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Paris Saclay pourrait devenir la Silicon Valley de la Biotech

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Interview de Céline Triquel, Responsable de l’innovation (head of innovation) chez Servier et qui dirige Spartners, l’accélérateur by Servier by BioLabs

Depuis vingt ans chez Servier, Céline Triquel, pharmacienne de formation, y a fait toute sa carrière à différents postes.  « Et depuis 5-6 ans l’entreprise a tellement évolué que j’ai l’impression d’avoir changé d’entreprises » dit-elle. Elle dirige Spartners depuis 3 ans.

Vous dirigez Spartners, l’accélérateur de Servier, opéré par la société BioLabs. Pouvez-vous présenter ce partenaire ?

BioLabs gère un réseau d’incubateurs aux Etats-Unis.  Il a fondé une quinzaine de sites, dont une douzaine aux Etats-Unis. Ils sont également présents en Europe, avec notamment deux sites en France, l’un en partenariat avec Servier à Paris-Saclay, et un autre au centre de Paris, à l’Hôtel-Dieu.

Quelle est la taille de cet incubateur ?

Spartners est un bâtiment de 2000 m2 sur 4 étages, moitié bureaux tertiaires, moitié laboratoires, construit sur notre site de R&D à Paris Saclay. Cet incubateur est opéré par Biolabs qui a l’expertise de monter ce type de lieux et avec qui nous collaborons depuis des années.  Avec eux, nous avons conçu les plans, les laboratoires, les équipements scientifiques..

De combien de temps date ce projet à Saclay ?

Les discussions avec l’opérateur BioLabs remontent à 2017. Depuis cette date, Servier émet un Golden Ticket qui permettra à une start-up d’intégrer le Lab Central à Boston, une initiative du PDG de BioLabs. Nous sommes engagés avec eux dans une démarche de soutien aux biotech de la santé humaine. Nous avons donc naturellement imaginé ensemble Spartners by Servier by Biolabs qui a ouvert ses portes l’année dernière.

Combien de start-ups ont été sélectionnées pour faire partie de Spartners ?

Sur la période d’exploitation depuis un an, pas loin de 10 comités de sélection ont eu lieu. Le dixième est actuellement en cours et 3 start-ups sont en cours d’intégration de Spartners, 6 sont résidentes, et il y en a eu 7 depuis un an, dont une qui est partie au Genopole pour s’étendre sur un espace trois fois plus grand. C’est un peu l’histoire/la logique de cet incubateur : c’est un endroit par lequel les start-ups passent pour accélérer leur R&D, ensuite elles s’étendent et partent se développer sur d’autres endroits plus propices à l’étape dans laquelle elles se trouvent.

Quelles sont les start-ups de cette première vague ?

Deux viennent du domaine de l’e-santé, la santé digitale ou des nouvelles technologies comme l’IA et travaillent pour améliorer la découverte de médicaments. Les 4 autres sont des biotechs qui ont des besoins de laboratoires.

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Incubateur BioLabs by Servier

Quelles sortes de laboratoires sont mis à disposition des start-ups ?

Nous nous sommes appuyés sur l’expérience de BioLabs et avons repris leur modèle typique. On est parti d’une liste d’équipements scientifiques nécessaires pour ce type de lieux, pour que les start-ups puissent manipuler en toute indépendance. Les start-ups peuvent aussi venir avec leur équipement. Elles ont bien entendu accès à des laboratoires. La liste des équipements est très longue :  il y une zone froide, des tanks d’azotes pour la manipulation de cellules, des centrifugeuses, des ultracentrifugeuses, des postes de sécurité microbiologiques, des sorbonnes. Il y a également des salles communes thématiques pour faire de la culture tissulaire, de la culture cellulaire, de la microscopie, de la microbiologie, de l’analytique avec des HPLC, de la préparation chimique.

En tout, il y a 9 salles thématiques auxquelles ont accès les entreprises à partir du moment où elles s’acquittent d’un bench (paillasse). Le principe de ce type d’incubateurs est qu’il s’adresse à des start-ups dont le besoin en laboratoire va de la paillasse à l’unité (un espace de travail en laboratoire de 1,20 à 1,50 m) jusqu’à des laboratoires entiers privatisés. Nous pouvons leur adjoindre tous les équipements dont elles ont besoin : c’est vraiment du all inclusive (tout compris).  Les start-ups peuvent choisir d’avoir une, deux ou trois paillasses, ensuite elles peuvent entrer à tout moment dans un laboratoire privatif tout équipé (sorbonne, MSP) de trois tailles possibles allant de 20 à 80 m2. C’est très évolutif, c’est une offre adaptable à tout instant. Certaines peuvent avoir démarré avec un bench, évoluer et avoir un labo privé le mois suivant.

Comment s’opère la sélection ? Vous avez un comité de sélection ?

Nous avons un comité de sélection qui intègre France Biotech, Medicen, la branche Life science du réseau des SATT, Bpi France, BioLabs et Servier. En général les membres du comité connaissent déjà les biotechs car elles sont déjà passées dans différents dispositifs. Elles sont connues et ça facilite les échanges.

Combien de temps restent-elles ?

Il n’y a pas de durée préétablie, elles restent le temps dont elles ont besoin. En revanche, nous sommes plutôt sur un format d’accélération sur un à deux ans, il y a du turn over. Les biotechs sont là pour accélérer leur R&D, ensuite souvent elles se tournent vers des lieux plus adaptés, tels que Kadans, qui va ouvrir d’ici deux ans, des lieux d’espaces “techtiaires” (laboratoires et bureaux) pour des sociétés plus matures, , et qui va être une option voie immédiate en sortie de Spartners.

Dans l’optique de Servier, ces start-ups sont-elles destinées à collaborer avec vous dans la durée ?

Notre modèle met à disposition tout le savoir-faire classique avec toute l’offre servicielle de BioLabs, mais également avec la présence des experts Servier. C’est unique en France. La proximité de 1200 chercheurs pour les accompagner, pour les aider se fait de manière totalement gracieuse, sans aucune revendication de partage de propriété intellectuelle ou de collaboration. C’est vraiment pour Servier dans l’idée de s’intégrer à l’écosystème en tant qu’acteur de l’innovation, et grâce à Spartners de générer de la valeur pour les patients et de l’innovation thérapeutique. Evidemment, in fine ce serait le Graal que d’avoir des partenariats entre les start-ups et Servier mais ce n’est pas une condition sine qua non. C’est plutôt un vœu qui, je l’espère dans les prochaines années, se concrétisera. Il n’y a aucune obligation quand une start-up entre chez Spartners d’avoir un partenariat, c’est du mentoring gratuit. Nous avons à y gagner, parce que ce sont des entreprises à la pointe de la technologie, et nous côtoyons ainsi de près l’innovation,  c’est en soi une plus-value très importante.

 Y-a-t-il dans cet incubateur des lieux de discussions entre les différentes équipes ?

Le troisième étage est un lieu réservé au networking, on crée des évènements, on fait venir les media dans des évènements scientifiques. BioLabs en a organisé parce que c’est eux qui opèrent le site. Mais il peut aussi y avoir des rencontres de chercheurs au sein de nos propres locaux.

J’ai coutume de dire que c’est un endroit étanche mais poreux. Il n’y a pas d’opérateurs Servier qui se baladent, nos badges ne passent pas dans les espaces des start-ups. Il faut que l’on montre que c’est un espace dédié à des start-ups qui sont totalement indépendantes. Néanmoins, on aurait tout perdu si nous ne favorisions pas des initiatives pour que les deux mondes se parlent.  C’est mon rôle d‘organiser des ponts entre les experts de Servier et les start-ups.

Au démarrage et à l’arrivée de start-ups, j’organise des réunions d’experts pour les salariés de la startup, avec les meilleurs experts de leur spécialité chez Servier pour les aider dans leur domaine. On a vu ainsi des startups changer totalement leur feuille de route en s’apercevant que leur orientation ne les amenait pas à un succès. Pour moi, c’est une preuve de concept de Spartners et des échanges très riches qu’elle génère.

Il s’agit de nouer ultérieurement une collaboration avec des industriels ?

Tout à fait. Spartners participe activement à l’accompagnement en biotechnologie pour faire mûrir des projets. Au cours de leur passage chez Spartners, les start-ups peuvent être mises en relation avec des experts de la technologie sur laquelle ils travaillent. Cette confrontation directe avec le monde industriel peut les aider à donner du sens à leur projet et envisager sereinement l’étape post-recherche. C’est-à-dire soit la vente de leur asset (actif), soit la signature de partenariats avec un autre acteur..

Vous êtes au sein d‘un écosystème scientifique très important à Saclay, avez-vous des collaborations avec des grandes écoles telles que Supelec ou l’X ?

Servier est effectivement sponsor de Polytechnique… Nous avons aussi un partenariat avec la French Tech, Paris Saclay, Incuballiance, et avec d’autres incubateurs de Paris Saclay. Nous sommes sur le point de lancer un collectif avec 4 acteurs majeurs (Genopole, Incuballiance, Kadans et Spartners) sur le plateau. Nous sommes tous des accompagnants de biotech depuis l’ante-création jusqu’à la maturation et le Scale up.  Une start-up peut donc naître sur le plateau, se développer, mûrir et devenir une réelle PME sur le même lieu. C’est tout l’intérêt de ce collectif : proposer le continuum d’offres sur le plateau et en faire un vrai atout pour les start-ups présentes.

Quels sont vos objectifs en termes de réalisation de produits finis, médicaments, thérapies ?

Nous sommes agnostiques sur le choix des aires thérapeutiques. Néamoins si la start-up est alignée sur nos aires thérapeutiques, elle bénéficiera plus facilement des conseils des « bons » experts de Servier, mais ce n’est pas une condition sine qua non. Par exemple, la start-up Sparing Vision se spécialise dans le domaine de l’ophtalmologie, et pourtant nous ne sommes pas du tout positionnés sur cette aire. Seule l’équipe de recherche de cette start-up évolue chez Spartners. Ils ont besoin de laboratoires d’histopathologie et nous avons organisé les choses pour qu’ils puissent « maniper » dans nos laboratoires pour des équipements qui ne seraient pas aujourd’hui chez Spartners. On l’a fait pour une autre société, AGS Therapeutics. Quand ils ont besoin d’un équipement que Spartners n’a pas, nous nous arrangeons pour le leur procurer.  Ainsi, nous avons mis à leur disposition au sein de Spartners un microscope de très haute technologie. Il s’agit d’un mentoring scientifique, intellectuel, expérimental, on va jusqu’à des prêts gracieux d’équipements.

D’ici deux ans vous aller renouveler les candidats ?

Nous sommes en recrutement. Il y a de la place chez Spartners pour 110 chercheurs et sommes donc en phase d’expansion du panel des résidents. Une campagne Golden ticket nous a permis de lancer un challenge, une compétition entre startups qui ont pu postuler. Cette campagne a eu lieu entre le 20 mars et le 20 mai dernier. Sur tous les candidats qui se sont présentés, 14 candidats ont été présélectionnés avec une shortlist de 4 start-ups qui ont concouru devant un jury d’experts et de financiers et qui se sont prêtées au jeu du pitch. Le gagnant, Kyron.bio, a obtenu un an de résidence pour une paillasse et pour un bureau. Un deuxième Golden Ticket vient d’être lancé : la campagne d’inscription s’arrête au 1er décembre.

Avez-vous des salles blanches ?

Tous les laboratoires (1000 m2) sont en BSL2, sauf le grand espace coworking lab de 220 m2 (où il y a toutes les paillasses) qui est en BSL1. Pour les startups qui en ont besoin de laboratoires BSL3, elles peuvent trouver dans l’écosystème par exempleau CEA à côté.

Etes-vous en concurrence avec d’autre incubateurs comme celui du Genopole ?

Nous avons pris la décision de nous organiser en collectif : Spartners et Genopole, des incubateurs qui pourraient se ressembler, Incuballiance (incubateur anciennement dit « Allègre », de la recherche publique), et Kadans, qui est la suite logique de Spartners. Nous travaillons beaucoup à la complémentarité de nos offres. Nous sommes sur le point de lancer ce collectif, avec l’intention de faire de Paris Saclay the place to born and grow (l’endroit pour naître et grandir) pour une start-up de la biotech. Au-delà de l’impact en termes de visibilité, l’idée est de montrer le continuum d’offres pour des biotech en santé humaine. L’évènement de lancement devrait avoir lieu au Lumen en décembre.

Outre le Golden Ticket avec Boston, y-a-t-il d’autres opérations similaires avec d’autres incubateurs ?

Nous avons monté des master classes pour faire connaître notre arrivée sur l’écosystème innovation-incubation, nous avons financé des conférences, du mentoring, mais c’était en amont de l’accélération de Spartners, c’était déjà en collaboration avec Biolabs.

Le Groupe Servier est également engagé sur du sponsoring de biotechs à San Francisco notamment dans le cadre du Programme FAST du CTSL en Californie, c’est Servier US en l’occurrence qui gère cette partie-là. Nous avons également sponsorisé, en tant que Spartners, avec BioLabs, l’accompagnement de 5 start-ups à la Convention Bio à San Diego, en finançant 5 partnering pass pour qu’elles puissent participer à des rendez-vous B to B avec de potentiels partenaires. Et ce en collaboration avec Medicen.

Parmi les biotech accélérées chez Spartners quels sont les produits très innovants développés ?

Ce sont des startups à la pointe technologique, soit elles offrent des briques technologiques pour accélérer la drug discovery, des innovations comme l’IA, l’édition de génome, les vecteurs lentivirus (pour créer des lignées cellulaires, faire de la thérapie génique, des vaccins ARN), on appelle ça aussi des plateformes technologiques qui visent à faire faire accélérer un des processus de la chaîne de découverte de médicaments. GEG Tech, les derniers arrivés, se positionnent sur l’ingénierie génétique via des nanoparticules. Non seulement ils ont une brique technologique, mais ils démarrent déjà des premiers essais cliniques avec des laboratoires pharma pour réellement amener des médicaments sur le marché. Enfin il y a AGS Therapeutics qui est partie et un nouvel arrivé, Darween Bioscience, société de biotechnologie végétale qui développe la prochaine génération de semences issues de la bio-ingénierie pour reproduire les protéines animales.

Ces startups sont à la pointe de la technologie. Certaines proposent des briques technologiques pour accélérer la découverte de médicaments, en intégrant des innovations comme l’intelligence artificielle, l’édition génomique ou encore les vecteurs lentivirus. Ces derniers sont utilisés pour créer des lignées cellulaires, développer des thérapies géniques ou des vaccins à ARN.

Par exemple, Sparing Vision, dirigée par Stéphane Boissel, développe un programme clinique d’édition génomique pour traiter des maladies ophtalmologiques. ALGENSCRIBE, co-fondée par Frédéric Zampatti, développe une propose quant à elle une technologie basée sur CRISPR pour l’édition de génome. Il s’agit là d’une technologie de très haut niveau.

Est-ce que vous cherchez à recruter des start-ups à l’international ?

Pour l’instant, il y a un tropisme un peu français mais nous sommes ouverts à tous les profils de start-ups. D’ailleurs, la CEO de la startup qui a gagné, Kyron.bio (Technology | Kyron.bio) dont l’installation est imminente est britannique.

La ligne de métro 18 va bientôt arriver à Saclay ?

L’arrivée est prévue en 2026 ; on voit déjà les pylônes de la ligne 18 et déjà la station sera en face de la faculté de Pharmacie Chimie Biologie (PCB) à 5 minutes de chez nous. Mais j’insiste sur le fait que nous avons mis à disposition des salariés 7 lignes de navettes qui sillonnent la région (avec 2 horaires le matin et 2 horaires le soir) et ce, jusqu’au Loiret (Orléans).  Nous avons levé ce pain point (motif de mécontentement) des transports. Un problème temporaire bien résolu avec ces navettes également offertes aux résidents des startups à titre gracieux.

Propos recueillis par Thérèse Bouveret