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Interview

Sofinnova Partners, un investisseur pionner dans les biotechnologies industrielles

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Interview de Denis Lucquin, Managing Partner chez Sofinnova Partners. Ingénieur agronome de formation, il a débuté sa carrière à l’INRA, en charge de la valorisation de la recherche. Depuis vingt ans, il s’est spécialisé dans la santé et les biotechnologies industrielles.

 

Les microalgues peuvent-elles devenir un élément important dans le domaine des compléments alimentaires et sont-elles à même de révolutionner la nutrition santé ? C’est du moins le pari de Sofinnova Partners qui a lancé les fonds Sofinnova Green Seed en 2009 et Sofinnova Industrial Biotech (IB) en 2017 pour faire émerger des biotech innovantes dans le domaine de la nutrition, la chimie, l’agriculture et les matériaux.

 

Microphyt, une société de biotechnologie qui développe des ingrédients naturels à partir de microalgues, a réalisé une levée de fonds importante de 28,5 M€ en 2019. Pourquoi Sofinnova Partners a-t-elle choisi de mener ce tour de financement ?

 

Sofinnova Partners est actif depuis 1972 dans le capital-risque et notre succès depuis tant d’années résulte d’une stratégie invariable qui s’appuie sur deux piliers : investir dans des technologies de rupture qui transforment de façon radicale le marché et miser sur des équipes solides au talent éprouvé. Microphyt réunit ces deux qualités : un savoir-faire technique révolutionnaire, avec une R&D innovante, qui permet d’assurer une production de masse de microalgues en exploitant au mieux leur diversité, et un entrepreneur, Vincent Usache, dont l’expertise dans le domaine du marketing technologique nous a convaincue. Par une interaction constructive entre les investisseurs et Vincent qui dura presque une année avant l’investissement, la nouvelle équipe, que le fondateur Arnaud Mueller-Feuga avait recrutée avant de prendre sa retraite, a fait évoluer la stratégie de Microphyt. Elle s’inscrit désormais dans une logique basée non plus sur la production de biomasse de microalgues et de quelques produits qui sont devenus des commodités comme l’astaxanthine, mais sur le besoin des clients pour des compléments alimentaires d’origine naturelle qui permettent de gérer certaines étapes cruciales de la vie comme le surpoids ou la perte de mémoire liée à l’âge, ou encore certains dérèglements hormonaux, etc. Nous avons mené cet investissement avec le fonds SPI de Bpifrance*.

 

*Fonds d’investissement, financé par le Programme d’Investissement d’Avenir, dans des projets industriels.

 

En quoi la technologie de Microphyt révolutionne-t-elle le marché des ingrédients naturels pour la nutrition et le bien-être ?

 

Parmi les ingrédients naturels, les microalgues se distinguent par une richesse et diversité incroyables, parfaitement en phase avec les besoins multiples des consommateurs. Un de nos constats de départ était qu’il y avait une contradiction entre le potentiel gigantesque de diversité dans les microalgues et ce sur quoi les multiples entreprises créées dans le domaine étaient focalisées : pas plus de 5 molécules issues des familles que sont principalement les acides gras polyinsaturés et les caroténoïdes. Un des avantages clés de Microphyt sur ce marché repose sur sa technologie propriétaire de production qui rend l’accès à cette diversité possible mais qui garantit aussi un haut niveau de contrôle et de standardisation. Le procédé qu’ils ont développé en interne et breveté résout les inconvénients habituels de la production de microalgues : il repose sur des photobioréacteurs tubulaires de petite taille (5 000 litres) qui permettent d’offrir un fort potentiel de différentiation produit et de fournir des ingrédients actifs naturels de manière industrielle. Leur technologie de fermentation utilise la lumière comme source d’énergie et présente la particularité de n’induire aucun stress des microalgues qui sont souvent très fragiles. Grâce à sa technologie, Microphyt a déjà été capable de développer et produire un premier produit qui vient d’obtenir une autorisation de commercialisation aux Etats-Unis: Brainphyt, contre la perte de mémoire liée à l’âge.

La première étape pour cette entreprise, basée dans l’Hérault, a consisté à étoffer son équipe de management, constituer un conseil d’administration international, créer un  portefeuille de produits à haute valeur ajoutée, confirmer son outil de production à l’échelle tout en sécurisant sa démarche commerciale et marketing. Aujourd’hui, elle a vocation à croître en volume, faire du scale-up, et amener son portefeuille de produits vers la commercialisation. Son outil industriel permet la culture en masse de souches fragiles afin de couvrir tout le champ des produits. C’est un aspect qui distingue Microphyt des autres acteurs sur le marché car elle pourra accéder à une plus grande diversité. Jusqu’à présent, cette diversité était théorique, avec Microphyt c’est une réalité. Son portefeuille compte déjà une petite dizaine de produits en développement. Avec un potentiel d’une dizaine d’actifs nutritionnels et d’une vingtaine en cosmétique, les perspectives de croissance de Microphyt sont extrêmement importantes.

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Photobioréacteurs de Microphyt

Pourquoi Sofinnova Partners a-t-elle choisi de se positionner sur le marché des ingrédients alimentaires et du bien-être ? Quelles sont les perspectives de ce marché ?

 

Le marché des ingrédients pour les domaines de la nutrition et du bien-être est très important, plus de 70 milliards de dollars dans le monde, et la part dédiée aux ingrédients naturels (5 Mds$) est celle qui affiche la plus forte progression : +8% par an. Grâce à leur richesse, leur diversité et une production contrôlée, les microalgues sont les ingrédients naturels qui devraient répondre le mieux aux attentes des consommateurs. Leur potentiel, encore sous-exploité, est fantastique. Il faut néanmoins garder à l’esprit que ces développements s’inscrivent dans un schéma de temps long. L’industrie des ingrédients naturels est encore jeune. L’innovation est clé et celle-ci est portée en grande partie par les biotech qui, depuis une dizaine d’années, ont démontré qu’elles jouaient un rôle déterminant dans la construction de cette industrie.

 

En matière de nutrition, trouver des alternatives aux protéines animales est un vrai sujet. Vous y intéressez-vous ?

 

En effet, oui ! La nutrition est un des axes privilégiés de Sofinnova Partners dans les biotech industrielles et trouver des protéines alternatives pour l’alimentation humaine et animale, le Food et le Feed, est une thématique à laquelle nous nous intéressons beaucoup. Les microalgues peuvent avoir pour objectif de produire des protéines alimentaires -ce n’est pas le cas de Microphyt qui développe des compléments alimentaires-, mais c’est un sujet que nous regardons de près.

 

A côté des protéines d’origine animale, les protéines d’origine végétale connaissent des développements particulièrement enthousiasmants. Nous avons récemment pu observer des sociétés impressionnantes, comme Beyond Meat, une entreprise californienne qui développe des substituts de viande et de fromage à partir de plantes, qui était valorisée à 3,8 milliards de dollars à son introduction en bourse aux Etats Unis en 2019 et qui vaut aujourd’hui 8,5 milliards de dollars, ou encore Impossible Food qui a levé 500 M$ lors de son dernier tour de financement en mars dernier et 1,3 Md$ depuis sa création. Dans le domaine des protéines alternatives pour développer des produits labellisés Novel Food, l’Europe n’est pas en reste. Ainsi, Protein Brewery, une entreprise basée aux Pays Bas, vient de lever 22 M€ lors d’un tour de financement de Série A ou encore le français Ynsect, spécialisé dans les protéines d’insectes, qui a levé 372 M$ lors d’un financement de Série C. Le secteur des protéines alternatives est particulièrement dynamique, cela reste assez neuf mais il existe beaucoup de projets intéressants. Sofinnova Partners a réalisé en juin dernier un investissement dans ce domaine avec la société Protera.

 

A côté de la nutrition, quels sont les autres axes de votre stratégie d’investissement dans les biotech industrielles ? Quelles sont à vos yeux les grandes tendances dans le domaine des biotech industrielles ?

 

Notre stratégie dans les biotech industrielles couvre quatre domaines : la nutrition mais aussi la chimie, l’agriculture et les matériaux. Nous finançons les entreprises qui utilisent les biotechnologies comme un outil de transition écologique, c’est-à-dire qui permettent d’utiliser moins de pétrole, d’émettre moins de CO2 et d’avoir un impact positif sur l’environnement dans ces quatre domaines.

 

En matière de nutrition, notre objectif est de soutenir des entreprises qui contribuent à assurer la sécurité alimentaire dans le respect des enjeux de développement durable. A côté de Microphyt, nous avons investi dans d’autres entreprises comme Protera. Cette société, initialement basée au Chili et qui a trouvé en France un terreau fertile pour son développement, utilise des outils d’Intelligence Artificielle pour mettre au point des protéines à vocation industrielle. En l’occurrence, elle utilise un algorithme d’apprentissage profond pour développer de nouvelles protéines à valeur ajoutée et brevetables. Protera va démarrer des essais pilotes avec des multinationales de l’agroalimentaire pour déployer une protéine qui prolonge la durée de conservation. Par son activité, Protera contribuera de façon directe à réduire le gaspillage alimentaire, à diminuer le recours aux conservateurs chimiques issus du pétrole et impactera positivement l’environnement.

 

Nous touchons ici au deuxième axe de notre stratégie dans les biotech industrielles : la chimie. Notre objectif vise à remplacer les produits issus de la pétrochimie par des produits biosourcés. C’est exactement ce que fait Afyren, une entreprise de notre portefeuille spécialisée dans la fermentation. Basée à Clermont-Ferrand et à Lyon, Afyren a développé une technologie qui permet de produire des molécules organiques à partir de biomasse agricole non alimentaire. Elle s’inscrit dans une démarche d’économie circulaire tendant vers le zéro déchet. Les molécules qu’elle développe s’adressent à des marchés tels que la cosmétique, les arômes et parfums, la nutrition ou la chimie fine. Afyren est en train de passer à l’échelle industrielle, grâce à son usine installée en Moselle qui, dédiée à la production de ses 7 acides organiques naturels, sera fonctionnelle courant 2022.

 

Notre troisième axe d’investissement est l’agriculture. Notre but est d’accroître la productivité agricole – ce qui est une nécessité au regard de l’accroissement de la population mondiale – tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre, en préservant la biodiversité et en éliminant les résidus sources de toxicité pour l’environnement et la santé. Deux entreprises de notre portefeuille illustrent cette approche. Biotalys en Belgique et MicroPep en France. Biotalys a mis au point une technologie pour développer des bio-pesticides, des bio-fongicides, des bio-insecticides et des bio-bactéricides : les agrobodies. L’entreprise dispose d’un portefeuille de produits diversifié dont le premier, un fongicide BIO-FUN-1, a démarré le processus réglementaire en vue d’une mise sur le marché courant 2022. D’autres produits de biocontrôle sont en développement. De son côté, MicroPep, basée à Toulouse, développe des stimulants et des régulateurs de croissance naturels. Sa technologie est basée sur la découverte d’un mécanisme de régulation des gènes de la plante impliquant des peptides, les miPEPs, qu’il est facile de produire biologiquement et d’utiliser sur la plante. Ceux-ci peuvent réguler le métabolisme des plantes, c’est-à-dire stimuler ou ralentir leur croissance ou encore renforcer leur système immunitaire, sans modifier leur ADN. Une des applications consiste à concevoir des peptides qui régulent négativement et spécifiquement les mauvaises herbes : les bio-herbicides, c’est-à-dire des alternatives biologiques et sans impact sur l’environnement aux herbicides connus. L’entreprise a été co-fondée par deux chercheurs du Laboratoire de recherche en sciences végétales (LRSV) du CNRS, Jean-Philippe Combier et Dominique Lauressergues, qui ont découvert cette famille de protéines, et se sont ensuite associés à un jeune entrepreneur, Thomas Laurent, dont ce n’est pas la première aventure entrepreneuriale.

 

Enfin, notre dernier axe dans les biotech industrielles concerne les nouveaux matériaux comme les bioplastiques, mais aussi des matériaux utilisés dans le textile, la peinture ou le packaging. C’est sur cette thématique que nous avons réalisé un de nos premiers investissements : la société hollandaise Avantium, aujourd’hui cotée sur Euronext à Amsterdam, qui a su s’imposer comme un des leaders de ce secteur en pleine croissance. Avantium a développé une technologie qui permet de produire du PEF, un plastique créé à partir de sucres industriels ou de déchets agricoles. Alternative biosourcée au PET issu de la pétrochimie, le PEF est 100% recyclable et biodégradable. Ses caractéristiques physicochimiques et mécaniques en font une solution très intéressante pour le packaging, et en particulier l’embouteillage de soda et de produits oxydables, ainsi que des films et fibres d’emballage.

 

Sofinnova Partners était surtout connue pour son activité dans la santé, comment les biotech industrielles s’intègrent elles dans la stratégie globale du fonds ?

 

Sofinnova Partners est et restera spécialisée dans les sciences de la vie. C’est notre savoir-faire et notre identité, cela ne change pas. Mais depuis quelques années nous avons effectivement changé de business model pour adopter le concept de plateforme. Cela peut se décrire par une triple diversification. D’abord, diversifier les entreprises dans lesquelles nous investissons en termes de maturité. Au-delà des Séries A et B, nous avons aujourd’hui un fonds, Sofinnova Crossover dédié aux entreprises plus avancées dans leur développement et qui cible les entreprises pré- et post- IPO. A l’autre bout du spectre Sofinnova MD Start, spécialisé dans l’investissement dans l’instrumentation médicale, finance des projets extrêmement tôt dans leur développement. La deuxième  logique de diversification est géographique. A Milan, le Sofinnova Telethon Fund s’appuie sur un partenariat avec la Fondation Telethon italienne et se spécialise dans le financement de projets italiens liés aux maladies rares.

Enfin, la troisième logique de diversification est thématique. Les biotechnologies ont fait énormément de progrès ces dernières années et sont arrivées à un point de maturité où elles peuvent donner naissance à des entreprises dans d’autres domaines que la santé. Nous avons choisi de développer une thématique d’investissement liée à la transition écologique pour les quatre industries que sont l’agriculture, la nutrition, la chimie et les matériaux. Cette diversification, nous l’avons initiée dès 2012 avec le Sofinnova Green Seed Fund, qui avait levé 23 M€. En 2017, nous avons levé notre deuxième fonds, Sofinnova Industrial Biotech I qui clôturé à 125 millions d’euros. Au total, nous avons 18 entreprises de biotechnologie industrielles en portefeuille, ce qui nous positionne non seulement comme un précurseur du domaine mais aussi comme un leader.

Pour les années à venir, Sofinnova Partners va consolider ce concept de plateforme en développant chacune de ces thématiques.

 

Propos recueillis par Thérèse Bouveret