Santé humaineDiagnostics
Communiqué de presse
Quelle place pour les organoïdes dans la recherche et le développement thérapeutique ?
Jeudi du PSCC #8 – Focus sur les modèles précliniques en oncologie
Pour la 8ème édition des « Jeudi du PSCC », le Paris Saclay Cancer Cluster a réuni 3 experts du monde académique, industriel et de l’investissement en santé autour de la thématique des organoïdes et leur place en tant que modèles précliniques dans la recherche et le développement thérapeutique en oncologie.
Vers des modèles précliniques représentatifs de l’hétérogénéité de la tumeur – par Fanny Jaulin, Gustave Roussy
Tout d’abord, Fanny Jaulin, directrice de recherche et chercheuse à Gustave Roussy, a présenté les travaux de recherche menés par son équipe sur les organoïdes dérivés de tumeurs de patients. La recherche en oncologie, qui s’appuie tout d’abord sur des tests précliniques, doit faire face à l’hétérogénéité des patients. En effet, chaque patient, pour un même cancer, développe une tumeur unique et requiert un traitement personnalisé, afin d’augmenter la réponse à la thérapie et limiter les effets secondaires. Actuellement, 210 médicaments sont en cours d’évaluation clinique. Ce nombre augmentera d’un facteur 10 avec cette nouvelle approche de personnalisation du traitement. L’impact se retrouve également sur le coût des traitements estimés à 100,000 € aujourd’hui et à plus de 400,000 € dans les prochaines années. Avec l’essor de l’analyse génomique dans les années 2000, des mutations spécifiques de tumeurs ont pu être mises en évidence et conduit à l’amélioration de la prise en charge pour 7 à 15% des patients. Ces outils ont montré leur limite pour explorer la complexité tumorale. Des modalités de tests fonctionnels sur des cellules de patients conduites ex vivo ont permis d’améliorer l’identification de cibles et médicaments notamment pour les cancers hématologiques (Kornauth et al., 2022, Cancer Discovery). Un travail similaire de reconstitution de la complexité de la tumeur solide est amorcé dès 2009 afin d’améliorer l’identification de cibles et la prédiction d’effet d’une molécule thérapeutique (Sato et al., Nature 2009). Ces premiers organoïdes, amas de cellules vivantes fonctionnelles en 3D, peuvent s’amplifier ex vivo indéfiniment, sont versatiles et peu onéreux, et sont établis à partir de tissus pathologiques, dits « organoïdes dérivés de patients » (PDO). Dans ce contexte, l’équipe de Fanny Jaulin, a structuré et coordonne activement un consortium (RHU Organomic, 2022-2027) regroupant les meilleures expertises académiques et industrielles afin de montrer à travers un large essai clinique l’importance de la médecine de précision, notamment en s’appuyant sur les modèles d’organoïdes. Ce programme de recherche translationnelle va mettre en œuvre plusieurs outils de diagnostic et orientation de la stratégie thérapeutique, appelés « ORGANOGRAM » : (i) « CHEMOGRAM» pour identifier le traitement efficace à partir d’un large panel de traitements anti-cancer, (ii) « INVAGRAM » pour distinguer les cancers indolents des cancers agressifs afin d’adapter le suivi du patient, (iii) « IMMUNOGRAM » pour caractériser l’immunogénicité de la tumeur et prédire la réponse aux thérapies dites bloqueur des points de contrôles (« immune checkpoint blockers », ICB). Les missions de ce programme d’envergure sont d’installer la technologie PDO au sein du parcours clinique du patient, d’établir la validité clinique des PDO et de déterminer l’utilité clinique, c’est-à-dire le bénéfice pour les patients.
Au sein de son équipe de recherche, des premières études ont été conduites sur des cohortes de patients atteints de cancers digestifs, plus précisément colorectal (40 patients, CRC) et pancréas (81 patients, PDAC). La validité clinique a été mise en évidence, notamment pour « CHEMOGRAM », l’identification du traitement pour le patient avec un bon taux d’engagement respectivement (au moins 62%), un délai de réponse court (moins de 7 semaines), une bonne sensibilité et spécificité du test (minimum 75%). De premiers résultats sur l’utilité clinique ont été obtenus avec des médecins oncologues de Gustave Roussy, Pr. Michel Ducreux et Dr. Alice Boileve, dans le cadre de l’essai clinique ORGANOTREAT, au cours duquel ils ont montré un taux de succès de 100% pour l’identification du traitement pour des patients CRC et un délai de prise en charge inférieur à 6 semaines. L’évaluation du bénéfice du traitement orienté par cette technique est en cours d’analyse.
Fanny Jaulin a fondé cette année la start-up Orakl Oncology, une plateforme Techbio, qui permettra de mettre à disposition des industriels développant des immunothérapies, des avatars de tumeurs avec pour objectif d’identifier de nouvelles cibles et de cribler de nouvelles molécules. Ce lancement s’insère également dans une démarche de réduction de l’utilisation des animaux dans le développement des médicaments, comme récemment acté par la FDA (FDA modernization Act 2.0). La start-up Orakl Oncology met à disposition des industriels un modèle hybride combinant la biologie et les données associées à la tumeur, tout d’abord pour le cancer colorectal et le cancer du pancréas. La proposition de valeur est de ramener le patient au centre du développement du médicament en augmentant le débit d’évaluation préclinique et la signature prédictive de réponse.
Une standardisation des modèles organoïdes pour une meilleure évaluation des molécules anti-cancéreuses – par Perrine Pinon, Merck KGaA
En lien avec cette approche de mise à disposition d’outils plus sensibles et prédictifs, la société Merck KGaA développe des tests standardisés pour faciliter le développement de nouvelles thérapies. Perrine Pinon, PhD, spécialiste des ventes en biologie, partage le constat de la limitation des tests in vitro reposant sur la culture cellulaire en 2 dimensions, qui ne reflète pas la dynamique in vivo (morphologie, mobilité, expression des gènes…), à l’inverse de la culture des cellules en 3 dimensions. Une étude comparative de la viabilité de lignées de cancer de sein positives au marqueur HER2 a mis en évidence des différences significatives. Les modèles 3D montrent la résistance de ces lignées cellulaires au Neratinib et Docetaxel, deux traitements de référence de cette typologie de cancer du sein. Les équipes chez Merck KGaA développent des modèles qui combinent la praticité expérimentale et la pertinence physiologique. L’hétérogénéité et l’évolution tumorales sont mieux préservées dans les modèles 3D organoïdes que dans les modèles animaux (majoritairement souris) dans lesquels différentes pressions de sélection favorisent les mutations et phénotypes les plus agressifs. La représentation de l’hétérogénéité tumorale est d’autant plus importante que depuis ces dernières années, il a été mis en évidence l’importance de pouvoir cibler les cellules souches cancéreuses (CSC) qui sont responsables notamment de la plasticité tumorale, c’est-à-dire la capacité de la cellule cancéreuse de modifier ses caractéristiques phénotypiques, métaboliques et donc de contourner les effets de thérapies anti-cancéreuses ciblées. Dans ce contexte, Merck KGaA propose plusieurs approches optimisées et standardisées pour répondre aux enjeux d’hétérogénité cellulaires et de visualisation de la réponse aux thérapies anti-tumorales. La technologie de plaque de Millicell® Microwell consiste en des plaques composées de micro-puits (diamètre du puits de l’ordre de la centaine de micromètres) contenant des organoïdes de taille homogène, permettant un criblage à haut débit de molécules anti-cancéreuses. Avec cette approche miniaturisée et multipliée en plusieurs puits, il est possible de mesurer la réponse anti-tumorale des cellules immunitaires (lymphocytes T) lors de leur mise en contact avec l’organoïde. Il a ainsi été montré pour des patients atteints de cancer colorectal que le traitement avec des inhibiteurs de point de contrôle entraînait une activation des lymphocytes T et de leur effet cytotoxique. Les modèles organoïdes peuvent également être appliqués dans l’évaluation de la toxicité des molécules lors de leur phase de développement. Une étude publiée par Astrazeneca en 2020 a montré une très bonne corrélation sur les effets diarrhéiques/anti-diarrhéiques de 6 molécules évaluées chez les patients. L’offre de modèles organoïdes standardisés ainsi que la possibilité de varier les conditions de tests en fonction de la typologie de cellules tumorales est de plus en plus étendue.
Les modèles translationnels et l’optimisation des coûts de développement – par Clément Salque, Bioqube Ventures
Dans cette révolution de l’optimisation de la prédiction des modèles précliniques, Clément Salque, associé junior chez Bioqube Ventures, a partagé sa vision sur la place de ces nouveaux outils dans les dossiers d’investissement de biotech développant de nouvelles thérapies anti-cancéreuses. Les stratégies d’investissement reposent sur une balance entre les données précliniques et l’intuition sur un projet. Le modèle de capital-risque repose sur les modèles pré-cliniques, les coûts d’un projet en clinique étant d’un ordre de grandeur significativement supérieur qu’en pré-clinique, il faut se reposer sur les modèles translationnels. Malgré cela, le succès du modèle d’investissement repose aussi sur leurs relatifs échecs. En effet, malgré des moyens significativement supérieurs, avec des capacités leur permettant de mettre une multitude de composés en parallèle sur les modèles, les industriels sont moins aptes à amener des innovations disruptives. Le modèle des industriels repose en grande partie sur l’acquisition de Biotechs, avec un coût de R&D interne négatif comparé aux ventes de leurs produits. Les coûts de recherche et développement sont énormes : 6,1 milliards de dollars pour une nouvelle entité approuvée. Par ailleurs, avec le besoin imminent de nouveaux produits induit par le changement des règles de remboursements aux Etats-Unis, et l’expiration de nombreux brevets d’une valeur de près de 200 milliards de dollars en 2028, il est urgent de s’interroger et de se reposer sur ces nouveaux modèles pour que l’industrie pharmaceutique soit pérenne.
IGF1R est un cas concret, où même lorsque les modèles sont prédictifs d’un échec, le phénomène de suiveurs conduit à de l’inefficacité du système. 16 inhibiteurs d’IGFR1R ont été évalués dans 183 essais, avec 12 0000 patients testés et plus de 2 milliards de dollars dépensés pour un mécanisme d’action non validé et des modèles négatifs.
Les modèles translationnels adressent plusieurs points clés dans le développement d’un médicament vers la clinique. Tout d’abord, des modèles avec des modifications de la cible jusqu’à sa suppression permettent de caractériser l’effet ciblé et non ciblé. Cette approche peut être complétée par l’étude des mécanismes de résistance qui s’appuie sur des modèles représentant l’hétérogénéité de la tumeur. Ensuite, les modèles translationnels doivent permettre de décrire l’effet pharmacologique, c’est-à-dire l’effet du médicament développé sur la tumeur, ainsi que la pharmacocinétique (l’effet de l’organisme sur le médicament développé) et les effets toxiques. Les modèles translationnels doivent orienter sur la ou les indications d’intérêt, afin de structurer les premiers essais cliniques et de proposer les patients ayant le plus de chance de répondre au traitement. Ces données devront notamment convaincre les agences réglementaires (ANSM, EMA, FDA…) qui donnent leur autorisation pour évaluer les nouveaux médicaments dans le cadre des essais cliniques. Les modèles translationnels sont utiles également pour comprendre les échecs des essais cliniques et proposer des alternatives ou améliorations au traitement en cours de développement. Les modèles translationnels pourraient ouvrir des opportunités de partenariats et/ou d’investissements privés en construisant un portefeuille de projets et de données varié. Ainsi, la biotech Bicara a finalisé un tour de financement de séries B de 108 millions de dollars en mars 2023* auprès d’un syndicat de 6 fonds d’investissements pour poursuivre leur développement clinique précoce d’un anticorps bispécifique et le développement préclinique d’un deuxième. Cette étape fait suite à l’obtention de résultats cliniques préliminaires confirmant les données prédites lors du développement préclinique.
* NOTE post meeting : ce ne sont pas les résultats pré-cliniques translationnels qui ont déclenché le financement de 165 millions de dollars du 12 décembre 2023.
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Fanny JAULIN, Gustave Roussy
Directrice de recherche et chercheuse principale à Gustave Roussy où son équipe développe des approches de biologie cellulaire pour générer de nouvelles connaissances et traiter les cancers. Elle est également PDG et cofondatrice d’ORAKL Oncology, une start-up qui développe des avatars de tumeurs qui imitent les réponses des patients aux médicaments afin d’anticiper leur efficacité. Elle présentera ses travaux sur les organoïdes dérivés de tumeurs de patients et les applications de ces modèles dans les cancers digestifs.
Perrine PINON, Merck
Titulaire d’un doctorat en biologie moléculaire et cellulaire en Suisse. Elle a commencé à travailler dans le groupe Merck en 2015 en tant que biologiste au sein du département technique. Et depuis 2022, elle occupe le poste de spécialiste des ventes scientifiques couvrant le portefeuille Biologie pour la France et de nombreux pays européens. Elle discutera de certaines des stratégies disponibles pour améliorer la culture en 3D de cellules cancéreuses – sous forme de sphéroïdes et d’organoïdes – et fournira quelques exemples d’application de ces modèles dans la recherche sur le cancer et le développement thérapeutique.
Clément SALQUE, Bioqube Ventures
Associé junior chez Bioqube Ventures, une société de capital-risque spécialisée dans les sciences de la vie et les thérapies en Belgique. Il travaille sur tous les aspects du processus d’investissement et soutient les entreprises de son portefeuille dans leur réussite. Avant de rejoindre Bioqube, Clément était analyste chez INKEF Capital, où il évaluait les opportunités et soutenait la due diligence des entreprises, en particulier dans le domaine de l’oncologie. Il donnera un aperçu de Bioqube Ventures – en tant que fonds de sciences de la vie en phase de démarrage, et de ses perspectives de financement de start-ups avec des modèles tumoraux pertinents.
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A propos du Paris Saclay Cancer Cluster (PSCC)
Fondé en février 2022 par Gustave-Roussy, Sanofi, l’Inserm, l’Institut Polytechnique de Paris et l’Université Paris-Saclay, le Paris Saclay Cancer Cluster est le premier lauréat de AMI Biocluster de France 2030. Rejoint par UNICANCER, l’Institut Curie, l’AP-HP et Medicen, le biocluster rassemble à ce jour près de 100 start-ups, biotechs et groupes pharmaceutiques.
L’ambition du PSCC est d’accélérer l’innovation en oncologie et de faciliter le développement en France, de nouveaux traitements, dispositifs médicaux et diagnostics contre le cancer. Pour concrétiser cette vision, le biocluster dynamise les échanges entre les acteurs de l’écosystème réunis sur un site à haut potentiel et propice aux échanges, ancré à Villejuif autour de Gustave Roussy : le quartier Campus Grand Parc.
Pour favoriser l’émergence de nouvelles solutions pour les patients, le PSCC accompagne des porteurs de projets industriels prometteurs en leur facilitant l’accès aux meilleurs experts, à des services et à une offre scientifique renforcée : essais cliniques, data, échantillons, plateformes technologiques, infrastructures, laboratoires, formations…
Affirmant une envergure internationale, le PSCC ambitionne de hisser la France parmi les leaders mondiaux de la transformation de la science en valeur, pour les patients et la société dans son ensemble.
https://www.parissaclaycancercluster.org/