Interview deChristophe Rupp-Dahlem, Directeur des affaires publiques du groupe Roquette, élu Président du pôle Industries et Agro-ressources (IAR) en décembre 2020. Il préside aussi Protéines France depuis septembre 2020 et la Commission thématique interfilière (CTI) Bioéconomie de France AgriMer depuis 2019.
Vous avez été élu en décembre dernier président du pôle IAR, le Pôle de la Bioéconomie. Quelle est sa vocation ?
IAR accompagne ses adhérents et l’ensemble des acteurs de la bioéconomie (start-up, grands groupes, établissements universitaires et de recherche, collectivités locales…) dans tous les champs de la production et de la valorisation des ressources biologiques.
Nous œuvrons en faveur d’une politique d’innovation efficace, guidés par notre nouvelle stratégie IAR 2025 qui trace un cap clair et cohérent. Notre ambition est de faire de la France l’un des leaders mondiaux dans la valorisation de biomasse. Pour réussir ce challenge, nous travaillons à renforcer la compétitivité et l’industrialisation des entreprises de la bioéconomie par l’innovation, en structurant et fédérant un écosystème unique au monde.
Je porte cette vision avec détermination, animé par la conviction que la bioéconomie est une partie de la réponse collective aux grands défis économiques, alimentaires, sociétaux et écologiques de demain. IAR est plus que jamais engagé pour la réussite de ce projet collectif, durable et responsable.
Depuis 2005, nous avons accompagné plus de 350 projets d’innovation, représentant un investissement total de plus de 2 milliards d’euros sur les territoires !
L’alimentation durable favorable à la santé est-il un enjeu capital pour le pôle IAR ?
Le cycle de vie de la culture des protéines végétales est vertueux sur le plan environnemental. Cette culture de pois est respectueuse de l’environnement : elle va stocker l’azote dans les racines, et va entraîner une consommation plus faible d’engrais chimiques. Parmi les protéagineuses comme les pois, par exemple, nous utilisons la protéine pour préparer des steaks à base de protéines végétales.
Chez Roquette, géant mondial des ingrédients pour la nutrition et la santé, vous avez mené un programme de recherche et d’investissement sur les protéines de pois mais également un projet sur les micro-algues?
Roquette est un groupe historiquement implanté en Hauts-de-France (Lestrem), spécialisé dans la transformation de matières premières végétales : maïs, blé, pommes de terre, pois. Nous travaillons depuis plus de 15 ans sur la protéine de pois.
Nous avons concentré nos investissements industriels en particulier sur les protéines de pois : 500 millions d’euros investis de 2015 à 2020.
Le pôle IAR s’intéresse aux protéines végétales, algales, en matière d’innovation d’abord ? Notamment pour assurer la sécurité alimentaire mondiale en France et dans le monde ?
Il y a deux sujets dans cette notion de sécurité alimentaire, l’alimentation humaine et animale.
Avec la perspective des 9 milliards d’habitants attendus en 2030, nous avons besoin globalement de plus de protéines animales et végétales pour pouvoir fournir une nourriture en quantité suffisante afin de pouvoir alimenter le monde. Ce besoin d’augmentation de quantités de protéines au niveau mondial correspond à la première transition nutritionnelle.
La France importe des tourteaux de soja d’Amérique latine. Nous avons la volonté d’avoir plus de protéines végétales produites sur le sol français et donc de développer les surfaces de culture de plantes oléoprotéagineuses et protéagineuses. L’objectif est d’être moins dépendants de ces importations et ainsi de développement notre souveraineté alimentaire.
La deuxième transition nutritionnelle correspond au rééquilibrage protéines animales et végétales dans l’assiette du consommateur, aussi bien en Europe, aux Etats-Unis qu’en Asie du Sud. On constate que le marché des protéines végétales pour la nutrition humaine est en croissance de plus de 15 % par an. C’est vraiment un marché naissant, qui va croître en complémentarité avec celui de la viande. Il ne représente encore en France que 2kg par an/habitant alors que la consommation en France est de l’ordre de 75 kg de viande/ par an/ habitant. Mais c’est un secteur en pleine croissance. D’autant que les protéines végétales, génèrent des co-produits qui peuvent être utilisés pour la nutrition animale.
Vous êtes président de la commission Bioéconomie de France AgriMer ? Pouvez-vous nous expliquer ?
FranceAgriMer est un Etablissement public sous tutelle du Ministère de l’Agriculture, dont les missions sont d’éclairer, d’orienter et d’accompagner les filières agricoles, agroalimentaires et de la pêche. Il assure la gestion de dispositifs de soutiens financiers, tant communautaires que nationaux, ainsi que la mise en œuvre, pour partie, du volet agricole du plan de relance. FranceAgriMer organise également la concertation au sein des filières au travers d’instances dédiées, composées des différentes parties prenantes de ces filières et qui sont forces de proposition vis-à-vis de l’Etat. Je préside la commission transverse sur la bioéconomie qui étudie tous les usages de la biomasse : nutrition, matériaux et molécules biosourcés, biocarburants, méthanisation agricole. Le pôle IAR est membre de cette CTI (Commission Thématique Interfilière) sur la bioéconomie dont je suis président depuis un an. Il y a quatre groupes de travail dans cette CTI : produits et ingrédients biosourcés, biocarburants, méthanisation agricole et agro-alimentaire, coproduits animaux,
Le plan de relance du gouvernement suite à la pandémie de Covid-19 comporte des mesures renforcées dans le domaine de la transition agricole ?
Ce plan sera mis en œuvre pour partie par FranceAgriMer, au travers de plusieurs dispositifs représentant un montant d’aide global de 467 M€ pour le secteur agricole. Ces dispositifs viseront à accompagner les entreprises agricoles et agroalimentaires, acteurs-clés des enjeux de souveraineté alimentaire, dans leurs démarches d’adaptation au changement climatique et d’approvisionnement des Français en produits sains, durables et locaux. Le plan de relance comporte un volet important lié au plan de restructuration de la filière protéines végétales.
Pour en revenir au pôle IAR, c’est un pôle de compétitivité en miroir avec la CTI d’AgriMer ?
Nous sommes le pôle de référence de la bioéconomie au niveau national, avec un ancrage particulier dans les Hauts-de-France et le Grand Est. IAR est impliqué dans l’élaboration et la mise en œuvre des stratégies de ces deux régions, mais aussi dans la stratégie nationale de bioéconomie et dans son plan d’action, aux côtés du Ministère de l’Agriculture. IAR organise et nourrit la réflexion sur les besoins, les opportunités et les innovations dans cinq domaines d’activité stratégiques de la bioéconomie : les bioressources ; l’alimentation humaine et animale ; la chimie des ressources renouvelables et biotechnologies industrielles ; les matériaux biosourcés ; les bioénergies ; les procédés et technologies.
La bioéconomie est une économie circulaire par nature. La biomasse est renouvelable. Biodégradation des plastiques, alimentaire, biocarburant : tous ces aspects visent à une diminution de notre empreinte carbone. La bioéconomie est un moyen pour décarboner la France. Nous sommes forts d’une équipe opérationnelle qualifiée, d’une trentaine de personnes. Nous participons à des programmes européens du PPP Bio Based Industry. Tous les leaders de la bioéconomie sont présents au sein de l’écosystème IAR. Notre objectif est de démontrer la place prépondérante que doit avoir la bioéconomie pour avoir une économie plus verte et plus durable. A la fois une réponse au changement climatique et au nouvelles attentes des consommateurs au niveau alimentaire.
En France, vous signalez que le chiffre d’affaires du secteur de la Chimie du Végétal est de 200 Mds d’euros ; en Europe, il est de 2400 milliards d’euros. Il va falloir du personnel qualifié pour répondre à la forte croissance de ce secteur industriel. Quelle importance le pôle IAR accorde-t-il à la formation ?
Nous avons bien sûr un volet de labellisation de formations. IAR Académy labellise des formations en bioéconomie au niveau des écoles, elle organise aussi des formations continues via des webinars. Sur les volets recherche/innovation/formation, je travaille en collaboration avec Christophe Clément, premier vice-président du pôle IAR et vice-président de l’Université de Reims Champagne-Ardenne. IAR est également étroitement associé au Campus des métiers de la bioéconomie de Reims (URCA) et Amiens (UPJV) ainsi qu’au Campus d’Excellence de l’Université de Reims (URCA).
Il y a aussi le CEBB dans la région Grand Est ?
Le Centre européen pour la biotechnologie et la bioéconomie, CEBB – Accueil (cebb-innovation.eu) a vocation à développer la valorisation des bioressources ainsi que les co-produits des bioraffineries et industries agro-alimentaires. La présence du CEBB à Pomacle-Bazancourt donne une idée de l’importance accordée à la recherche académique et à son transfert vers le tissu économique du territoire.
Comment voyez-vous l’évolution du secteur d’ici 5 ans ?
Au niveau alimentation, le végétal au centre de l’assiette. En France, en tant que président de Protéines France, nous accompagnerons l’Etat et son futur Plan Protéines avec détermination. Nous allons participer à leur plan Protéines végétales. On doit pousser la France pour prendre une place de leader sur le marché mondial et européen des protéines. Au niveau régional, la bioéconomie va créer des emplois ruraux non délocalisables, en particulier dans les régions Hauts-de-France et Grand Est.
Il y a une volonté, et c’est le sens de l’histoire, de verdir l’économie. La porte d’entrée sera le bénéfice santé que peut apporter une alimentation végétale. 40 % des jeunes sont « flexitariens », ce qui signifie qu’ils mangent des protéines végétales 2 à 3 fois par semaine.
Comment abordez-vous la question de l’acceptabilité de ces nouvelles formes d’alimentation à base de protéines issues de végétaux, de microalgues ou d’insectes ? Intervenez-vous dans la formulation des aliments avec le pôle Vitagora ?
Le pôle IAR a un partenariat avec le pôle Vitagora dijonnais, qui est davantage spécialisé dans la formulation des aliments, en effet. En tant que Roquette, nous faisons partie des deux pôles. En tant que président de Protéines France, nous traitons la question de ces différentes sources de protéines, en lien avec les pôles de compétitivité actifs sur ce sujet. Les membres de Protéines France sont des industriels et des coopératives agricoles qui représentent toute la chaîne de valeur de la fourche à la fourchette.
Sur l’aspect formulation et acceptabilité, il reste encore des axes de travail sur les aspects nutritionnels et organoleptiques des aliments, pour trouver des recettes, des produits. Les produits s’améliorent…