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Interview

Nature met en exergue une découverte majeure d’Imagine dans la COVID-19

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Interview de Laurent Abel, qui dirige la génétique et l’épidémiologie mathématique dans les deux branches d’un « laboratoire international INSERM » de génétique humaine des maladies infectieuses (Institut Imagine- Université de Paris-Université Rockefeller).

L’équipe franco-américaine, dirigée conjointement par Jean-Laurent Casanova et Laurent Abel, a identifié les premières causes génétiques et immunologiques expliquant 15% des forme graves de Covid-19 : un défaut d’activité des interférons de type 1 qui ont une puissante activité antivirale. Deux études ont été publiées dans Science en septembre dernier. Cette découverte va permettre à l’avenir de détecter les patients à risques pour améliorer leur prise en charge.

Vos travaux ont été sélectionnés par la revue Nature comme étant l’une des dix découvertes majeures de 2020 ? Vous co-dirigez le laboratoire qui a piloté cette étude et a mobilisé 45 équipes en France et aux Etats-Unis ?

C’est notre laboratoire qui a coordonné l’étude. C’est un laboratoire de génétique humaine des maladies infectieuses qui s’intéresse de longue date à expliquer pourquoi des personnes exposées à un agent infectieux vont développer ou pas des formes plus ou moins sévères.

Dès le début de la COVID-19, nous nous sommes posés la question suivante : pourquoi les personnes vont-elles développer ou pas des infections sévères ? Notre laboratoire localisé à l’Institut Imagine (Inserm, Université de Paris) est un laboratoire que nous dirigeons ensemble, Jean-Laurent Casanova et moi-même (1), nous sommes tous les deux français. Ce laboratoire a été créé d’abord en France il y a une vingtaine d’années. Mais il y a un laboratoire jumeau à l’Université Rockefeller à New-York. Cette université Rockefeller nous a demandé il y a 12 ans de créer un laboratoire chez eux. Mon collègue Jean-Laurent Casanova est plutôt à New-York et moi je suis majoritairement à Paris. C’est « un laboratoire international associé de l’Inserm », nos équipes travaillent ensemble sur les mêmes sujets et tout à fait en synergie (environ 35 personnes à New-York et 40 à Paris).

La pandémie COVID-19 est arrivée et on s’est beaucoup investi pour expliquer pourquoi certains patients développent des formes graves alors que la majorité sont asymptomatiques ou ont des symptômes relativement mineurs ne nécessitant pas d’être hospitalisés. On aborde cette question par la génétique humaine, en recherchant des variants génétiques qui vont possiblement expliquer cette différence. Ces variants génétiques vont être localisés dans des gènes impliqués dans la réponse immunitaire, laquelle dépend essentiellement des protéines (toutes sortes de protéines différentes qui agissent à différents endroits dans l’organisme) – codées par nos gènes.

Parmi ces différentes molécules, il y a les interférons (IFN), et en particulier les IFN de type 1, qui a priori ont un rôle antiviral comme cela a été démontré à de multiples reprises auparavant. Il y en a 17, majoritairement les IFN alpha, l’IFN beta, et encore deux ou trois autres. Dans un premier temps, nous nous sommes focalisés sur des gènes dont on avait montré qu’ils étaient mutés dans d’autres maladies infectieuses qu’on avait étudiées précédemment comme les grippes sévères ou les encéphalites herpétiques ; ces dernières sont des complications très graves au niveau du système nerveux central causées par le virus herpès simplex, un virus extrêmement commun par ailleurs.  La principale conséquence de ces mutations est un défaut de production ou d’activité des IFN de type I.

Dès le début de la pandémie de Covid-19, nous avons mis en place un consortium international, « COVID Human Genetic Effort»(2), pour recruter le maximum de patients. Certains groupes faisaient le séquençage de l’exome (partie codante du gène), d’autres nous envoyaient du matériel biologique, et nous centralisions les données et analysions de séquences dans le but d’identifier les facteurs génétiques et immunologiques pouvant expliquer la survenue de formes graves de la maladie.  Nous nous sommes intéressés à des patients atteints de ces formes sévères, dont certains patients inclus dans les cohortes French-Covid et CoV Contact promues par l’Inserm.

Ces articles ont été publiés à l’automne ? 

Ces deux articles sont parus en même temps le 24 septembre dans la revue Science.  Les données recueillies ont servi aux deux études.

Nous avons pu mettre en évidence dans la première, des mutations dans une dizaine de gènes qui expliquent ces formes sévères. Le premier article est signé par Qian Zhang (3), une chercheuse du laboratoire qui travaille à New-York à l’Université Rockefeller. Elle a mis en évidence des mutations dans 3 à 4 % des formes sévères.

Dans la seconde, par analogie avec d’autres études, nous avons testé l’hypothèse que ces patients atteints de formes sévères pouvaient avoir des auto-anticorps contre ces IFN de type 1. Nous en avions découvert (des auto-anticorps contre d’autres cytokines) chez des patients atteints d’autres maladies infectieuses. Les résultats ont montré qu’au moins 10 % des patients atteints de formes sévères de la COVID-19 étaient porteurs d’auto-anticorps contre les IFN de type 1. Par contre ces auto-anticorps étaient absents des personnes infectées par le SARS-CoV2 mais asymptomatiques ou avec peu de symptômes. C’est l’objet du deuxième article (3) dont le premier auteur est Paul Bastard, un étudiant en thèse du Laboratoire à l’Institut Imagine, qui a mené tout ce travail de dosage d’auto-anticorps, leur confirmation, et a fait la démonstration qu’ils étaient neutralisant des IFN de type 1.

Les deux papiers aboutissent au fait qu’une partie, à peu près 15 % pour l’instant des formes sévères, est due à ces anomalies des interférons de type 1, soit parce que les gens ne peuvent pas les produire en raison d’anomalies génétiques, soit parce qu’ils ont des auto-anticorps qui vont les neutraliser. Les deux aboutissent à la même physiopathologie même si c’est par des mécanismes différents.

Allez-vous pouvoir obtenir des traitements à terme ?

Les IFN de type 1 existent déjà comme traitements, bien connus sous forme recombinante. L’IFN alpha a beaucoup été donné contre l’Hépatite C, et l’hépatite B chronique qui  sont les deux indications principales, même si on a trouvé depuis des nouveaux traitements plus efficaces contre l’Hépatite C. Et quant à l’IFN béta son application principale est la sclérose en plaques. Ces traitements devraient être efficaces pour les patients avec un défaut génétique de production de ces IFN. Pour les patients avec auto-anticorps, nous avons mis en évidence qu’ils avaient des auto-anticorps contre l’IFN alpha, mais beaucoup plus rarement contre l’IFN beta.  L’IFN beta pourrait donc être un traitement possible chez ces patients.

La prise précoce d’IFN de type 1 chez ces patients pourrait donc être une piste thérapeutique si elle est donnée dès le diagnostic de l’infection. Au stade où ils sont hospitalisés ou en réanimation c’est probablement déjà trop tard. Les essais cliniques chez ces patients à des stades avancés de la maladie n’ont pas montré clairement d’efficacité des IFN. L’interféron agit au tout début de l’infection virale : c’est la première défense de l’organisme qui a pour but de limiter la réplication virale et la propagation du virus. C’est à ce stade précoce qu’il faut agir. Après s’il y a réplication virale, alors se mettent en place toutes sortes de processus, avec des molécules inflammatoires déclenchant ce qu’on appelle des orages cytokiniques. L’IFN de type I est donc un traitement potentiel à un stade précoce de l’infection.

Comment peut-on détecter ces patients qui ont ces anomalies génétiques ?

La détection de mutations génétiques n’est pas si simple, cela ne se fait pas en 24h : ça nécessite de faire un séquençage qui prend quelques jours au minimum et qui est assez coûteux. Cela pourrait être envisageable dans quelques cas comme celui des gens particulièrement fragiles.

Le dosage d’anticorps en revanche est simple et rapide, et s’apparente à une sérologie. On pourrait envisager un test qui puisse être mis en place de façon assez large et très en amont, y compris au diagnostic de l’infection, surtout chez des personnes à risque de plus de 65 ans.

Nous sommes en train de regarder la fréquence de ces auto-anticorps dans la population générale. Il faut tester des milliers de gens pour connaître la proportion de ceux qui ont des auto-anticorps (4). Nous avons déjà trouvé que ces auto-anticorps sont plus fréquents chez les hommes que chez les femmes. Ce qui pourrait expliquer le biais que plus d’hommes sont atteints de formes sévères de la COVID-19. Nous testerons aussi si la production des auto-anticorps augmente avec l’âge.

Nous recherchons aussi la cause de ces auto-anticorps qui préexistent à l’infection par le SARS-CoV-2. Nous supposons qu’il y aurait là aussi des bases génétiques comme cela a été montré pour d’autres maladies auto-immunes.

Dans votre laboratoire recherchez-vous des applications susceptibles de répondre à d’autres maladies virales ?

Ces auto-anticorps pourraient être aussi la cause d’autres maladies virales, autres que la COVID-19, auxquelles ces gens sont confrontés.

Pour l’aspect COVID-19, toute cette recherche se fait avec le consortium COVID Human Genetic Effort et les cohortes mentionnées dans les deux articles. Pour les infections non COVID-19, c’est davantage dans notre laboratoire.

Il y a des nouvelles alarmantes sur une mutation du virus Sars-CoV-2 ait muté. Cela a-t-il un impact sur votre étude ? Les vaccins sont-ils efficaces sur les deux variants?

A priori, cela ne change rien pour le côté interféron ; les interférons devraient être efficaces sur les deux formes. Pour le vaccin, cela reste à démontrer.

C’est très important pour votre laboratoire franco-américain que vous ayez été sélectionné par Nature ?

C’est une excellente surprise. D’autant que sur les dix découvertes, seules 2 ou 3 sont axées sur les sciences de la vie. Et puis c’est le seul papier qui n’ait pas été publié dans Nature, ça nous a très agréablement surpris. Nous sommes très honorés et heureux de cette distinction.

 Propos recueillis par Thérèse Bouveret

site web : https://www.covidhge.com/

(1)Jean-Laurent Casanova dirige la génétique et l’immunologie expérimentale dans les deux branches, tandis que Laurent Abel dirige la génétique et l’épidémiologie mathématique dans les deux branches. 

(2)Ces études ont été menées par des chercheurs de l’Inserm, d’Université de Paris et de l’AP-HP à l’Institut de recherche Imagine (hôpital Necker-Enfants malades AP-HP), et de l’Université Rockefeller et du Howard Hughes Medical Institute à New York en collaboration avec l’équipe dirigée par le Pr Guy Gorochov au Centre d’Immunologie et des Maladies Infectieuses (Sorbonne Université/Inserm/CNRS).

(3)Sources Inborn errors of type I IFN immunity in patients with life-threatening COVID-19 (Inborn errors of type I IFN immunity in patients with life-threatening COVID-19 – PubMed (nih.gov)Qian Zhang et al. Science, 24 septembre 2020 https://science.sciencemag.org/lookup/doi/10.1126/science.abd4570.

Auto-antibodies against type I IFNs in patients with life-threatening COVID-19 Paul Bastard et al. Science, 24 septembre 2020 https://science.sciencemag.org/lookup/doi/10.1126/science.abd4585

(4)L’analyse d’un échantillon contrôle de 1 227 personnes en bonne santé a permis d’évaluer la prévalence d’auto-anticorps contre l’IFN de type 1 à 0,33 % dans la population générale, soit une prévalence 30 fois inférieure à celle observée chez les patients atteints de formes sévères. Il faut affiner ces proportions sur un plus grand échantillon de personnes en population générale en fonction de l’âge et du sexe.