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La Loi de Moore va bientôt atteindre ses limites… La SPINTRONIQUE se prépare à prendre la relève

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En partenariat avec RT Flash 

Edito du Sénateur honoraire,  René Trégouët

Vendredi, 28/11/2014

Les performances de nos ordinateurs ne cessent de s’améliorer grâce aux extraordinaires progrès réalisés au cours des dernières décennies dans les domaines de la physique, de l’électronique et des logiciels. Si nous disposons aujourd’hui d’ordinateurs, de portables, tablettes ou smartphone aussi rapides et polyvalents c’est en grande partie parce que les scientifiques et les ingénieurs ont su développer et produire en très grande série des microprocesseurs toujours plus puissants.

Depuis le premier microprocesseur commercialisé par Intel, les avancées de la miniaturisation ont permis de passer de 2000 transistors à plusieurs milliards sur une seule puce et depuis un demi-siècle, la fameuse loi de Gordon Moore, qui prévoyait en 1965 que le nombre de transistors intégrés sur un composant doublerait tous les 18 mois, a globalement été respectée. Mais cette « descente » vers l’infiniment petit n’est pas éternelle ! Elle va se heurter d’ici quelques années à de redoutables limites dictées par les lois de la physique. De 22 nanomètres aujourd’hui, la gravure des puces électroniques devrait descendre à 14 nanomètres en 2016 et atteindre finalement 5 nanomètres vers 2020, soit l’équivalent d’à peine une cinquantaine d’atomes mis bout à bout !

Robert Colwell, qui a été pendant 10 ans, l’architecte en chef des microprocesseurs chez Intel a d’ailleurs récemment déclaré qu’il était persuadé que la loi de Moore ne pourrait plus s’appliquer au-delà de 2020. Colwell souligne que cette limite technologique risque d’avoir des conséquences tout à fait considérables sur le plan économique et industriel.

« Alors qu’ils avaient l’habitude d’acquérir tous les deux ans des microprocesseurs deux fois plus puissants, nos clients auront-ils envie d’acheter des puces qui n’offriront qu’un gain de puissance de 10 à 20 % par rapport à la génération précédente ? » souligne-t-il. Mais une autre question tout aussi importante se pose, l’industrie électronique aura-t-elle les moyens de continuer à investir toujours plus d’argent pour produire ces puces du futur? Aujourd’hui, il faut dépenser au moins 5 milliards de dollars pour construire une usine de production de microprocesseurs. Mais dans cinq ans il faudra doubler cette mise et investir au moins 10 milliards de dollars pour réaliser la même unité de production.

Les géants de l’informatique et de l’électronique sont bien conscients de ce défi technologique et ont commencé depuis plusieurs années à explorer de nouvelles voies pour préparer l’après silicium qui permettrait de concevoir et réaliser des ordinateurs toujours plus puissants. Paradoxalement, les lois de la physique quantique, après avoir été considérées comme un obstacle à la poursuite de la miniaturisation en électronique, pourraient permettre, si les scientifiques parviennent à les utiliser judicieusement, une rupture technologique majeure : la spintronique.

Cette nouvelle discipline, à la frontière de la science fondamentale et de la physique appliquée, est née en 1988 avec la découverte par deux équipes de recherche indépendantes, dont celle du Français Albert Fert, d’un effet de physique fondamentale surprenant, la magnétorésistance géante (GMR) qui montre que l’aimantation de certains métaux modifie la circulation des électrons, en fonction de leur “spin”, ou moment magnétique.

Tout le génie d’Albert Fert fut alors d’arriver à mettre au point, entre 1985 et 1997, des couches composites et ultrafines de matériaux ferromagnétiques permettant de passer à la production industrielle de disques durs de grande capacité utilisant cette propriété physique étrange, le Spin. Finalement, c’est IBM qui commercialisera, en 1997, le premier disque dur à haute densité utilisant la GMR. Quant à Albert Fert, il fut récompensé par le Nobel de physique en 2007 et poursuit aujourd’hui ses recherches au sein de l’Université Paris-Sud, dans l’Unité Mixte de Physique CNRS/Thales qu’il dirige.

Aujourd’hui, la spintronique ne cesse de se développer et d’explorer de nouvelles voies. Par exemple, le transfert de spin, qui permet de modifier l’aimantation d’un matériau ferromagnétique sans appliquer de champ magnétique mais seulement par transfert du moment angulaire du spin depuis un courant.

Fin 2012, une nouvelle étape fondamentale a été franchie par des chercheurs du CEA, du CNRS, de Thales, de Crocus Technology et de l’Université Joseph Fournier (Grenoble) qui ont réussi à faire circuler un courant de spins dans une mince couche de germanium, ce qui a eu pour effet d’aimanter ce matériau. Ici, l’innovation tient dans la technique utilisée pour aimanter le germanium. Jusqu’à présent, aimanter un semi-conducteur consistait à appliquer un courant électrique à partir d’un matériau lui-même aimanté. Mais ces recherches ont montré qu’il était possible de générer un courant de spins, à la manière d’un courant d’électrons, en chauffant uniquement une partie du matériau.

Cette nouvelle approche permet d’envisager la circulation de données sous forme de spins dans des conditions compatibles avec une production industrielle de composants. Ces travaux devraient déboucher sur la mise au point de puces « spintroniques » à base de germanium capables de contenir des informations à la fois sous forme de charges électriques et d’orientation de spins.

À l’Institut UTINAM (Univers, Transport, Interfaces, Nanostructures, Atmosphère et environnement, Molécules) qui dépend du CNRS et de l’Université de Franche-Comté, l’équipe de David Viennot tente de faire passer les spins d’un état à l’autre sous l’influence d’un champ magnétique, afin qu’ils réalisent les calculs complexes assurant le traitement de l’information. L’idée de ces chercheurs est de concevoir des « portes logiques » correspondant à chacune des opérations de calcul, ce qui revient à identifier des paramètres spécifiques d’un champ magnétique sur les spins afin que ces derniers adoptent les comportements voulus.

En juin dernier, une autre avancée majeure a été réalisée par des chercheurs du CNRS, de l’Institut Nel et de l’Université de Strasbourg et du Karlsruhe Institute of Technology. Ceux-ci sont en effet parvenus à remplacer le champ magnétique, traditionnellement utilisé pour contrôler ce spin, par un champ électrique qui permet de faire basculer plus rapidement les spins nucléaires. En fait, ces chercheurs ont montré qu’il était possible, à l’aide d’un champ électrostatique, de modifier l’interaction magnétique entre les moments magnétiques des noyaux et les électrons, ce qui permet de faire basculer à volonté dans un sens ou un autre le spin de certains noyaux en y générant un champ magnétique.

Ces physiciens ont ensuite démontré la validité de cette nouvelle approche en utilisant un noyau de terbium (un élément qui appartient à la famille des terres rares), entouré par deux molécules de phtalocymine, ce qui aboutit à un nouveau type de transistor connecté à trois électrodes. Les chercheurs pensent que leur méthode est applicable à d’autres systèmes quantiques similaires et donc à d’autres collections de noyaux pouvant porter des qubits sous forme d’états de spin nucléaire. Il devrait donc être possible de développer de nouveaux types de circuits électroniques pour l’informatique quantique en suivant la voie qu’ils ont ouverte.

Une autre équipe de l’EPFL (Ecole Polytechnique de Lausanne), en collaboration avec l’Université de Paris-Sud et le Paul Scherrer Institut (PSI), ont découvert que certains matériaux isolants traditionnels ne sont pas altérés par la charge et s’avèrent ainsi être de parfaits conducteurs spintroniques (Voir Nature).

Ces travaux ont montré que le gaz électronique présent à la surface du titanate de strontium (SrTiO3) a un spin polarisé. Cela signifie qu’il peut être utilisé pour contrôler le spin des électrons. « C’est la première fois que nous avons la preuve d’un important effet de polarisation du spin sur un substrat véritablement isolant », explique le chercheur Hugo Dil qui précise que ces avancées pourraient avoir des applications très concrètes en améliorant sensiblement l’écriture de mémoires magnétiques (MRAM) ou encore en facilitant la génération d’ondes hyperfréquence dans le domaine des télécommunications.

Il y a quelques semaines, une autre équipe associant des chercheurs des universités de Toronto et du Maryland ont démontré que des interactions entre des particules mènent spontanément à un état qui permet la manipulation électrique du spin dans certains appareils (Voir Nature).

En travaillant sur un modèle théorique des gaz ultrafroids, ces chercheurs ont observé que les atomes peuvent se trouver dans l’un de deux états : spin-up ou spin-down. Les interactions entre ces atomes peuvent mener ceux-ci à former spontanément un certain type de configuration magnétique et leur mode de circulation peut alors être modulé dans un champ électrique externe. L’utilisation de cette propriété, appelée effet Hall de spin, pourrait aboutir à une utilisation électrique du spin de l’électron pour réaliser des calculs informatiques.

Mais la spintronique n’est pas seulement en train de bouleverser l’électronique, l’informatique et les télécommunications, elle pourrait également demain révolutionner d’autres domaines tout aussi stratégiques, comme celui de l’énergie. Au début de l’année, une équipe européenne regroupant des chercheurs du CNRS et l’Université de Saragosse en Espagne, a ainsi démontré qu’il était possible de produire et de détecter un courant « polarisé » en spin, sans recours à un matériau ferromagnétique ou un champ magnétique.

Pour réaliser cet exploit, ces chercheurs ont utilisé l’effet Rashba à l’interface entre deux métaux non magnétiques. Ce mécanisme fondamental pourrait permettre non seulement de manipuler électriquement une aimantation en spintronique mais aussi de récupérer de la chaleur pour la convertir en électricité.

Il faut enfin évoquer l’apport majeur que représentent les travaux du Professeur Stuart Parkin qui travaille au centre de recherche d’IBM à Almaden, en Californie. Récompensé il y a quelques mois par le prestigieux Prix de la Technologie décerné par l’Académie de Technologie de Finlande, ce chercheur mondialement reconnu s’est appuyé sur les recherches d’Albert Fert en spintronique et a réussi en 20 ans à multiplier par 1000 la capacité de stockage des données.

Ce scientifique est ainsi parvenu à concevoir des disques durs capables de stocker 1000 Go, soit l’équivalent de 1400 films de cinéma. Comme le souligne Stuart Parkin, « Grâce à ce saut technologique, il est maintenant possible de stocker tout le savoir de l’humanité sur un mois de production de disques durs ».

Mais selon Parkin, ce n’est qu’un début et celui-ci affirme qu’il est possible de multiplier par au moins un million la performance d’écriture des puces mémoires, qu’il s’agisse de mémoires-flash ou de SSD. Pour parvenir à une telle prouesse, Parkin compte sur le développement d’une nouvelle famille de composants à piste magnétique qui pourront stocker l’information numérique en trois dimensions, dans une structure de nanofils.

A la lumière de ce rapide tour d’horizon de la spintronique et de ses récents développements, on voit donc que cette jeune discipline, qui n’a que 25 ans, a déjà profondément bouleversé les secteurs de l’électronique et de l’informatique et cette révolution ne fait que commencer ! Demain, la spintronique pourrait permettre de concevoir des composants, microprocesseurs, mémoires, capteurs d’une puissance dont on n’ose à peine rêver aujourd’hui, ce qui permettra non seulement d’accélérer l’avènement de l’internet des objets (200 milliards d’objets connectés dans 10 ans, contre 15 milliards aujourd’hui) mais également de booster le marché des semi-conducteurs qui a progressé de 5 % en 2013 pour atteindre 315 milliards de dollars (environ 240 milliards d’euros).

L’exemple de la spintronique est particulièrement révélateur d’un travers français et d’une erreur dramatique d’appréciation concernant la place de la recherche fondamentale dans notre Pays. Comme l’a souligné avec force Albert Fert, « Il faut laisser la recherche fondamentale se dérouler, les chercheurs suivre leurs idées, en zigzaguant, pour déboucher sur des découvertes et ensuite des applications ». Bien entendu, cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas mettre en place de nouvelles passerelles plus efficaces et plus puissantes entre le monde de la « science pure » et celui de la recherche appliquée et de l’industrie, de manière à accélérer la diffusion des grandes découvertes fondamentales dans l’économie et la vie quotidienne. A cet égard, les exemples américains, japonais ou indiens peuvent nous inspirer. Mais la recherche fondamentale obéit à un temps long et ne peut se concevoir que dans une forme de liberté et de créativité « buissonnante » qui permette aux chercheurs de laisser libre cours à leurs idées, fussent-elles les plus iconoclastes et d’être assurés de pouvoir travailler dans la durée en disposant toujours de moyens suffisants.

La France, comme elle a su le faire après-guerre, sous l’impulsion décisive du Général de Gaulle, doit réinvestir massivement dans la recherche fondamentale à très long terme, 20 ou 30 ans, pour se donner les moyens de préparer les grandes innovations de rupture qui viendront transformer nos économies et nos sociétés à l’horizon 2050. C’est en sachant regarder cet horizon lointain que nous pourrons rester dans le peloton de tête des nations qui découvrent, innovent et ouvrent les chemins de l’avenir.

René TRÉGOUËT

Sénateur Honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

http://www.rtflash.fr/loi-moore-va-bientot-atteindre-ses-limites-spintronique-se-prepare-prendre-releve/article