’étude d’un modèle murin dont les résultats sont publiés dans « Journal of Neuroscience ». Cette étude dirigée par le Docteur Liqin Zhao prouve clairement que les trois isoprotéines ApoE humaines ont une influence distincte sur le métabolisme cérébral du glucose, le principal combustible énergétique du cerveau.
Cette influence différente sur la fonction glycolytique du cerveau pourrait expliquer l’impact différent des génotypes ApoE sur le développement de la maladie d’Alzheimer. S’appuyant sur ces découvertes, les chercheurs envisagent une supplémentation en pyruvate pour restaurer le déficit en énergie chez les patients porteurs de l’ApoE4 au stade précoce de la maladie d’Alzheimer.
Selon le Docteur Zhao, en attendant de comprendre clairement la pathogenèse de la maladie, il est possible et souhaitable d’obtenir un effet neuroprotecteur en consommant régulièrement certains aliments, à présent bien identifiés. Des chercheurs de l’Institut de biodesign (Université d’Arizona) ont ainsi confirmé, il y a quelques jours que la choline, un nutriment présent dans le jaune d’œuf, la viande, le poisson, les légumineuses et les noix protégeait le cerveau des effets neurodégénératifs liés à certaines démences, dont Alzheimer.
Les scientifiques ont testé l’impact de la choline chez la souris atteinte par cette maladie neurodégénérative. Résultats, les souris soumises à un régime riche en choline ont donné la vie à des petits. Ces derniers présentaient des capacités de repérage dans l’espace nettement supérieures à celles de souriceaux dont la mère n’avait pas suivi de régime riche en choline. Cet effet dit neuroprotecteur de la choline a aussi été observé auprès de la troisième génération, même si le régime riche en choline n’a pas été donné à d’autres souris que la première lignée. Ce phénomène remarquable, appelé épigénétique, ouvre chez l’Homme un immense champ thérapeutique. Dans les essais réalisés sur la souris, les chercheurs ont constaté que la choline réduisait sensiblement les niveaux d’homocystéine, un acide aminé à l’effet potentiellement neurotoxique, puisque chez l’Homme, un haut niveau d’homocystéine double le risque de développer un Alzheimer.
Autre piste de prévention intéressante : un traitement par aspirine à faible dose, qui pourrait diminuer les risques de développer un Alzheimer. Une étude sur un modèle murin de cette maladie, dirigée par le Docteur Kalipada Pahan (Centre médical universitaire de Rush, à Chicago, États-Unis), montre que l’aspirine à faible dose augmente la biogenèse des lysosomes dans les cellules cérébrales, et majore ainsi l’élimination des plaques amyloïdes dans le cerveau.
Enfin, de récentes recherches confirment à quel point l’exercice physique régulier possède le pouvoir de retarder le déclin cérébral. D’après une étude internationale parue le 7 janvier dernier dans le journal Nature Medicine, la protéine et l’hormone relâchées quand on fait du sport pourrait retarder l’arrivée de maladies comme Alzheimer.
Pour en arriver à cette conclusion, ces chercheurs ont travaillé sur des souris. Ils ont remarqué que les rongeurs qui présentaient des niveaux d’irisine plus bas que la moyenne dans le cerveau avaient des problèmes de mémoire à court terme et moins de capacité à renforcer leurs synapses. L’irisine est une myokine, une protéine messagère libérée par les cellules musculaires en réponse aux contractions se produisant au cours de l’activité physique, expliquent les scientifiques dans leur article.
En augmentant le niveau d’irisine chez les souris, ces chercheurs ont observé une amélioration de la mémorisation et une production accrue de nouvelles synapses. « Nos découvertes montrent que l’irisine pourrait constituer une nouvelle thérapie pour prévenir la démence chez les patients à risque. Cela retarde également la progression de la maladie chez les patients à des stages plus avancés », écrivent les chercheurs.
Cette étude confirme d’autres recherches, et notamment une étude réalisée en 2016, dans laquelle des chercheurs américains avaient déjà découvert que les personnes physiquement actives avaient une matière grise plus développée que les sédentaires, ce qui réduit de moitié le risque de développer Alzheimer. Au cours de leur étude, les scientifiques avaient observé une réduction du risque de démence chez les seniors qui pratiquaient régulièrement des activités comme la marche, le vélo ou le jardinage. Observation encore plus étonnante, ces chercheurs ont remarqué que les personnes déjà atteintes de la maladie peuvent retarder le déclin cérébral en pratiquant régulièrement une activité physique soutenue.
Toutes ces études et découvertes récentes sont particulièrement intéressantes car elles changent les perspectives de prévention de cette maladie si redoutée, et cela, même si les causes intimes de cette pathologie ne sont toujours pas réellement identifiées.
Nous savons à présent que l’adoption, dès 50 ans, d’un mode de vie adapté, comportant un régime alimentaire spécifique, une activité physique suffisante, une prise en charge médicamenteuse de la tension artérielle, une prévention de certains pathogène, viraux ou bactériens, ainsi qu’une chimioprévention personnalisée à l’aide de certaines substances (aspirine, pyruvate, nicotinamide-riboside, Coenzyme Q10) peuvent permettre d’abaisser de manière considérable les risques d’Alzheimer, et même de retarder les effets de cette maladie lorsque celle-ci est déjà présente.
Une prévention personnalisée dès le milieu de la vie qui utiliserait conjointement ces différents leviers pourrait sans doute, non seulement, pour un coût tout à fait minime, accélérer la diminution de l’incidence de cette maladie – c’est-à-dire le nombre de nouveaux cas d’une maladie, pendant une période donnée et pour une population déterminée – mais également en diminuer la prévalence, c’est-à-dire le nombre total de personnes atteintes, et cela malgré le vieillissement continu de notre population.
Quand on connaît les ravages de cette maladie, et son coût énorme pour la collectivité, il y a là un enjeu médical, social, économique et humain immense qui mérite la mise en œuvre, dès à présent, en nous appuyant sur les récentes avancées scientifiques que j’ai évoquées, d’un programme national de prévention ambitieux, qui soit enfin à la hauteur de ce terrible fléau et parvienne à mettre un coup d’arrêt à sa progression.
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat