Santé humaine
Édito
Maladie d’Alzheimer : Où en sommes-nous ?
Depuis le début de ce siècle, la maladie d’Alzheimer est devenue l’un des principaux défis de santé publique mondiale et l’une des dix principales causes de décès. En 2005, elle touchait environ 26 millions de personnes dans le monde. Elle en touche à présent environ 47 millions, selon l’OMS, et devrait en toucher 135 millions en 2050 compte tenu du vieillissement prévisible de la population des pays industrialisés. Aux Etats-Unis, environ 5,3 millions de personnes sont touchées et chaque minute, une nouvelle personne développe la pathologie selon « Alzheimer ’s Association ». En France, on estime, selon l’étude PAQUID et l’Inserm, que 850 000 à 900 000 personnes souffrent d’une maladie d’Alzheimer et les prévisions les plus courantes tablent sur 1,3 million de malades à l’horizon 2030…
Identifiée en 1907 par le médecin allemand Alois Alzheimer, cette pathologie neurodégénérative reste actuellement incurable et entraîne un coût de prise en charge considérable, tant pour la société que pour le malade et sa famille. Il convient, en effet, de prendre en compte l’ensemble des dépenses de santé relatives aux soins à prodiguer aux patients (thérapeutique, ergothérapie, kinésithérapie, coût engendré par l’aggravation des pathologies associées, soins à domicile ou en institution…) mais aussi le coût social du patient lié à la dépendance (aide-ménagère, auxiliaire de vie, prestations spécifiques…). L’année dernière, pour la France, une étude a estimé à 19,3 milliards le coût global annuel de cette maladie pour la collectivité (environ 21 500 euros par malade), dont 27,5 % (5,3 milliards en dépenses médicales et 72,5 % en dépenses d’accompagnement (14 milliards). A ces dépenses, il conviendrait d’ajouter le coût, également très important mais difficilement quantifiable, lié aux destructions de compétences professionnelles et au manque à gagner économique.
La maladie d’Alzheimer est une maladie neurodégénérative, c’est-à-dire, une perte de neurones dans le tissu cérébral. Cette pathologie se caractérise par des “plaques” séniles ou dépôts de peptides bêta-amyloïdes ainsi que par une dégénérescence neurofibrillaire, liée à la protéine tau anormale (“phosphorylée”) qui s’accumule dans les neurones et propage leur destruction. Elle entraîne la perte progressive et irréversible des fonctions mentales et de la mémoire. Les premiers symptômes sont la perte de souvenirs à court terme. L’évolution de la maladie entraîne ensuite des troubles cognitifs plus sévères comme des confusions, l’irritabilité, l’agressivité, des troubles de l’humeur, des émotions et des fonctions exécutives du langage ; la perte de mémoire à long terme. Le stade sévère de la maladie entraîne la perte des fonctions autonomes et la mort. La vitesse d’évolution de la maladie est fonction des individus, et l’espérance de vie varie entre 3 et 8 ans. Les traitements de la maladie ne stoppent pas sa progression et sont d’ordre palliatif limitant les symptômes. Les causes exactes de cette maladie particulièrement dévastatrice restent mal identifiées et font toujours l’objet d’un débat au sein de la communauté scientifique. Mais l’hypothèse la plus communément admise aujourd’hui est que cette pathologie neurodégénérative résulte de la conjonction de facteurs génétiques, environnementaux et psychologiques.
S’agissant des facteurs héréditaires, on sait à présent que le risque de développer la maladie est en moyenne multiplié par 1,5 si un parent du premier degré est touché. Il est multiplié par 2 si au moins deux le sont. En matière de prédisposition génétique, la présence chez un patient d’un ou deux allèles « epsilon 4 » multiplie respectivement par deux et par quinze ses risques de développer la maladie. Le professeur Philippe Amouyel souligne que cette susceptibilité individuelle est en partie portée par notre génome et les travaux de ce chercheur internationalement reconnu ont déjà permis d’identifier, dans le cadre du projet IGAP, 21 gènes et régions du génome à l’origine de cette susceptibilité.
Même si ces gènes ne suffisent pas, à eux seuls, à déclencher la maladie, il est néanmoins admis, comme le souligne le Professeur Amouyel, que certains d’entre eux sont impliqués dans le métabolisme du peptide amyloïde, comme ceux codant pour l’apolipoprotéine E (APOE) ou la clustérine. D’autres interviennent dans le métabolisme des lipides, dans l’inflammation, ou encore dans le fonctionnement synaptique. Selon le Professeur Amouyel, la théorie la plus pertinente pour comprendre la maladie d’Alzheimer est aujourd’hui celle de la « Cascade amyloïde », un processus marqué par un enchaînement d’événements, liés à une addition complexe de causes impliquant l’âge, la génétique, le mode de vie, l’exposition à certaines maladies, certains troubles psychiatriques et enfin l’exposition à certaines substances ou polluants présents dans l’environnement. Le cumul et l’interaction de ces multiples facteurs finiraient par provoquer, chez certaines personnes, une accumulation excessive du peptide amyloïde puis une destruction irréversible des cellules nerveuses.
Les principales pistes de recherche pour développer un traitement visent à s’attaquer aux plaques amyloïdes qui se forment entre les neurones au cours de la maladie et aux agrégats de protéines tau formant les dégénérescences neurofibrillaires à l’intérieur des neurones. De nombreux chercheurs essayent également de mieux comprendre les mécanismes de la maladie. En août dernier, une équipe allemande de l’Université de Munich, menée par Christian Haass, a ainsi révélé un niveau de complexité supplémentaire de cette pathologie en montrant qu’un autre peptide, jusqu’alors ignoré, d’une centaine d’acides aminés, l’amyloïde-? – ou êta- amyloïde, s’accumulait lui aussi autour des plaques séniles et jouait peut-être un rôle important dans le déclenchement de la maladie (Voir Nature).
Une autre équipe, dirigée par le Professeur Cohen de la faculté de Médecine de l’Institut de Recherche Moléculaire et de Biochimie de l’Université Hébraïque de Jérusalem, a pu montrer, sur un modèle d’étude du vieillissement cellulaire utilisant le ver Caenorhabditis elegans, qu’une malformation de la protéine cyclophiline B serait donc impliquée dans le développement de la maladie d’Alzheimer engendrant à terme la dégénérescence et la mort neuronale, avec le concours d’autres mécanismes (Voir NCBI).
Selon ces travaux, tous les patients pourraient présenter des symptômes identiques (une dégénérescence des neurones) mais avec des causes distincte. Alors que les traitements actuels reposent sur des inhibiteurs à la destruction du neuromédiateur appelé acetylcholine, ou des antiglutamates (antagonistes des récepteurs NMDA du glutamate), ces travaux suggèrent que de nouveaux traitements pourraient également être basés sur les mécanismes de détoxification pour éliminer ces protéines présentant une mauvaise conformation.
Mais s’agissant de causes identifiées de la maladie d’Alzheimer, une publication est venue mettre en effervescence la communauté scientifique il y a quelques jours. Dans une tribune de la revue de référence « Journal of Alzheimer’s Disease?», 31 chercheurs du monde entier ont en effet appelé à explorer une voie de recherche qu’ils estiment jusqu’ici négligée : l’infection virale (Voir IOS Press).
Selon cette communication, « On ne peut plus ignorer le lien probable entre Alzheimer, les virus et les bactéries ». Un virus en particulier retient l’attention des auteurs : celui de l’herpès. Selon eux, ce virus, ainsi que les bactéries chlamydia et spirochètes, sont les principaux coupables dans le développement de la maladie dégénérative. On savait déjà que les virus et les bactéries sont courants dans le cerveau des personnes âgées, «?mais il apparaît aussi qu’il y en a davantage chez les personnes qui sont mortes de la maladie d’Alzheimer?», affirme le Docteur James Pickett, directeur des recherches à l’Alzheimer’s Society. Il est vrai que, jusqu’à présent, l’essentiel des recherches s’est concentré sur les pathologies amyloïdes. Soit, quand un type de protéine s’agglomère dans le cerveau et forme des plaques, ce qui empêche les neurones de communiquer normalement et provoque la perte de mémoire et les problèmes cognitifs.
Mais dans leur manifeste, les 31 chercheurs affirment que ce serait en fait une infection virale ou bactérienne qui provoquerait la formation de ces plaques en premier lieu. «? Nous faisons référence à plusieurs études, principalement conduites sur des hommes, qui impliquent des microbes spécifiques au cerveau âgé, et plus particulièrement l’Herpès simplex type 1, la Chlamydia pneumoniae, et plusieurs types de spirochètes. Nous appuyant sur ces observations, nous proposons que davantage de recherches sur le rôle des agents infectieux dans l’apparition de la maladie d’Alzheimer soient conduites, y compris des études prospectives de traitements antimicrobiens?». Selon ces 31 spécialistes, même si des bactéries ou des virus sont «?en sommeil?» dans le cerveau, ils peuvent très bien «?se réveiller?» après un stress, ou si le système immunitaire est affaibli.
S’agissant de la prévention de cette pathologie très invalidante, certains traitements contre l’hypertension artérielle (HTA), comme les antagonistes de l’angiotensine II (ARA) ou sartans, ont montré leur efficacité. Une étude américaine réalisée par la Georgetown University a par exemple montré que le candésartan, un médicament indiqué dans le traitement de l’HTA et de l’insuffisance cardiaque, avait un effet protecteur in vitro, sur des cultures de neurones en laboratoire (Voir Bio Med Central).
Une étude de 2013 de la Johns Hopkins, publiée dans la revue Neurology, avait déjà suggéré que les diurétiques ou certains antihypertenseurs – les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II (ARA-II) – permettent de diminuer sensiblement les risques de maladie d’Alzheimer. Selon cette étude, certains médicaments contre l’hypertension artérielle pouvaient entraîner une diminution de moitié du risque de démence, chez les patients âgés ayant une cognition normale. Ces recherches ont notamment permis de démontrer que le candésartan empêche l’inflammation neuronale et agit sur le processus de régulation de la production d’amyloïde, le peptide, qui caractérise la maladie d’Alzheimer. Le candésartan, ou d’autres médicaments de la classe des antagonistes des récepteurs de l’angiotensine, pourrait donc non seulement ralentir la progression de la maladie d’Alzheimer, mais prévenir ou retarder son développement. Comme le souligne Juan M. Saavedra, responsable de ces recherches, « L’hypertension est à présent un facteur de risque reconnu de la maladie d’Alzheimer et nos travaux confirment que la progression de la maladie d’Alzheimer est retardée chez les patients hypertendus traités par ARA ».
Parmi les nouveaux traitements prometteurs contre la maladie d’Alzheimer, il faut également évoquer le masitinib, un médicament dont le mécanisme d’action dans la maladie d’Alzheimer est double, comme le montrent les recherches conduites par le Professeur Antoni Camins (Faculté de Pharmacie, Université de Barcelone) qui précise « En plus de bloquer Fyn, le masitinib est aussi un inhibiteur (c-Kit) du récepteur du facteur de stimulation des cellules souches (SCF). En inhibant la signalisation du SCF/c-Kit sur les mastocytes, cette molécule peut empêcher la neuroinflammation, en bloquant les interactions entre la microglie et les mastocytes ».
La recherche est également très active dans le domaine des anticorps monoclonaux et trois de ces anticorps, l’Aducanumab de Biogen, le Solanezumab d’Eli Elly et le Crenezumab de Genentech font actuellement l’objet d’essais cliniques de phase 3. Ces anticorps monoclonaux ont la capacité de se lier uniquement aux protéines amyloïdes anormales. Cela fait, ce complexe est identifié par le système immunitaire qui va nettoyer le cerveau et empêcher la formation de ces plaques. Reste cependant à vérifier si ces anticorps ne provoquent pas de réactions inflammatoires indésirables aux doses nécessaires sur l’homme.
Longtemps annoncé, parfois prématurément, le concept de « vaccin » contre Alzheimer est en train de devenir enfin réalité, comme cela a été confirmé à l’occasion de la conférence internationale sur la maladie d’Alzheimer et la maladie de Parkinson (ADPD Conference) qui s’est tenue à Nice, en mars 2015. Au cours de cette réunion, la société Biogen a présenté les avancées de son vaccin utilisant l’anticorps aducanumab testé dans un essai clinique de phase 1. La phase 1 de cet essai clinique avait pour but de démontrer la sécurité et la tolérance de la molécule « aducanumab », un anticorps qui reconnaît la protéine Beta-amyloïde (A?), protéine qui s’accumule dans le cerveau des personnes malades d’Alzheimer pour former les plaques amyloïdes. Pendant un an, 166 patients atteints de la maladie d’Alzheimer à un stade précoce ont reçu des doses variables de la molécule. En parallèle, ces patients ont bénéficié d’un suivi très spécifique : tests neuropsychologiques, analyse du liquide céphalo-rachidien (permettant de mesurer des biomarqueurs de la maladie), des suivis en imagerie PET-amyloïde (pour visualiser les plaques amyloïdes du cerveau) et en IRM.
Les premiers essais cliniques montrent une bonne tolérance de la molécule ainsi qu’une diminution des plaques amyloïdes dans le cerveau des patients après six mois de traitement. Les chercheurs ont également pu constater une stabilisation des scores aux tests neuropsychologiques au bout d’un an chez les patients ayant reçu la molécule. « Ces résultats sont réellement prometteurs. D’abord parce que les chercheurs ont pu affirmer que la molécule avait atteint efficacement sa cible désirée, les plaques amyloïdes, dans le cerveau des patients. Et ensuite parce que la réduction constante des plaques amyloïdes dans le cerveau des patients traités constitue un grand espoir pour développer la suite de cet essai clinique » souligne le Docteur Panchal. Il faudra cependant attendre fin 2016 avant que la société Biogen puisse commencer à réaliser une étude comparative de l’efficacité de la molécule sur des groupes de patients de taille beaucoup plus importante.
Mais il semble également que l’alimentation soit en mesure d’exercer un effet protecteur puissant pour préserver le cerveau de cette terrible pathologie. Plusieurs études associent par exemple la consommation de poisson à une diminution des risques de souffrir d’un déclin cognitif, incluant la maladie d’Alzheimer, chez les personnes âgées. Les propriétés bénéfiques des poissons seraient attribuables à l’ADH (acide docosahexaénoïque). Cet acide gras de type oméga-3 constitue le principal matériau de base des cellules du cerveau. Un apport optimal en ADH maintiendrait l’intégrité des fonctions neuronales et réduirait les réactions inflammatoires, dont certaines sont impliquées dans la maladie d’Alzheimer.
Ces travaux montrent que les cellules du cerveau des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer présenteraient une moins grande concentration d’ADH. À ce sujet, une méta-analyse publiée en 2014, rassemblant plus de 22 000 participants, a révélé qu’une consommation élevée de poisson, soit 500 g de poisson par semaine (l’équivalent d’environ 4-5 portions), était associée à une diminution de 36 % des risques de souffrir de la maladie d’Alzheimer. Par ailleurs, une étude a démontré qu’une augmentation de la consommation de poisson de l’ordre de 100 g par semaine était également associée à une diminution de 11 % des risques d’Alzheimer.
Plus largement, une autre étude publiée en mars 2015 par Martha Clare Morris, épidémiologiste nutritionnelle de l’Université Rush, a suivi 923 personnes, âgées de 58 à 98 ans, pendant 4.5 ans. Elle comparait les régimes MIND, méditerranéen et DASH (Voir RUSH). Le régime MIND est un hybride du régime méditerranéen et du régime DASH (Dietary Approaches to Stop Hypertension) qui ont tous deux été liés à une réduction des risques d’hypertension, de crise cardiaque et d’accident vasculaire cérébral (AVC) ainsi qu’une protection contre l’Alzheimer.
Le résultat est sans appel : le régime de MIND réduit le risque d’Alzheimer de 53 % chez les participants qui adhéraient rigoureusement au régime, et de 35 % chez ceux qui le suivaient moyennement bien. Les participants ayant une grande adhésion aux régimes DASH et méditerranéen avaient également un risque réduit de 39 % et 54 % respectivement. Mais ceux qui n’adhéraient que modérément à ces régimes n’obtenaient que des bénéfices négligeables. Autre enseignement important de cette étude, ce régime MIND est plus facile à suivre que le régime méditerranéen. Il comporte notamment des aliments protecteurs, comme les légumes à feuilles vertes, les noix, les fruits rouges, les légumes secs, le poisson, l’huile d’olive et le vin (en petite quantité).
S’agissant plus précisément du vin, si une consommation modérée reste recommandée, une étude américaine, publiée en 2015 dans la revue anglophone Scientific Reports, souligne les bienfaits du resvératrol, un polyphénol antioxydant que l’on trouve en quantité dans la peau du raisin utilisé dans la fabrication du vin rouge, note le professeur Ashok K. Shetty, directeur de l’Institute for Regenerative Medicine. Cette étude est en cohérence avec d’autres travaux américains dirigés par Kaycee Sink, de l’Université Wake Forest de Winston-Salem en Caroline du Nord, qui avaient déjà montré en 2011 que les patients buvant régulièrement du vin rouge en quantité modérée (pas plus de deux verres par jour), voyaient leur risque de maladie d’Alzheimer diminué de de 37 %.
Enfin, en août 2015, dans une étude épidémiologique d’une ampleur sans précédent, le Professeur Wei Xu, neurologue du Centre sur la mémoire et l’âge de l’Université de Californie, à San Francisco, en collaboration avec des chercheurs de l’Université de Qingdao en Chine, a mis à jour, en analysant 351 études publiées entre 1968 et 2014, neuf facteurs de risques de démence de type Alzheimer : obésité, tabagisme, athérosclérose, diabète de type 2, faible niveau d’éducation, dépression, hypertension artérielle, taux d’homocystéine élevé dans le sang et fragilité générale. Cumulés, ces neuf facteurs seraient, à eux seuls, responsables des deux tiers du risque de démence…
De manière convergente avec cette vaste analyse épidémiologique, une autre étude de l’Université de Pittsburgh, conduite par le Docteur James T. Becker, professeur de psychiatrie, à la Pitt School of Medicine, montre que, quelle que soit l’activité pratiquée, les personnes âgées physiquement actives ont un plus grand volume de matière grise dans les zones du cerveau responsables de la mémoire et de la cognition. L’étude a examiné la relation entre l’activité physique et le déclin cognitif à partir des données de 876 participants, âgés de 65 ans ou plus. Ces participants suivis durant 5 ans, ont passé des scans du cerveau et des tests cognitifs. Ils ont également été interrogés sur la fréquence de leurs activités physiques, et leur dépense calorique a été évaluée. L’analyse montre que les participants ayant brûlé le plus de calories sont ceux qui ont les plus grands volumes de matière grise dans les lobes frontal, pariétal et temporal du cerveau, des zones associées à la mémoire, l’apprentissage et à l’exécution des tâches cognitives complexes.
Cette étude montre également que ceux qui ont la dépense énergétique la plus élevée présentent également des volumes de matière grise plus élevés que lors des scans initiaux, et sont 2 fois moins susceptibles de développer la maladie d’Alzheimer à 5 ans. Ces recherches confirment que la pratique d’une activité physique peut contribuer à augmenter la matière grise chez des patients âgés et à prévenir la détérioration de la mémoire (Voir Journal of Alzheimer’s Disease).
Une autre étude américaine publiée en novembre dernier dans le journal scientifique PLoS One, confirme par ailleurs que l’aspirine pourrait avoir un rôle préventif et antineurodégénératif, par le biais de son principe actif, l’acide salicylique. Une partie de celui-ci se lie en effet à une enzyme appelée GAPDH (glycéraldéhyde 3-phosphate déshydrogénase), qui intervient dans la mort des neurones. De ce fait, l’acide salicylique empêcherait l’enzyme d’atteindre les neurones et de déclencher leur mort, bloquant donc l’aggravation de la maladie. Des résultats qui ont encore besoin d’être confirmés. Cette étude confirme d’autres travaux et notamment une étude réalisée en 2002 par le Puget Sound Health Care System à Seattle, aux Etats-Unis. Dans ces recherches conduites par John Breitner, les scientifiques ont procédé à l’analyse, pendant trois ans, des différents traitements médicamenteux absorbés par 5 000 patients de plus de 65 ans atteints de démence. Au terme de ce suivi, sur 3 227 survivants, un total de 104 sujets avaient développé la maladie d’Alzheimer. Les résultats de cette étude sont particulièrement intéressants puisqu’ils montrent que l’utilisation à long terme de l’aspirine réduit de 45 % le risque de maladie d’Alzheimer, ce qui est considérable !
Ces travaux sont à mettre en relation avec une autre remarquable étude réalisée sur 7000 personnes, entre 1990 et 1997, par des chercheurs du département d’épidémiologie de l’hôpital Erasme à Rotterdam ; ces travaux avaient montré que la prise régulière d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) pendant une durée cumulée de deux ans ou plus, et au moins deux ans avant la période d’apparition des symptômes cliniques, divisait par cinq le risque de contracter la maladie d’Alzheimer.
Il faut également évoquer une étude très encourageante, publiée il y deux mois par l’Ecole de Médecine de l’Université de Boston, qui montre, contre toute attente, une diminution du nombre de nouveaux cas de démences et s’appuie sur les données de l’étude épidémiologique de Framingham, la plus ancienne du genre, commencée en 1947. Dans cette étude, l’observation rigoureuse des cas de démence a commencé en 1975, ce qui a permis aux chercheurs d’observer le taux de nouveaux cas de démences sur 40 ans. En examinant quatre périodes distinctes (1970-1979, 1980-1989, 1990-1999, 2000-2009), les chercheurs ont mis en évidence un déclin progressif du nombre de nouveaux cas de démence, avec une réduction moyenne de 20 % tous les dix ans depuis le début de la période d’observation. En outre, cette étude souligne, de manière très instructive, que cette diminution significative du nombre de malades atteints par l’Alzheimer est principalement observée dans la catégorie des démences imputables aux maladies cardiovasculaires. « Ces travaux sont riches d’enseignements car ils montrent qu’une prévention efficace des maladies cardio-vasculaires pourrait réduire très sensiblement le nombre de nouveaux malades touchés par la maladie d’Alzheimer », souligne Sudha Seshadri, de l’Université de Boston (Voir NEJM).
Cette diminution du nombre de nouveaux malades touchés par la maladie d’Alzheimer vient également d’être confirmée en France par une étude elle aussi particulièrement intéressante, conduite par Jean-Francois Dartigues, neurologue et chercheur à l’Inserm et à l’Université de Bordeaux. Publiées il y a un mois, des recherches ont analysé l’évolution de la prévalence (nombre de malades à un instant donné) des démences en comparant deux échantillons d’agriculteurs suivis dans le cadre de deux études épidémiologiques, l’une menée depuis 1988 sur une cohorte de 3 777 personnes, dont 600 agriculteurs (étude Paquid), l’autre mise en place en 2008 et portant sur 1 000 agriculteurs de Gironde (étude Ami). Résultats : une baisse très significative de la prévalence des déficits cognitifs de 38 % en vingt ans ! Selon Jean-Francois Dartigues, cette baisse importante de la prévalence d’Alzheimer au sein de cette population d’agriculteurs est à mettre en lien avec une meilleure prise en charge des maladies cardiovasculaires et de leurs facteurs de risques (hypertension artérielle, diabète, hypercholestérolémie) mais également avec l’élévation générale du niveau d’éducation et de culture entre les deux générations d’agriculteurs prises en compte et comparées dans cette étude.
L’ensemble de ces recherches et études récentes montre de manière saisissante que la maladie d’Alzheimer ne doit plus être considérée comme une fatalité rendue inévitable à cause du vieillissement constant de notre population. On sait en effet à présent qu’en adoptant à l’âge adulte un certain nombre de règles de vie simples et peu contraignantes : avoir une alimentation équilibrée, plutôt de type méditerranéen, pratiquer une activité physique régulière, surveiller et traiter son cholestérol, sa tension et son diabète, contrôler son poids, stimuler sa réflexion et sa mémoire et maintenir des relations sociales suffisantes, il est sans doute possible de prévenir ou de retarder de manière importante les risques de développer cette terrible maladie au cours de laquelle le sujet se dépossède peu à peu de lui-même. Certains chercheurs pensent même qu’on peut aller encore plus loin et envisager également, pour certains sujets ayant une prédisposition particulière à cette maladie, la mise en place d’un prévention plus active qui pourrait par exemple inclure la prise régulière de certains médicaments (anti-inflammatoires et antihypertenseurs notamment) et d’une supplémentation de certains acide gras de type oméga-3.
Pourtant, on ne peut qu’être frappé par le fait que, dans le plan de lutte contre les maladies neurodégénératives 2014-2019, qui comprend 96 mesures, la prévention active et personnalisée contre la maladie d’Alzheimer, utilisant le levier de l’alimentation et du mode de vie, ne tienne qu’une place tout à fait marginale. Si nous voulons faire reculer fortement et durablement ce fléau qui ruine tant de vies et de familles, il est temps d’admettre que nous ne parviendrons pas à vaincre cette terrible maladie en comptant uniquement sur les avancées de la science et de la médecine mais en modifiant profondément nos habitudes de vie, ce qui suppose que nous soyons tous clairement informés du poids de nos choix personnels dans la prévention de cette pathologie destructrice. C’est à cette condition, je le concède pas toujours agréable à admettre mais pourtant absolument nécessaire, qu’il sera possible demain de faire reculer plus vite cette maladie si redoutée et que le grand âge, que nous sommes heureusement de plus en plus nombreux à connaître, ne sera plus synonyme de naufrage mais d’épanouissement intellectuel, relationnel et social permanent.
Nota : si vous avez pu lire cet édito, avec attention, jusqu’à sa conclusion, je puis vous affirmer, en faisant une synthèse osée des diverses études dont j’ai pris connaissance pour rédiger ce texte, que vous avez peu de risques de faire un jour une maladie d’Alzheimer…
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat