Agro-environnement

Édito

Le monde végétal sait aussi apprendre!

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edito_le_monde_vegetal_sait_aussi_apprendreEn partenariat avec RTFLASH
Pendant très longtemps, la communauté scientifique a considéré que les plantes, si elles étaient certes capables de s’adapter à des modifications de leur environnement par les mécanismes de la sélection naturelle, étaient dépourvues, faute de système nerveux,  de la faculté d’apprentissage – telle que celle-ci est mise en œuvre chez les animaux et les êtres humains. Mais de récentes et passionnantes découvertes sont venues remettre en cause ce dogme, ouvrant un immense champ de recherche.

Pour se développer et survivre, des plantes savent utiliser de manière remarquable leurs racines, dont le réseau parfois extrêmement étendu leur permet d’aller chercher très loin l’eau et les nutriments dont elles ont besoin. En travaillant sur la plante Arabidopsis thaliana, des chercheurs du Laboratoire de biochimie et physiologie moléculaire des plantes de Montpellier et de l’Institut Jean-Pierre Bourgin (Inra/AgroParisTech/CNRS) ont identifié, fin 2016 un gène, baptisé HCR1, qui contrôle la perméabilité à l’eau des racines, en tenant compte de la teneur en potassium et en oxygène du sol.

Ce gène, au fonctionnement remarquable, permet aux plantes de réduire l’entrée d’eau dans les racines quand la concentration d’oxygène devient trop faible, mais seulement quand le sol est riche en potassium, un sel minéral indispensable à la croissance des plantes. La découverte de ce mécanisme d’équilibration entre le niveau d’oxygène, la teneur en minéraux et la perméabilité des racines est considérée comme majeure et devrait avoir de larges conséquences agronomiques en permettant la sélection d’espèces mieux adaptées à leur environnement.

Cette découverte vient également conforter, sur le plan génétique, l’hypothèse de Barbara Hohn, de l’Institut pour la recherche biomédicale Friedrich-Miescher (Basel, Suisse), qui avait montré, en 2006 que cette même plante (Arabidopsis thaliana) garde en “mémoire” la trace des menaces auxquelles elle doit soudainement faire face dans la nature. Encore plus étonnant, ces mêmes chercheurs ont montré que cette plante transmet à ses descendants ces capacités d’adaptation aux conditions nouvelles de son environnement.

Pour mettre en évidence cette propriété remarquable des plantes « d’inscription génétique » d’un brusque changement de leurs conditions de vie, ces scientifiques ont exposé des cultures d’Arabidopsis thaliana à différents types de stress (brusque augmentation du rayonnement ultraviolet et attaque bactérienne notamment). Ils ont alors eu la grande surprise de constater que les plantes déclenchaient très rapidement un processus particulièrement efficace de recombinaison de leurs gènes, leur permettant d’accroître leur diversité génétique et d’améliorer sensiblement leurs chances de survie dans ce nouvel environnement agressif. Ce réarrangement de leurs gènes a perduré au cours des quatre générations suivantes, même en l’absence d’exposition des descendants à ces facteurs de stress…

Fin 2016, Des chercheurs australiens ont confirmé cette étonnante capacité d’apprentissage des plantes (Voir Etude), en se livrant à une série d’expériences très ingénieuses. Ils ont placé de jeunes plants de pois dans un labyrinthe divisé en deux compartiments. Dans le premier, les chercheurs ont disposé une lampe  et un ventilateur du même côté. L’idée des scientifiques était d’associer le vent à la lumière et de faire en sorte que le vent soit considéré par ces plantes comme un événement prédictif annonçant la lumière.

Dans l’autre compartiment, la lumière a été placée à l’opposé du ventilateur. Dans cette situation, le vent a donc été utilisé de manière neutre car il n’est pas utile à la plante, même si celle-ci est tout à fait capable de le détecter. Une fois ce dispositif installé, les chercheurs ont voulu savoir si les plantes présentes dans ces deux compartiments pouvaient voir leur comportement conditionné par ces associations de stimuli. Ces scientifiques ont alors constaté qu’en supprimant la source lumineuse, 62 % des pois du premier compartiment ont poussé du côté du ventilateur, même quand la lumière avait été retirée. Dans le deuxième compartiment, les chercheurs ont observé que 69 % des plantes ont poussé du côté où se trouvait la lumière auparavant.

Les scientifiques ayant réalisé cette expérience très rigoureuse sont persuadés que ces observations montrent que les plantes sont bien capables d’échapper à une simple réaction par conditionnement et ont appris à associer les deux éléments, lumière et vent, pour choisir l’endroit qui leur semble le plus propice à leur développement…

Ce protocole expérimental montre également que les plantes savent anticiper l’arrivée de la lumière en poussant du côté où elles avaient bénéficié d’une exposition lumineuse au cours des jours précédents. Comme le soulignent les conclusions de cette passionnante étude, « Bien que la possibilité que les plantes puissent apprendre par association ait été envisagée dans des études antérieures, notre travail en fournit la première preuve sans équivoque ».

Autre observation également très intéressante : pour que ce mécanisme d’apprentissage puisse fonctionner, les expérimentations devaient respecter les rythmes circadiens de ces plantes. Cette faculté d’apprentissage serait donc soumise, comme chez les animaux et les êtres humains, à des contraintes métaboliques précises.

A l’issue de cette étude qui a fait grand bruit dans la communauté scientifique,  il faut bien admettre que les plantes étudiées ne semblent pas seulement répondre aux stimuli lumineux pour survivre. Leur comportement suggère en effet que ces plantes sont capables de faire de véritables choix et de prédire à quel moment et à quel endroit la lumière va apparaître. Cette capacité tout à fait étonnante d’apprentissage et d’anticipation confère bien entendu aux plantes qui les possèdent un avantage compétitif décisif qui pourrait expliquer l’extraordinaire « explosion » évolutive qui a caractérisé les végétaux au début du Cambrien.

Il semble donc, à la lumière de ces expérimentations et découvertes, que les plantes, bien qu’elles ne possèdent pas de système nerveux, soient bel et bien capables de stocker certaines informations et expériences importantes sous forme biochimique. Elle se « souviennent » des événements importants de leur existence. 

Récemment, des chercheurs du Centre de recherches sur la cognition animale de Toulouse ont monté  que le « Physarum polycephalum », un champignon jaune des sous-bois qui a la particularité de se déplacer, peut apprendre à ignorer un obstacle de caféine sur son chemin, alors qu’il est unicellulaire et dépourvu de système nerveux. (Voir PRS).

Apparu sur terre il y a plus de 500 millions d’années, ce champignon, large de plusieurs centimètres et pourtant composé d’une unique cellule avec des milliers de noyaux, n’en finit pas d’étonner les chercheurs par son cycle de développement et ses capacités d’adaptation véritablement hors normes à son environnement. Cette équipe toulousaine a voulu observer comment ce champignon qui se déplace très lentement (5 cm/h en moyenne) allait réagir s’il était confronté à certains obstacles pour accéder à sa nourriture.

Les chercheurs ont divisé les champignons en deux groupes : le premier pouvait accéder directement à sa nourriture de base. En revanche, le second devait obligatoirement passer sur une piste imprégnée de substances chimiques que le champignon ne connaissait pas dans la nature et qui pouvaient être potentiellement nocives, comme la caféine de quinine. Résultat : les champignons du second groupe se sont d’abord montrés beaucoup plus lents et prudents dans leur progression que ceux du premier groupe. Mais au bout de six jours, ayant constaté que les substances auxquelles ils étaient exposés étaient inoffensives, ils allaient aussi vite que leurs congénères du premier groupe pour trouver leur nourriture…

Comme dans les précédentes expériences que nous avons évoquées, ces chercheurs sont convaincus qu’il y a bien eu apprentissage et qu’il ne s’agit pas d’une simple réaction conditionnée, car la réponse des champignons restait spécifiquement liée à la substance utilisée : les champignons qui s’étaient habitués à la caféine restaient réticents à la quinine, et vice et versa. Des études antérieures avaient déjà montré que ce champignon Physarum polycephalum, si on l’obligeait à emprunter un labyrinthe pour trouver sa nourriture, finissait au bout d’un certain temps par trouver le chemin le plus court !

Face aux résultats tout à fait étonnants de ces dernières expérimentations, les chercheurs soulignent que l’apprentissage, tel que nous le concevons  – c’est-à-dire défini comme un changement de comportement provoqué par l’expérience – a été presque exclusivement étudié jusqu’à présent chez les organismes multicellulaires dotés d’un système nerveux. Il était en effet communément admis que les végétaux n’étaient pas capables d’apprendre, au sens noble du terme et qu’ils ne pouvaient que s’adapter, en exprimant leur variabilité génétique, à certaines modifications de leur environnement.

Mais il faut pourtant se rendre à l’évidence : les plantes et les arbres ont non seulement des capacités d’adaptation bien plus élaborées et subtiles qu’on ne l’imaginait jusqu’à présent mais semblent bel et bien capables de tirer les leçons de certaines de leurs expériences, de les mémoriser dans des réseaux dont la nature reste à élucider et enfin de transmettre à leurs congénères ces nouvelles informations, dans la mesure où celles-ci  peuvent s’avérer utiles à la survie de l’espèce.

L’apprentissage serait donc un mécanisme fondamental présent au cœur de l’ensemble du vivant, des bactéries à l’homme, en passant par les animaux les plus rudimentaires et l’ensemble des végétaux. Cette extraordinaire découverte devrait avoir des conséquences scientifiques mais également éthiques et philosophiques considérables. Nous savons en effet à présent, même si la singularité de l’espèce humaine au sein de l’évolution reste indéniable, que des mécanismes et phénomènes aussi complexes que l’apprentissage, la mémoire et peut-être la conscience ne sont pas le propre de l’homme et sont partagés par de très nombreux êtres vivants, toute chose égale par ailleurs, tant dans le règne animal que végétal.

Comment ne pas être émerveillé par cette nature dont la complexité semble inépuisable et qui révèle, derrière une extraordinaire diversité, une profonde et troublante unité. Espérons que demain nous serons capables, pendant qu’il en est encore temps, de tout mettre en œuvre pour préserver cette beauté foisonnante de la vie afin que nos descendants puissent eux aussi continuer à admirer et à étudier ce grand mystère de la vie.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat