Medtech
Santé humaine
Édito
La réalité augmentée va révolutionner la chirurgie et l'accès au soin
En partenariat avec RTFlash, Edito du Sénateur René Trégouët
L’apparition de la chirurgie, cette activité qui consiste à intervenir directement sur le corps humain, pour essayer de traiter différentes pathologies, lésions ou traumatismes, se perd dans la nuit des temps et fut pratiquée, de manière plus ou moins empirique, dans toutes les civilisations depuis la plus haute Antiquité.
Comme en atteste le fameux papyrus Ebers, rédigé au XVIème siècle avant notre ère, les Égyptiens avaient notamment atteint un niveau tout à fait remarquable dans la pratique chirurgicale et pratiquaient de multiples interventions, dont certaines assez complexes, réduction de fracture, trépanation, ablation de tumeur, à l’aide de toute une panoplie d’instruments techniques conçus spécialement à cet effet.
Il fallut toutefois attendre la Renaissance pour que la chirurgie devienne une pratique véritablement codifiée et scientifique, dégagée des pratiques magiques et ésotériques. Il y a plus de quatre siècles et demi, en 1552, le célèbre Ambroise Paré, chirurgien du roi, expérimentait la ligature artérielle lors de l’amputation. En 1564, ce pionnier publiait les « Dix livres sur la chirurgie » dans lesquels on trouvait, pour la première fois le mot « Bistouri » : la chirurgie moderne était née.
Presque trois siècles plus tard, en 1846, l’Américain William Thomas Green Morton utilise pour la première fois l’éther chez l’homme dans une intervention chirurgicale : c’est la naissance de l’anesthésie qui constitue une nouvelle révolution médicale.
En 1865, l’anglais Joseph Lister, ami et admirateur de Pasteur, utilise pour la première fois des compresses d’acide phénique pour stériliser les plaies de plusieurs de ses patients victimes de fractures multiples : c’est la naissance de l’aseptise chirurgicale qui fait considérablement baisser le nombre de décès post-opératoires. Le 23 décembre 1954, le Docteur Joseph Murray réussit à Boston la première greffe d’organe de l’histoire de la médecine et le 3 décembre 1967, Christiaan Barnard, chirurgien cardiaque au Cap en Afrique du Sud, réalise la première greffe du cœur sur un être humain.
En 1984, des chirurgiens canadiens utilisent pour la première fois un robot lors d’une opération de chirurgie ; mais c’est seulement au début de ce siècle que le 7 septembre 2001 se déroula l’opération Lindbergh, la première opération de télé-chirurgie réalisée, avec succès, par l’équipe chirurgicale de Jacques Marescaux située à New York, sur une patiente se trouvant à Strasbourg. L’ère de la chirurgie numérique commençait vraiment.
Mais depuis un an, parallèlement à la révolution numérique et robotique en cours, un autre saut technologique tout à fait majeur est en train de bouleverser la chirurgie : la réalité virtuelle. Le 5 décembre dernier, pour la première fois au monde, des chirurgiens ont réalisé, à l’hôpital Avicenne de Bobigny, une pose de prothèse d’épaule à l’aide de lunettes de réalité augmentée, avec une assistance vidéo internationale. Cette chirurgie effectuée à l’aide d’un casque Hololens de réalité augmentée a permis au Docteur Thomas Grégory, chef de service de chirurgie orthopédique et traumatique de l’hôpital Avicenne, de voir “à travers la peau de sa patiente” avant de réaliser cette intervention, des modèles en 3D, de clichés d’imagerie, réalisés plus tôt sur la patiente, âgée de 80 ans.
Cette opération hors norme a été réalisée de manière collaborative, en interaction avec quatre chirurgiens de Corée du Sud, des États-Unis et de Grande-Bretagne, qui pouvaient conseiller le chirurgien tout au long de l’intervention. Selon Thomas Grégory, “C’est la première fois au monde qu’une utilisation aussi complète des aspects immersifs et collaboratifs de ce dispositif de réalité mixte est faite dans un bloc opératoire tout en conservant une qualité d’images holographiques optimale.
Le Docteur Gregory souligne que cette nouvelle technologie permet d’atteindre une précision impossible à obtenir sans les lunettes. Il ajoute que ce saut technologique va faire rapidement passer la chirurgie du stade artisanal au stade collaboratif car il permet au chirurgien de disposer en temps réel de toutes les informations possibles qui lui permettent de standardiser et sécuriser l’opération chirurgicale.
Une deuxième avancée majeure a été réalisée le 7 novembre dernier à Montpellier, dans le service de neurochirurgie du Docteur Nicolas Lonjon à l’hôpital Gui de Chauliac. Dans cet établissement de pointe, un interne équipé de lunettes de “réalité mixte” et d’un tutoriel immersif a pratiqué sur un patient une ostéosynthèse rachidienne, une chirurgie ouverte de la colonne vertébrale.
La réalité mixte est l’une des déclinaisons possibles du concept de réalité augmentée. Elle permet l’intégration, en plus d’images vidéo et de données, d’objets 3D. Dans le cas présent, ce dispositif d’apprentissage innovant testé par le Docteur Nicolas Lonjon a été développé à des fins pédagogiques par le Docteur Maxime Ros à l’hôpital Gui de Chauliac, avec des lunettes de réalité mixte Hololens et à l’aide d’un “tutoriel immersif” de Revinax.
Concrètement, lorsque l’utilisateur chausse ses lunettes de réalité virtuelle, il se retrouve complètement immergé dans un autre univers qui représente un espace d’apprentissage. Lorsqu’il baisse les yeux, il voit naturellement le patient, les instruments et peut opérer en toute liberté. Lorsqu’il lève la tête, il se retrouve plongé dans le tutoriel immersif enregistré lors d’une opération analogue. Il peut ainsi accéder à toutes les étapes qui ont été préalablement filmées pour vérifier sa technique et consulter toute l’imagerie du patient qu’il est en train d’opérer.
Grâce à ce nouveau système d’apprentissage immersif en 3D, le Docteur Betto, jeune médecin en neurochirurgie, a pu réaliser, dans des conditions très proches d’une intervention réelle, une chirurgie d’ostéosynthèse rachidienne. Cette opération complexe nécessite de fixer entre elles plusieurs vertèbres à l’aide de tiges métalliques pour les stabiliser. Pour apprendre à réaliser correctement cette intervention très technique, Revinax a intégré dans son tutoriel tous les éléments (images vidéo de l’opération similaire et objets 3D) qui constituent la réalité mixte. Cela a permis au Docteur Betto de voir simultanément, tout au long de cette opération virtuelle, la vidéo montrant la technique opératoire de son senior, le scanner du patient qu’il est en train d’opérer, et la reconstruction anatomique 3D de la zone opératoire.
Une troisième avancée, également française, a été réalisée en première mondiale au CHU d’Angers il y a un an. Il s’agit d’une intervention qui a consisté à enlever une tumeur du cerveau difficile d’accès à un patient, éveillé, qui a été équipé de lunettes 3D de réalité virtuelle Oculus. Concrètement, grâce à une application informatique, des points lumineux que le patient suit et signale permettent au chirurgien d’être guidé dans son intervention. Le neurochirurgien peut ainsi localiser, et donc épargner, les connexions cérébrales des nerfs optiques. Cette intervention s’inscrit dans le cadre du projet de recherche CERVO qui vise à développer un dispositif de réalité virtuelle, avec applications logicielles et matérielles, adapté à une utilisation au bloc opératoire de neurochirurgie. A l’aide de ce système, une application informatique est projetée dans les lunettes 3D de réalité virtuelle du neurochirurgien, qui peut alors interagir en temps réel avec le patient, tenir compte des sensations exprimées par celui-ci et éviter d’altérer des zones cérébrales sensibles.
Plusieurs gastro-entérologues français expérimentent également les possibilités presque infinies de la réalité augmentée dans le domaine de la chirurgie. Patrick Pessaux, chirurgien hépato-bilio-pancréatique au CHU de Strasbourg, est l’un des pionniers de cette « chirurgie augmentée ». Depuis trois ans, dans son CHU de Strasbourg, où il pilote le service hépato-bilio-pancréatique, 150 opérations chirurgicales ont été réalisées à l’aide de la réalité augmentée, principalement sur le foie puis au niveau du bassin (pelvis, rectum). Concrètement, ce chirurgien utilise un dispositif qui permet de superposer des logiciels informatiques de reconstruction en 3D de l’organe à opérer, des images issues des scanners ou IRM du patient et des vidéos chirurgicales réelles. « Il s’agit d’une avancée décisive pour intervenir sur un organe comme le foie qui est opaque ; jusqu’à présent, nous devions localiser la tumeur en palpant à la main le foie après avoir effectué la coelioscopie. », précise Patrick Pessaux.
Pendant toute l’opération, le chirurgien peut avoir recours à la réalité augmentée pour guider ses gestes et choisir la stratégie opératoire la plus adaptée aux caractéristiques personnelles du patient et de sa pathologie. A Strasbourg, le Docteur Pessaux dispose par exemple de repères très précis sur la localisation et la taille de la tumeur. Mais Patrick Pessaux tient à insister sur le fait qu’« en aucun cas la 3D ne se substitue à la pratique du professionnel. La réalité augmentée ne fait qu’assister le praticien en temps réel pour affiner son geste ». Selon ce chirurgien « high tech », « Dans 5 ou 6 ans, la simulation des opérations et la navigation au bloc opératoire deviendra notre quotidien et on se demandera alors comment on pouvait opérer sans images 3D ni réalité augmentée ».
Mais si la réalité virtuelle peut se mettre au service des chirurgiens, elle peut également changer la vie des malades, comme le montre une remarquable expérimentation réalisée au Centre anti cancer Léon Bérard de Lyon. Dans le service de chirurgie de ce Centre réputé, les patients peuvent en effet bénéficier d’un nouveau dispositif destiné à les relaxer avant leur intervention chirurgicale. Mis au point par des psychologues du célèbre Institut de lutte contre le cancer Anderson de Houston au Texas, ce système utilise un casque de réalité virtuelle qui permet aux patients de réaliser une plongée sous-marine virtuelle de 20 minutes. Cette immersion, c’est le cas de le dire, est extrêmement réaliste car elle utilise des images haute définition en 3D et la projection panoramique. Entre mai 2016 et mai 2017, plus de 500 patients ont expérimenté ce dispositif et tous ont indiqué que leur anxiété avait diminué de plus de 50 % sur l’échelle d’évaluation qui leur était proposée.
En Grande Bretagne, la réalité virtuelle commence également à être utilisée pour améliorer et étendre l’apprentissage des gestes chirurgicaux très techniques. Le 14 avril 2016, le spécialiste en chirurgie colorectale Shafi Ahmed, chirurgien au Royal London Hospital, a ainsi réalisé, grâce à une caméra positionnée au-dessus d’une table d’opération et filmant à 360 degrés, une chirurgie sur un patient atteint d’un cancer du côlon qui a été retransmise en direct sur le web. Pour la première fois, des milliers d’étudiants en médecine disséminés aux quatre coins du monde ont pu se retrouver en immersion complète dans un bloc opératoire, grâce aux différents types de données visuelles proposés. Pour Shafi Ahmed, cette diffusion permet de « lutter contre les inégalités mondiales en matière de pratique chirurgicale » et offre la possibilité aux stagiaires et chirurgiens d’observer l’opération à distance.
Dans un futur proche, la combinaison de la réalité virtuelle et de la téléchirurgie robotisée pourrait bouleverser l’accès aux soins techniques et la pratique médicale et chirurgicale en découplant physiquement le praticien et le malade. L’entreprise suédoise de télécommunications Ericsson en a fait récemment la démonstration, à l’occasion du “5G NOW! Industry Summit” qui réunissait récemment députés européens, experts et journalistes à Bruxelles.
Au cours de cette expérimentation, ingénieurs et chirurgiens ont montré qu’il était possible de réaliser, en temps réel, une intervention chirurgicale à l’aide d’un robot piloté à des milliers de km de distance. Lorsque le chirurgien se saisit d’un bistouri, son avatar robotique, installé ex-situ exécute instantanément le même geste. Ce système permet même au chirurgien de ressentir, par retour haptique, des sensations de toucher proches d’une intervention réelle. Cette prouesse est à présent possible grâce aux progrès de la robotique, mais également grâce à une connexion Internet 5G ultra-rapide, qui peut transmettre en seulement quelques millisecondes les instructions numériques du praticien au robot (Voir L’Echo).
Selon les opérateurs réunis lors du dernier Mobile World Congress à Barcelone, cette téléchirurgie robotisée devrait connaître un développement rapide, car elle répond à la fois à un immense besoin médical et à une nécessité économique, celle de proposer au plus grand nombre des services médicaux de plus en plus techniques pour un coût diminué. « En associant les applications de communications avancées, la réalité virtuelle, l’intelligence artificielle et la téléchirurgie, les chirurgiens pourront demain réaliser des interventions sûres à des milliers de kilomètres de distance », souligne Totkam Mahmoodi, expert en télécommunications du King’s College de Londres.
On peut en effet imaginer l’implantation rapide, dans des zones difficiles d’accès, dans les pays en voie de développement, ou encore dans des régions touchées par une catastrophe naturelle ou un conflit, de centres mobiles de téléchirurgie robotisée qui permettrait de constituer dans un délai très bref un dossier médical virtuel du patient à opérer, puis de convertir ces informations sous forme de réalité virtuelle sur laquelle la téléchirurgie ou la télémédecine pourrait venir intervenir avec une grande précision et une grande efficacité. A plus long terme, on peut même imaginer des robots autonomes et mobiles, capables de réaliser à distance, de manière très sûre, examens médicaux et interventions chirurgicales, sous le contrôle de médecins et praticiens humains.
On imagine sans peine les impacts considérables que vont avoir, au cours des vingt prochaines années, ces révolutions technologiques en cours, tant sur le plan médical que social et économique. Nous devons cependant rester particulièrement vigilants et veiller à ce que ces extraordinaires outils scientifiques et techniques qui émergent soient conçus et utilisés pour le bénéfice du plus grand nombre et dans le respect de la dignité des malades. N’oublions jamais que la technologie, aussi puissante soit-elle, n’est jamais une fin en soi, mais un moyen qui doit toujours être utilisée avec humanité et au service de l’Humanité !
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat