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Interview

La filière bioproduction française ambitionne de se poser en leader européen des biothérapies

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Interview de Laurent Lafferère, directeur de France Biolead

France Biolead a organisé la première édition de la Journée Nationale de la Bioproduction de Biomédicaments le 5 juillet dans plusieurs régions françaises. Avec pour objectif de faire connaître la filière Bioproduction en Santé au plus grand nombre. Et de se positionner en leader européen. L’agilité requise alors que le monde est en évolution très rapide passe par la dimension territoriale et la formation.

 

Quelle est la particularité de cet événement par rapport à ceux qui existent déjà?

Il y a des événements sur la bioproduction depuis 9 ans : l’un organisé par Medicen et Polepharma tous les deux ans tantôt à Paris, tantôt à Tours.  Un autre congrès organisé par l’association MabDesign est prévu à Lyon les 25 et 26 septembre sur les process industriels. Sur l’ensemble de ces évènements, nous regroupons déjà nombre d’acteurs. Là, il s’agissait d’une journée nationale dont l’objectif n’était pas de concentrer tout le monde mais de montrer que les régions sont proactives. C’est un moment où l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur ont pu se rencontrer : CDMO, start-ups, grands groupes, universités, instituts de recherche etc… Nous voulions montrer que nous avons des forces dans tous les territoires. Le Genopole est l’un des acteurs en région Ile-de-France. Il y a eu également des initiatives comme un Village de la bioproduction à Tours en Centre Val-de-Loire, et d’autres événements à Nantes, dans le grand Est. Au total, 11 régions étaient représentées.

La bioproduction et les biothérapies sont un des axes de la stratégie d’accélération en santé du gouvernement ?

La stratégie d’accélération est pilotée par l’AIS (Agence Innovation Santé) dans ses 4 axes : maladies émergentes, santé numérique, dispositifs médicaux, et enfin bioproduction-biothérapies. Cette dernière a bénéficié de 800 millions d’euros. Je collabore avec l’AIS, en particulier avec la responsable de la stratégie d’accélération au sein de l’agence, Anne Jouvenceau (Inserm, Genopole). C’est une collaboration quotidienne : nous regardons toutes ces technologies. L’axe est appliqué en bioproduction- Biothérapies  mais quand il y a des questions sur les maladies émergentes, bien sûr, nous y participons aussi.

Cette journée du 5 juillet était un évènement territorial ?

Nous voulions montrer quels sont les acteurs dans les territoires. Les régions se sont mobilisées, la Nouvelle Aquitaine, l’Occitanie, l’Ile de France, en tout 11 régions ont participé. Cela fait 8 mois que les acteurs le sont. En Occitanie, les industriels, les universités, se sont réunis pour organiser des visites de site, idem en Nouvelle Aquitaine. En Centre-Val de Loire, Gensensor a accueilli 60 étudiants lors de la visite de sites et des master class sur les métiers de la bioproduction. Il y a eu par exemple, des animations telles que des Serious Game et des Speed dating.

Ce premier évènement a connu un vif succès au point que nous avons été sollicités les deux dernières semaines précédentes par des acteurs qui souhaitaient participer et proposer des actions. Ils sont déjà sur les starting blocks pour l’année prochaine.

La raison d’être de cette journée était de montrer l’attractivité de la filière et c’est un pari réussi. Montrer que la bioproduction est un maillon essentiel de notre santé d’aujourd’hui et de demain. Durant cette journée de la bioproduction de biomédicaments, nous voulions faire de la pédagogie : quelles sont nos  industries, quels sont les enjeux, les métiers, les compétences à déployer ?  Quels sont les métiers qui existent pour rejoindre la filière de bioproduction ? Il s’agit de développer des biomédicaments qui vont encore plus soigner demain.

Des biomédicaments qui vont se développer d’ici 5 à 10 ans. Et qui pourront profiter à ces étudiants et à leur famille ?

 Il faut aussi montrer que ces biomédicaments sont produits à un coût qui soit soutenable. Aujourd’hui, ils sont excessivement chers, 500 000 euros pour les CAR-T,  2 millions d’euros (M€) pour une Thérapie Génique ou une Thérapie Cellulaire. Or, avec une injection vous êtes guéri ! C’est pour ça que ce sont des médicaments révolutionnaires. C’est complexe. Et donc ça a un coût. Il faut aussi débloquer des technologies pour mieux maîtriser les coûts. Des sondes nouvelle génération sont là pour indiquer la vitesse à laquelle il faut piloter un bioréacteur pour s’assurer qu’on reste dans le bon timing des conditions de fabrication : bonne quantité, bonne qualité. Il est crucial de s’assurer qu’on ne va pas jeter un lot qui coûte 2 M€ !

Ces nouvelles sondes qui vont permettre  d’augmenter les rendements ont été développées dans le cadre d’un consortium regroupant plusieurs acteurs : Calypso, Sanofi, Capgemini, Ypso Facto. Rappelons que le président de France Biolead, Jacques Volkmann, est aussi le directeur R&D de Sanofi France.

Pour piloter les process de bioproduction, il faut de l’IA et des données de bonne qualité. On peut utiliser de la donnée pour optimiser le pilotage, encore faut-il s’assurer que l’on a la donnée la plus fiable possible. D’où la nécessité d’avoir ces sondes.

Il existe à ce jour 330 à 350 formations à ces technologies de bioproduction dans toute la France (BTS, IUT, université, écoles d’ingénieurs). En collaboration avec le LEEM, vous recensez les besoins de formation pour que cette filière puisse répondre aux enjeux de croissance ?

Nous avons développé un groupe de travail sur l’attractivité de la filière Bioproduction de biomédicaments dans le cadre du comité stratégique de filière des « Industries et technologies de santé » qui regroupe des ministères (éducation, recherche et enseignement supérieur, éducation, économie, travail), France Travail,  des universités, des centres de formation initiale et continue, des biotechs, des industriels,  des équipementiers.  C’est toute la chaîne de valeur qui s’est réunie autour de l’attractivité pour regarder quels sont les outils qui existent, ensuite affiner la demande des outils qui n’existent pas encore, à partir de besoins exprimés par des industriels. Avec un maximum de réalisme et de pragmatisme. Et en amont, il faut s’assurer que ces formations seront remplies parce qu’on aura donné le goût et l’envie de rejoindre cette filière à des jeunes.

Vous avez évoqué des outils de simulation et affiché votre ambition de développer les formations en misant sur l’apprentissage ?

C’est ce qu’on appelle de la réalité virtuelle. Immersio propose des programmes de formation avec des outils de réalité virtuelle (serious game développé par l’ENSTBB- Bordeaux INP). C’est extraordinaire. Vous pouvez anticiper quand vous avez les plans de l’usine et faire travailler les gens sur des équipements qui y seront installés. Anticiper, gagner du temps, c’est le maître mot.

Comme pour les pilotes, auxquels on ne peut mettre un Airbus entre les mains sans avoir fait des exercices de simulation, de la même manière, on ne va pas mettre un bioréacteur entre les mains des futurs techniciens de bioproduction alors qu’il y en a pour 2 M€ de produits. C’est la raison pour laquelle on va former autant que possible les techniciens à l’utilisation d’outils de purification, notamment, en les préparant de manière virtuelle à de telles manipulations dans un environnement de bioproduction. Cet outil comporte divers modules qui simulent parfaitement tous les métiers de la bioproduction.

C’est un point d’attractivité pour les jeunes qui peuvent ainsi se mettre en situation ?

C’est très intéressant pour les techniciens mais c’est aussi ludique. Cela permet d’apprendre avec moins de pression parce qu’en réalité virtuelle on peut le faire sans que ça porte à conséquence : ce cycle d’essai-erreur est vertueux.  On est formé, on peut ensuite aller sur le terrain avec l’assurance de faire les choses à moindre risque en déployant tout son talent.

Cette journée était donc destinée à faire de la pédagogie, et montrer les enjeux de notre industrie, les acteurs de notre écosystème sur notre territoire, les métiers et formations du secteur.

Beaucoup d’industriels investissent-ils dans la bioproduction ?

Oui, et je suis heureux de voir cette dynamique qui a démarré depuis 5 ans à peu près. On a vu ces trois dernières années une augmentation des investissements, qui atteint un montant de l’ordre de 2 milliards d’euros : 150 M€ sur le site d’Evotech à Toulouse, Merck 60 M€, Novartis 150 M€ à Huningue, LFB, 20 M€ à Alès, Sanofi sur le site Neuville sur Saône, 900 M€. L’ensemble des investissements s’élève à  2 Mds €. Sanofi vient d’annoncer un investissement de 1 Md€ sur le site de Vitry pour fabriquer des anticorps monoclonaux. Ce sont des engagements forts venant de la part de groupes internationaux comme Sanofi dont le marché principal n’est pas en France, même s’ils y ont leur siège social.

Vous notez qu’il y a moins d’essais cliniques en phase 2 et 3 en France. Jusque-là on parlait surtout des difficultés d’accès en phase 1 en France.

Ce qu’il faut retenir sur la partie clinique : il faut que l’on soit capable en France d’être encore plus compétitifs sur les essais cliniques. De cette manière, on renforcera aussi la bioproduction. L’Espagne s’est positionnée sur les essais cliniques de Phase 2/3. Cette stratégie leur permet  de prodiguer ces médicaments innovants plus rapidement à leurs patients.

Les CDMOs peuvent faire des lots pour les tests des essais cliniques. Ils sont là pour accompagner tout le développement de ces biomédicaments. Au niveau de France Biolead, nous pouvons citer Clean Biologics qui regroupe différentes filiales et qui a été aidé par l’Etat pour son site de Herblain. Ils ont un nouveau site dans les Pays-de-la-Loire. GTP Bioways a été soutenu également pour développer son site depuis Toulouse. Idem pour Merck, le LFB, Yposkezi (avec des actionnaires coréens).

Les CDMOs ont en France la taille de PME alors qu’ils sont presque des ETI dans les pays comme l’Allemagne par exemple qui ont une tradition industrielle plus importante que la nôtre.

Trouver le fil pour les rendre visible, c’est ce que l’on souhaite, et dans le même temps conserver l’agilité, notamment en direction  des biotechs. En effet, si vous leur expliquez que vous ne pourrez pas faire leur produit avant un an parce que vous avez trop de commandes, cela ne serait pas opérationnel. Il faut réussir à trouver le juste milieu entre la taille et l’agilité à conserver.

Une autre difficulté que vous avez pointé, ce sont les réglementations ?

C’est le président Jacques Volkmann qui a souligné cela. Tout le monde en est conscient et travaille sur le sujet. Avec l’Agence Innovation Santé (AIS), nous avons fait remonter les problèmes en apportant des réponses adaptées aux intérêts communs. Dans le cas des microorganismes et toxines, la réglementation en France est bien plus stricte qu’en Europe. Résultat : nous perdons en compétitivité.

Nous parlions des CDMO précédemment. Quelqu’un qui fait de l’analyse des produits, s’il y a des clients étrangers qui veulent faire cette analyse de ces biomédicaments auprès d’un CDMO français, ils doivent monter des dossiers qui seront inspectés par l’ANSM sur la réglementation MOT, ça prend 6 mois. Le même client qui pose la question à un client étranger, ça prend 15 jours.

Quand on construit une réglementation, il faut la construire avec des gens qui vont l’appliquer pour s’assurer que ce soit possible et non pas au détriment de la compétitivité des chercheurs et des entreprises.

L’objectif de France 2030, c’était 20 biomédicaments sur le marché en 2030.

C’est un objectif de l’Etat, France Biolead n’est pas l’Etat, on ne peut pas faire de commentaire sur cet objectif, et l’Etat est en période de réserve. France Biolead contribue à cet indicateur. Nous sommes en confiance sur le sujet, comme l’a dit Jacques Volkmann

Chez France Biolead, vous voyez passer un nombre de projets importants ?

Le portefeuille de biomédicaments en France est  le second portefeuille de développement de biomédicaments  en Europe, le premier étant au Royaume-Uni.

Votre président rappelait en ouverture qu’aujourd’hui plus de la moitié des médicaments développés étaient des biomédicaments.

En 2019, on parlait de 45%  et aujourd’hui on en est à 59 % des produits en développement qui sont des biomédicaments. La taille du marché en 2020 était  estimée à 300 Mds$ avec une forte croissance en perspective, soit 600 Mds$ en 2030, c’est un marché qui a doublé en dix ans. Il faut tenir compte qu’on est sur des temps longs, il faut 10 ans pour développer un biomédicament.

D’où cette importance de montrer l’attractivité de la filière, parce que nous avons besoin de 10 000 emplois d’ici 2030.

C’est ce qui avait été estimé. Nous sommes en train de réévaluer ces chiffres-là compte tenu de la croissance du marché.

 

Propos recueillis par Thérèse Bouveret