Fondée en 2018, la startup a levé 2 millions d’euros en seed auprès de business angels et compte 15 salariés. CLEO, son premier outil d’aide au diagnostic utilisant l’IA dans le domaine du cancer du sein devrait obtenir le marquage CE en juin 2021.
Il y a très peu d’équipes qui travaillent dans le domaine de l’IA en anatomopathologie ( ou ACP pour anatomie et cytologie pathologique) : 40 start-ups dans le monde, 10 en Europe. Primaa est l’une d’elle. L’Anatomopathologie est un métier très spécifique et seules quelques équipes travaillent, en particulier, sur des lames numérisées pour faire de l’aide au diagnostic dans le domaine du cancer. L’étape « anapath » est indispensable : il faut que les lames, contenant les prélèvements de tissus biologiques, soient analysées par pour connaître le type de cancer et son état d’avancement. C’est ce qui différencie Primaa des sociétés qui utilisent l’IA pour analyser les images de radiologie dans le domaine du cancer.
« Le projet est né en 2017 lors d’une réunion de famille au cours de laquelle nous discutions des avancées de l’intelligence artificielle sur la reconnaissance d’images » raconte Marie Sockeel, médecin et anatomopathologiste qui travaillait depuis dix ans en Anatomie Pathologique, et alors en poste chez Praxea, le plus grand laboratoire d’Ile-de-France dans le domaine. Elle complète sa formation par un master Gestion et Politiques de santé à Science-Po où elle découvre l’excellence du système de santé et de sa discipline, l’Anatomie Pathologique, en France.
« Si l’on utilise les techniques de reconnaissance d’images sur le métier d’anatomopathologistes, des médecins qui font du tri, de la sélection d’images, cela révolutionnera la discipline. Cela nous apportera une grande aide. Depuis trente ans, nous sommes toujours aussi peu nombreux dans cette profession : 1500 en France, 40 000 dans le monde alors qu’en parallèle le nombre de cancers explose : il est multiplié par deux tous les dix ans au niveau mondial. La charge de travail augmente et la profession requiert des technicités toujours plus importantes. Il y a des départements en France où il n’y a pas du tout d’Anatomo-Pathologiste : il faut suppléer à ce manque dans les territoires où l’accès au diagnostic est difficile, ce qui a pour effet de le retarder. Or, il faut avoir un diagnostic en temps et en heure alors que le combat contre le cancer est un combat contre le temps » argue-t-elle.
La création de la société Primaa en 2018 découle de cette conversation fructueuse entre trois membres de la même famille aux compétences diverses : Marie, Fanny Sockeel, sa sœur, diplômée d’une école de commerce avec un parcours dans la banque, et leur cousin, Stéphane Sockeel, mathématicien diplômé de l’ENS Cachan qui a fait une thèse en sciences sur les IRM cérébraux.
Une levée de fonds de 2 M€ en seed en 2020 a permis à l’équipe de se renforcer. « Nous sommes 15 personnes, aujourd’hui, dont une grande partie sont des data scientists en capacité de développer des algorithmes d’IA en reconnaissance d’image, de type machine learning et deep learning, sur des lames d’anatomo-pathologiques » poursuit la conseillère médicale chargée du développement des partenariats de Primaa.
« Second objectif de la levée de fonds : acquérir des bases de données ».
Les lames numérisées sont des bases de données assez rares. « Nous avons réuni la plus grande base de données dans le cancer du sein : 200 millions d’images annotées par des médecins spécialistes en ACP, avec lesquels nous travaillons en réseau : ils nous aident à annoter et labéliser cette base de données. Une étape quasi indispensable pour faire de l’IA » poursuit Marie Sockeel.
« Ce sont des données hétérogènes. Il faut comprendre que la coloration et la préparation de la lame est une étape très importante car elle n’est pas la même partout. Il faut donc que la base de données représente tous les types de colorations. Il faut prendre en compte aussi le format d’image car il n’y a pas de format unifié DICOM. Il n’y a que 7 grandsfabricants de scanners de lame dans le monde avec chacun des formats différents. Il nous faut donc être en capacité de travailler avec tout type de scanners et toutes les préparations de lames dans tout type de coloration ».
Primaa travaille en coloration standard, au format international (HE hematoxyline + éosine). La particularité de l’anatomopathologie française est de rajouter à la coloration standard du safran. La base de données est extrêmement hétérogène ( certains labos n’ont pas de safran). « Comme des laboratoires européens nous ont fourni également des données, nous avons intégré différents types de colorations.Ainsi, dès le début nous avons été habitués à travailler avec des bases de données très diverses » explique-t-elle.
Quel est le processus de labélisation des lames ? « Nous travaillons avec une trentaine de médecins « anapaths ». C’est une révolution pour cette spécialité et ils sont très actifs pour nous aider. Ce sont eux qui labelisent les lames » ajoute-t-elle. Cela se fait en plusieurs étapes : elles sont d’abord lues par un groupe de médecins, puis relues une seconde fois et enfin par un troisième groupe pour avoir une certitude de diagnostic « Nous créons un cockpit pour aider l’anatomopathologiste à analyser les lames et attirer son attention s’il y a quelque chose à voir » résume-t-elle, précisant : « il s’agit bien d’une aide au diagnostic. Le médecin décidera du diagnostic final dont va découler la prescription, l’intervention clinique ».
Marquage CE dans le cancer du sein
« Notre produit CLEO, dans le cancer du sein, va obtenir le marquage en juin 2021 » annonce-t-elle. Il est très important pour Primaa de travailler sur ce cancer le plus fréquent en France (58 000 nouveaux cas en France en 2018) et responsable du plus grand nombre de décès par cancer chez la femme (12 000 décès/an en France) 1. Pour Primaa, l’objectif cette année est de déployer CLEO dans les laboratoires d’anatomopathologie français et européen et d’étendre l’utilisation des outils d’intelligence artificielle aux pathologies digestives, urologiques, gynécologiques et dermatologiques. « Nous sommes déjà en train d’acquérir une nouvelle base de données de lames numérisées (dans les pathologies de la peau, digestives et urologiques). Ce qui était long, c’était de développer les premiers algorithmes sur lesquels des brevets sont en cours de dépôt. Les prochains développements seront maintenant plus rapides. Il faut simplement qu’on entraîne ces algorithmes avec des bases différentes. »
La clientèle de la société sera composée de laboratoires d’« anapaths » à l’hôpital ou dans le privé. « C’est donc une course contre le temps d’avoir des diagnostics plus rapides. Les tests que nous avons faits avec notre logiciel ont montré que les médecins anatomopathologistes arrivent à être deux fois plus rapides à valider leurs comptes-rendus » précise-t-elle. “Et ce sera bénéfique pour tous les acteurs de la chaîne de prise en charge du cancer : les oncologues, les radiologues, les chirurgiens… et surtout pour le patient ! ”
Implantée au sein de différents réseaux, européens comme EIT Health et francilien, le pôle de compétitivité Medicen, la startup est très active pour répondre à des appels à projet.
« Notre stratégie est de démarrer localement , nous accordons beaucoup d’importance à travailler avec la France, notre base de données est majoritairement française, nous voudrions montrer que ça marche ici. Pour autant, notre marché est européen : les médecins anatomopathologistes suivent des recommandations internationales et exercent un métier relativement harmonisé à l’échelle européenne et mondiale. Nous sommes en train notamment de signer des partenariats avec des hôpitaux en Suisse et en Angleterre. L’enjeu pour la société en 2022 est de pouvoir s’étendre à d’autres pays Européens. Ainsi voudrions-nous préparer une levée de fonds en série A pour 2022. D’où l’importance pour nous d’obtenir le marquage CE en juindans cet objectif» annonce Marie Sockeel. Nul doute que cette société est promise à un bel avenir.