En partenariat avec RTFlash, Edito du Sénateur René Trégouët

rp_edito_resistance_aux_antibiotiques_ou_en_sommes-nous_.jpgLe 20 septembre dernier, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a publié son nouveau rapport concernant la résistance aux antibiotiques et celui-ci mérite qu’on s’y attarde. Cette étude rigoureuse rappelle que ce phénomène de résistance bactérienne provoque environ 480 000 cas de tuberculose multirésistante dans le monde chaque année et entraîne déjà 700 000 morts par ans dans le monde (dont 25 0000 en Europe). L’OMS souligne que « La résistance aux antimicrobiens est une urgence sanitaire mondiale qui met sérieusement en péril les progrès de la médecine moderne ».

Bien que l’OMS évoque 51 nouveaux produits antibactériens en développement clinique pour traiter les agents pathogènes prioritaires résistants aux antibiotiques, elle précise que huit seulement de ces traitements sont véritablement innovants. Cette étude souligne notamment l’insuffisance d’options thérapeutiques pour la tuberculose résistante, qui tue quelque 250 000 personnes par an, ainsi que pour des bactéries comme Acinetobacter ou des entérobactéries, comme E. coli qui provoquent des infections graves et souvent mortelles, notamment en milieu hospitalier. L’OMS rappelle enfin que la prévention et un usage beaucoup plus raisonné des antibiotiques – tant pour l’humain que l’animal – sont indispensables pour juguler cette menace majeure qui pèse sur la santé publique mondiale.

Une autre étude publiée il y a trois ans par les autorités britanniques estime pour sa part que la résistance des microbes aux antibiotiques pourrait causer 10 millions de morts par an dans le monde en 2050 et réduire le Produit Mondial Brut de 3 %. Si ce sombre scenario se réalisait, la résistance aux antibiotiques deviendrait alors la première cause de mortalité dans le monde au milieu du siècle, devant le cancer, les maladies cardiovasculaires, le diabète et les maladies diarrhéiques. L’étude précise que la majorité de ces décès surviendraient en Asie (4,7 millions) et en Afrique (4,1 millions) mais notre continent ne serait pas épargné, avec environ 390 000 morts par an….

En France, on estime que les bactéries résistantes sont responsables de plus de 80 % des 12 500 décès annuels par infection qui surviennent à l’hôpital, selon une enquête récente de Santé Publique France. Parmi elles, on compte des espèces comme Escherichia coli et Klebsiella pneumoniae, qui appartiennent à la liste de l’OMS regroupant les 12 familles de bactéries les plus menaçantes pour la santé humaine. Mais le plus inquiétant est que les mesures d’hygiène prises à l’hôpital, si elles ont permis de faire reculer le nombre de malades infectés par les staphylocoques, n’ont eu aucun effet sur la progression des entérobactéries résistantes.

Face à cette situation médicale et sanitaire de plus en plus inquiétante, la recherche publique et les laboratoires privés, après avoir longtemps négligé les recherches dans ce domaine, ont intensifié leurs efforts au cours de ces dernières années pour proposer aux malades de nouvelles solutions thérapeutiques. Ils sont de plus en plus nombreux à être victimes de bactéries résistantes.

Il y a 3 ans, une équipe de recherche canadienne multidisciplinaire de l’Université de Sherbrooke, associant biologie, microbiologie, bio-informatique et chimie, a annoncé qu’elle avait découvert, après de nombreuses années de recherches, une nouvelle classe d’antibiotiques contre le pathogène nommé Clostridium difficile. Cette bactérie constitue la principale cause de diarrhée nosocomiale associée à la prise d’antibiotiques dans les pays industrialisés.

Ces chercheurs ont pu montrer l’efficacité de leurs molécules dans un modèle d’infection chez la souris et des essais cliniques sur l’homme sont en cours. Le fonctionnement de cette nouvelle classe d’antibiotique est à la fois simple et remarquable : il s’agit d’utiliser une molécule baptisée PC1, découverte par ces chercheurs, qui possède la propriété de pouvoir se fixer au riborégulateur, bloquant ainsi des gènes nécessaires à la survie de la bactérie. Cette stratégie va permettre de leurrer la bactérie en lui donnant de fausses informations et va, in fine, la détruire. “Le potentiel de cette nouvelle classe d’antibiotique est d’autant plus prometteur que nos molécules n’induisent aucune résistance chez les bactéries, même après un contact prolongé avec la molécule“, souligne Daniel Lafontaine, professeur à la Faculté des sciences de l’Université de Sherbrooke.

Quelques mois après cette annonce canadienne, une autre équipe américaine de l’Université Northeastern à Boston, dirigée par le Professeur Kim Lewis, a, à son tour, identifié un nouvel antibiotique, le teixobactin qui s’est montré efficace chez la souris pour traiter certaines souches bactériennes résistantes. Ces chercheurs ont pu identifier cette substance en passant au crible plus de 10.000 composés extraits de bactéries provenant du sol et cultivées selon une nouvelle méthode brevetée par la société pharmaceutique américaine NovoBiotic.

Les premiers essais sur la souris ont confirmé l’efficacité de ce nouvel antibiotique sur des bactéries résistantes, telles que le Clostridium, responsable de diarrhées, le staphylocoque doré, à l’origine d’intoxications alimentaires, ou encore Mycobacterium tuberculosis, la bactérie responsable de la tuberculose. Ces travaux ont montré que le teixobactin tuait les bactéries en provoquant la rupture de la paroi cellulaire, selon un mécanisme analogue à celui d’un antibiotique bien connu, la vancomycine.

Au début de 2017, une équipe de chercheurs menée par Bruce Geller, de l’Oregon State University, a annoncé la découverte d’une molécule qui permet d’inverser le phénomène de résistance aux antibiotiques dans plusieurs souches de bactéries. La molécule en question est un peptide qui s’attaque directement à l’enzyme NDM-1 (New Delhi métallobêta lactamase) qui confère aux bactéries une résistance aux antibiotiques de la famille des carbapénèmes habituellement réservés au traitement des infections multirésistantes.

Combinée au méropénème, un type de carbapénème utilisé pour traiter les voies urinaires, cette nouvelle molécule a permis de restaurer la capacité des antibiotiques à s’attaquer aux bactéries. Les chercheurs ont ainsi pu traiter efficacement l’infection par des bactéries élevées dans des boîtes de Pétri et améliorer les taux de survie des souris infectées. Il faudra cependant attendre les résultats des essais cliniques sur l’homme pour mesurer l’efficacité thérapeutique exacte de cette nouvelle molécule.

Rappelons également que, d’ici quelques semaines, un nouvel antibiotique « composite » devrait être disponible en Europe. Baptisé Zavicefta, ce nouveau médicament associe en fait deux molécules : la première, l’avibactam, permet de bloquer chez la plupart des entérobactéries multirésistantes la production de Bêta-lactamases (BLs), molécules que ces bactéries utilisent pour rendre inefficaces les Bêtalactamines (pénicillines, céphalosporines et carbapénèmes), antibiotiques les plus prescrits. La seconde est la ceftazidime. Grâce à cette combinaison synergique, ce nouvel antibiotique parvient à déjouer dans 80 % des cas la résistance bactérienne à cette famille d’antibiotiques.

Cet été, ce sont des chercheurs brésiliens du Centro Nacional de Pesquisa em Energia e Materiais (CNPEM) qui ont présenté une nouvelle méthode innovante pour lutter contre certaines bactéries. Elle consiste à recouvrir des nanoparticules composées d’argent et de silice avec une couche d’antibiotique. Ces recherches ont montré que ce couplage de molécules chimiques et de nanoparticules d’argent permet de tuer la plupart des micro-organismes résistants. Mais il reste de longues années de recherches et d’essais cliniques sur l’animal, puis sur l’homme, pour que cet outil thérapeutique très novateur soit disponible en toute sécurité.

Autre découverte importante, celle annoncée en octobre dernier par des chercheurs italiens dirigés par la Professeure Maffioli. Ces scientifiques viennent en effet de découvrir un nouvel antibiotique appelé pseudouridimycine (PUM). Cette molécule naturelle, présente dans le sol, peut tuer une large gamme de bactéries et plus particulièrement celles dites à Gram négatif (Voir Cell). Les premiers essais in vitro ont montré que cette substance détruit une vingtaine d’espèces de bactéries résistantes, parmi lesquelles les streptocoques et staphylocoques.

Le pseudouridimycine détruit ces bactéries grâce à un mécanisme original qui cible une enzyme-clé, le polymérase. De ce fait, cette substance réduit considérablement les risques d’apparition d’une résistance bactérienne. Au passage, ces chercheurs soulignent à quel point il est important de veiller à une bonne préservation des sols qui constituent (comme le montre également la découverte récente du teixobactin) un réservoir particulièrement riche en substances thérapeutiques potentielles.

Comme la pseudouridimycine appartient à la même famille de molécules que les médicaments les plus efficaces connus contre les virus du sida et de l’hépatite C – des analogues de nucléosides utilisés pour la synthèse des acides nucléiques -, l’utilisation de ce nouveau mécanisme d’inhibition enzymatique ouvre en outre la voie au développement de toute une vaste panoplie de médicaments dont l’action pourrait être combinée avec les autres classes d’antibiotiques existantes. Les premiers essais sur la souris sont prometteurs et la pseudouridimycine a permis de guérir, sans entraîner d’effets toxiques, des souris infectées par la redoutable bactérie Streptococcus pyogenes.

Parallèlement aux avancées thérapeutiques, la science progresse également, en matière de recherche fondamentale, sur la connaissance des mécanismes biologiques complexes qui permettent aux bactéries de développer, au fil de l’évolution, des résistances aux antibiotiques.

En début d’année, des scientifiques américains de l’Université de McMaster ont examiné une bactérie trouvée à 300 mètres sous terre dans la grotte de Lechuguilla, la plus profonde des États-Unis. Cette bactérie, appelée Paenibacillus, possède une résistance à la plupart des antibiotiques utilisés aujourd’hui, y compris les médicaments dits « de dernier recours » comme la daptomycine. Ces micro-organismes ont été isolés du monde extérieur pendant plus de quatre millions d’années dans la grotte.

Ces recherches montrent que la bactérie est résistante à 18 antibiotiques différents et utilise des méthodes de défense identiques à celles d’espèces semblables trouvées dans les sols. Cette découverte est importante car elle montre que la pression évolutive semble conserver ces gènes de résistance depuis plusieurs millions d’années – et pas seulement depuis que les antibiotiques sont utilisés pour traiter les infections. Ces travaux ont également permis d’identifier cinq nouvelles voies qui permettent à ces bactéries de résister à tous les antibiotiques connus, ce qui va permettre aux chercheurs d’anticiper et de développer, avant qu’elle ne survienne, de nouveaux médicaments pour lutter contre ce type de résistance.

Toujours en début 2017, des chercheurs chinois ont identifié les gènes de résistance aux antibiotiques et les modes de transfert de résistance entre espèces. Cette résistance est le fruit d’une évolution qui obéit aux lois de la sélection naturelle. Il en résulte que les bactéries les plus sensibles aux antibiotiques sont éliminées tandis que celles ayant réussi à effectuer une mutation salvatrice survivent et peuvent ainsi continuer à se reproduire et transmettre à leur descendance leurs gènes de résistance. Des études ont par ailleurs montré que ces gènes responsables de l’antibiorésistance peuvent notamment se propager d’une espèce bactérienne à l’autre, et peuvent aussi se transmettre entre les animaux d’élevage et le microbiote intestinal humain.

Ces chercheurs chinois, confirmant la place désormais majeure qu’ils occupent dans le domaine des sciences de la vie, ont réussi à identifier et à décrire ce « résistome mobile » qui serait en grande partie responsable de la propagation de la résistance aux antibiotiques. Ces chercheurs ont notamment identifié 36 gènes de résistance qui sont communs entre le microbiome intestinal humain et celui de la poule. L’étude a montré de manière très intéressante qu’une grande partie du transfert des résistomes s’effectue de manière latérale, par transfert horizontal de gènes. Dans ce processus, un organisme intègre du matériel génétique provenant d’un autre organisme sans en être le descendant.

Notre pays est également très engagé dans ces recherches et, en avril dernier, en étudiant le microbiote intestinal, des chercheurs de l’Inra et de l’Inserm ont par ailleurs fait une autre découverte très intéressante sur la bactérie modèle Bacillus subtilis. Son analyse génétique a révélé la présence de gènes conservés chez les entérocoques, des bactéries communes du microbiote intestinal.

Ces travaux ont permis de décrire un nouveau mécanisme enzymatique capable de transformer un peptide en une molécule bioactive. Appelée épimérisation, cette transformation enzymatique entraîne une transformation moléculaire de certains acides aminés, selon un mécanisme inédit dans le vivant. C’est la première fois que des chercheurs démontrent in vitro la capacité de certaines enzymes à catalyser des épimérisations au sein d’un peptide.

De manière surprenante, le peptide ainsi modifié, appelé “épipeptide”, s’est montré capable d’inhiber très efficacement la croissance de Bacillus subtilis. Ces épipeptides représentent donc une nouvelle classe de produits naturels qui pourraient servir à développer de nouveaux antibiotiques contre les bactéries à Gram-positif (comme les staphylocoques, entérocoques ou les streptocoques) dont la résistance croissante aux antibiotiques représente un grave problème.

Signalons également qu’il y a quelques jours, une équipe de chercheurs du Département de biochimie et de médecine moléculaire de l’UdeM, au Canada, a présenté une nouvelle technique qui pourrait bloquer le transfert de gènes de résistance aux antibiotiques (Voir Nature). Ces chercheurs ont découvert de quelle façon s’effectue le transfert des plasmides (fragments d’ADN) qui permet à certains gènes de rendre résistantes les bactéries aux antibiotiques. Selon ces scientifiques, il serait possible, en utilisant certaines molécules chimiques, de bloquer sélectivement ce transfert de plasmides et d’empêcher ainsi, « à la source », l’apparition de ce phénomène de résistance aux antibiotiques.

Mais les antibiotiques tels que nous les connaissons depuis 1928, grâce à Flemming, cèderont peut-être la place, d’ici une dizaine d’années, à de nouveaux outils thérapeutiques révolutionnaires actuellement en développement et riches de promesses : les éligobiotiques. C’est en tout cas la ferme conviction de deux jeunes et brillants chercheurs français, Xavier Duportet et David Bikard, qui ont créé en 2014 la société Eligo Bioscience. Ils travaillent sur une technologie baptisée “Eligo”. L’idée est de concevoir des antibiotiques de nouvelle génération capables de cibler à la demande une bactérie précise, sans affecter la vie microbienne environnante. Ces éligobiotiques utilisent le fameux outil d’édition génétique CRISPR pour localiser avec une précision absolue les séquences d’ADN spécifiques aux bactéries résistantes. Les éligobiotiques vont alors venir détruire uniquement ces séquences, ce qui va entraîner la mort des bactéries ciblées, sans perturber le microbiome du patient. Les premiers essais sur la souris ont montré que ces éligobiotiques pouvaient en effet détruire efficacement sans affecter les bactéries environnantes, des bactéries résistantes de la famille des Staphylocoques dorés et d’Escherichia coli.

On le voit, l’ensemble de ces découvertes, tant sur le plan de la recherche fondamentale que thérapeutique, nous rend raisonnablement optimistes et pourra peut-être, si nous maintenons nos efforts dans ce domaine crucial de la résistance bactérienne, éviter la réalisation du scenario-catastrophe de l’OMS.

Mais je tiens à redire ici avec force que toutes ces avancées médicales et scientifiques ne suffiront pas, à elles seules, à relever ce défi tout à fait majeur de santé mondiale que représente le nombre croissant de bactéries résistantes. Si nous voulons véritablement prendre ce problème considérable à la racine, nous devons également modifier profondément l’usage que nous faisons des antibiotiques et parvenir à en limiter drastiquement la consommation et à la réserver aux seules situations médicales qui l’exigent et doivent rester exceptionnelles.

Le dernier rapport de l’ANSM (Agence Nationale de Sécurité du Médicament), nous apprend qu’en 2015 il a été vendu, en France, 786 tonnes d’antibiotiques destinés à la santé humaine, ce qui correspond, par jour, à 29,9 doses pour 1 000 habitants. Cette consommation n’a pas diminué au cours des dix dernières années et reste supérieure de 36 % à la moyenne européenne.

Cette étude confirme que la France, 3ème consommateur d’antibiotiques de l’Union européenne derrière la Grèce et la Roumanie, reste donc bien l’un des pays les plus consommateurs d’antibiotiques en Europe. Si l’on compare à présent la consommation moyenne d’antibiotiques par habitant entre la France et les pays européens les plus vertueux -Allemagne, Suède et Pays-Bas- on constate que chaque Français consomme, en moyenne, deux fois plus d’antibiotiques qu’un Allemand, un Danois ou un Suédois…Le résultat de cette disparité dans l’usage des antibiotiques est que, dans ces pays du Nord de l’Europe qui ont appris à utiliser avec une sage parcimonie les antibiotiques, le nombre de bactéries résistantes, d’infections nosocomiales et de décès dus à ces agents pathogènes a très sensiblement diminué…

Nous devons donc sans tarder prendre exemple sur nos voisins nordiques pour changer -qu’il s’agisse des médecins ou des patients- radicalement d’attitude vis-à-vis des antibiotiques et les prescrire de façon beaucoup plus sélective. A cet égard, le dossier médical numérique partagé, qui se met enfin en place, peut constituer pour notre système de santé un nouvel outil précieux d’évaluation et de prévision en matière de consommation médicamenteuse en général et de consommation d’antibiotiques en particulier. Nous pourrions commencer par nous fixer un objectif précis et ambitieux : réduire de moitié d’ici 5 ans la consommation globale d’antibiotiques en France.

Souhaitons que notre pays prenne enfin conscience de ce problème récurrent qui est à la fois scientifique, médical, social et culturel.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat