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Interview

SATT/OTT et les entrepreneurs de santé s’accordent pour faciliter le transfert de technologie

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La troisième édition de l’Observatoire du transfert de technologie en santé réalisée par FranceBiotech et KPMG conclut à une meilleure structuration des négociations d’accords publics/privés. Cet Observatoire créé en 2018 est issu du groupe de travail « Transfert de technologie » de France Biotech, avec le soutien de Bpifrance et de l’AIS (Agence Innovation Santé).

 

Interview de Cédric Adens, Associé, responsable des HealthTech chez KPMG et Clémentine Masson, responsable du développement commercial du secteur Life Science

Selon votre étude 249 accords de transfert ont été signés sur le sol français ces deux dernières années, un peu plus qu’en 2020. Quel est l’objectif de cet Observatoire ?

Cédric Adens : L’objectif est que davantage de projets et de molécules innovantes puissent sortir de la sphère publique et être portés par la sphère privée. Comment capitaliser sur la sphère académique de très bon niveau en France et insuffler davantage d’énergie vers la sphère privée? Plus de 200 accords de licences ont été signés ces dernières années. Faciliter le transfert de technologies entre la sphère publique et le monde de l’entreprise est un enjeu majeur pour garantir l’innovation en santé et au-delà assurer la préservation de la souveraineté sanitaire de la France.

La deuxième édition datait de fin 2020. En 2023, 33 entreprises ont répondu à votre questionnaire.

Clémentine Masson : Sur 63 qui se sont présentées, nous n’en avons retenu que 33 parce que nous avions imposé un critère : qu’il y ait eu un accord de licence avec la sphère académique dans les deux dernières années.

Cédric Adens : Nous voulions vraiment sentir s’il y avait eu un effet de la précédente étude parue fin 2020, juste après la COVID.  A l’issue de cette étude, un certain nombre de recommandations avaient été faites pour faire émerger tous ces projets, et nous voulions savoir si l’écosystème de la sphère santé avait changé. C’était donc un critère de considérer les entreprises qui avaient conclu un accord de licences depuis deux ans. Nous avons constaté une légère augmentation de satisfaction de la part des entreprises de santé.

Quel est le profil type de ces entreprises ?

C.A. :En 2023, le profil type de la PME en santé ayant conclu un accord de transfert est celui d’une biotech thérapeutique, en développement préclinique ou prototype, avec un âge moyen de 6 ans et un effectif moyen de 46 salariés, ayant en moyenne levé un montant de 2,3 millions d’euros (contre 9,4 millions d’euros en 2020). 52 % des sociétés ont été créées depuis 2020. 85 % des biotechs du panel sont des spin-off académiques et 82 % ont un dirigeant primo-entrepreneur.

22 Offices de transfert de technologies (OTT) ont également répondu à votre questionnaire ?

C.A. Oui, l’idée était d’avoir le point de vue croisé des deux mondes. La perception des uns et des autres : la grande majorité des SATT a répondu ainsi que des organismes de transfert d’organismes publics (CEA, Inserm, Cnrs…) et privés.

L’un des points qui ressort et que vous avez souligné : il faut bien préparer la due diligence, parfois négligée par les PME.

C.A : La première des leçons, c’est la qualité de la technologie, la qualité de l’IP (propriété intellectuelle). C’est tout le jeu des conseils scientifiques, c’est déjà plutôt bien pris en compte et c’était déjà le cas la fois dernière.

Juste après la période COVID, il y avait une masse d’argent disponible pour les investissements  sur les projets de santé.  Des taux d’intérêt assez bas. On arrivait facilement à financer un projet santé. Depuis, les taux d’intérêt ont augmenté et le contexte a changé. Les investisseurs deviennent plus exigeants. Les questions sur  la valorisation de l‘IP se posent davantage ainsi que la nécessité d’étudier des données plus financières. Les entreprises du secteur ne sont pas toujours à mêmes d’évaluer la valorisation de l’IP en santé, c’est plutôt l’affaire de spécialistes et représente un coût. C’est un volet sur lequel on avait tendance à être moins regardant auparavant. Et pourtant, le fait d’être accompagné pour estimer la valorisation figure dans le Top 3 des facteurs de succès qui ont été notés.

Cependant, vous constatez que les entrepreneurs en santé se font davantage accompagner par des consultants ou des avocats.

C.A. : La part d’entreprises accompagnées dans le processus de négociation a nettement augmenté avec 85% des PME accompagnées comparé à 53% en 2020. Cet accompagnement (avocat, conseil en propriété intellectuelle ou valorisation) est particulièrement bénéfique pour les primo-entrepreneurs.

Les entreprises ont besoin d’accompagnement lorsqu’elles s’apprêtent à négocier des accords de licence. Vous notez que les OTT fournissent presque toujours des term-sheet ou offre de souscription (contre 43 % en 2020) et des plans d’affaire.

Cédric Adens : On retrouve plusieurs points communs en filigrane ces dernières années : quelques-uns de ces dirigeants sont des primo-entrepreneurs et parfois issus de cette sphère académique. C’est un saut dans l’inconnu pour eux. Ils sont un peu désemparés quand il s’agit de valorisation de modèles ou de création d’entreprise et cela se ressent dans la façon dont ils peuvent échanger avec la sphère publique. Ils se trouvent un peu seuls. Ils sont demandeurs de formations. Les SATT et OTT sont plutôt ouvertes à la négociation.

Clémentine Masson : Les entrepreneurs souhaitent avoir des benchmarcks pour mieux appréhender la négociation et les utiliser pour avoir des arguments. Mais selon les OTT chaque accord de licence a ses particularités et au-delà de la confidentialité, les situations de négociation ne sont pas comparables si facilement. C’est le travail des OTT de mettre à disposition plus de contenu.  Un travail qui est fait avec France Biotech.

Cédric Adens : La question de la plateforme France HealthTech Transfer lancée par France Biotech est de nature à canaliser toutes ces énergies, et faciliter les choses en mettant en place des contrats-types pour faciliter ce transfert de technologie. C’est ce qui va pouvoir aider le néophyte à trouver son premier contrat, sa première valorisation. Et alléger la charge de travail côté SATT ou OTT. Retrouver des modèles packagés (term-sheet, plan d’affaires), cela va accélérer les échanges avec les OTT.

Le portail a été mis en place par France Biotech avec le concours de l’AIS ?

C’est France Biotech qui l’a créé, il est alimenté par les SATT, ça peut être un vrai outil pour faciliter les choses.

Dans cette étude, vous avez mesuré comment les entreprises et les OTT ont une appréciation différente du temps de la négociation avant un accord de licence. La question des délais entre un premier rendez-vous et le démarrage de la négociation pose parfois question pour les entrepreneurs.

C.A. : Le point de départ du process (le « T0 ») n’est pas perçu comme étant le même entre PME en santé et OTT. Pour les PME en santé, le « T0 » des négociations se situe plutôt lors du premier contact avec l’OTT ou de la fourniture d’un Term-Sheet par l’OTT. Pour les OTT, ce « T0 » se situe au moment de la fourniture des éléments de négociation par la PME en santé. Le spread de temps (délai) entre le Temps TO du premier contact  jusqu’au T0 Term sheet (offre de souscription de la part de l’investisseur) est souvent considéré comme ne faisant pas partie de la négociation pour les OTT. Remarquons que pour les SATT aussi, les points de vue sont dispersés. Il n’y en a pas un qui soit d’accord. C’est surprenant, et sur ce point, nous insistons sur la nécessité de bien caler les agendas, les plannings.

Clémentine Masson : Nous avons émis une recommandation : que les OTT envoient un mail pour annoncer clairement quand la phase de négociation commence. Le délai moyen a diminué, certes, mais ce délai n’est pas le même pour tous. Il faut que les OTT se mettent d’accord pour bien en informer la PME. Il faut qu’elle comprenne que le temps passé en amont n’était pas le temps de la négociation. Cela pourra éviter une zone de friction à ce moment-là.

 

Ce sont souvent des sociétés créées par des scientifiques, peu formés à la négociation des accords de licence.

Clémentine Masson : Oui, ils sortent de leur zone de confort. Les délais ont diminué de quelques mois, c’est quand même une amélioration. Les délais sont perçus autrement par les OTT : ils vont pouvoir faire la distinction selon que ce sont des primo-entrepreneurs ou des entreprises expérimentées. Pour autant la satisfaction a légèrement augmenté. Elle ne va pas aussi vite du fait que les délais sont ralentis. Ce T0 qui n’est pas clair brouille le message.

Vous publiez une édition de l’Observatoire tous les deux ou trois ans ?

C.A. :Oui, il faut laisser le temps aux choses de se dérouler. Un accord de partenariat cela prend un an, et nous estimons que d’attendre deux ou trois ans est le bon timing pour voir si les choses prennent ou pas.

Quelles sont vos recommandations ?

Cédric Adens : D’une manière générale, il faut que les deux mondes se parlent et se comprennent l’un l’autre. Il faut donc d’abord faciliter l’accès et l’échange d’informations. La plateforme France HealthTech Transfer devrait résoudre une grande partie du sujet et contribuer à ces échanges.  Il faut que les acteurs s’en saisissent. Si les OTT jouent le jeu et aident à créer des canevas, des standards de contrats, cela devrait être plus simple. Je ne vois pas les chefs d’entreprises en créer ex nihilo.

En deuxième lieu, il faut faciliter les échanges directs, les deux parties sont globalement ouvertes à la discussion, cela se voyait notamment dans les renégociations. Il y a une volonté des SATT/OTT de participer et d’être moteur.

Enfin, troisièmement : faciliter la connaissance des pratiques de chacun. A partir du moment où j’ai des facilités d’échanges et un socle commun, moi primo-entrepreneur, je dois mieux comprendre les contraintes côté SATT. On devrait voir accélérer les transferts de technologies. Les SATT ont envie de jouer le jeu. C’est dans leur intérêt de financer leurs autres travaux de recherche et de démontrer que la recherche française est performante.

Cela va dans le sens du Plan France 2030 et en particulier de la Stratégie d’accélération des Biothérapies et de la bioproduction?

C.A. : Le plan France 2030 vise à assurer les enjeux de souveraineté de la France. Plus on fait émerger des produits de la recherche française, plus on peut espérer les faire produire sur le territoire. Depuis la période COVID, nos gouvernements ont pris le sujet de la santé à bras le corps. Mécaniquement, le transfert de technologie, c’est l’un des premiers maillons de la chaîne. Les pipelines des pharmas seront secs d’ici quelques années. Pourquoi les Anglais, Américains et Suisses ont fait émerger des projets et pas la France ? Cela passe par le transfert de technologie.

Les grands groupes de la pharma ont tendance à investir dans des Biotech, Medtech et Deep tech numériques. Plus la recherche est accélérée, plus c’est porteur.

C.A. : Les pharmas ont énormément d’argent, on reparle du pattern cliff (chute des brevets dans le domaine public) à très court terme, elles sont besoin de refueler (renflouer) leur pipe (portefeuille de candidats-médicaments). Le médicament n’arrivera pas sur le marché avant 10 à 15 ans. Il faut commencer tout de suite, sinon nous n’y arriverons pas.

Il faut accélérer à toutes les étapes : du transfert jusqu’aux essais cliniques. L’idée est-elle de gagner du temps au stade du TT ?

C.A. : Le temps de développement d’un médicament prend entre 10 et 15 ans. C’est difficile de dire si l’on on peut gagner du temps en amont, il y a toutes sortes d’étapes ensuite, études cliniques, approbation réglementaire, qui sont également longues.

Selon moi, on a plus à gagner en volumétrie de projets compte tenu du taux d’attrition (d’échec) des projets dans le secteur de la santé, qu’en termes de temps gagné dans le transfert de technologie.

Par rapport aux recommandations d’il y a trois ans des progrès ont été réalisés. Le fait qu’il y ait une prise de conscience permet d’être confiant. De nombreux chantiers restent ouverts tels que l’amélioration du partage d’information ou le renforcement de l’efficacité des échanges. Lever ces barrières devrait permettre de faire éclore davantage de projets et ainsi contribuer à accélérer le développement de thérapies innovantes.

Propos recueillis par Thérèse Bouveret

L’étude complète : Etude_France_Biotech_2024.pdf (france-health-tech-transfer.org)