Pour Pascal Le Guyader, directeur des affaires industrielles, sociales et la formation du LEEM, l’industrie est en mesure de créer une filière française d’excellence sur les thérapies innovantes, mais cela nécessitera une politique coordonnée avec l’Etat au cours de la prochaine décennie.
AEC Partners vient de réaliser une « Cartographie de la bioproduction en France »* pour le LEEM. Quels en sont les principaux enseignements ?
L’étude d’AEC Partners vient compléter le benchmark européen réalisé par Roland Berger** fin 2017, en établissant une cartographie de notre savoir faire industriel et de nos capacités en production dans les biotechnologies. Notre territoire compte ainsi 32 sites de bioproduction représentant près de 8500 emplois directs, soit 19% des emplois du secteur de la production pharmaceutique. Plusieurs projets d’extension et de création de sites sont en cours avec un millier d’emplois à la clé dans les cinq prochaines années. Ce qu’il en ressort surtout est que la France dispose d’une expertise sur un large spectre de substances biologiques, allant des protéines recombinantes, aux vaccins et jusqu’aux thérapies innovantes, en particulier la thérapie cellulaire et la thérapie génique. L’idée forte est donc de valoriser ce savoir faire pour gagner des parts de marché à l’export et faire converger les investissements sur notre territoire, en attirant notamment les commandes de lots cliniques et commerciaux.
Comment fait-on concrètement pour y arriver ?
Notre stratégie industrielle comporte deux volets pour revaloriser la production pharmaceutique française, qui est passée en une décennie du premier au quatrième rang en Europe : il s’agit d’abord de maintenir les volumes existants en France, mais aussi d’aller en gagner d’autres sur les biomédicaments à l’export en sachant qu’à terme, il nous faudra conforter ces deux axes pour garantir l’indépendance sanitaire du pays et la croissance économique. Un autre enjeu est la mise en œuvre d’un processus de cross-fertilisation avec une production proche de la R&D, puisque nous sommes sur des thérapies vivantes. Pour valoriser nos atouts, la priorité est donnée à la mise en place d’une politique coordonnée avec l’Etat pour encourager et canaliser les synergies et, au delà, créer les conditions d’émergence de champions nationaux en bioproduction capables de produire pour compte de tiers des lots cliniques et commerciaux comme CELLforCURE et Ypsokesi. C’est la politique volontariste menée par l’Allemagne dans les années 2000 qui a abouti à rapatrier la production d’un certain nombre de médicaments. Un autre point important est de communiquer sur le savoir faire français au travers d’un guichet unique, Business France avec la marque French Healthcare par exemple, pour améliorer la visibilité à l’international et l’orientation des startups et investisseurs vers nos prestataires à haute valeur ajoutée.
En quoi le CSIS Santé cette année pourrait bien être le catalyseur de ces changements?
Le CSIS Santé doit être le lieu d’échange permettant de prioriser les actions à court, moyen et long terme pour atteindre nos objectifs. Nous pouvons faire en sorte que demain, la France soit repérée comme une terre d’excellence sur ces thérapies innovantes aujourd’hui captées par des pays voisins comme l’Allemagne et l’Italie. Sur 91 molécules chimiques et biologiques approuvées par l’EMA en 2017, 6 seulement sont fabriquées en France contre 15 en Allemagne. Notre objectif est de faire en sorte à l’avenir que les flux de génériques et biosimilaires soient produits en France. Avec l’étude de Roland Berger qui nous donne la direction à suivre et celle d’AEC Partners qui identifie nos capacités et les acteurs, nous avons toutes les cartes en main pour construire le plan d’action avec l’Etat pour les prochaines années. Nous sommes en mesure de poser les jalons d’une filière d’excellence en France en matière de thérapie génique et cellulaire, qui va de l’amont à l’aval, en commençant par la recherche, les études cliniques, la formation, la production et l’accès au marché.
Quels défis pose cette transformation industrielle en matière de formation?
La formation est un vecteur du sérieux et de l’excellence française. C’est pourquoi nous souhaiterions promouvoir une filière de formation unique pour la bioproduction afin d’éviter la dispersion de l’offre et le manque de visibilité. Un exemple : il est difficile pour GSK Biologicals à Saint-Amand-Les-Eaux (Hauts-de-France) de recruter car il n’est pas proche d’un centre de formation. La question se pose donc de centraliser la filière de formation sur un même bassin d’emploi avec un plateau technique et les meilleurs enseignants en recherche et industrie. C’est l’exemple du réseau de la Silicon Valley, aux Etats-Unis. L’industrie a un rôle à jouer dans la rationalisation de l’offre de formation avec l’Etat, même si la mise en œuvre semble pour l’instant compliquée en France.
Comment favoriser également l’ancrage territorial des start-ups?
La France compte de nombreux pôles de compétitivité dans les biotechnologies comme Atlanpole Biotherapies à Nantes, Alsace BioValley à Illkirch, Lyonbiopôle à Lyon, ou encore le Bio3 à Tours avec Polepharma et l’IMT. Aujourd’hui, Bpifrance, notre banque publique d’investissement, finance une offre biotech pérenne et prometteuse, mais n’agit pas encore dans le sens d’une stratégie de création de filière. Les transformations à l’oeuvre vont nous obliger à être plus directifs en matière de recherche et à poser les jalons d’une recherche d’excellence qui soit transverse et cross fertilisée sur un seul territoire.
Quels sont les autres ressorts autour desquels articuler le changement pour les entreprises de la biotech?
L’axe principal est de redonner confiance aux acteurs et que la France redevienne une terre attractive en matière d’investissements. Jusqu’ici les annonces d’Emmanuel Macron ont eu un effet bénéfique sur la compétitivité. Il est prévu de ramener l’IS à 25% d’ici 2022 avec, en parallèle, une simplification du régime des taxes, ce qui donne aussi de la visibilité aux industriels. Et ce trend, plutôt favorable, bénéficie à l’ensemble de l’industrie française. Pour les médicaments, cependant, il reste à corriger certains écueils mis en avant par l’étude Roland Berger. La priorité étant à l’avenir la réduction de la complexité et des délais réglementaires pour les variations de lots, les délais de mise sur le marché et l’obtention d’une AMM. Le délai réglementaire de mise sur le marché est de 180 jours en Europe, tandis que nous sommes à 454 jours en France, et que ce délai est nul en Allemagne. Nous comptons sur le CSIS pour transformer ces propositions en mesures tangibles nous permettant de réaliser les objectifs que nous partageons tous.
* « Cartographie de la bioproduction en France », AEC Partners, 17 janvier 2018
** « Benchmark européen des mesures d’attractivité de R&D et de production de médicaments à usage humain », Roland Berger, 20 septembre 2017
AMM en Europe : la France encore en retrait
Malgré les investissements menés sur son territoire, la France a encore des progrès à faire pour rejoindre le peloton de tête des pays ‘fabricant’ en Europe les nouveaux médicaments homologués par l’EMA. C’est ce que met en avant une nouvelle étude réalisée par les Entreprises du Médicament (Leem) sur « les sites européens référencés ‘fabricant’ pour la production de nouveaux médicaments » (mars 2018). L’étude a été menée sur les 91 médicaments ayant fait l’objet d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) en procédure centralisée par l’EMA en 2017, à savoir : 35 princeps chimiques, 19 génériques, 22 princeps biologiques et 15 « biosimilaires », ces copies de produits biologiques dont le marché est en pleine effervescence. Pour rappel, l’EMA a homologué 4 « biosimilaires » en 2016.
En nombre de sites ‘fabricant’ enregistrés par pays, les grands gagnants sur l’ensemble des segments sont : le Royaume-Uni (16), l’Allemagne (15), l’Irlande (12), l’Espagne (10), la Hongrie (9), la France (6) et l’Italie (6). Sur les 6 sites ‘fabricant’ référencés en France, 3 le sont pour des produits chimiques classiques. Le site de Chiesi à la Chaussée-Saint-Victor, près de Blois, est enregistré comme site ‘fabricant’ pour Trimbow®, Delpharm Evreux pour Cuprior® de GMPCOrphan, et Beaufour Ipsen Industrie à Dreux pour Xermelo®. Les 35 produits chimiques homologués par l’EMA sont d’abord fabriqués au Royaume-Uni (6), en Espagne (6), en Allemagne (5) et en Italie (4), avant la France (3) et l’Irlande (2).
Sur les 19 médicaments génériques, la France compte un site ‘fabricant’ pour Miglustat Gen.Orph® avec Delpharm Reims, et est devancée dans le classement par la Hongrie (7), l’Irlande (6), le Royaume-Uni (3), l’Allemagne (3) et l’Espagne (3).
Sur les 22 princeps biologiques, l’Allemagne sort en tête (5) suivi du Danemark (3) et du Royaume-Uni (3), avant la France (2), l’Irlande (2) et l’Italie (2). En Normandie, Sanofi Le Trait est le site ‘fabricant’ pour Kevzara® et Dupixent®.
Parmi les 15 « biosimilaires » homologués par l’EMA, aucun n’a de site ‘fabricant’ en France. Les sites de production sont actuellement basés au Royaume-Uni (4), en Autriche (3), en Irlande (2), en Allemagne (2), en Hongrie (2) et aux Pays-Bas (2). Cette nouvelle étude du Leem insiste sur l’enjeu d’adapter l’outil de production français aux enjeux de demain, en particulier pour capter la production de « biosimilaires » dont la demande va doubler dans les années à venir avec l’expiration de brevets importants.