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Interview

Dessintey adapte pour la rééducation neurologique une technologie miroir augmentée s’appuyant sur des algorithmes innovants

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Interview de Nicolas Fournier, co-fondateur et président de Dessintey

Dessintey vient d’installer fin octobre en première mondiale l’IVS4 (Intensive Visual Simulation) pour la rééducation des membres inférieurs au centre Léon Bérard, 5 ans après la commercialisation de l’IVS3, dispositif dédié aux membres supérieurs. Ces dispositifs de rééducation neuromotrice intensifs, basés sur la thérapie miroir, ont été développés en s’inspirant de découvertes scientifiques  en neurosciences. Grâce à cette thérapie miroir, les patients peuvent accélérer leur retour à l’autonomie, qu’ils soient amputés ou atteints d’hémiplégie après un AVC, et soulager les douleurs. Une centaine de centres a  déjà acquis l’IVS3 en France. Dessintey est présent aussi en Europe, en Asie et aux Etats-Unis.

Pouvez-vous nous parler de ce nouveau dispositif IVS4 ?

Avant d’entrer dans le détail, je voulais revenir sur le principe de la thérapie miroir, cette technique née aux USA et dont nous nous sommes inspirés pour concevoir le dispositif.

Elle a d’abord été utilisée sur les douleurs du membre fantôme, j’attire l’attention sur cette douleur que peut ressentir un patient amputé d’un membre. Il faut bien comprendre que le cerveau s’est fait une représentation du corps qui, du jour au lendemain, va se retrouver modifiée par l’amputation d’un membre. Pour autant, il va conserver cette représentation mentale, ce qui génère alors des douleurs fantômes comme ayant l’impression d’avoir encore ledit membre et de ressentir l’envie de le bouger. Plutôt que de montrer au cerveau que ce membre n’existe plus, on va le leurrer avec la technologie miroir, et en particulier grâce au dispositif IVS4, ce qui aura pour effet d’atténuer des douleurs intenses.

Cette technologie IVS a d’abord été développée pour les membres supérieurs avant de s’étendre aux membres inférieurs. Il y a beaucoup d’applications sur les amputés et sur les AVC (accidents cardio-vasculaires) dont la principale conséquence est l’hémiplégie.  Dans ce dernier cas, le cerveau apprend que le membre ne peut plus bouger. La technologie de rééducation IVS se fait à partir de l’enregistrement du membre sain : on va inverser les images et projeter l’image des perceptions du membre sain sur celui invalide.

D’ordinaire, si l’on demande au patient de bouger le membre lésé, il va essayer une ou deux fois. N’y arrivant pas, il y a un risque de démotivation. En revanche, s’il le voit bouger, grâce à cette projection d’image, la perception positive va donner envie au patient de le bouger et de réaliser le mouvement. La participation du patient est essentielle pour recréer cette commande du mouvement

Nous travaillons sur la plasticité du cerveau : le fait de voir un mouvement ou de le faire stimule le cortex. Par la visualisation, nous l’entraînons comme s’il était capable de produire le mouvement et de l’exécuter.

Si le patient essaye de bouger et qu’il voit le mouvement, le résultat est meilleur. C’est fondamental dans les mécanismes  d’apprentissage, il avance plus vite quand il réussit que lorsqu’il est en échec.

Cette technologie de representation mentale a été développée à Saint Etienne ?

Cette technologie est inspirée du principe de la thérapie avec un simple miroir. Le Professeur Pascal Giraux, médecin chef du CHU de Saint Etienne s’est intéressé à ce principe thérapeutique découvert dans les années 2000 aux Etats-Unis. Il y a eu de plus en plus d’articles scientifiques qui semblaient très prometteurs. Le constat de l’équipe de recherche a été  le suivant : cette technique est  intéressante en termes de récupération motrice, mais très peu de patients arrivent à la suivre avec un simple miroir. En particulier les patients ayant des troubles cognitifs, des déficits attentionnels ou les patients héminégligents. Avec un AVC, ils n’arrivent pas à suivre un protocole de plus de 4 semaines.

Notre mission consiste à accompagner les patients dans leur parcours de rééducation. Aussi nous avons mis au point un dispositif qui rend cette technique efficace et accessible à tous les patients, en centre de rééducation. Plutôt que de faire réaliser un mouvement au patient en utilisant  les deux membres en même temps, ce qui est le cas avec la technique de simple miroir, notre technologie se base sur l’enregistrement de mouvements d’un membre valide qui constitue  une bibliothèque de mouvements propre à chaque patient.

Dans un premier temps, il faut enregistrer le mouvement du membre sain, puis le dispositif inverse l’image pour la projeter sur le membre non valide. Pour le patient, c’est plus simple, il va se projeter sur un mouvement réussi, sans être obligé de se concentrer sur une tâche bimanuelle. Nous avons simplifié à la fois la partie installation, le protocole et la charge cognitive pour le patient.

Vous êtes trois cofondateurs de la société Dessintey?

Le premier est  Pr Pascal Giraux qui travaille sur ce projet depuis 15 ans. Le deuxième est un thérapeute, Davy Luneau, qui dispose d’une expertise en science de la motricité, quant à moi, Nicolas Fournier, j’ai un profil ingénieur entrepreneur. Nous nous sommes retrouvés sur la base de ce concept. Tous les médecins et thérapeutes leur ont demandé de monter un prototype. En 2016, nous l’avons présenté et gagné un concours d’innovation. Nous avons mis deux ans et demi à développer le concept sur les membres supérieurs et pour le diffuser auprès des centres de rééducation et de cliniques. Aujourd’hui, nous avons équipé plus de 150 centres en France, en Europe (Espagne, Allemagne, Belgique, en Italie et dans les pays nordiques), et quelques-uns en Asie.

Dessintey vient d’installer fin octobre en première mondiale l’IVS4 (Intensive Visual Simulation),dispositif dédié aux  membres inférieurs, à l’Hôpital Léon Bérard. IVS4 | Première installation mondiale à Hôpital Léon Bérard (dessintey.com). Avec l’IVS4, nous allons entraîner le cerveau pour lui réapprendre à marcher.

Ce qui est important, bien avant de déclencher le mouvement et de l’exécuter, c’est la phase d’imagination et de planification de celui-ci pendant laquelle le cerveau va se le représenter pour le réaliser. Pour un patient victime d’AVC en rééducation, dans les protocoles ou usages, il y a beaucoup d’exécution. L’innovation du dispositif concerne la phase de représentation du mouvement et son anticipation. Un bébé qui veut prendre un pot de yaourt, par exemple, va d’abord observer comment font les adultes. Il n’a pas encore acquis cette représentation du mouvement. On peut toujours produire des mouvements, mais sans une bonne représentation du mouvement, l’anticipation est impossible.

Par analogie avec un bébé, le patient, dont le membre est lésé, éprouve une difficulté pour aller saisir l’objet. Il doit réapprendre comment interagir avec l’objet.  Cette démarche fait consensus et nous a permis d’équiper un grand nombre de centres.

Vous avez des études scientifiques en cours ?

Plusieurs études sont en cours et nous avons des premiers travaux publiés. L’étude complète qui montre la différence avec la thérapie miroir classique va être bientôt publiée. A la différence de cette thérapie miroir classique, Dessintey propose une thérapie miroir innovante et augmentée.

Avec une thérapie miroir classique, un patient peut garder son membre droit sain tandis que l’autre est paralysé. En regardant le miroir, il va voir  que son membre gauche va pouvoir bouger. Les deux hémisphères, sain et lésé, s’activent. Avec notre dispositif, on ne stimule que l’hémisphère de la main lésée. C’est un résultat intéressant qui s’observe en EEG (électro-encéphalogramme, ce qui permet de mesurer l’activité corticale du cerveau lésé).

Vous évoquez la possibilité d’intervenir dans d’autres types de maladies neurodégénératives comme la SEP ou la maladie de Parkinson ?

Dans la Sclérose en plaques (SEP), il s’agit surtout de maintenir les capacités motrices le plus longtemps possible.  La SEP est une maladie complexe : il y a différents stades de SEP (des paliers) et une vingtaine de formes décrites. Le Centre Germaine Revel, le plus important établissement de rééducation /récupération neurologique spécialisé dans la SEP, vient tout juste de lancer une étude clinique. Le médecin travaille sur le dispositif depuis un an avec ses patients atteints de tremblements et de perte de motricité. Moins le cerveau utilise correctement les mouvements, plus il perd cette représentation qu’il en a. Résultat : la capacité qu’il a d’imaginer des mouvements au quotidien s’étiole.  Montrer des mouvements simples, bien construits, calibrés à une vitesse normale, aide le médecin à maintenir chez le patient une bonne représentation du mouvement.

Par exemple, quand la main d’un patient tremble, il apprend que sa main tremble. Plus le patient va voir que sa main tremble, plus elle va trembler, c’est un cercle vicieux. Avec notre dispositif de rééducation, nous allons lui réapprendre que sa main ne tremble pas, et recréer un contrôle en lui montrant comment imaginer et exécuter un mouvement simple, bien décomposé. Nous allons démarrer les essais cliniques et tester cette approche sur des premiers patients.

Idem concernant la maladie de Parkinson dont certains signes montrent que ça pourrait avoir un impact, mais il faut réaliser au préalable une étude pour le démontrer.

Votre outil a une composante informatique ? Peut-on parler d’IA ?

Oui, c’est un outil qui simplifie la thérapie miroir en l’augmentant . Quand on a développé le projet, les thérapeutes ont trouvé l’approche prometteuse : ils voulaient organiser des séances avec des patients. En effet, ils étaient démunis parce qu’ils tournaient avec toujours les mêmes dizaines d’exercices. Depuis, Dessintey a enrichi une base de données de 800 exercices. Le médecin va évaluer la douleur ou encore la spasticité (un phénomène musculaire qui définit une tendance d’un muscle à être contracté, d’origine neuromusculaire souvent consécutive à une SEP ou un AVC) (1). Le  dispositif va sélectionner les exercices les plus adaptés au patient, parmi les 800 disponibles. L’idée est de simplifier la démarche.

Grâce à cette plateforme logicielle, les algorithmes intelligents vont adapter la session d’exercices par rapport aux patients et à ses déficits. Pour adapter la logique de traitement médical et la traduire en thérapie augmentée, nous avons recruté rapidement des développeurs experts dans leur domaine

En partant d’une pratique avec un simple miroir qui a montré son efficacité, Dessintey a développé un dispositif simple d’utilisation, scientifiquement solide, accessible au maximum de patients pour la pratique courante.

Quels sont les objectifs de votre entreprise ?

Premier objectif : diffuser cette technologie dans le monde entier. Nous sommes les premiers au monde à le faire. Nous commençons à la diffuser en Asie via un distributeur en Corée du Sud et nous sommes en train d’explorer le marché américain. Nous sommes convaincus du succès de  cette technologie accessible à tous.

Deuxième objectif : concevoir de nouveaux dispositifs innovants afin de développer notre gamme. Actuellement, l’équipe R&D de Dessintey est composée de 6 personnes et plusieurs collaborations avec des universités ont été établies. Nous travaillons en particulier avec le LIBM (Laboratoire de Biomécanique et Motricité), le CHU d’Angers et l’Université d’Angers

Toujours à partir de la technologie miroir ?

Oui, toujours à partir de la technologie miroir. D’autres dispositifs seront développés  pour permettre de travailler aussi la motricité.

Des prothèses bioniques ?

C’est une piste que nous souhaitons explorer avec un fabricant de prothèses.  Il s’agira de la commande de la prothèse. Le fait de travailler avec notre dispositif permet de maintenir voire de développer ce qui pourrait être utile pour la commande des prothèses. Cela fait partie des sujets qui vont être développés avec des organismes de recherche. Les autres produits ou dispositifs en sont encore au stade de recherche

Combien de salariés avez-vous ?

Dessintey est une jeune entreprise qui emploie 17 personnes, dont 3 en Allemagne (à Cologne).

Notre site de production est situé à Saint Etienne. La plupart des composants viennent de la région. L’idée est de créer un acteur de référence sur le territoire ; l’un des plus importants acteurs de la rééducation dans le monde.

Quelles aides financières avez-vous reçues depuis le démarrage ?

Nous avons réalisé une levée de fonds d’un million d’euros il y a 3 ans, et avons reçu des aides de la BPI innovation, et pour le développement à l’export.

Avec Business France, nous avons participé au salon Medica en Allemagne, et à un voyage aux Etats-Unis, dans le cadre du programme Next. Ils nous ont proposé de participer au Prix Galien, et dans ce contexte, nous avons passé 15 jours en mars, 15 jours fin juin et 15 jours en octobre aux Etats-Unis. Notre candidature au Prix Galien, dans la catégorie startup, a été retenue parmi une quinzaine de medtech. Même si nous n’avons pas été lauréats fin octobre, cela nous a permis d’approcher le  marché américain. En effet, nous avons initié des partenariats avec des établissements qui sont en phase d’évaluation de notre matériel. Et plus récemment, nous avons participé à un important salon à Baltimore qui s’est tenu fin octobre.

Prévoyez-vous une autre levée de fonds pour se développer à l’international ?

Aujourd’hui, notre trésorerie nous suffit pour nous financer. Toutefois, pour appréhender le marché américain ou trouver d’autres sociétés complémentaires, nous aurons probablement besoin de lever des fonds.

Quel est le coût de votre IVS3 ?

Le dispositif constitue un investissement de  50 000 euros par établissement. Nous avons équipé 120 centres hospitaliers français, parmi lesquels : l’AP-HP, les HCL, les CHU de Nantes, Nice, Nancy, Nîmes, Toulouse.

Nous avons réussi à transférer les résultats de la science dans des les soins courants. L’enjeu consiste  à partir de la Recherche et d’arriver à développer des dispositifs faciles à utiliser  par les thérapeutes qui ont des contraintes de temps avec les patients. Sur ce point, nous avons réussi à proposer la bonne solution..

Quel est votre propre parcours professionnel en tant que CEO de Dessintey ?

Je suis Ingénieur, dont la spécialité est l’organisation des systèmes d’information. Après l’obtention de mon Master Entrepreneuriat de l’EM Lyon, j’ai travaillé dans les fusions-acquisitions. J’ai amené cette dimension entrepreneuriale à l’équipe de Dessintey. Je suis également assez actif dans l’écosystème des Medtech, en tant que vice-président du groupe startup au Snitem (après avoir reçu le 3ème prix start-up 2019), je suis également membre de France Biotech. Dessintey fait partie de NOVEKA, le pôle technologique local près de Saint Etienne qui collabore avec le Pôle Auvergne-Rhône-Alpes. Il y a à Saint Etienne une  tradition industrielle et une véritable dynamique de changement, d’innovation dans le domaine de la santé. On l’appelle d’ailleurs « la ville aux 1000 brevets ».  Notre siège se trouve à côté de l’ancien hôpital de Saint Etienne (Psychiatrie), devenu un pôle qui regroupe des entrepreneurs, des ingénieurs, à proximité de l’Ecole des Mines de Saint Etienne.

Quel est votre objectif 2025 ?

Notre objectif est d’atteindre les 10M€ de CA, soit tripler le CA actuel qui est de 3,5M€.  C’est ambitieux certes mais nous sommes très pragmatiques et procédons étape par étape. C’est une belle histoire de collaboration entre le public et le privé. Et la commercialisation à venir de l’IVS4 devrait nous permettre d’atteindre cet horizon.

Propos recueillis par Thérèse Bouveret

(1)   La spasticité est l’une des composantes du syndrome pyramidal qui y associe le déficit moteur et la perte de sélectivité du mouvement.