Durant 25 ans, le Pr Christian Bréchot a poursuivi ses recherches sur une protéine humaine recombinante, ALF 5755, qui agit sur la résistance à l’insuline, facteur clé de nombreuses maladies liées à l’âge telles que le diabète de type 2 (DT2), la NASH, les maladies neurodégénératives.
La société THAC qu’il dirige lance en ce moment une augmentation de capital de 300 k€ via la plateforme de crowdfunding Happy Capital. Objectif visé : démarrer d’ici 2022 des essais cliniques de phase 2 dans le DT2.https://www.happy-capital.com/projet/thac/page
« The Healthy Aging Company est basée sur une méthode qui est l’accomplissement d’un long projet de recherche. Elle résulte d’un projet que j’ai commencé en tant que directeur de recherche Inserm, un projet que j’ai continué à suivre quand je dirigeais l’Institut Pasteur de Paris » présente d’emblée le Professeur Christian Bréchot, dont la carrière est mondialement reconnue : médecin et chercheur français, Professeur de biologie cellulaire et d’hépatologie depuis 1989, il a publié 400 articles scientifiques. Il a été le directeur général de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) de 2001 à 2007, de l’Institut Mérieux de 2008 à 2013 et de l’Institut Pasteur de 2013 à 2017. A présent, Professeur à l’Université South Florida (USF), il vit à Tampa en Floride aux Etats-Unis. Il est également le président du Global Virus Network et suit sur son blog la pandémie de COVID-19. Rien d’étonnant à cela puisqu’il a participé dans les années 1980 à Pasteur à la recherche sur le virus de l’hépatite B puis le virus de l’hépatite C.
Un projet de 25 ans
Elle s’est appelée HIP/PAP quand il a découvert la molécule REG3 (Regenerated Islet Derived) en 1991, puis en 1993, avec son équipe, la REG3 alpha. Le projet qui aboutit maintenant a connu trois grandes phases : la première, académique, centrée sur le foie en hépatologie. La molécule, une protéine humaine recombinante, REG3, nommée aujourd’hui ALF 5755, est facteur de régénération hépatique, facteur qui conduit à la survie des cellules du foie…. Deuxième étape en 2009-2010 : une étude clinique de phase 2 centrée sur le foie dans l’hépatite fulminante réalisée avec Gilles et Paul Amouyal, ainsi que la biotech Alfact Innovation créée par ces deux gastro-hépatologues. Les résultats se sont montrés prometteurs : « nous sommes capables de la produire en GMP, nous avons passé les différentes étapes réglementaires. Des phases 1 et 2 ont été menées sur des patients atteints d’Acute Liver Injury (dysfonctionnement hépatique aigu). Seul bémol, l’étude a été menée sur un petit groupe de patients très hétérogène atteints d’insuffisance hépatique aiguë. Cette étude a apporté trois choses très importantes : elle a montré que nous étions capables de produire la protéine, nous avons fait la preuve de la sécurité (safety) et de l’efficacité chez un groupe de patients infectés par l’hépatite B » ajoute Christian Bréchot.
Depuis quarante ans, les recherches scientifiques sur le REG3 se sont multipliées, en témoigne le nombre d’articles publiés : pas moins d’une quarantaine en 2018, par exemple. « Cette molécule ALF 5755 suscite beaucoup d’intérêt pour le foie, le pancréas, le cerveau, le microbiote, l’intestin. Nous avons les brevets sur tout ce qui montre une sensibilité à l’insuline » commente-t-il. A savoir trois brevets acquis entre de 2010 et 2014 (résistance à l’insuline, cancer, maladies dégénératives), et un quatrième en cours d’acquisition sur le microbiote. Entre 2014 et 2017, le mécanisme de la résistance à l’insuline a été démontré in vitro et dans des modèles animaux. Entre 2016 et 2018, Christian Bréchot reprend toutes les parts initialement détenues par l’Inserm de ces brevets et devient également le seul propriétaire du brevet portant sur les maladies du foie. « THAC, qui développe ces nouvelles indications en ciblant d’abord le diabète de type 2 (DT2), est propriétaire de ces brevets depuis fin 2018, du savoir-faire et des données liées » précise le Pr Bréchot.
THAC a signé il y a deux ans en novembre 2018 un partenariat avec une société chinoise incluant notamment la vente du brevet « foie » (valable jusqu’en 2024) destiné à une étude clinique de phase 2 sur l’utilisation de cette molécule pour soigner les maladies du foie pour 2,2 millions d’euros (avec des royalties à la clé). Ce qui lui permet de « lancer la production de son médicament et de poursuivre sa recherche sur ALF-5755 pour confirmer : son bénéfice sur le DT2 avec une nouvelle voie d’administration compatible avec un traitement chronique et son innocuité dans ces conditions. Une étude de toxicité réglementaire (1 M€, sous traitée par CERB) viendra finaliser la pré-clinique » poursuit-t-il.
Pourquoi The Healthy Aging Company ?
« Le DT2 se développe lorsque les tissus qui absorbent normalement le glucose sanguin grâce à l’action de l’insuline deviennent résistants. Cette résistance à l’insuline est favorisée par le vieillissement mais aussi par l’obésité qui tous deux se caractérisent par une inflammation chronique asymptomatique et l’accumulation dans le temps de défauts physiologiques liés à une oxydation à bas bruit ». En 2034, plus de la moitié de la population américaine aura dépassé 65 ans ce qui entraînera une forte augmentation du développement de cette pathologie, dès aujourd’hui 7ème cause de décès dans le monde. THAC entend contribuer par ses candidats médicaments à un vieillissement en bonne santé.
La société a été co-fondée en juillet 2018 par plusieurs associés : Christian Bréchot, Paul et Gilles Amouyal, cliniciens et entrepreneurs qui ont participé à la première campagne, Marc le Bozec, directeur financier, Christophe Magnan, chercheur à l’Université de Paris qui a réalisé l’étude préclinique sur la résistance à l’insuline dans le diabète (DT2) et Laure Jamot, directrice scientifique (COO/CSO), co-signataire de plusieurs articles sur la résistance à l’insuline. “Amis de longue date, nous travaillons ensemble depuis 2006” indique-t-elle.
Chercheuse Inserm jusqu’en 2001, Laure Jamot a d’abord rejoint la biotech Alfact Innovation, puis repris une mission de 5 ans à l’Inserm (de 2014 à 2019) sur une plateforme de recherche clinique consacrée aux maladies rares et ultra-rares, et elle gère aujourd’hui THAC en France. La startup est incubée au sein de Paris Biotech Santé à Cochin. Fanny Roth, recrutée en janvier 2020, a rejoint l’équipe R&D comme chef de projet, une équipe qui compte 5 personnes (ingénieur, technicien, chercheurs).
Le Pr Christian Bréchot a entamé en parallèle en Floride une collaboration avec un laboratoire de USF (University South Florida) sur une approche préclinique de la maladie d’Alzheimer.
La société démarre un projet d’étude clinique multicentres dans le DT2 en Europe et aux Etats-Unis.
« Notre stratégie consiste dès à présent à produire notre médicament en GMP grâce à un accord avec une société espagnole (3P Biopharmaceutical) jusqu’en 2021. Dans un premier temps, nous allons réaliser une étude de Phase 2 avec un nombre limité de patients pour démontrer l’effet de la résistance à l’insuline d’ici 2021 et enfin renforcer les études cliniques sur le diabète, le foie, les maladies dégénératives » poursuit Christian Bréchot. « Nous allons mener cette Phase 2 en parallèle d’une nouvelle Phase 1 très rapide pour passer en sous-cutané. A partir de 2022 et jusqu’en 2023, nous avons pour objectif de réaliser de nouvelles études de phase 2 plus larges, plus longues (12 semaines) avec un positionnement Metformine (1) + ALF 5755 en adjonction (add on). Nous comparerons avec les agonistes GLP1 (glucagon-like peptide-1) (2), seuls ou avec molécule ALF en add on. Exit en 2024 ». La voie est toute tracée.
Et Christian Bréchot de se faire l’avocat du diable. « En général, une phase précoce de développement est risquée. Or nous avons un avantage majeur : nous sommes déjà allés chez l’Homme, la sécurité (safety) est démontrée et une bioproduction a déjà été réalisée. Le mécanisme d’action est plus large qu’un effet sur certains tissus. Il est bien élucidé : la molécule a non seulement un effet anti-oxydant ciblé sur la matrice extra-cellulaire mais aussi un effet anti-inflammatoire, ce qui sera utile en add on. Nous ne sommes pas une compagnie de diabète, j’insiste bien sur ce point. Sur le diabète, s’il y a eu beaucoup de progrès on est toujours confronté à un besoin médical insatisfait (unmet medical need). Les nouveaux produits ont apporté un bénéfice mais il y a une perte d’efficacité dans le temps (effet plateau) et la résistance à l’insuline continue. On a besoin de renforcer l’arsenal thérapeutique » insiste-t-il.
Les montants à lever
Pour finaliser notre étude de préclinique réglementaire avant de mettre en œuvre une étude clinique de phase 2 avec un traitement chronique nous avons besoin d’environ 1 million d’euros : un tiers de fonds propres de THAC, un tiers subventionné par Bpifrance parce que le projet a été lauréat du prix Innov’up Leader PIA. Le dernier tiers sera apporté par l’opération de crowfunding de 300 000 euros qui vient d’être lancée à la mi-juillet avec Happy Capital et se clôturera en septembre. Un premier pas avant d’autres levées de fonds. « Pour aller au bout de tous ces projets, il faut 21 millions d’euros, en plusieurs tranches, de 3 à 5 M€ » résume-t-il.
« Dans une première phase, nous allons lever 3 millions d’euros pour finaliser un certain nombre de choses, 1,9 M€ pour la phase 2 en Aigu, puis nous aurons à lever 16 M€ pour les 2 études de Phase 2 en adjonction de la Metformine ou d’agonistes des récepteur GLP-1, l’une en Europe, l’autre aux Etats-Unis. Bien entendu, nous prospectons aussi des investisseurs aux Etats-Unis » ajoute-t-il.
« Sur le produit et la campagne, ce n’est pas une campagne contre le diabète de type 2 mais contre ce qui cause le diabète de type 2. En effet, la résistance à l’insuline est une maladie multi-systémique, qui induit le diabète, les maladies métaboliques comme la NASH, le cancer, la maladie d’Alzheimer. En termes de stratégie, nous n’allons pas travailler sur toutes ces maladies simultanément. Nous commençons par le DT2 qui représente un marché énorme pour faire la preuve de concept et qui je le répète reste un besoin médical non satisfait » martelle le chercheur. 416 millions de personnes en sont atteintes dans le monde, sans compter 374 millions de prédiabétiques…
Thérèse Bouveret
(1) antidiabétique oral qui diminue l’excès de sucre dans le sang sans pour autant favoriser la sécrétion d’insuline
(2) GLP-1 agit par l’intermédiaire d’un récepteur exprimé au niveau des cellules à insuline (beta) et de certains tissus périphériques comme le système nerveux central et périphérique, le cœur, les reins, les poumons et le tractus digestif. L’activation des récepteurs par le GLP-1 stimule la sécrétion d’insuline mais aussi active la transcription du gène de l’insuline.
Informations société
Nom : THAC (The Healthy Aging Company)
Objet : développer des traitements pour soigner les maladies systémiques dont un facteur déterminant est la résistance à l’insuline
Date création : juillet 2018
Lieu : Incubateur Paris Biotech Santé (Cochin)/ Tampa (Floride, USA)
Effectifs : 5 à 6 personnes
Financier : Prix bpifrance 366 k€, CA de 2,2 M€ (vente de brevets),