En partenariat avec RTFlash Edito du Sénateur René Tregouët



edito_latlas_des_cellules_humaines_une_aventure_plus_vaste_que_la_cartographie_du_genomeEn 2003, alors qu’était publiée la première cartographie complète du génome humain après 13 ans de recherches, des scientifiques en Suède, appartenant à l’Institut Royal de Technologie de Stockholm et l’Université d’Uppsala, se sont lancés dans un  projet scientifique encore plus ambitieux qui consiste à cartographier chacune des protéines présentes dans le corps humain. Ce projet d’Atlas des protéines humaines devrait permettre un bond en avant sans précédent dans la compréhension des mécanismes du vivant et la mise au point de nouvelles thérapies bien plus efficaces pour combattre l’ensemble des maladies touchant l’être humain.

Les protéines, qui se comptent par dizaines de milliers, sont présentes dans les cellules humaines et impliquées dans les très nombreuses fonctions de notre organisme, tant chez les personne saines que malades. C’est pourquoi elles constituent des cibles essentielles pour de nombreuses molécules pharmaceutiques.

Expliquant l’importance de l’Atlas des protéines humaines, le Professeur Mathias Uhlen, fondateur du projet, a déclaré : « Les protéines sont les éléments constitutifs essentiels de la vie humaine. Elles gouvernent chacune des façons dont le corps grandit et se développe. Si nous pouvons identifier et comprendre correctement le comportement de chacune de ces 20 000 protéines, nous obtiendrons la clé qui nous permettra de comprendre comment et pourquoi les maladies se développent, ouvrant la marche pour un plus grand nombre de traitements efficaces et de meilleurs outils de diagnostic. »

Participant au vaste projet international de protéomique lancé en 2011 sur le modèle de celui qui existe en génomique, deux équipes ont publié en 2014 les premiers résultats de ce protéome humain. La première est dirigée par Akhilesh Pandey de la John Hopkins University, à Baltimore et la seconde par Bernhard Küster de l’Université technologique de Munich. Ces résultats intermédiaires portent sur 84 %des gènes humains, soit près de 18.000 (Voir Nature).

L’ensemble de ces chercheurs ont travaillé à partir d’échantillons de 17 tissus différents d’adultes, 7 tissus de fœtus et 6 cellules hématopoïétiques (celles qui génèrent les cellules sanguines). Il a ainsi été possible de corréler le protéome de chacun de ces tissus ou de ces types de cellules avec les gènes spécifiques qui s’y expriment. Ce cadre méthodologique rigoureux va permettre pour la première fois aux chercheurs de comparer le protéome presque complet d’un fœtus et d’un être humain adulte, ce qui devrait faire considérablement progresser la connaissance de l’embryogénèse et des mécanismes de développement des tissus et organes.

De la même manière que la cartographie complète du génome humain a été rendu possible par la mise au point de machines à séquencer et par l’analyse bio- informatique des morceaux du génome, cet atlas du protéome s’appuie principalement sur la combinaison de deux outils scientifiques : d’une part, la spectrométrie de masse et d’autre part le traitement informatique des données massives (big data).

La spectrométrie de masse permet d’identifier la structure et la composition de ces protéines et cette première étape a eu recours à plus de 100 millions de spectres de masses. L’équipe allemande précise que son dispositif informatique dispose d’une mémoire vive de 2 téraoctets (2 mille milliards d’octets), une capacité de stockage rendue nécessaire pour pouvoir analyser en temps réel chacun des 71 millions de peptides inventoriés et stockés sous forme numérique dans cette base de données.

La principale surprise de ces recherches a été sans conteste la découverte de 193 protéines qui sont liées à des séquences ADN dites « inutiles », car en principe  non codantes. “Le fait que 193 protéines proviennent de séquences ADN censées être non codantes signifie que nous ne comprenons pas complètement comment les cellules lisent notre ADN, car ces séquences codent bel et bien les protéines” explique Akhilesh Pandey, professeur à la John Hopkins University, à Baltimore.

Cette découverte laisse entendre que le génome humain est loin d’avoir livré tous ses secrets et doit être bien plus complexe et subtil que prévu. Le protéome – l’ensemble des protéines d’un être humain – est bien plus vaste que le génome car de nombreux gènes peuvent coder pour plusieurs protéines. Cette publication est une étape majeure vers un atlas complet du protéome humain qui devra recenser l’ensemble des protéines correspondant aux 20.300 gènes codants chez l’homme.

En janvier 2015, (Voir Science), un article scientifique publié dans la revue Science a présenté la première analyse réalisée sur base du Human Protein Atlas, comprenant notamment un inventaire précis des nombreuses protéines impliquées dans les cancers, le nombre des protéines circulant dans le flux sanguin ainsi que les cibles de tous les médicaments commercialisés.

Dans le cadre des travaux menés par plusieurs laboratoires dans le monde collaborant à cet « Human Proteome Project » (Projet de Protéome Humain), il faut par ailleurs souligner que l’équipe espagnole du Docteur Fuentes (Institut de recherche sur le cancer de Salamanque) a découvert pas moins de 9 000 protéines jusque-là inconnues dans les lignées cellulaires de lymphomes (cancer du système lymphatique) à cellules B.

Pour la première fois, nous avons réussi à intégrer la relation entre les profils d’expression des protéines et les modèles d’expression génique“, explique le Docteur Fuentes, qui ajoute « On estime qu’une cellule est capable d’exprimer constitutivement la moitié de son génome“. Cette équipe va à présent tenter d’établir un vaste ensemble de cartes protéiques des différents stades de maturation de ces cellules pathologiques. L’objectif est de comprendre les mécanismes impliqués dans l’origine et le développement de plusieurs types de cancers.

En février 2015, une nouvelle étape majeure a été franchie avec la publication, au terme de dix ans d’efforts, de la première carte exhaustive de l’épigénome humain, c’est-à-dire de l’ensemble des modifications, sous l’effet de facteurs environnementaux (mode de vie, alimentation, pollution) concernant la régulation et l’expression de nos gènes (Voir Nature). Ce gigantesque inventaire regroupe l’épigénome de 111 types de cellules musculaires, cardiaques, hépatiques, dermatologiques et fœtales.

Dans le cadre de ces recherches, des chercheurs de la Harvard Medical School du Massachusetts ont notamment pu montrer que la signature génétique unique d’une cellule cancéreuse pouvait être utilisée pour identifier la cellule d’origine d’une tumeur. Cet inventaire concernant l’épigénétique confirme également que l’ « ADN-poubelle », qui constitue plus de 98 % de l’ensemble de notre ADN (le reste étant constitué par nos 20 000 gènes) joue sans doute un rôle bien plus important que prévu dans l’expression de nos gènes et les altérations ou mutations qui peuvent affecter notre génome et provoquer de multiples maladies.

Prolongeant et complétant ces initiatives et travaux portant sur l’exploration et le recensement complet du génome, de l’épigénome et du protéome, des chercheurs américains et britanniques veulent à présent aller encore plus loin. Ils ont lancé en octobre 2016, une initiative de longue haleine qui doit aboutir au recensement et à la description de toutes les cellules humaines dans un immense atlas qui devrait profondément bouleverser la compréhension du développement et du fonctionnement de notre organisme et la connaissance des causes multiples qui provoquent les maladies les plus fréquentes et les plus graves chez l’homme, à commencer bien sûr par les cancers, les maladies cardio-vasculaires et les maladies neurodégénératives.

Ce projet, qui ne devrait pas être achevé avant une dizaine d’années, est actuellement piloté par des chercheurs américains d’Harvard et du Massachusetts Institute of Technology MIT ainsi que du Sanger Institute and Wellcome Trust en Grande-Bretagne. Ce nouvel atlas vise à recenser les types et les priorités de toutes les cellules contenues dans tous les tissus et tous les organes humains afin d’établir une carte de référence d’un corps sain.

Bien que nos cellules constituent les unités fondamentales de notre organisme, on ne sait toujours pas combien de types de cellules différents sont présents dans notre corps (300 sont connus mais leur nombre réel est sans doute plus important) et quelles fonctions exactes remplissent ces différentes catégories de cellules.

C’est pourquoi il est si important de mieux comprendre la complexité globale et individuelle des 37 000 milliards de cellules environ qui constituent un être humain adulte. Comme le souligne l’une des deux co-directrices de ce projet hors-normes, Aviv Regev, du MIT (l’autre co-directrice est Sarah Teichmann du Wellcome Trust Sanger Institute), « Nous avons maintenant les outils pour comprendre de quoi nous sommes constitués, ce qui nous permet de comprendre comment notre corps fonctionne et de déterminer comment le dysfonctionnement de tous ces éléments se traduit par la maladie ».

Ce « Human Cell Atlas Project, en partie financé par la Chan Zuckerberg Initiative, regroupe, dans une première phase 38 projets pilotes, émanant de huit pays, dont la France. Ces différents projets se répartissent dans six catégories : cerveau, système immunitaire, manipulation et traitement des tissus, appareil gastro-intestinal, peau, et développement de technologies. « Le HCA fournira une base à la compréhension des processus biologiques humains fondamentaux » précise la feuille du route de ce projet qui, il est important de le souligner, proposera sa base de données en libre accès à tous les chercheurs et médecins du monde.

Si un tel projet est à présent réalisable dans un délai raisonnable, c’est parce que 3 technologies sont en train de converger pour rendre possible la cartographie de l’ensemble des cellules du corps humain. La première est la « microfluidique cellulaire » qui permet de séparer et de répertorier chaque cellule pour l’étudier. La seconde est le séquençage à très grande vitesse, qui permet de repérer en 24 heures les gènes actifs au sein de plus de 10 000 cellules, puis de les décoder. La troisième technologie concerne les nouveaux outils qui permettent de localiser et rattacher chaque type de cellule, en fonction de sa spécificité génétique, à un organe ou à un tissu humain.

Lorsque cet atlas des cellules humaines sera achevé, et je fais le pari qu’il le sera plus vite que prévu, compte tenu des avancées qui vont encore intervenir dans les domaines du séquençage, de la microfluidique, de la bioinformatique et de l’intelligence artificielle, la biologie et la médecine basculeront dans une nouvelle ère que nous avons encore de la peine à imaginer. Ce fabuleux atlas, articulé à ceux du génome, de l’épigénome et du protéome, qui ne cessent eux-aussi de s’enrichir, ouvrira en effet la voie à une médecine prédictive, proactive et totalement individualisée.

En s’appuyant sur ces ensembles de bases de données biologiques gigantesques et en les recoupant, grâce aux outils d’intelligence artificielle, avec les données spécifiques du patient, la médecine qui émergera vers 2030 pourra, non seulement prévenir de manière personnalisée un grand nombre de pathologies à l’aide de thérapies géniques d’une extrême précision, mais pourra également concevoir et produire des molécules et médicaments « à la carte », en fonction des caractéristiques biologiques et génétiques uniques de chaque malade. Cette médecine du futur pourra enfin évaluer pratiquement en temps réel l’efficacité thérapeutique des solutions proposées au patient et ajuster sans cesse ses traitements en fonction de la réponse observé e et de l’évolution de la maladie.

Il faudra cependant veiller avec la plus grande attention à ce que cette nouvelle médecine préventive, prédictive personnalisée et numérique soit accessible à tous et s’intègre dans une démarche humaniste et globale de respect et d’écoute du malade.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat