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Édito

Gènes et Hérédité : nouvelle approche de la dynamique et de l’évolution du vivant

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En partenariat avec RTFlash du 29/05/2020  Edito du Sénateur René Tregouët

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En avril 1953, le généticien américain James Watson et son collègue britannique Francis Crick (décédé en 2004) rentraient dans l‘histoire en publiant dans la revue Nature une étude révélant la structure en double hélice de l’ADN humain. Cette découverte fondamentale leur vaudra le prix Nobel en 1962. Presque 50 ans jour pour jour après cette publication, le projet international de décodage du Génome Humain (Human Genome Project), publiait, au terme de 15 ans de recherche, en avril 2003, la première carte complète à 99 % du génome humain, riche de ses 3 milliards de paires de base. L’année suivante, en 2004, une nouvelle étape fut franchie avec le séquençage complet du génome humain qui s’appuie sur la compilation de séquences d’ADN de plusieurs personnes distinctes (en bonne santé).

En 1990, l’américain Steven Rosenberg tentera un premier essai de thérapie génique chez l’homme, un essai se fondant sur l’injection de lymphocytes T génétiquement modifiés chez des patients atteints de cancer. Il fallut attendre 2000, pour voir le premier succès d’une thérapie génique : le traitement des enfants atteints du déficit immunitaire combiné sévère (lié au chromosome X) par Alain Fischer, Marina Cavazzana et Salima Hacein-Bey-Abina.

En 2012, la biologiste française Emmanuelle Charpentier et sa collègue américaine Jennifer Doudna inventèrent l’outil d’édition génétique CRISPR, (Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats ou Courtes répétitions palindromiques groupées et régulièrement espacées en français) qui permet d’éteindre ou d’activer à volonté un gène et de modifier ainsi le génome de n’importe quel organisme, en coupant de manière très précise une séquence dans un génome.

Mais, parallèlement à ces extraordinaires progrès dans la connaissance et le rôle des gènes et du génome en matière de biologie et d’évolution des êtres vivants, une autre discipline scientifique n’a cessé de se développer et est venue à la fois compléter et complexifier le scénario dominant de la prédominance du génome dans la construction du vivant, il s’agit de l’épigénétique. Cette discipline, aujourd’hui en plein essor, est pourtant apparue dès les années 1940, avec les travaux du biologiste et embryologiste Conrad Hal Waddington, étudiant les relations entre les gènes et l’environnement, puis les recherches du célèbre couple de biologistes Edward et Pamela Lewis qui mirent en évidence les premiers facteurs de régulation épigénétique, chez la mouche drosophile.

On sait aujourd’hui que plusieurs mécanismes, liés à notre comportement et notre mode de vie, notamment les méthylations de l’ADN et les modifications des histones (protéines autour desquelles s’enroule l’ADN pour former la chromatine) sont capables d’inhiber, ou au contraire d’activer un gène, sans toutefois changer la séquence de l’ADN elle-même. Les multiples changements qui interviennent dans notre environnement peuvent donc moduler ou modifier, de manière temporaire ou définitive, l’expression de nos gènes, ce qui a évidemment des effets majeurs sur notre santé et notre durée de vie.

En France, les remarquables travaux menés par l’équipe d’Andrew Saurin à l’Institut de biologie du développement de Marseille, ont permis de révéler, il y a trois ans, un nouveau mécanisme de contrôle global de l’expression génique. Ces chercheurs ont notamment montré que certaines protéines étaient en mesure d’empêcher l’action de la polymérase en agissant sur des régions particulières de l’ADN situées à proximité des gènes indispensables à la transcription de l’ADN en ARN, le messager chargé d’appliquer les instructions de l’ADN. Selon ces recherches, cette forme de régulation de l’expression génétique concernerait les deux tiers des 20 à 22 000 gènes (selon les dernières estimations revues à la baisse) que compterait notre génome…

Reste que, dans le modèle génétique actuel, l’ADN est toujours considéré comme le support principal de l’hérédité et de l’information. Mais cette conception, déjà sérieusement ébranlée et élargie par les avancées de l’épigénétique, vient d’être remise en cause de manière encore plus profonde par le Professeur Antony Jose, qui enseigne à l’Université du Maryland. Pour cet éminent scientifique, l’ADN ne représenterait en réalité qu’une partie minime des instructions nécessaires à la transmission héréditaire, et la majorité de ces instructions seraient en fait contenues dans l’organisation moléculaire cellulaire, en perpétuelle réorganisation (Voir The Royal SocietyThe Royal SocietyThe Royal Society).

S’appuyant sur plus de 20 ans de recherches, le Professeur Jose propose un nouveau cadre théorique qui intègre l’ADN et les gènes dans un ensemble bien plus vaste et complexe d’interactions et de « dialogues » biologiques. « L’ADN ne peut plus être considéré comme le “modèle” de la vie. Il s’agit au mieux d’une liste d’ingrédients qui se chevauchent et sont potentiellement mélangés et utilisés différemment, par différentes cellules à différents moments », souligne le Professeur Jose, qui prend souvent l’exemple de la couleur des yeux. Pour déterminer cette caractéristique, il existe un gène dans chaque cellule du corps, mais le processus qui produit la protéine déterminant la couleur des yeux n’a lieu que pendant une phase particulière du développement et seulement dans les cellules qui constituent la partie colorée des yeux. Ce mécanisme montre donc que les informations qui déterminent cette caractéristique biologique ne sont pas stockées dans l’ADN, bien qu’ils fassent néanmoins partie de l’hérédité.

Pour le Professeur Jose, il faut concevoir l’hérédité comme un système d’information complexe et en réseau, qui organise le « dialogue » d’une myriade de molécules régulatrices, participant au bon à fonctionnement de la machinerie cellulaire et produisant, à différents niveaux d’organisation, les informations portant l’hérédité. Selon ce nouveau cadre théorique, Jose propose de définir l’hérédité comme la résultante de trois composants, qu’il propose d’appeler les entités, les capteurs et les propriétés.

Dans ce nouveau modèle, les entités – qui représentent les éléments structurels – seraient constituées par le génome et toutes les molécules d’une cellule nécessaires à la construction d’un organisme. Ces entités, bien qu’elles puissent se modifier dans le temps, auraient la propriété fondamentale de pouvoir se recréer avec leur structure, et leurs interactions d’origine au début de chaque génération. Dans cette approche, c’est tout le processus de développement, de l’œuf fécondé à l’organisme complexe, qui devient en quelque sorte l’expression de l’hérédité. Celle-ci ne repose donc plus sur une base d’instructions fixées une fois pour toute, à l’origine, mais est gouvernée par un réseau d’informations dont les éléments sont toutes les molécules qui participent au fonctionnement de la cellule.

Ce nouveau cadre théorique permet de mieux comprendre comment les instructions non codées dans l’ADN mais inhérentes à la structure et aux interactions des molécules au sein des cellules, peuvent être conservées et transmises d’une génération à l’autre. « Nous avons gravement sous-estimé un aspect fondamental de l’hérédité, à savoir que l’arrangement des molécules est similaire d’une génération à l’autre», précise le Professeur Jose.

Cette nouvelle conception plus large de la génétique et du génome modifie profondément l’approche biologique des maladies héréditaires qui affectent les individus et se concentre généralement sur l’étude des différences génétiques, chimiques ou physiques. Cette nouvelle vision de l’hérédité suggère que les chercheurs devraient rechercher des différences non génétiques dans les cellules des individus atteints de maladies héréditaires, telles que l’arrangement des molécules et leurs interactions.

Cette nouvelle vision permet également de mieux comprendre l’importance, encore sous-estimée, de l’épigénétique : les organismes évolueraient dans le cadre d’une évolution constituée par les changements continuels dans les interactions entre molécules, sans modifications de leur séquence d’ADN. Il faudrait donc dépasser l’opposition entre génétique et épigénétique et considérer l’hérédité et l’évolution des organismes vivants dans le cadre d’une dynamique moléculaire entre facteurs génétiques, épigénétiques, cellulaires et métaboliques.

Plusieurs études récentes viennent conforter cette hypothèse audacieuse. Par exemple, une étude de 2018, portant sur les effets biologiques de la famine qui a affecté les Pays-Bas au cours de l’hiver 1944-1945, sous l’occupation allemande, a fait grand bruit en montrant l’importance de cette hérédité épigénétique. Ces travaux ont montré que les femmes en fin de grossesse à cette période, ont donné naissance, sous l’effet de la malnutrition, à des bébés plus petits que la moyenne et ayant plus de risque, adultes, d’être atteints de diabète ou d’obésité (voir Science Advances), ce qui semble logique. Mais, de manière beaucoup plus surprenante, ces chercheurs ont découvert que les petits-enfants issus de cette première génération touchée par la malnutrition étaient eux-mêmes bien plus fréquemment atteints de diabète, et mourraient plus jeunes que la moyenne, bien que leurs parents aient toujours eu une alimentation suffisante et variée.
Ces chercheurs ont alors remarqué que les personnes ayant subi cette famine présentaient un blocage au niveau de plusieurs gènes impliqués dans le métabolisme et le contrôle de la glycémie. Selon cette étude, il est probable, mais cela devra être confirmé par d’autres travaux, que la famine vécue pendant la jeunesse des sujets étudiés ait modifié l’expression de certains gènes pour les réorienter vers une meilleure aptitude à stocker de l’énergie.

En 2013, une autre équipe de recherche a eu l’idée d’apprendre à des souris à craindre l’odeur de l’acétophénone (l’odeur d’amande). Lorsque ces souris étaient exposées à cette odeur, elles recevaient une décharge électrique. Là encore, ces scientifiques ont constaté que les descendants de ces souris, jusqu’à la troisième génération, restaient stressés en présence d’acétophénone, bien qu’elles n’y aient jamais été exposées….

En 2019, une autre équipe américaine de l’université Washington de St. Louis, a rendu obèses des souris, en les contraignant à un régime riche en graisse et en sucre. Les scientifiques ont alors observé l’apparition de déficiences cardiaques chez leurs descendants, alors que les parents ne présentaient pas ces déficiences. Mais le plus étonnant, c’est que ces insuffisances cardiaques étaient encore présentes sur les trois générations suivantes, qui avaient pourtant une alimentation normale et n’étaient pas obèses (Voir AJPAJPAJP).

Ces recherches ont montré de manière convaincante que l’obésité et le diabète avaient des effets sur l’épigénome, c’est-à-dire l’ensemble des modifications faites au génome pour adapter son expression à l’environnement, sans que le gène lui-même ne soit altéré. Ces travaux ont également montré que ces facteurs épigénétiques peuvent se retrouver dans les cellules germinales (les ovocytes et les spermatozoïdes) des parents, et se transmettre à la génération suivante.

Bien que le mécanisme exact de cette transmission épigénétique ne soit pas encore bien compris, ces travaux confirment la réalité et la puissance des facteurs épigénétiques sur plusieurs générations, aussi bien sur les pathologies organiques que sur les troubles psychologiques. Des études menées chez la souris ont en effet montré que des traumatismes psychologiques pouvaient entraîner des troubles du comportement chez les souriceaux deux générations plus tard.

Ces récentes et passionnantes découvertes dans le domaine de l’épigénétique ont des conséquences scientifiques, mais également épistémologiques et philosophiques considérables. Elles nous conduisent en effet, comme le montre fort bien Joël de Rosnay, dans son essai, « La symphonie du vivant », à dépasser, d’une part, le vieux clivage entre inné et acquis, et, d’autre part, l’opposition, longtemps irréductible entre l’approche transformiste de Lamarck (1800) et la théorie de l’évolution de Darwin (1859). Sur cette question, Isabelle Mansuy, professeure en cognition moléculaire à l’université de Zurich, souligne, par exemple, que « La vision que l’on avait de l’hérédité, reposant uniquement sur les gènes, était tout simplement fausse, et nous devons à présent admettre que la théorie de Lamarck est plausible car la transmission de l’influence de l’environnement sur plusieurs générations est indéniable ».

Sans nier la spécificité et l’importance de la composante génétique du vivant, nous savons à présent que nous ne sommes pas prisonniers de nos gènes, et qu’il existe au cœur de la vie, une dynamique de construction individuelle et d’évolution collective complexe qui intègre la génétique, l’organisme et l’environnement, et laisse une large place à l’indétermination, ainsi qu’aux facteurs sociaux et culturels.

Cette nouvelle approche de la dynamique et de l’évolution du vivant n’a pas seulement des conséquences théoriques majeures mais ouvre également d’immenses perspectives thérapeutiques pour concevoir et développer demain de nouveaux traitements susceptibles de prévenir les effets du vieillissement ou de vaincre des pathologies redoutablement complexes et multifactorielles, comme le cancer, les maladies neurodégénératives ou certains troubles graves du comportement.

René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com