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La Pollution et le cerveau humain : un grand débat doit s’ouvrir !

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Edito du Sénateur René Trégouët,  RT Flash le 19 décembre 2014

En 2005, une solide étude épidémiologique britannique dirigée par le Professeur George Knox (Université de Birmingham) et publiée dans la revue médicale britannique « Journal of Epidemiology and Community Health », avait fait grand bruit, en établissant un lien de causalité entre le risque de cancer chez l’enfant et le niveau d’exposition à la pollution atmosphérique environnante (Voir Journal of Epidemiology & Community Health).

En analysant et en recoupant les lieux de résidence de plus de 12 000 enfants décédés de leucémie ou de cancer entre 1953 et 1980 en Grande-Bretagne, ces recherches avaient montré que les enfants vivant à moins d’un kilomètre d’une source importante de pollution (gares routières, centres de transports, hôpitaux,) avaient un risque accru de mourir d’un cancer. Ce risque pouvait être multiplié par 12 pour les enfants qui avaient durablement vécu à moins de 500 mètres d’un lieu de fortes émissions de certains composés organiques volatils (COV) issus des carburants.

Une étude publiée en septembre 2004 dans la revue Occupational and Environmental Medicine et réalisée par des chercheurs de l’INSERM dans quatre villes françaises (Nancy, Lille, Lyon et Paris) émettait déjà l’hypothèse que vivre près d’un garage ou une station-service pourrait quadrupler le risque de leucémie infantile.

Depuis ces études, les recherches se sont accumulées partout dans le monde et finalement le Centre International de Recherche sur le Cancer de Lyon a fini par reconnaître officiellement en octobre 2013 (Voir IARC) que la pollution de l’air constituait un facteur cancérigène intrinsèque.

Mais il y a quelques jours, ce débat grandissant sur l’impact de l’environnement en matière de santé a pris une nouvelle dimension avec la publication d’une vaste étude américaine conduite par des chercheurs de l’Université Columbia, qui montre que les enfants exposés in utero à des niveaux élevés de deux phtalates présenteraient en moyenne un quotient intellectuel (QI) inférieur de plus de six points à celui d’enfants moins exposés (Voir PLOS One).

Les phtalates sont des composants présents dans de nombreux produits courants : objets en PVC, textiles imperméables, cuirs synthétiques, rouges à lèvres, shampooings. Bien que ces substances soient en partie interdites en Europe comme aux Etats-Unis, elles demeurent présentes dans certains dispositifs médicaux et il faudra attendre juillet 2015 pour que la France devienne le premier pays à interdire le matériel contenant des phtalates dans les services de néonatalogie, pédiatrie et les maternités.

L’étude américaine a porté sur 328 femmes dont l’urine a été analysée au cours du troisième trimestre de grossesse pour y mesurer la concentration de quatre phtalates. Les tests de QI ont été réalisés auprès de leurs enfants à l’âge de sept ans. Les chercheurs ont découvert que, pour le premier quartile des enfants dont les taux de DnBP et DiBP étaient les plus élevés, le QI était respectivement de 6,6 et 7,6 points inférieur à celui du quartile des enfants dont la mère présentait la concentration la plus basse de ces deux phtalates. Selon Robin Whyatt, qui a dirigé l’étude, « L’ampleur de ces différences de QI est troublante. Une baisse de six ou sept points pourrait avoir des conséquences substantielles sur la réussite scolaire et le potentiel professionnel de ces enfants. »

Cette étude vient relancer un débat bien plus vaste et complexe qui est celui de l’impact à long terme de certaines substances chimiques présentes dans notre environnement, non seulement sur notre santé physique mais également sur le fonctionnement de notre cerveau, nos capacités cognitives et les risques de troubles mentaux et psychiatriques.

A cet égard, l’exemple que représente la très forte progression de l’incidence de l’autisme dans le monde représente un véritable défi pour la communauté scientifique. En effet, selon les dernières données publiées par le Centre Américain de contrôle et de Prévention des Maladies (CDC), l’autisme concernerait à présent un enfant sur 68 aux Etats-Unis, soit une augmentation de l’incidence de 30 % en seulement deux ans. Cette incidence globale des troubles autistiques aurait doublé depuis 10 ans et aurait été multipliée par plus de 20 depuis 30 ans, sans qu’il soit possible de fournir une explication scientifique satisfaisante à cette fulgurante progression.

La Haute autorité médicale américaine souligne par ailleurs que d’autres troubles neuro-comportementaux ont également progressé fortement aux Etats-Unis au cours de ces dernières années. Par exemple, le taux d’enfants souffrant d’hyperactivité et de troubles de l’attention est passé de 7,8 % des enfants entre 4 et 17 ans en 2003 à 11 % en 2011. Le CDC précise que globalement, un enfant américain sur six est à présent affecté par un trouble du développement ou une pathologie psychiatrique.

Selon la chercheuse Barbara Demeneix, directrice du département Régulations, développement et diversité moléculaire du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), cette progression anormalement rapide de l’incidence des troubles neurocomportementaux serait essentiellement due à une exposition prolongée de la population générale à certaines pollutions chimiques diffuses.

Cette scientifique souligne, non sans arguments, que l’augmentation très forte de la fréquence de l’autisme est très difficilement imputable à la seule génétique et aux progrès en matière de diagnostic et ne peut être expliquée qu’en intégrant les effets des facteurs environnementaux. Barbara Demeneix souligne d’ailleurs qu’il est peu probable que l’augmentation de fréquence de l’autisme relève d’un biais de mesure car le niveau d’incidence en fonction du sexe reste constant et les garçons sont toujours cinq fois plus touchés que les filles.

Selon cette scientifique, l’augmentation forte et globale de l’incidence des troubles du développement pourrait être liée aux effets néfastes de plusieurs molécules de synthèse capables de modifier le fonctionnement de la glande thyroïde et de perturber les hormones thyroïdiennes qui jouent un rôle important dans l’expression des gènes à l’origine de certaines structures cérébrales comme l’hippocampe. Certaines de ces substances, et notamment certains composés chlorés, certaines dioxines, le bisphénol A, certains perfluorés et certains solvants pourraient altérer le comportement ou les capacités cognitives des enfants exposés in utero, ou aux premiers âges de la vie.

L’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), en charge d’établir les protocoles de test des substances chimiques mises sur le marché, prend très au sérieux ce nouveau défi de santé publique et vient de se prononcer pour le développement urgent de nouveaux tests capables de mieux identifier les molécules interférant avec la thyroïde.

Cette question est d’autant plus importante qu’elle ne concerne pas seulement un possible déclin du niveau intellectuel pour les prochaines générations mais touche également à la santé globale. « Les épidémiologistes remarquent depuis longtemps que les personnes qui ont un quotient intellectuel élevé vivent plus longtemps, même lorsqu’on corrige des effets liés à la classe sociale », précise à cet égard Barbara Demeneix.

Rappelons qu’au cours de ces dernières années, plusieurs études (dont nous nous sommes fait l’écho dans notre lettre) ont montré de manière convergente le rôle probable de la pollution en matière de troubles du développement. En décembre 2012, une étude publiée dans la revue de référence « Archives of General Psychiatry » avait déjà montré que l’exposition in utero à la pollution de la circulation multiplie le risque d’autisme par 2 et, et par 3 durant la première année de vie de l’enfant. Dans ce travail, l’équipe du professeur Volk a travaillé sur 279 enfants atteints d’autisme et 245 enfants-témoins, indemnes de ce trouble. En analysant les lieux de résidence des mères et de leurs enfants, les chercheurs sont parvenus à estimer l’exposition à la pollution pour chaque trimestre de la grossesse et pendant la première année de vie. Ce travail a montré que les enfants qui avaient vécu dans un environnement plus exposé à la pollution atmosphérique liée à la circulation, avaient sensiblement plus de risques de développer un trouble autistique.

En 2013, une autre équipe de recherche américaine, de la faculté de santé publique d’ Harvard, a également travaillé sur les liens possibles entre l’exposition à la pollution et le risque d’autisme. Ces chercheurs ont analysé des données médicales concernant 116 000 femmes suivies pendant plus de 20 ans. Ils ont également passé au crible la qualité de l’air et son évolution dans différents lieux des naissances, tout en intégrant dans leur étude d’autres facteurs environnementaux, comme le tabagisme et le niveau socioprofessionnel des parents (Voir Environmental Health Perspectives).

Ce travail publié en août 2013 a finalement montré que dans les zones plus polluées, le risque de développer des troubles autistiques était multiplié par deux par rapport aux lieux de vie les moins exposés à la pollution. Il semblerait, selon ces travaux, qu’une exposition prolongée à une trop forte concentration de particules fines, notamment émises par les véhicules diesel ou la combustion de bois, pourrait avoir des effets irréversibles sur le développement des fonctions cérébrales des enfants.

Une autre étude américaine publiée en octobre 2014 montre également que les enfants atteints de troubles autistiques sont plus susceptibles que les autres d’avoir été exposés à certains polluants atmosphériques pendant la grossesse et pendant leurs deux premières années de vie (Voir MNT).

Dans ce travail, Evelyn Talbott de l’Université de Pittsburgh a étudié 217 familles dont les enfants étaient atteints d’autisme. Elle a comparé leur exposition et celles de deux populations tests à plus de 30 polluants connus pour causer des perturbations endocriniennes ou des problèmes de développement neurologique. Résultat : les enfants qui avaient été exposés à des niveaux plus élevés de chrome et de styrène (utilisés dans la fabrication des plastiques et également issus de la combustion de l’essence des voitures) étaient 1,4 à 2 fois plus susceptibles que les autres de souffrir d’autisme.

S’agissant à présent de l’impact global de la pollution sur la santé, l’Inserm a réalisé, sur plus de trois millions d’enfants suivis pendant 20 ans, un remarquable travail de recherche qui a montré que l’exposition à une forte pollution altérait le système immunitaire des fœtus pendant la grossesse de la mère (Voir EHP).

Publiée en 2009, cette étude menée sur 280 femmes enceintes indique que leur exposition aux polluants atmosphériques, notamment ceux issus de la combustion (trafic routier, chauffage), pourrait nuire à la croissance du fœtus. Cette étude dirigée par Remy Slama était d’autant plus intéressante qu’elle a pu prendre en compte, grâce une méthodologie particulière, l’exposition des femmes à la pollution extérieure mais également intérieure.

Même en prenant en compte l’effet des facteurs déjà connus, cette étude a montré que l’exposition aux polluants de l’air est associée à une diminution du poids de l’enfant à la naissance ainsi qu’à une diminution de son périmètre crânien dès la fin du deuxième trimestre de grossesse.

La Commission européenne a lancé récemment une consultation publique sur les perturbateurs endocriniens, qui s’achèvera le 16 janvier 2015. L’objectif de cette campagne est de mieux prévenir les effets néfastes, à présent avérés, de ces perturbateurs endocriniens. La consultation européenne porte sur l’adoption de critères de définition de ces substances, que l’industrie souhaite très souples, alors que les associations espèrent qu’ils permettront leur interdiction définitive.

Cette pollution biochimique diffuse aurait également un coût économique considérable pour la collectivité : selon une étude, menée dans les pays scandinaves, le seul effet des perturbateurs endocriniens sur les troubles masculins de l’appareil reproductif s’élèveraient pour l’UE jusqu’à 1,2 milliard d’euros par année d’exposition. L’étude de HEAL estime pour sa part que le coût pour l’ensemble des maladies liées aux perturbateurs endocriniens s’élève à 31 milliards d’euros par an.

Bien sûr, il faut se garder de céder au catastrophisme ; il n’est pas envisageable d’interdire immédiatement la production et l’utilisation de la totalité des composants et substances chimiques qui pourraient, à un niveau ou à un autre, avoir un impact sur notre santé physique ou mentale. En effet, l’application d’un tel principe de précaution élargie conduirait à interdire préventivement plusieurs centaines, voire des milliers de substances dont certaines ne sont pas substituables à leurs usages dans l’état actuel de nos connaissances scientifiques et techniques. Le coût économique mais également social d’une telle interdiction élargie serait considérable et sans doute disproportionné par rapport aux objectifs de santé publique poursuivis.

Néanmoins, nous ne pouvons pas ne pas prendre en compte l’ensemble de ces travaux et études scientifiques récentes concernant l’impact néfaste sur notre santé de certains types de substances chimiques présents dans notre environnement. Il est donc absolument capital et urgent, comme le propose d’ailleurs l’OCDE et l’Union Européenne et comme le préconise également un nombre croissant de scientifiques, de développer et de mettre en place de nouveaux outils et de nouvelles procédures d’analyse biologique et chimique qui permettent de mieux évaluer les effets à long terme d’une exposition de longue durée à certains types de molécules chimiques, même lorsque cette exposition se fait à des niveaux très faibles qui étaient considérés jusqu’à présent comme inoffensifs.

Dans cet enjeu de santé publique tout à fait majeur, il est néanmoins très important de ne pas dresser les différents acteurs les uns contre les autres dans un affrontement stérile. Nous devons au contraire parvenir à instaurer des processus de coopération et de concertation raisonnables, évaluables et transparents sur le plan démocratique qui associent les industriels – dont l’intérêt bien compris est de pouvoir garantir aux consommateurs la qualité et l’innocuité de leurs produits – , la communauté scientifique, les associations et bien entendu des responsables politiques qui ont la responsabilité irremplaçable de définir le cadre législatif et réglementaire dans ce domaine.

C’est en construisant et en développant ce nouveau processus collectif de concertation, d’information et d’évaluation que notre société parviendra à concilier la nécessité du développement économique et technologique et les impératifs liés à la prévention médicale et à l’indispensable protection de notre santé et de notre qualité de vie.

René TRÉGOUËT

Sénateur Honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

http://www.rtflash.fr/pollution-et-cerveau-humain-grand-debat-doit-s-ouvrir/article