Les dommages causés par la COVID-19 au niveau des plus petits vaisseaux sanguins des poumons ont été rendus visibles grâce aux rayons X émis par la nouvelle source de rayonnement synchrotron, ESRF-EBS.
Une équipe scientifique internationale dirigée par UCL (University College London) et l’ESRF, a utilisé une technologie d’imagerie révolutionnaire appelée HiP-CT (Hierarchical Phase-Contrast Tomography), pour scanner des organes complets, dont les poumons, de personnes ayant fait don de leur corps à la science et de victimes de la COVID-19.
La technique HiP-CT permet une cartographie en 3 dimension, avec la capacité d’imager l’ensemble de l’organe, puis de zoomer jusqu’au niveau cellulaire, permettant de voir les organes humains comme jamais auparavant.
En utilisant cette technique, l’équipe scientifique, qui associe des médecins, a pu observer que, dans les cas graves, l’infection par le SARS-COV2 peut entraîner le développement de nouveaux vaisseaux qui crée un mélange du sang des deux systèmes vasculaires normalement indépendants dans les poumons : une
modification de l’organisation vasculaire qui avait été supposée, mais jamais observé directement.
L’image montre les résultats obtenus par la technique développée à l’ESRF pour imager en 3D, au niveau vasculaire, le système vasculaire complexe du poumon d’un homme de 54 ans, victime de la COVID-19. (Crédit P.Tafforeau/ESRF)
La technique HiP-CT a pu être développée grâce aux propriétés uniques des rayons X produits par le nouveau synchrotron ESRF-EBS mis en service le 25 août 2020. Il fournit désormais la source de rayons X la plus brillante au monde, 100 milliards de fois plus
lumineuse qu’une radiographie d’hôpital. Grâce à ces performances, les chercheurs peuvent observer des vaisseaux sanguins de cinq microns de diamètre (un dixième du diamètre d’un cheveu) en zoomant dans un poumon humain entier. Par comparaison, une tomodensitométrie clinique ne peut observer que les vaisseaux sanguins d’environ 1 mm de diamètre, c’est-à-dire 100 fois plus gros.
Comme l’explique Claire Walsh, scientifique à UCL Mechanical Engineering : « La capacité de voir l’intérieur des organes à detelles échelles est vraiment révolutionnaire pour l’imagerie biomédicale. Alors que nous commençons à relier nos images HiP-CT aux images cliniques via des techniques d’intelligence artificielle, nous allons pouvoir – pour la première fois – valider avec une grande précision les résultats ambigus des images cliniques. Cette technique est très prometteuse pour comprendre l’anatomie humaine. C’est enthousiasmant d’être capable de voir de minuscules structures d’organes en 3D dans leur contexte et c’est essentiel pour comprendre comment notre corps est structuré et comment il fonctionne. »
En utilisant cette technique HiP-CT, l’équipe scientifique, qui associe des médecins en France et en Allemagne, a pu observer que, dans les cas graves, l’infection par le SARS-COV2 peut entraîner le développement de nouveaux vaisseaux qui crée un mélange du sang des deux systèmes vasculaires normalement indépendants dans les poumons : les vaisseaux qui oxygènent le sang au niveau des alvéoles pulmonaires et ceux qui alimentent le tissu pulmonaire lui-même. Une telle modification de l’organisation vasculaire empêche le sang du patient d’être correctement oxygéné. Cela avait été précédemment supposé sur la base d’observations cliniques, mais jamais observé directement.
Comme l’explique Maximilian Ackermann MD, médecin du Centre médical universitaire de Mayence en Allemagne, et utilisateur de cette nouvelle technique : « Peu de temps après le début de la pandémie mondiale, nous avons démontré que la COVID-19 était une maladie vasculaire systémique en utilisant des méthodes moléculaires et histopathologiques (imagerie des tissus au microscope optique). Cependant, ces techniques n’étaient pas suffisantes pour démontrer l’étendue des changements et de la coagulation dans les vaisseaux sanguins fins sur l’ensemble du poumon. »
Et Danny Jonigk, professeur de pathologie thoracique à l’école médicale de Hanovre en Allemagne d’ajouter : « En combinant nos méthodes moléculaires avec l’imagerie multi-échelle HiP-CT développée à l’ESRF pour étudier les poumons touchés par la pneumonie COVID-19, nous avons pu acquérir une nouvelle compréhension du phénomène de court-circuit qui se produit dans les poumons affectés par la COVID-19, entre les vaisseaux des deux systèmes vasculaires du poumon, et aussi de l’impact qu’il a sur le taux d’oxygène dans notre système circulatoire. »
Comme le souligne Paul Tafforeau, scientifique en charge du projet à l’ESRF : « L’idée de développer cette nouvelle technique HiP-CT est venue au début de la pandémie, de la combinaison de plusieurs techniques qui étaient utilisées à l’ESRF pour l’imagerie des grands fossiles. En utilisant la sensibilité accrue permise par la nouvelle source de rayonnement synchrotron, ESRF-EBS, nous avons pu voir en 3D des structures extrêmement petites au sein d’un organe humain complet, c’est-à-dire voir les plus petits capillaires, et même observer certaines cellules au sein d’un organe complet. Nous n’en sommes qu’au début de ce projet. Très rapidement nous allons pouvoir utiliser une nouvelle ligne de lumière qui nous permettra d’augmenter encore la sensibilité, tout en allant beaucoup plus vite.»
L’utilisation de la technique HiP-CT pour créer un Atlas des organes humains Avec le soutien de la fondation Chan Zuckerberg Initiative (CZI), l’équipe scientifique utilise la technique HiP-CT pour produire un Atlas des organes humains. Celui-ci va
concerner au départ sept organes : un cerveau, deux poumons (dont un provenant d’un patient atteint de la COVID-19), un cœur, deux reins et une rate. Cet atlas va se développer au fur et à mesure de l’avancée des expériences. Les données seront
disponibles en ligne pour les scientifiques et les personnes intéressées par ce type de recherche.
Comme l’explique Peter Lee, Professeur en charge du projet à l’université UCL, Mechanical Engineering, Londres : «L’Atlas couvre une dimension peu explorée dans notre compréhension de l’anatomie humaine, qui est l’échelle du centimètre au micromètre dans des organes complets. Les scanners médicaux et IRM cliniques qui permettent aux médecins d’observer notre corpspeuvent aller jusqu’à un peu moins d’un millimètre, tandis que l’histologie (étude des cellules au microscope sur des coupes fines), la microscopie électronique (qui utilise un faisceau d’électrons pour générer des images) et d’autres techniques similaires révèlent des structures inférieures au micron mais uniquement sur de petites portions de tissus d’un organe. La technique HiP-CT couvre toutes ces échelles en imageant, en 3D, des organes entiers fournissant ainsi de nouvelles informations sur notre constitution biologique. »
Une technique prometteuse pour la compréhension d’autres maladies et infections
Les chercheurs sont convaincus que cette technique d’imagerie multi-échelle, de l’organe entier jusqu’au niveau cellulaire, pourrait fournir des informations essentielles pour de nombreuses maladies telles que le cancer ou la maladie d’Alzheimer.
Comme le déclare le médecin Willi Wagner, radiologue à l’hôpital universitaire de Heidelberg, Allemagne : « Cette technique de HiP-CT comble une vaste lacune en matière d’imagerie en médecine humaine : l’imagerie clinique fournit des données 3D du corps et des organes, mais est limitée à une échelle assez grossière; l’histopathologie, quant à elle, fournit des images détaillées de tissus et de cellules issues uniquement de petites parties d’organes. Elle est généralement limitée à un champ restreint et en deux dimensions. La technique HiP-CT relie l’organe à l’échelle tissulaire, reliant étroitement les disciplines cliniques de la radiologie et de la pathologie, en fournissant des données structurelles jamais vues auparavant sur l’architecture tissulaire 3D et les schémas pathologiques. »
A terme, les scientifiques espèrent que l’Atlas des organes humains contiendra une bibliothèque de diverses maladies qui affectent les organes, à différentes échelles, des organes entiers jusqu’au niveau micrométrique, afin de pouvoir aider les médecins à diagnostiquer et à traiter un large éventail de maladies. L’équipe espère également utiliser l’apprentissage automatique et l’intelligence artificielle afin d’utiliser les
données de HiP-CT pour calibrer et augmenter la résolution des scanners et IRM cliniques, améliorant ainsi la compréhension de l’imagerie médicale et permettant un diagnostic plus rapide et plus précis.
Note : Ces recherches ont été soutenues par la fondation Chan Zuckerberg Initiative, par l’ESRF, UK-MRC et la Royal Academy of Engineering. Un soutien supplémentaire a été fourni par le Centre allemand de recherche pulmonaire (DZL, BREATH), l’ERC, le registre allemand des autopsies COVID-19 (DeRegCOVID), l’INSERM, l’Université de Grenoble Alpes, Kidney Research UK, Rosetrees Trust, le Wellcome Trust, GOSH et le registre allemand des autopsies COVID-19.
DOI de la publication ‘Multiscale three-dimensional imaging of intact human organs down to the cellular scale using hierarchical phase-contrast tomography’ in Nature: 10.1038/s41592-021-01317-x C. Walsh, P. Tafforeau, W. L. Wagner, D. J. Jafree, A. Belier, C. Werlein, M. P. Kühnel, E.Boller, S. Walker-Samuel, J.L. Robertus, D.A. Long, J. Jacob, S. Marussi, E. Brown, N.Holroyd, D. D. Jonigk, M. Ackerman, P.D. Lee, ‘Multiscale three-dimensional imaging of intact human organs down to the cellular scale using hierarchical phase-contrast tomography’, sera publié dans la revue Nature Methods le jeudi 4 november 2021, 16:00 UK time (12:00 US Eastern Time) et est sous strict embargo. M. Ackerman, P. Tafforeau, W.L. Wagner, C. Walsh, C. Werlein, M. P. Kühnel, C. Disney, S.E. Verleden, P.D. Lee, S. J. Mentzer, D.D Jonigk,