Santé humaine
Édito
Pollution de l'air : comment s'attaquer aux racines du mal
Edito du Sénateur René Trégouët, en collaboration avec RTFlash
Prenant une mesure radicale qui continue de susciter de vifs débats, la Ville de Paris a décidé, depuis le 1er juillet 2016, d’interdire la circulation dans la capitale de tous les véhicules datant d’avant 1997. En outre, depuis le 16 janvier 2017, les automobilistes parisiens doivent apposer une vignette écologique Crit’Air sur leur pare-brise s’ils veulent pouvoir circuler, sous certaines conditions, dans Paris. Progressivement, cette interdiction des véhicules va continuer à s’étendre et devrait conduire à une disparition complète des véhicules diesel de toute nature dans Paris à l’horizon 2020.
Il est vrai que la question récurrente de la pollution sur la santé a pris une dimension nouvelle depuis qu’en juin 2012 le centre de recherche sur le cancer (CIRC), basé à Lyon, a reconnu que les fumées résultant de l’utilisation des moteurs diesel étaient cancérigènes, notamment à cause des particules fines qu’elles contiennent et qui pénètrent au plus profond des alvéoles pulmonaires
Depuis cette publication du CIRC, ce débat n’a cessé de prendre de l’ampleur et la communauté scientifique estime qu’il y aurait chaque année, en France, entre 15 000 et 48 000 décès prématurés (selon les études épidémiologiques retenues), qui seraient provoqués par cette seule pollution aux particules fines. Concernant la région parisienne, une récente étude estime que la pollution de l’air serait responsable de 2 441 morts chaque année à Paris et 4 166 dans la proche banlieue.
On se doute, certes, depuis plusieurs décennies que la pollution de l’air, qu’elle provienne de l’industrie, des transports ou encore de certains modes de chauffage, doit avoir des conséquences médicales et sanitaires néfastes. Mais celles-ci ont été longtemps difficiles à évaluer car les effets de la pollution sur la santé sont diffus et s’étalent sur de très longues périodes de temps. Pourtant, plusieurs études épidémiologiques très solides ont tiré la sonnette d’alarme depuis une bonne dizaine d’années.
Dès 2005, une remarquable étude britannique conduite par le professeur Knox, de l’Université de Birmingham, montrait, en s’appuyant sur l’analyse des dossiers médicaux de 12 000 enfants décédés de cancer ou de leucémie entre 1953 et 1980, que le fait d’être exposé à une forte pollution de l’air à moins de 500 mètres d’un grand axe routier ou d’un site industriel polluant multipliait par 12 le risque pour un enfant de décéder d’un cancer. Fait aggravant, l’étude révélait également que ce risque de cancer augmentait sensiblement chez les enfants dont les mères avaient vécu pendant la grossesse à proximité d’une source de pollution de l’air.
Depuis ces travaux de référence du professeur Knox, d’autres études ont montré que la pollution de l’air a également des conséquences très néfastes en matière cardio-vasculaire. Une étude européenne publiée en décembre dernier, et portant sur 41 000 personnes vivant dans cinq pays européens, a par exemple montré que l’exposition à long terme à la pollution de l’air ambiant augmentait le risque d’hypertension. Selon ces recherches, le fait de vivre dans une zone urbaine polluée augmenterait autant les risques d’hypertension que le surpoids…
Cette étude montre notamment que l’exposition à chaque tranche supplémentaire de cinq microgrammes de particules fines augmente le risque d’hypertension artérielle d’un cinquième pour les habitants vivant dans les quartiers soumis à une forte pollution de l’air, par rapport à ceux vivant dans les zones urbaines les moins touchées par cette pollution.
Mais ce que l’on sait moins et qu’on commence à découvrir, c’est que cette pollution de l’air pourrait également avoir un impact très néfaste sur le fonctionnement de notre cerveau. Il y a quelques semaines, début janvier, une étude canadienne dirigée par le docteur Hong Chen, de l’Institut de santé publique canadien, a montré que le fait de vivre à moins de 50 mètres d’une voie de circulation importante augmenterait de 7 % le risque de développer une démence. Et à 100 m de distance, ce risque supplémentaire de démence serait encore de 4 %.
Cette vaste étude épidémiologique, qui a porté sur l’observation pendant 11 ans d’une population totale de 6 millions d’habitants, estime que 7 à 11 % des cas de démence pourraient être liés au simple fait d’habiter à moins de 50 m d’un axe routier important. Selon cette étude, l’exposition prolongée à une concentration importante de particules fines mais également de dioxyde d’azote (NO2) aurait des effets très délétères sur le cerveau en favorisant un processus inflammatoire affaiblissant notre système immunitaire.
Dans leur protocole d’analyse, ces chercheurs canadiens ont essayé de mesurer l’impact de cette pollution atmosphérique sur l’incidence de trois pathologies neurodégénératives : les démences, la sclérose en plaques et la maladie de Parkinson.
Au terme d’un gigantesque travail de recueil et d’analyse de données, ces chercheurs ont comptabilisé, de 2001 à 2012, environ 250 000 cas de démence, 9 000 cas de sclérose en plaques et 32 000 cas de maladie de Parkinson. De manière très intéressante, ces scientifiques ont constaté qu’il existait une relation très nette entre le fait d’avoir son domicile à proximité d’un grand axe routier et le risque de développer une démence. En revanche, l’étude n’a pas permis d’établir une telle relation de cause à effet en ce qui concerne le risque de maladie de Parkinson et de sclérose en plaques. Cette étude canadienne confirme et complète une autre étude publiée le 1er janvier 2017 et réalisée par des chercheurs de Harvard. Selon ces recherches, le risque de développer une maladie neurodégénérative augmente de manière proportionnelle à l’augmentation de la concentration de particules fines dans l’air.
Comme l’étude canadienne, cette étude américaine est d’autant plus solide qu’elle repose sur l’analyse d’un très grand nombre de dossiers médicaux. Les chercheurs d’Harvard ont en effet passé au crible l’évolution de la situation médicale de 9,8 millions d’américains, vivant dans une cinquantaine de métropoles américaines. Corroborant les conclusions de l’étude canadienne, le résultat de cette étude est également sans appel : pour chaque augmentation d’un microgramme par mètre cube d’air de la concentration de particules fines, le risque d’être hospitalisé dans l’année augmente de 8 % pour une démence et de 15 % pour une maladie d’Alzheimer.
Au niveau mondial, on ne s’en étonnera guère, l’exposition à une forte pollution de l’air fait également des ravages. Dans une étude publiée en mars 2014, l’OMS a évalué à 7 millions le nombre de personnes qui sont victimes chaque année d’une mort prématurée provoquée par ce type de pollution.
L’UNICEF souligne pour sa part que cette pollution de l’air, qui a augmenté de 10 % depuis 10 ans dans les zones urbaines de la planète, provoquerait de décès d’au moins 600 000 enfants de moins de cinq ans chaque année.
S’agissant de la France, la situation est tout aussi préoccupante : en juin 2016, une étude de Santé Publique en France a en effet évalué à 48 000 morts prématurées les effets de la pollution de l’air due aux particules fines. L’étude précise que 34 000 décès seraient évitables. Selon ce rapport, le coût sanitaire et humain de la pollution de l’air se situerait au troisième rang, derrière celui du tabac (78 000 morts) et de l’alcool (49 000 morts) et cette pollution représenterait une perte d’espérance de vie pour une personne âgée de 30 ans pouvant dépasser les deux ans.
Mais la pollution de l’air n’est pas seulement un drame humain et un fléau sanitaire, elle est également une charge financière tout à fait considérable pour notre pays, comme l’a bien montré un remarquable rapport publié par le Sénat en juillet 2015. Intitulé « Pollution de l’air, le coût de l’inaction », ce rapport estime que la pollution de l’air en France coûte chaque année 101,3 milliards d’euros. Deux fois plus que le tabac (47 milliards d’euros).
La commission d’enquête sénatoriale, présidée par le sénateur de Meurthe-et-Moselle Jean-François Husson, a réalisé pour la première fois un travail très complet visant à estimer la charge financière globale de la mauvaise qualité de l’air. L’évaluation inédite intègre non seulement les dommages sanitaires de la pollution, mais également ses conséquences sur les bâtiments, les écosystèmes et l’agriculture. Comme le souligne Jean-François Husson, « La pollution n’est pas qu’une aberration sanitaire, c’est aussi une aberration économique ».
Il est vrai que depuis 30 ans, selon une étude de l’INSEE publiée en avril 2013, la pollution globale de l’air n’a pratiquement pas régressé, du fait notamment de l’augmentation de la population du parc automobile et des déplacements individuels. Entre 1980 et 2015, le parc automobile français est passé de 21 à 32 millions de véhicules, soit une augmentation de 55 %. Et même si depuis quatre ans la part des véhicules diesel vendue chaque année est passée de de 66 à 38 %, il faudra, en l’absence de mesures politiques fortes, au moins 20 ans à notre parc automobile pour éliminer totalement l’ensemble des véhicules diesel.
Mais ce défi humain et économique majeur que représente la pollution de l’air est d’autant plus difficile à relever que, contrairement à bien des idées reçues, le secteur des transports n’est pas le plus polluant, notamment en matière d’émissions de particules fines qui sont les plus néfastes pour la santé. Selon plusieurs études, dont celle réalisée par le Centre Interprofessionnel Technique d’Etudes de la Pollution Atmosphérique (Citepa), le secteur des transports ne serait responsable que de 15 % à 20 % des émissions de particules fines en France. Le secteur agricole émettrait pour sa part environ 20 % des particules fines. Enfin, le secteur industriel et le chauffage des bâtiments, seraient respectivement émetteurs de 30 % des particules fines présentes dans l’air.
La polarisation très médiatisée concernant la pollution liée aux transports serait donc l’arbre qui cache la forêt des autres sources de pollution qui, bien que très importantes, restent largement sous-estimées ou même ignorées du grand public et des medias. On sait par exemple à présent que dans certaines régions de montagne, l’engouement tout à fait louable pour le chauffage au bois, réputé naturel et écologique, est en fait responsable d’une pollution importante et néfaste par les particules fines, pollution qui peut parfois dépasser dans certains secteurs celle liée au transport routier.
Cette situation s’explique assez simplement par le fait que seuls les poêles et chaudières à bois récents sont parfois équipés de filtres à particules et que ces derniers restent onéreux et doivent être régulièrement nettoyés pour conserver leur efficacité.
Si nous voulons réduire de manière massive et durable la pollution de l’air dans un délai raisonnable, c’est-à-dire moins d’une dizaine d’années, nous devons accepter de considérer ce problème dans toute son ampleur, sa diversité et sa complexité. Nous devons notamment mettre en place une fiscalité environnementale globale et intelligente qui favorise la transition vers les énergies renouvelables mais intègre également la variable constituée par le niveau final réel de pollution et l’impact sur la santé humaine.
Mais cela ne suffira pas et il faut également que nous sachions mobiliser des ressources financières et humaines beaucoup plus importantes pour accroître notre effort de recherche fondamentale dans les domaines stratégiques de la production et du stockage propres de l’énergie. Les États-Unis et le Japon ont bien compris cette nécessité et travaillent sur des programmes de recherche à long terme, visant notamment à mettre au point des piles à combustible domestiques et des panneaux solaires hybrides assurant une production conjointe entièrement propre d’électricité et de chaleur.
Notre pays doit suivre cette voie car seul cet effort de recherche et d’innovation sur le long terme nous permettra à la fois de disposer d’un nouveau et puissant moteur d’emploi et de compétitivité économique et d’améliorer de manière décisive notre qualité de vie en réduisant massivement et de manière irréversible les effets dévastateurs de la pollution de l’air.
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat