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Omini : Une nouvelle génération de dispositifs de tests sanguins portables et connectés pour suivre les maladies cardiovasculaires

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Deux jeunes scientifiques sont à l’origine de cette technologie innovante de plateforme d’analyse sanguine multiplex, l’une spécialisée en biochimie, l’autre en microélectronique. Elles ont une vision très claire du processus qui va du prototype jusqu’à l’industrialisation.

« Ces dispositifs de tests sont conçus à partir de bandelettes à usage unique sur lesquelles on va déposer une goutte de sang et d’un système de lecture portable qui va permettre de mesurer plusieurs marqueurs sanguins. Dans l’usage, ces bandelettes vont ressembler à celles qui sont utilisées pour les tests des diabétiques et reposent sur une technologie de capteurs électrochimiques. L’innovation : on a rendu ces capteurs multiplexes. Chaque capteur va pouvoir mesurer simultanément différentes combinaisons de marqueurs sanguins. L’insuffisance cardiaque est la première maladie chronique visée » explique Joanne Kanaan, présidente et co-fondatrice d’OMINI.

Quand les patients sont hospitalisés régulièrement pour insuffisance cardiaque, avec des conséquences assez violentes, leur vie est en danger, et ils ont besoin d’une surveillance régulière de différents paramètres d’où l’idée de suivre leurs marqueurs sanguins. L’objectif étant que ces patients reçoivent la bonne thérapie et évitent d’avoir des effets secondaires. « Ce dispositif leur permettra de faire un suivi régulier de quatre marqueurs sanguins qui vont nous indiquer l’état du cœur, s’il y a des remontées aiguës, si la thérapie fonctionne ou encore si elle induit des effets secondaires qui vont agir sur l’état des reins» précise-t-elle.

Un dispositif encore au stade du prototypage

« Nous en sommes à l’étape de prototypage et de l’optimisation de la technologie. Nous avons développé le capteur nous-mêmes, nous menons la R&D en interne. Aujourd’hui, les validations des paramètres de performance se font actuellement en laboratoire. Il nous faut atteindre des performances satisfaisantes pour pouvoir aller en étude clinique. Il y a une attente des cliniciens sur le taux d’erreur pour une mesure que l’on peut obtenir, quel est le minimum et le maximum qu’on va pouvoir mesurer. Nous avons démontré que nos tests ont la sensibilité nécessaire pour mesurer les différentes gammes de concentration des marqueurs qui vont varier chez un patient, l’objectif suivant sera d’atteindre des performances cliniques » poursuit la jeune-femme.

La société Omini a été créée en 2019 par Joanne Kanaan et Anna Shirinskaya. Elles se sont rencontrées dans le studio start-up du programme Entrepreneur First quand elles finissaient leur cursus.  L’une, Joanne, doctorante en biochimie à l’ENS, l’autre, Anna, post-doc en bioélectronique à Polytechnique.  Le premier brevet a été obtenu quand Anna a entamé la valorisation de la technologie en postdoc à l’X. Il est détenu par cette grande école qui a accordé une licence exclusive à la start-up Omini et poursuit une collaboration avec les jeunes chercheuses.  Elles ont déposé deux autres brevets depuis. La start-up est hébergée au sein du laboratoire ITODYS (sur les biocapteurs) de l’Université Paris Cité. Une convention d’accueil leur permet de travailler dans ces locaux et de garder l’accès aux machines dont elles ont encore besoin..

Les deux scientifiques font partie d’une nouvelle génération d’entrepreneuses d’une compétence rare. Grâce aux brevets d’Omini, elles ont obtenu une première bourse de financement French Tech DeepTech à la création, puis 6 réseaux de business angels français ont financé leur projet à hauteur de 900 000 euros (BADGE, AMBA, INSEAD BA, We like Angels, PSBA). Ce qui leur a permis d’obtenir le label et l’aide au développement DeepTech de Bpifrance. « Au total, nous avons levé 1 million d’euros en equity et un montant équivalent en aides, subventions et prêts » résume Joanne qui, se sentant apte à s’occuper des aspects stratégie, levée de fonds et orientations de la société, en est devenue la présidente tandis qu’Anna chapeaute la R&D. Elles sont assez complémentaires dans la gestion de l’entreprise. L’équipe se compose de 9 personnes, elles comprises, avec diverses spécialités : sciences de matériaux, biochimie, électronique, et même industrialisation.

Omini a été lauréate d’un AAP Défi Santé du CHU de Lille et la start-up a été accompagnée par une équipe de cardiologues et de biologistes dans le contexte de ce prix. La convention s’est terminée récemment « Nous avons été accompagnées par Eurasanté – Euratechnologie pendant plus de deux ans. Et cet été 2023, nous avons été lauréates d’un second AAP Santélys, une association (des Hauts de France) qui se consacre à tout ce qui est accompagnement des patients chroniques à leur domicile» ajoute Joanne. Pour l’instant Omini n’a pas encore établi de partenariat formel pour lancer des essais cliniques mais a noué des contacts avec des Key opinion leaders en cardiologie et acquis la certitude que le dispositif les intéresse.

Une plateforme d’analyse sanguine multiplexe

« C’est une création de zéro. Une technologie de capteurs qui va nécessiter des mécanismes d’électrochimie. Vous avez une bandelette qui va contenir à sa surface d’abord un petit circuit électrique (des électrodes). Ce circuit va servir à faire circuler un courant. Sur certaines de ces électrodes, on va mettre des éléments de reconnaissance biologiques ou chimiques. La force de ces capteurs est qu’on va pouvoir les adapter à des marqueurs très différents. Il y a une dimension de versatilité assez large. A cette technologie est venue s’ajouter la dimension multi-tests : nous avons changé le design, miniaturisé certaines configurations, certaines géométries de ces capteurs et des matériaux pour qu’à partir d’une petite zone, à partir d’un échantillon petit en volume, on puisse mesurer différents marqueurs simultanément ».

Tous les mécanismes vont reposer sur des variations de courant électrique. Que l’on mesure le marqueur cardiaque ou celui du rein, on va venir impacter des courants électriques qui circulent à la surface des bandelettes. Le rôle du lecteur est de mesurer comment varient ces signaux et les corréler à des quantités de marqueurs sanguins. Le lecteur traduit un changement de courant en des mesures de quantité.

Un projet industriel de fabrication de la bandelette pour le passage à l’échelle

D’ores et déjà, le chargé de l’industrialisation chez Omini, Jean-François, contacte les partenaires industriels et passe en revue les différentes méthodes machine pour passer à l’échelle.  « Nous avons voulu dès le début prévoir comment cette technologie va pouvoir passer à l’échelle industrielle. D’où notre certitude d’avoir des bandelettes rentables. Loin des méthodes coûteuses de fabrication, nous avons la certitude que les méthodologies de fabrication que nous avons retenues vont permettre de passer à l’échelle et de fabriquer des milliers de capteurs, à un coût accessible. D’ailleurs, nous menons de front l’optimisation du prototype et l’industrialisation du process et, quand il y a des modifications majeures, nous les testons directement avec des machines industrielles » détaille Joanne Kanaan.

« Nous avons sondé différents industriels. Pour le lecteur, nous avons déjà un partenaire industriel du milieu de l’électronique avec lequel nous avons rédigé un premier cahier des charges ». En revanche, Omini souhaite fabriquer les bandelettes elle-même parce qu’il y a tout le savoir-faire de la société. « Même si nous réalisons nous-mêmes le design et l’évaluation de la performance (la partie tests), il y a une dimension collaborative importante dans tout le sourcing et le montage d’un pilote industriel.» Sur les bandelettes, plusieurs disciplines se croisent. «  Nous interagissons régulièrement avec plusieurs industriels pour acheter les différents composants de notre bandelette, et avec les fabricants de machine que nous prévoyons d’utiliser, comme les machines de sérigraphie ou de dépôt automatique des composants biologiques ».

Une levée de fonds pour financer les essais cliniques

« Nous avons besoin de lever le tour suivant pour accélérer le développement. Nous menons actuellement une première étude comparative en laboratoire, pour comparer la performance de notre dispositif à l’état de l’art, qui sera suivie par une étude sur le terrain. Nous avons besoin de rajouter certains blocs tels que la connectivité pour envoyer de la donnée. L’entrée sur le marché nécessite la finalisation des travaux cliniques et la certification du dispositif, avant sa mise sur le marché» anticipe-t-elle.

Le test donne un résultat en moins de dix minutes. Le temps d’affichage dépend des marqueurs et de la vitesse de réaction. Le dispositif est conçu pour être simple à utiliser, il sera d’abord utilisé par les professionnels de santé accompagnant les patients et à plus long terme par le patient lui-même. Les patients insuffisants cardiaques sont âgés, plus de 70 ans, et reçoivent des visites régulières d’infirmiers. La stratégie est incrémentée. Les tests pourront aussi être utilisés en ville dans des structures de soins, dédiées à l’insuffisance cardiaque. « Il y a de plus en plus de centres, on va équiper ces professionnels qui entourent le patient. Le dispositif de tests sanguins a vocation à être commercialisé à l’international. Notre objectif est de maintenir le patient stable et d’éviter son retour à l’hôpital. Dans une seconde ou troisième intention, nous chercherons à rendre le patient autonome, mais c’est une autre brique. Si l’on ajoute que le patient se teste lui-même, cela implique une dimension de responsabilité assez forte et des certifications complémentaires. D’autant qu’en Europe, les normes ont changé, et peuvent prolonger le temps estimé pour obtenir la certification non pas parce que nous aurions pris du retard » prévoit Joanne.

Les entrepreneuses voient loin. « C’est une technologie de plateforme bien sûr. Nous avons démontré en démarrant avec l’insuffisance cardiaque, la versatilité et cette capacité à choisir à façon les marqueurs sanguins. C’est un besoin quand on a des maladies chroniques complexes.  Compte tenu de la versatilité du produit, nous pouvons le faire à façon. Ce qui permet de choisir à la carte et l’idée est de venir étoffer le portfolio de bandelettes. Avec un même dispositif de lecteur, on va créer un menu de bandelettes d’abord pour les maladies cardio-vasculaires et rénales ». D’autres perspectives germent déjà. La finalité du lecteur portatif universel peut s’utiliser avec plusieurs déclinaisons de marqueurs sélectionnés en fonction du besoin, et tout un choix de bandelettes. Omini a de beaux jours devant elle.

Thérèse Bouveret