Qu’est-ce que l’insuffisance rénale chronique ?
L’insuffisance rénale chronique (ou maladie rénale chronique) désigne la diminution plus ou moins importante de la fonction des reins. Les reins perdent de façon durable et irréversible leur capacité à filtrer correctement le sang. Les déchets et liquides s’accumulent alors dans l’organisme. Cette pathologie est principalement causée par le diabète et l’hypertension artérielle.
Combien de personnes sont-elles concernées en France?
Aujourd’hui en France, 3,5 millions de personnes ont du diabète, 3,8 millions un cancer et près de 5,7 millions une maladie rénale chronique. Extrêmement fréquente et associée à un risque de mortalité accrue, la maladie rénale chronique est le plus souvent asymptomatique jusqu’à un stade très avancé (on estime que la moitié des patients ne sont pas diagnostiqués). Ce retard de diagnostic accélère le vieillissement des artères et du cœur et augmente le risque de décès prématuré (Le nombre d’années de vie perdues à cause d’une maladie cardiovasculaire augmente proportionnellement avec la gravité de la maladie rénale chronique).
Comment avez-vous eu l’idée d’associer insuffisance rénale et maladies cardiovasculaires au sein d’un seul réseau ?
Hypertension, diabète, obésité et tabagisme sont les mêmes principales raisons qui font qu’on est malade du rein ou du cœur. La première cause de mortalité des patients souffrant de maladie rénale chronique sont les atteintes cardio-vasculaires. D’où l’idée de mettre tous les experts du rein et du cœur ensemble pour s’attaquer à ce syndrome cardio-rénal qui provient de l’exposition aux mêmes facteurs de risque.
En quoi le réseau INI-CRCT est-il innovant ?
Notre réseau a été créé en 2014. Il a une approche d’investigateurs d’essais cliniques multidisciplinaire unique à l’échelon international, associant notamment cardiologues, néphrologues, anesthésistes réanimateurs, médecins internistes, généralistes, gériatres, médecins et chirurgiens vasculaires ou cardiaques, épidémiologistes et chercheurs fondamentaux. Depuis 2014, nous avons participé à des dizaines d’essais sur les problématiques cardio-rénales, dont les pathologies sont souvent liées. Aujourd’hui, véritable reconnaissance de notre expertise collective, je viens d’être nommé au comité de direction du KDIGO (Kidney Disease Improving Global Outcomes), fondation basée en Belgique qui émet des recommandations à retentissement mondial dans tous les domaines de la néphrologie. Par ailleurs, nous organisons depuis 5 ans un événement qui permet de cofinancer les actions du réseau: le « circuit du coeur au rein », un circuit automobile d’environ 230 km au profit de la recherche cardio-rénale dont la prochaine édition aura lieu le 10 septembre 2023 https://circuit-coeur-rein.fr/. Enfin, nous avons mis en place au sein de notre réseau un comité de patients experts qui participent dès la conception des protocoles de recherche car leur apport est fondamental.
Quels sont les traitements actuels de l’insuffisance rénale ?
Lorsqu’une personne est diagnostiquée, elle est classée selon 5 stades. Pour l’insuffisance rénale légère à modérée (stades 1 à 3), le traitement repose surtout sur la prise en charge de la maladie qui en est la cause (hypertension artérielle, diabète, …), des mesures diététiques et d’hygiène de vie ainsi que sur la prescription de certains médicaments. Pendant longtemps, il n’y avait qu’une classe de médicaments de néphroprotection (les bloqueurs du système rénine angiotensine), de la catégorie des antihypertenseurs. Récemment, il a été découvert que les inhibiteurs de SGLT-2 (ou glifozines), médicaments initialement prescrits dans le diabète de type 2, avaient un effet non seulement sur les maladies cardiovasculaires, dont l’insuffisance cardiaque (avec un rôle majeur joué par plusieurs des chercheurs du réseau INICRCT), mais aussi sur les insuffisants rénaux, qu’ils soient diabétiques ou pas. C’est une révolution. Après 2 décennies d’absence de progrès majeur dans la maladie rénale chronique, un médicament qui n’avait pas été développé au départ pour cette maladie, permet de ralentir l’évolution vers les formes graves de la maladie. Pour les cas les plus sévères (stade 5), le recours à la dialyse ou à la greffe de rein s’impose pour éviter l’accumulation de toxines et les déséquilibres en éléments minéraux, et le décès.
Quelles sont les dernières avancées de la recherche clinique d’INI-CRCT sur l’insuffisance rénale et les maladies cardiovasculaires ? En quoi sont-elles innovantes ?
Notre principal succès a été de contribuer à développer des médicaments qui traitent les 2 maladies tout en diminuant les effets indésirables car initialement, les médicaments bons pour le coeur étaient difficilement utilisables pour le rein à cause des complications rénales. Au total, depuis 2014 nous avons participé à la rédaction de plus de 700 articles qui couvrent des domaines très vastes : des SGLT-2 inhibiteurs (glifozines) dont nous avons déjà parlé aux antagonistes stéroidiens (un des piliers du traitement de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection altérée, dont le Pr Zannad – Nancy – a été un pionnier) ou non stéroidiens (la finerenone) du récepteur minéralocorticoïde. La Finerenone constitue une innovation thérapeutique majeure permettant de ralentir la progression vers l’insuffisance rénale terminale liée au diabète.
La coordination du réseau comprend autant d’hommes que de femmes et la plupart des études sont menées par des jeunes chercheurs français, ce qui est notre plus grande fierté, en tant qu’infrastructure fondée dans le cadre des Investissements d’Avenir.
Quels sont les essais cliniques en cours auxquels participent le réseau INI-CRCT ?
Nous attendons les résultats ou le démarrage de plusieurs études dont certaines sont particulièrement novatrices :
ALCHEMIST, sur les patients les plus à risques – les insuffisants rénaux terminaux en dialyse – qui étaient jusqu’ici exclus des études de prévention cardiovasculaire. Avec notre réseau, nous avons lancé cette étude, financée principalement par le ministère de la santé (PHRC), qui a permis de recruter 825 patients entre la France, Bruxelles et Monaco. Promue par le CHRU de Brest, et coordonnée depuis Monaco et Nancy, elle vise à déterminer la tolérance et l’efficacité d’un antagoniste stéroïdien du récepteur minéralocorticoïde, la Spironolactone, pour réduire le risque d’évènements cardiovasculaires. Elle s’est terminée fin 2022 et ses résultats sont attendus par toute la communauté internationale car si elle est positive, nous disposerions d’un médicament qui est disponible dans le monde entier (utilisé pour traiter l’insuffisance cardiaque) et est peu onéreux.
RETREAT-FAIL : Il s’agit d’une étude sur 1000 personnes âgées fragiles car vivant en EHPAD atteintes d’hypertension artérielle dont le but est de déterminer le traitement le plus adéquat et particulièrement si réduire le nombre de traitement hypertenseurs permet de diminuer la mortalité. Une étude promue par l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris (AP-HP) novatrice car réalisée dans 200 EHPADs en France, avec télé-expertise, pilotée à distance depuis le centre coordinateur du CHRU de Nancy.
STOP-OR NOT, promue par l’AP-HP, dont le recrutement est en cours, chez plus de 2200 patients qui vont être prochainement opérés, pour déterminer s’il est préférable de maintenir ou stopper les bloqueurs du système rénine angiotensine avant l’opération.
Nous attendons également en 2023 le résultat d’études en transplantation rénale (utilisant un antagoniste du récepteur minéralocorticoïde, et dans l’hypertension artérielle résistante barostimulation carotidienne) promues par le CHRU de Nancy. 2023 verra aussi le lancement d’un protocole promu par le CHRU de Tours dans le domaine de l’hypertension artérielle des patients insuffisants-rénaux de stade 4. Un autre, promu par l’AP-HP, déterminera si administrer un bloqueur du système rénine angiotensine diminue les complications au décours d’une insuffisance rénale aigue. Les travaux du réseau concernent tout le spectre de l’insuffisance rénale et de l’insuffisance cardiaque.
Quels sont les bénéfices de votre double approche cardio-rénale pour les patients ?
Notre collaboration multidisciplinaire vise à changer les pratiques. Notre objectif : augmenter la qualité de vie des patients et diminuer les complications cardiovasculaires de leur maladie rénale chronique ou aigüe, et les complications rénales de leur maladie cardiaque.
Quel est l’apport de F-CRIN au réseau ?
L’apport de F-CRIN est majeur, notamment dans le financement du réseau (le réseau INI-CRCT n’existerait pas sans F-CRIN !) et son accompagnement, par exemple dans notre démarche de certification IS0 9001. La coordination d’INI-CRCT est, pour la 4ème année consécutive, certifiée ISO-9001, un gage de notre sérieux et de qualité. Nous avons également obtenu le soutien juridique de F-CRIN pour franchir les frontières pour l’étude ALCHEMIST (en Belgique et à Monaco).
Quel message aimeriez-vous adresser aux patients et aux familles qui nous lisent ?
Que tout l’enjeu est le dépistage de leur maladie. Car si une maladie rénale n’est pas diagnostiquée suffisamment tôt, elle ne pourra pas être traitée précocement, et on perd l’opportunité de ralentir l’évolution de la maladie et ses complications dont cardiovasculaires. Au stade de la dialyse, c’est beaucoup trop tardif. Le dépistage d’une insuffisance rénale n’est pas douloureux. Tous les patients de plus de 60 ans diabétiques, hypertendus, obèses ou souffrant de maladies cardiovasculaires devraient se faire dépister une fois par an. Comment ? En réalisant une prise de sang et une analyse d’urine sur un échantillon. Ce dépistage systématique permettrait de pouvoir intervenir à un stade précoce la maladie et éviter beaucoup de complications rénales et cardiaques. |