10 OCTOBRE 2022
L’anesthésie a pour but de plonger le cerveau dans un état inconscient dans
lequel notamment les sons ne sont pas perçus. Dans cet état, les neurones du
cortex auditif sont pourtant encore stimulés par les sons, mais ceux-ci ne sont
plus perçus par le cerveau. Des chercheuses et chercheurs de l’Institut Pasteur,
du CNRS et de l’Université Paris-Saclay, ont révélé un nouveau mécanisme
neuronal accompagnant le passage de l’état de perception consciente à l’état
inconscient, sous anesthésie. Une technique d’imagerie optique de pointe, la
microscopie multi-photon, a permis de suivre l’activité de près d’un millier de
neurones dans le cortex auditif pendant le passage de l’état éveillé à l’état
d’anesthésie, chez un modèle murin. Les résultats indiquent que dans l’état d’éveil
certains groupes de neurones répondent aux sons, ou d’autres sont
spontanément actifs (témoins de l’activité permanente du cerveau). Au contraire,
pendant l’anesthésie les groupes de neurones qui répondent aux sons se
confondent avec ceux spontanément actifs. Ainsi, dans l’état inconscient produit
par l’anesthésie, le cortex cérébral masque les entrées sensorielles par sa propre
activité, dite « spontanée ».
Ces résultats, publiés dans la revue Nature Neuroscience le 28 septembre 2022,
ouvrent de nouvelles perspectives pour la modélisation des états de vigilance.
Si les mécanismes de réception des sons par l’oreille commencent à être très bien compris,
ceux de la perception des sons, de leur interprétation et de la prise de conscience de la
sensation sonore le sont beaucoup moins. Les neurosciences de l’audition, et de la perception
sensorielle en général, butent à cet égard sur de nombreuses questions. L’une d’elle concerne
les mécanismes qui différencient la perception consciente – celle que nous pratiquons à l’état
d’éveil – du traitement des sons ayant lieu dans le cerveau pendant des états non-conscients tel
que le sommeil, ou bien sous anesthésie.
Pourquoi le cortex auditif est-il activé lorsqu’un son arrive à l’oreille d’une personne ou d’un
animal anesthésié et cependant, sous anesthésie, il n’y a pas de perception consciente du son
chez l’homme ?
Cette question restait insoluble jusqu’alors car les mesures d’activités neuronales disponibles
ne renseignaient que sur l’activité d’un neurone ou de petits ensembles de neurones
enregistrés isolément au sein des immenses réseaux de neurones qui constituent le cortex.
Ces données ne permettaient donc pas d’apprécier l’activité coordonnée de ces réseaux.
D’autres ensembles de données récoltés à l’échelle cérébrale permettaient de déduire l’activité
moyenne de ces grands réseaux mais sans en connaître les détails. Ainsi, il n’était pas possible
d’extraire suffisamment d’informations sur l’activité du cortex pour capturer les différences
fondamentales de traitement sensoriel entre l’éveil et l’anesthésie.
Dans cette étude, les équipes de Brice Bathellier (Dynamique du système auditif et perception
multisensorielle / Inserm) à l’Institut de l’Audition, centre de l’Institut Pasteur et d’Alain Destexhe
(Institut des neurosciences Paris-Saclay / CNRS / Univ. Paris-Saclay) ont utilisé une technique
d’enregistrement optique, l’imagerie calcique par microscopie multiphotons, pour suivre l’activité
d’ensembles de près d’un millier de neurones dans le cortex auditif entre l’état d’éveil et l’état
d’anesthésie chez la souris. Les scientifiques ont ensuite utilisé des méthodes mathématiques
pour étudier la disposition des groupes de neurones qui s’activent en réponse à un ensemble
de sons variés. Ces observations nouvelles ont permis de découvrir que si dans l’état d’éveil et
d’anesthésie les sons activent des neurones, les groupes impliqués changent fortement entre
les deux états.
Par ailleurs, le cortex est une structure constamment active, même en l’absence de stimulation.
En comparant cette activité dite « spontanée » à l’activité déclenchée par des sons, les
chercheurs ont fait une nouvelle observation. Alors que, pendant l’éveil, les groupes de
neurones activés par des sons diffèrent des groupes de neurones activés spontanément,
pendant l’anesthésie, les groupes de neurones répondant aux sons sont aussi
systématiquement activés pendant l’activité spontanée. Ainsi, le cortex auditif répond bien à la
stimulation sonore sous anesthésie, mais cette réponse se confond avec sa propre activité
interne.
Ces observations suggèrent un mécanisme pour expliquer le paradoxe de la perception
auditive et par extension de la perception sensorielle sous anesthésie. « L’activation de
neurones du cortex sous anesthésie non seulement diffère fortement dans sa structure de celle
observée pendant l’éveil, mais surtout, elle ne peut pratiquement pas être distinguée de
l’activité spontanée du cortex. Les réponses neuronales du cortex auditif sous anesthésie sont
donc effectivement « silencieuses » pour le reste du cerveau car elle se confondent avec son
propre « bruit ». De manière symétrique, ces résultats indiquent qu’une des conditions de la
perception consciente est que le cortex puisse activer des groupes de neurones distincts de
ceux qui sont activés spontanément. » explique Brice Bathellier, co-principal auteur de l’étude.
« Dans un sens, le cortex éveillé est plus « créatif » parce qu’il génère de nouveaux motifs
d’activité en réponse aux sons, et qui leur sont spécifiques, alors que cette spécificité semble
inexistante lors de l’anesthésie. Il reste à voir si les mêmes conclusions s’appliquent aussi à
d’autres états comme le sommeil. » note Alain Destexhe, co-principal auteur de l’étude.
Ces résultats apportent aussi des informations nouvelles sur les mécanismes de la perception
consciente des sons ou d’autres signaux sensoriels, et permettent d’envisager de nouveaux
modèles de traitements conscients et inconscients de l’information dans les autres régions du
cortex cérébral.
En outre des institutions mentionnées précédemment, ce travail a été soutenu par la Fondation
pour l’Audition et le projet européen Human Brain Project.
Awake perception is associated with dedicated neuronal assemblies in cerebral cortex,
Nature Neuroscience, 28 septembre 2022
Anton Filipchuk1, Joanna Schwenkgrub2, Alain Destexhe1*†, Brice Bathellier1,2,*†
1 Department for Integrative and Computational Neuroscience (ICN), Paris-Saclay Institute of
Neuroscience (NeuroPSI), UMR9197 CNRS/Université Paris-Saclay, Campus CEA, 151 Rte de la
Rotonde, 91400 Saclay
2Institut Pasteur, Université de Paris, INSERM, Institut de l’Audition, 63 rue de Charenton, F-75012
Paris, France.
*Corresponding author. Email: brice.bathellier@cnrs.fr, alain.destexhe@cnrs.fr
† These authors contributed equally to this work
https://doi.org/10.1038/s41593-022-01168-5