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Le site de Bio-Rad de Steenvoorde est en mesure de produire plusieurs millions de test de dépistage du SARS-CoV-2 par semaine en cas seconde vague de l’épidémie

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Fait très rare, le site de production de tests sérologiques de Bio-Rad, spécialisé dans les maladies infectieuses, s’est ouvert à la visite le 23 juin dans le respect très strict des consignes de sécurité sanitaire. L’évènement est marquant. Les salariés du site ont participé à l’effort quotidien national de lutte contre la COVID-19. Le site est en mesure de produire un test sérologique robuste, fiable, en quantité suffisante, pour détecter le SARS-CoV-2. 

 

 

Le test sérologique Bio-Rad Total a été développé en France sur le site de Marne-la-Coquette, l’ancien site de l’Institut Pasteur donné à Louis Pasteur par Napoléon3, un site héritier des recherches de Pasteur. Bio-Rad a racheté Sanofi Pasteur Diagnostics en 1999.

Il y a deux types de tests. Dans un test moléculaire, on détecte le matériel génétique du virus. La méthode principale est la PCR, marché sur lequel Bio-Rad est l’un des fournisseurs principaux d’instruments (matériels et réactifs).

La PCR consiste à amplifier l’acide nucléique qui porte les gènes du virus par une enzyme, la polymérase, qui catalyse la réaction à partir de petites amorces. La polymérase peut fabriquer à partir d’un modèle des copies de manière exponentielle : des milliards de copies. Cette enzyme et les amorces ne sont pas faciles à produire rapidement en très grandes quantités. Au niveau mondial, ce sont ces réactifs qui ont manqués au début de la pandémie.

La deuxième famille de tests, les tests sérologiques, détecte non pas le virus mais les anticorps signant la présence du virus, passée ou récente. Bio-Rad a développé un test sérologique Total automatisable qui permet de réaliser un grand nombre d’échantillons (à la différence des tests à usage unique comme les tests de grossesse).

En tant que leader dans le domaine de l’amplification de l’ADN, Bio-Rad a fourni des réactifs en grande quantité à ses clients depuis le début de l’épidémie de COVID-19. Bio-Rad est en effet très connu dans le monde de la recherche. Si la production de réactifs pour les tests moléculaires se fait aux Etats-Unis, la sérologie est jusqu’à présent l’apanage de la France en termes de production mais la mise en service d’une ligne de production dans une usine américaine à Seattle sur le modèle de la ligne de Steenvoorde est programmée pour août 2020

Une super aventure humaine

Le diagnostic clinique représente les deux tiers des activités de ce groupe familial fondé en 1952 par les époux Alice et David Schwartz et actuellement dirigé par leur fils Norman. Bio-Rad dont le siège est situé à Hercules (en Californie), réalise un CA de 2,3 milliards de dollars et emploie 8000 collaborateurs dans le monde dont 1000 en France.

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Dominique Bretaudeau

« Le CA est réalisé à 40 % en Amérique, à 40 % Europe et le reste en Asie » déclare Dominique Bretaudeau, nommé depuis deux ans directeur du site de production Bio-Rad France à Steenvoorde (à 35 mn de Lille) après avoir été Directeur de production chez AstraZeneca et auparavant chez CocaCola. C’est d’ailleurs dans les mêmes proportions que les kits de tests SARS-CoV-2 seront distribués dans le monde à leurs clients, laboratoires de recherche, groupes pharmaceutiques, centres de diagnostic, etc… « Selon les ressources qu’on alloue, en fonction des prévisions du marché, aujourd’hui, nous sommes capables de faire un million de tests par jour. Nous en produisons des centaines de milliers par jour à la fin juin » ajoute le directeur du site. Ces quantités pourraient doubler voire quadrupler si nécessaire.

« C’est une véritable aventure, pour laquelle toutes les équipes se sont mobilisées. Il y a eu un véritable engouement » affirme-t-il. « Un engouement et un enthousiasme extraordinaire pour travailler dans des conditions extrêmement difficiles », renchérit Jean-François Mouscadet, Associate Vice-Président R&D Bio-Rad Europe, dans l’entreprise depuis 2011. « Pour la première fois, bien que ce soit un groupe américain il y avait une fierté de participer à un effort collectif en France. Tout le monde s’est mobilisé. Je pense que c’est grâce à ça qu’on a pu implanter la production à Steenvoorde ».

Le site de Steenvoorde a une longue histoire puisqu’il était à l’origine, en 1978, une partie de l’Institut Pasteur de Lille, devenue en 1984 Sanofi Diagnostic Pasteur. En 1999, BioRad rachète l’usine et y produit le premier kit de screening pour la détection directe du prion, une protéine responsable de la maladie de la vache folle. Un kit qui a été développé en six mois. Un record. La société avait utilisé un test BSE développé peu de temps auparavant.

Les 331 collaborateurs du site lillois travaillent sur les activités manufacturées, à la production d’une gamme de produits très diverse (850 produits finis, 2500 semi-finis) faisant appel à des technologies extrêmement variées dans trois activités : biologiques, bactériologiques et immunologiques.

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Jean-François Mouscadet

Avec ce test covid-19, Bio-Rad est là encore parti avec une longueur d’avance par rapport à ses concurrents. « En R&D il faut 18 mois voire 2 ans pour développer un test et nous l’avons fait en 74 jours » affirme fièrement Jean-François Mouscadet, « En janvier, nous avions les premières publications de nos collègues chinois », se souvient-il. « Nous nous sommes aperçus que le SARS-CoV-2 était très proche du SARS de 2003, avec de petites différences au niveau des gènes. En 2003, nous avions réalisé un test sérologique pour détecter le SARS qui n’a jamais été utilisé : le temps de le développer, l’épidémie avait disparu…  En janvier 2020, étant donné que nous avions ce test de 2004 dans les tiroirs, nous nous sommes dit que nous pourrions lancer un test immunologique de dépistage du SARS-CoV-2 » raconte-t-il.

« Quand le SARS-CoV-2 est apparu, nous nous sommes tournés vers nos collègues de l’Institut Pasteur à Paris avec lesquels nous avions collaboré pour le test de 2003 – nous travaillons de longue date avec eux du fait de l’historique de l’Institut Pasteur Diagnostics » poursuit-il. Lui-même, travaillait auparavant au CNRS dans une unité mixte à l’ENS Cachan et a succédé à la direction recherche chez Bio-Rad à Pierre Sonigo qui venait de la recherche Pasteur. « Après avoir réalisé quelques expériences par rapport au test, nous nous sommes aperçus qu’il pouvait fonctionner avec le nouveau coronavirus. Nous avons fait quelques modifications et l’avons transformé pour qu’il soit adapté. Nous l’avons testé début mars à Pasteur et comme ça marchait très bien, nous avons décidé de démarrer le projet » poursuit Jean-François Mouscadet.  « Il a fallu réallouer 15 chercheurs de Marne la Coquette à la recherche sur le Covid-19 et en parallèle nous avons impliqué nos collègues de la production pour le transférer rapidement sur les chaînes de production, en un mois, alors qu’en temps ordinaire, c’est beaucoup plus long. Nous avons eu de la chance : ça marchait bien avec les mêmes spécifications ».

C’était au début du confinement en France, alors que la pandémie n’avait pas encore atteint les Etats-Unis, la détermination de Bio-Rad France de développer la production du test a emporté la décision de la direction groupe pour le produire en France. « En mars, il allait falloir avoir des tests rapidement en France et donc, transférer le kit de test sur les chaînes de production. Depuis la mi-mars, nous y avons travaillé et ce, malgré le confinement. Nous avons réussi à faire le scale-up (augmentation des volumes) dans un temps record ».

Il a fallu recruter 18 personnes supplémentaires, dont un superviseur, 5 techniciens supérieurs, et les former en un mois.

En termes de technologie, c’est un test ELISA en plaque, automatisable. Il peut fonctionner sur la base installée de tous les automates ouverts de type ELISA. « Historiquement nous avons fini le développement fin mars-début avril. La validation du test a été réalisée par des équipes de recherches de l’Institut Pasteur ensuite, en avril, nous avons fait un essai clinique sur 3 sites : La Pitié-Salpêtrière, Bichat et Saint Antoine. Les résultats se sont avérés excellents. Nous avons obtenu le marquage CE le 17 avril et l’autorisation EUA (Emergency Use Authorization) de la FDA une semaine après, le 25 avril. La HAS a publié ses recommandations demandant la labellisation du CNR (Centre National de Référence) après que nous eûmes reçu la validation CE/FDA. Et le test a été labellisé par le CNR de Lyon qui compare les différences de sensibilité des tests sur le marché. »

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Kit COVID-19 Bio-Rad : microplaques et réactifs

Le Test Total anticorps détecte les anticorps chez une personne qui a potentiellement rencontré le virus.

Si la personne est positive, elle a rencontré le virus, si elle est négative soit elle n’a pas rencontré le virus soit elle n’a pas été infectée par le virus.

Les anticorps (ou immunoglobulines) sont très divers. Ils constituent une première ligne de défense contre un microorganisme exogène. Ça permet de le marquer pour qu’il soit détruit ultérieurement. Il y en a 5 classes, mais 3 classes entrent dans la ligne de défense contre le virus : les IgM apparaissent le plus rapidement, 4 à 6 jours après l’infection, les IgA (défenses au niveau des muqueuses qui sont très peu présentes au niveau circulant) sont présentes aussi assez rapidement. Les IgM permettent donc de détecter très précocement l’apparition des anticorps contre le virus. Plus tard, apparaissent le IgG, ceux qui restent le plus longtemps et sont utilisés pendant toute la période d’immunité.

« Il faut faire un choix de détection. Détecter un seul anticorps, c’est plus léger, c’est plus rapide. Cependant, les tests arrivés de Chine détectaient un seul anticorps et ne se sont pas révélés très efficaces ».

« Nous avons fait le choix de développer un test total (IgM, IgG et IgA) qui fonctionne à partir de 4-5 jours post infection et qui teste aussi les IgG présentes sur toute la période durant laquelle la personne a des anticorps » ajoute le directeur de recherche.

A l’heure actuelle, s’il semble bien que l’on soit immunisé lorsque l’on présente des anticorps, et que l’on ne puisse donc pas être réinfecté, il est encore difficile de dire pendant combien de temps dure cette immunisation.

Performance du test : spécificité et sensibilité

La FDA a été très pointilleuse sur la spécificité du test. Le test ne doit détecter que ce que vous voulez détecter, les anticorps dirigés contre le SARS-CoV-2 en l’occurrence. Les coronavirus sont très courants : c’est une famille d’une quarantaine de virus qui se ressemblent, anodins pour la plupart. « La grande peur des autorités sanitaires était qu’on détecte des tas de coronavirus totalement anodins. Elles nous ont demandé aussi de tester tous les syndromes respiratoires pour éviter la confusion avec d’autres virus respiratoires. Les exigences des agences réglementaires vont de plus en plus dans ce sens. Il vaut mieux avoir une spécificité parfaite. Or, la spécificité de notre test est de l’ordre de 99,6%, au-delà des exigences réglementaires » insiste Jean-François Mouscadet.

Autre aspect, la sensibilité de ce test sérologique. « Les tests PCR dont la sensibilité est également très élevée, donnent jusqu’à 30 % de faux négatifs du fait qu’ils proviennent d’échantillons nosopharyngés prélevés quand les virus sont déjà descendus dans les poumons.  Lors de notre dernier essai clinique, notre test sérologique a montré quant à lui une sensibilité de 100% au-delà de 8 jours. Nous faisons des études cliniques longitudinales à l’hôpital, de suivi sur plusieurs semaines, pour voir comment se comporte le test, à quel moment il n’est plus positif, combien de temps il le reste, et s’il est capable de détecter tous les malades positifs » précise l’intéressé.

Quand la réponse immunitaire arrive, elle est détectée à 100%, c’est ce qui a permis à Bio-Rad d’enregistrer son dossier à la FDA en urgence (EUA), en général, c’est plusieurs mois. La FDA a mis en place une procédure accélérée sans diminuer ses exigences au niveau des performances. « Nous continuerons à enrichir les données cliniques et porterons au dossier toute la partie documentaire (système qualité, suivi sur le marché). C’est très important, ça sécurise tout le système. Il faut aussi fournir les données de stabilité : montrer que ce kit est stable dans le temps. De la même façon, la procédure accélérée en Russie exige que nous nous enregistrions en 2021 dans ce pays. Au Brésil, c’est plus difficile de s’enregistrer dès la première fois, alors même que l’épidémie est galopante » ajoute J-F Mouscadet.

Bio-Rad est devenue la référence mondiale du contrôle qualité dans le domaine du diagnostic clinique grâce à sa gamme de produits et services innovants qui garantissent la précision et la validité des résultats des tests cliniques.

Principe d’un Test Elisa                                  

« Notre test est un test de type Elisa, on a une surface, une plaque multi-puits sur laquelle on greffe un composé spécifique de ce que l’on veut détecter.

Par exemple, si on veut détecter le virus, on va fixer sur la plaque un anticorps spécifique d’une protéine du virus, on met l’échantillon dans le puit.  S’il y a du virus, la protéine va se fixer au contact de l’anticorps et créer un complexe. On laisse se former le complexe, on lave, on rajoute un conjugué formé d’autre anticorps (sandwich) dirigé contre le virus auquel on accroche une enzyme qui catalyse une réaction chimique, colorimétrique. S’il rencontre le virus, une coloration apparaît » explique le directeur de recherche.

On peut vouloir détecter des anticorps contre le virus, c’est ce qu’a fait Bio-Rad. On choisit alors une partie du virus, une protéine du virus, on va la fixer sur la plaque. Il s’agit alors de détecter les anticorps du virus. Ceux-ci vont reconnaître la protéine du virus fixée sur la plaque et former un complexe avec celle-ci. Puis on utilise un anticorps d’anticorps qui va venir se fixer à ce complexe et provoquer la réaction colorimétrique ou lumineuse.

Il y a une infinité de variations.

« Nous avons fait le choix de la protéine recombinante de nucléocapside du CoV-2 (protéine N) pour la fixer sur le support plutôt que la protéine de Spike (S), responsable de la fixation du virus qu’il infecte, parce que selon des articles scientifiques d’origine sur les coronavirus, la N est très immunogène, elle est aussi plus facile à produire. Nous utilisons des bactéries Escherischia coli pour produire la protéine dans un fermenteur. On extrait la protéine N des bactéries, qui est ensuite purifiée par chromatographie. En deux semaines, on obtient la protéine N-CoV-2 en nombre suffisant pour réaliser 5 à 7 millions de tests ».

La protéine de nucléocapside structure tout l’intérieur du virus, il y en a beaucoup dans la cellule infectée, et donc beaucoup d’immunogènes très spécifiques de ce coronavirus.

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Production de la protéine N-SARS-CoV-2 dans le flacon orangé

La visite de l’usine a commencé par celle de la partie biologie où travaillent 20 personnes à la production de 250 supports biologiques : anticorps monoclonaux, polyclonaux, protéines, protéines recombinantes.

Dans ce laboratoire de chimie, il y a une centaine de références de lots qui vont 10 mg à quelques grammes (utilisées pour les tests rapides et tests sur microplaques). Les équipes de techniciennes et chimistes  (7 plus un superviseur) ont une grande expertise et sont capables de maîtriser toutes sortes de process.

« Nous procédons par dialyse, puis par couplage (sur plusieurs heures pour le conjugué), ensuite blocage de la réaction chimique et enfin la filtration, ou purification par chromatographie » décrit Valérie Picot, responsable de la fabrication des conjugués dans le laboratoire de chimie. Lors d’une chromatographie sur gel (par électrophorèse), les protéines en facteur de leur poids moléculaire vont se séparer et passer au travers des mailles du filet : les plus petites d’abord, les plus grosses ensuite. Au bout de 2 semaines on obtient le conjugué de la protéine et de l’enzyme, le réactif (R6)” commente Jean-François Mouscadet.

Ensuite c’est dilué et les chimistes vont définir une taille de concentration. “Nous produisons aussi des réactifs chimiques R1, R2, R3, entre 1000 et 3000 flacons par jour qui font partie de ce kit“.

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Valérie Picot, responsable du laboratoire de chimie – fabrication des conjugués- de Steenvoorde qui montre le réactif R6, le conjugué de la protéine N et de l’enzyme.

Ensuite, le circuit dans l’usine passe par l’unité de fabrication des microplaques. Le passage du vrac au calibrage de la plaque SARS-CoV-2 de 92 puits et à son conditionnement.

 

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Pascale Pohier, responsable du Laboratoire de fabrication des microplaques de tests ELISA utilisables avec la plateforme automatisée EVOLIS de Bio-Rad

Il faut contrôler aux différents stades de la chaîne de fabrication. Du début à la fin du processus de fabrication, il faut 4 semaines. Le lot du 17 avril, nous l’avions commencé en mars. Nous avons pris le risque de lancer la production alors qu’on avait pas encore validé les essais cliniques” rappelle Jean-François Mouscadet.

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Chaîne de conditionnement et de contrôle des microplaques

Les premiers clients de ce test seront ceux du marché de la plateforme automatisée de tests immunologiques par plaques EVOLIS, en Amérique du Nord et du Sud, en Afrique, en Europe.

 

Thérèse Bouveret