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Édito

Immunothérapie : avec les vaccins, la lutte contre le cancer prend un grand tournant

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En partenariat avec RTFlash 23 11 2018 : Edito du Sénateur René Trégouët.


Le 1er octobre dernier, le Prix Nobel de médecine était attribué au chercheur américain James P. Allison (Université du Texas) et à son collègue japonais Tasuku Honjo, (Université de Kyoto) pour leurs travaux décisifs et complémentaires dans le domaine de l’immunothérapie appliquée à la lutte contre le cancer.

Ces deux grands scientifiques sont en effet parvenus à comprendre comment, nous pouvons, dans certains cas, lever les freins qui retiennent les puissantes capacités du système immunitaire, pour lui permettre de combattre efficacement certains types de cancer. L’Américain James P. Allison a ainsi découvert une protéine spécifique, CTLA-4, qui bloque le système immunitaire et régule les lymphocytes T, un type particulier de globules blancs. Le Japonais Tasuku Honjo a lui mis à jour une autre protéine-clé, PD-1, qui fonctionne également comme un frein des lymphocytes T, mais via un mécanisme différent. Ces deux découvertes majeures ont permis de déboucher sur des percées thérapeutiques impressionnantes – l’ipilimumab, un anticorps anti-CTLA-4 et le nivolumab, anticorps anti-PD-1 – qui sont en train de révolutionner le traitement de plusieurs formes graves de cancer, comme le mélanome, certains cancers du poumon ou encore le cancer du rein avancé.

Ce Prix Nobel de Médecine 2018 confirme l’ampleur du bouleversement scientifique et médical que représente l’immunothérapie, notamment (mais pas seulement) dans le domaine de la lutte contre le cancer. La médecine dispose à présent de nombreuses armes contre le cancer (chimiothérapie, radiothérapie et chirurgie), toujours plus efficaces et ciblées. Mais depuis une dizaine d’années, une rupture thérapeutique majeure est en cours avec le développement des immunothérapies personnalisées, plus familièrement appelées « vaccins » anti-cancer. Pour éviter toute confusion, rappelons qu’il faut distinguer les vaccins préventifs qui, dans certains cas, peuvent éviter l’apparition ultérieure d’un cancer, et les vaccins dits « thérapeutiques, qui agissent pour leur part qua nd la maladie est déjà présente, et vont permettre de réveiller et de mobiliser très activement le système immunitaire du malade, pour qu’il puisse combattre et éliminer les cellules cancéreuses.

S’agissant des vaccins préventifs, la revue Cochrane, réputée pour son indépendance et sa rigueur, vient de démontrer que le vaccin contre le papillomavirus humain (HPV), réduit bien le nombre de lésions précancéreuses du col utérin. Il existe en fait près d’une centaine de types de virus HPV, dont deux en particulier, les variantes HPV 16 et HPV 18, augmentent plus particulièrement le risque de générer un cancer du col de l’utérus. Dans cette étude, des experts indépendants, dirigés par Marc Arbyn, chef du service Epidémiologie des cancers à Bruxelles (Belgique), ont passé au crible une trentaine d’essais cliniques menés sur 75 000 femmes, en double aveugle contre placebo.

Cette étude très sérieuse montre que, bien qu’il soit encore trop tôt pour observer une diminution du nombre des cancers, les femmes ayant reçu le vaccin anti-HPV tôt, entre 15 et 25 ans et non porteuses du virus avant la vaccination, ont un risque beaucoup moins élevé de souffrir de lésions précancéreuses liées aux HPV 16 et 18 (2 pour 10 000 femmes vaccinées) en comparaison à celles qui n’ont pas bénéficié du vaccin (164 pour 10 000 femmes non vaccinées). Autre point positif  : cette réduction des lésions précancéreuses ne s’accompagne pas, selon les experts, d’une augmentation des effets secondaires.

Soulignons également que l’existence d’un vaccin contre l’hépatite B déployé à grande échelle dans le monde – couvrant plus de huit enfants sur dix – a contribué à une réduction des infections, bien que l’hépatite B soit encore responsable d’environ 700 000 morts par an dans le monde. Grâce à l’effort de la communauté internationale depuis trente ans, la proportion d’enfants infectés est passée de 4,7 % avant son introduction au cours des années 1980 et 1990 à 1,3 % au niveau mondial en 2015, selon l’OMS, et à 3 % en Afrique. « Nous commençons à voir des générations sans hépatite B grâce à la prévention par le vaccin », souligne le docteur Yvan Hutin, du département VIH et du programme mondial sur les hépatites de l’OMS.

On mesure mieux l’importance de cette politique volontariste de vaccination mondiale contre l’hépatite B quand on sait que ce virus, qui aurait infecté au moins 350 millions de personnes dans le monde provoque dans un cas sur trois un cancer du foie presque toujours mortel…

En matière de vaccins thérapeutiques, les progrès sont également spectaculaires. Début 2017, une équipe américaine de l’Institut de Recherche Beckman (États-Unis), menée par le Docteur Benham Badie, a annoncé qu’un patient atteint d’une forme grave de cancer du cerveau, le glioblastome métastasé, était encore en vie plus d’un an après le diagnostic, grâce à un nouveau traitement immunothérapique (Voir NEJM). Ces scientifiques ont utilisé la stratégie dite des cellules CAR-T ; ils ont réalisé un prélèvement des lymphocytes T du patient, puis ont reprogrammés génétiquement ces cellules immunitaires pour qu’elles apprennent à tuer les cellules tumorales, avant de les réinject er directement dans le cerveau. Après quatre mois, une diminution de la taille des tumeurs a été observée chez ce patient. Fort de ces résultats encourageants, ces chercheurs prévoient d’inclure huit autres patients dans cet essai pionnier.

Autre avancée remarquable, annoncée il y a deux mois, celle réalisée par Dale Boger, du Scripps Research Institute en Californie (Voir PNAS). Ces chercheurs sont parvenus à stimuler le système immunitaire des souris en produisant plus de leucocytes. explique l’un des chercheurs, Dale Boger, du Scripps Research Institute en Californie. « Tout comme un vaccin peut entraîner le corps à combattre les agents pathogènes externes, ce vaccin entraîne le système immunitaire à rechercher la tumeur et produire une réponse curative complète dans le traitement du mélanome,», ajoute ce chercheur. Pour parvenir à ce résultat exceptionnel, ces scientifiques ont isolé une molécule – appelée Diprovocim – capable de se lier à un récepteur immunitaire pour guider nos défenses vers les sites tumoraux. Ils ont ensuite testé avec succès leur nouveau vaccin, qui permet non seulement de combattre le mélanome chez la souris mais semble également empêcher les récidives. Cette molécule étant facile à synthétiser en laboratoire, elle pourrait – si les prochains essais cliniques sur l’homme sont concluants – être produite à grande échelle.

Toujours en septembre dernier, Transgene, filiale de Mérieux, annonçait les premiers essais prochains d’une immunothérapie individualisée très prometteuse contre les tumeurs solides (Voir Transgene). Baptisée Myvacest, cette immunothérapie a été conçue pour stimuler et éduquer le système immunitaire des patients afin de reconnaître et détruire les cellules tumorales. Cette immunothérapie personnalisée est conçue pour chaque patient, sur la base des mutations identifiées par séquençage dans sa tumeur. Plusieurs néoantigènes sont intégrés dans le génome du vecteur viral (MVA), ce qui permet à Myvacest de déclencher une puissante réponse immunitaire contre les cellules cancéreuses.

Contrairement aux immunothérapies classiques, cette nouvelle approche n’utilise pas de matériel biologique du patient, ce qui la rend plus simple à mettre en œuvre. Elle est aussi véritablement individualisée, car elle repose sur les caractéristiques génétiques propres à chaque tumeur. Deux essais cliniques sont prévus en 2019 en Europe et aux États-Unis, notamment dans les cancers de l’ovaire, de la tête et du cou.

Il y a quelques semaines, deux autres percées majeures ont été annoncées aux Etats-Unis. La première a été révélée par des chercheurs de l’Université de Stanford, aux États-Unis, qui ont publié une étude qui a fait sensation dans le milieu scientifique (Voir Science Translational Medicine). Ces scientifiques, dirigés par Ronald Levy, ont en effet montré que l’injection de deux agents immunostimulants directement dans la tumeur permettait de cibler et de détruire les cellules cancéreuses. Ce traitement combiné provoque une réponse immunitaire et peut être facilement administré par injection.

Ce vaccin développé par les chercheurs est constitué de deux types d’agents immunostimulateurs sécuritaires. Le premier, un anticorps appelé anti-0X40, permet d’activer les cellules T CD4, des cellules auxiliaires communiquant avec les autres cellules immunitaires. Il active aussi les cellules “tueuses” CD8 qui libèrent des substances chimiques détruisant les cellules malignes. L’autre agent du vaccin est un court brin d’ADN synthétique qui permet aux cellules immunitaires de produire une protéine de surface appelée ligand TLR9. Cette protéine stimule à son tour la production d’anticorps «  à mémoire », qui seront alors capables de reconnaître les cellules cancéreuses, si celles-ci réapparaissent plus tard.

Ces travaux reposent sur les propriétés des cellules immunitaires comme les cellules T, qui reconnaissent les protéines anormales souvent présentes dans les cellules cancéreuses et s’infiltrent pour attaquer la tumeur. Mais le cancer est retors et lorsqu’une tumeur se développe, elle met en œuvre des mécanismes variés de survie visant à leurrer le système immunitaire ou à l’affaiblir en supprimant l’activité des cellules T. L’approche des chercheurs de Stanford a donc consisté à réactiver les cellules T spécifiques au cancer en injectant de minuscules quantités de ces deux agents directement dans le site de la tumeur.

Les résultats ont été spectaculaires, puisque ce vaccin a non seulement éliminé 97 % des lymphomes des souris, mais a aussi éliminé les tumeurs malignes secondaires issues des tumeurs cancéreuses originelles. Mais il y a encore mieux : selon ces chercheurs, cette approche serait efficace contre plusieurs types de cancers car elle permet de contourner la nécessité d’identifier des cibles immunitaires spécifiques à une tumeur et ne nécessite pas d’activation complète du système immunitaire ou de personnalisation des cellules immunitaires d’un patient.

Désormais, les chercheurs souhaitent tester l’efficacité du traitement chez les humains présentant un type particulier de lymphome. Ils espèrent recruter au total 35 patients adultes pour composer deux groupes d’étude d’ici la fin de l’année. Le but de l’essai sera de déterminer la dose optimale du traitement et d’examiner les effets secondaires. Selon le Docteur Levy, « S’il s’avère efficace ce vaccin pourra prochainement servir de thérapie anticancéreuse rapide et efficace, sans soumettre les patients à une chimiothérapie ».

L’autre percée a été réalisée par une équipe dirigée par Jay A. Berzofsky, de l’Institut National contre le Cancer de Bethesda, dans le Maryland (voir Science Daily). Ces scientifiques ont réussi à développer un vaccin thérapeutique efficace chez les malades porteurs d’un cancer HER2 positif. Au cours d’une étude de phase I menée chez 11 patients concernés par cette mutation génétique, 6 d’entre eux auraient présenté des bénéfices cliniques. Dans le cadre de ces essais cliniques, une patiente souffrant d’un cancer ovarien a obtenu une réponse complète pendant 89 semaines. Un autre affecté par un cancer gastro-œsophagien a obtenu une réponse partielle pendant 16 semaines. Enfin, quatre patients (2 avec un cancer du côlon, 1 avec un cancer de la prostate et une dernière un cancer ovarien) ont vu leur maladie se stabiliser.

Pour parvenir à ces résultats, les scientifiques ont utilisé les cellules immunitaires de chacun des patients isolées dans un prélèvement sanguin. Ces mêmes cellules ont ensuite été génétiquement modifiées à l’aide d’un adénovirus qui produit des fragments de la protéine HER2 avant d’être administrées au malade. Des études précliniques avaient déjà démontré que cette méthode pouvait éradiquer des tumeurs importantes installées depuis longtemps, ainsi que des métastases pulmonaires chez des souris.

Mais ces nouveaux traitements immunothérapiques, ces vaccins anticancer ne sont malheureusement pas toujours efficaces sur tous les patients. C’est pourquoi il est très important de pouvoir identifier les malades qui présentent le plus de chances de bien répondre à ces traitements lourds. Dans cette perspective, des chercheurs de l’Institut Gustave-Roussy, CentraleSupélec, l’Inserm et l’Université Paris-Sud, sont parvenus à développer un algorithme qui peut analyser seul des images de scanner pour déterminer si un patient répondra à un traitement d’immunothérapie (Voir France Info et Gustave Roussy).

Actuellement, on estime que seul un patient sur trois peut tirer un véritable bénéfice thérapeutique d’une immunothérapie. Or l’intérêt de cette intelligence artificielle est de pouvoir enfin identifier avec précision les patients qui répondront au traitement à partir d’un simple scanner.

Sachant que plus l’environnement immunologique d’une tumeur est riche (présence de lymphocytes), plus l’immunothérapie a de chances d’être efficace, les chercheurs ont mis au point une méthode, la « signature radiomique » qui permet de prévoir la réponse clinique des patients au traitement.

Travaillant sur une cohorte de 500 patients, les chercheurs ont ensuite appris à l’algorithme à exploiter les informations pertinentes extraites des scanners de patients inclus dans l’étude MOSCATO, qui comportait les données génomiques tumorales des patients. Ce logiciel a ainsi appris à prédire par la seule analyse intelligente des images ce que la génomique aurait montré en révélant la présence de lymphocytes T cytotoxiques (CD8) dans la tumeur. Ces travaux ont pu montrer que les patients qui répondaient le mieux à l’immunothérapie affichaient un score radiomique plus élevé, ce qui était également le cas des malades ayant une meilleure survie.

A terme, un nombre croissant de chercheurs et de scientifiques pense que ces vaccins et immunothérapies anticancer deviendront si nombreuses, puissantes et personnalisées qu’elles remplaceront progressivement les autres outils thérapeutiques, certes souvent efficaces, mais non dénués d’effets secondaires importants, comme la chirurgie, la chimiothérapie et la radiothérapie. Mais à plus brève échéance, ces nouveaux traitements qui stimulent l’immunité et permettent à la fois d’éliminer certains cancers et de prévenir leur récidive vont être utilisés en synergie avec l’ensemble des armes thérapeutiques de plus en plus variées dont disposent les médecins.

Ces nouvelles stratégies thérapeutiques personnalisées seront d’autant plus performantes qu’elles seront définies et administrées sur mesure, et de plus en précocement, grâce à la généralisation rapide des nouveaux outils d’IA très puissants que j’ai évoqués. Chaque patient pourra alors bénéficier, parfois avant même que les symptômes de la maladie n’apparaissent, du meilleur traitement possible, parmi une infinité de combinaisons.

C’est peu de dire que cette médecine d’extrême précision constitue une vraie révolution qui aura également de profondes conséquences au niveau social et collectif, car ces thérapies de demain réduiront sensiblement les temps d’hospitalisation, seront bien moins pénibles pour les malades et feront de la qualité de vie un objectif central des soins et de la médecine.

Reste que cette médecine redoutablement efficace, basée sur le tryptique, prévention, individualisation, précision, ne pourra être accessible à tous qu’en disposant et en déployant de manière distribuée de gigantesques puissances de calcul et d’analyse informatique, de façon à ce que chaque médecin, où qu’il se trouve, puisse accéder à ces outils numériques d’aide au diagnostic, de séquençage génétique et de conseil pour un traitement personnalisé.

Cela suppose que notre pays accélère encore ses efforts pour que le très haut débit optique soit disponible sur l’ensemble du territoire le plus rapidement possible et pour que chaque établissement de santé et chaque médecin libéral puissent demain bénéficier en ligne de la puissance d’analyse de supercalculateurs cent à mille fois plus puissants que ceux installés aujourd’hui. Si nous parvenons à relever ces défis, je suis convaincu que c’est le concept même de santé et l’ensemble de notre société qui s’en trouveront complètement bouleversés.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat