En partenariat avec RTFlash, édito du Sénateur René Trégouët

Comme vient de le confirmer le dernier rapport de l’American cancer society, la mortalité par cancer poursuit son recul historique aux États-Unis, avec une baisse de 26 % de mortalité provoquée par cette maladie entre 1991 et 2015, soit près de 2,4 millions de décès en moins. Le taux de mortalité par cancer est ainsi passé de 215,1 pour 100.000 en 2011 à 158,6 pour 100.000 en 2015. En valeur absolue, la baisse de la mortalité par cancer est encore plus spectaculaire puisque le nombre de décès par cancer aux États-Unis est aujourd’hui redescendu à son niveau de 1936, alors que dans le même temps la population américaine a été multipliée par 2,5, passant de 135 à 330 millions de personnes). Cette diminution s’explique par plusieurs facteurs : avancées dans la détection précoce des tumeurs, améliorations constante des traitements et changement de certains modes de vie néfastes (diminution de la consommation d’alcool et de tabac).

En France, on observe une tendance similaire sur le long terme à une baisse de la mortalité par cancer, si l’on tient compte à la fois de l’augmentation et du vieillissement de la population. De récentes études à ce sujet montrent que la mortalité réelle par cancer a diminué de 25 % depuis 1980 en France et que, depuis 40 ans, le taux de survie global à long terme pour les malades du cancer a doublé en France.

Selon les derniers rapports de l’INCa, cette baisse, après ajustement démographique, a été, en moyenne, de 1,5 % par an chez les hommes (entre 1980 et 2012) et de 1 % par an chez les femmes pendant la même période. Autre enseignement très important de ces études, le risque global de développer un cancer semble également diminuer, ce qui fait dire au Professeur Jean-Paul Viguier, spécialiste de l’épidémiologie du cancer à l’Inca, que « Le risque de faire un cancer au cours de la vie diminue et la mortalité par cancer poursuit une tendance à la baisse en France métropolitaine“.

S’agissant des chiffres, le cancer de la prostate reste de loin le cancer le plus fréquent (53.912 cas estimés en 2011) chez les hommes devant le cancer du poumon (30.401 cas en 2015) et le cancer colorectal (23.535 cas), avance l’INCa. En 2015, le cancer du sein reste prédominant chez la femme (54.062 nouveaux cas estimés), devant le cancer colorectal (19.531 cas) et le cancer du poumon (14.821 cas).

S’agissant à présent de la mortalité, chez l’homme, le cancer du poumon reste de loin le cancer le plus meurtrier (20.990 décès), devant le cancer colorectal (9.337 décès) et le cancer de la prostate (8.713 décès). Chez la femme, le cancer du sein reste en tête de la mortalité par cancer, avec 11.913 décès, devant le cancer du poumon (9.565 décès) et le cancer colorectal (8.496 décès).

En dépit de ces progrès impressionnants, le cancer est devenu la première cause de mortalité dans notre pays (juste devant les maladies cardiovasculaires), avec près de 150 000 décès par an. On le sait, dans neuf cas sur dix, ce n’est pas la tumeur initiale qui tue la malade, mais les métastases issues de cette tumeur, qui vont se former à distance dans l’organisme, grâce à une cascade de mutations génétiques et de réactions moléculaires très complexes mais de mieux en mieux comprises.

Dans ce contexte, on comprend à quel point il est important d’arriver non seulement à empêcher la formation de ces métastases, mais également à prévoir les risques de métastases pour chaque cancer. Pour relever ce défi scientifique, des chercheurs en immunologie et en cancérologie de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et des universités Descartes et Pierre-et-Marie-Curie (Paris) ont travaillé en 2016 sur les mécanismes qui déterminent la capacité des cellules cancéreuses à migrer dans le corps et à coloniser de nouveaux organes. Ils ont analysé le génome et l’environnement de cellules tumorales chez 838 patients atteints de cancer du côlon (662 souffrant d’un cancer localisé et 176 d’un cancer avec métastases).

Leurs résultats, très intéressants, montrent que les gènes des cellules cancéreuses prédisent mal le risque de métastases mais que le nombre de vaisseaux lymphatiques et de cellules du système immunitaire autour de la tumeur sont de bons marqueurs prédictifs de l’évolution du cancer.

Comme le souligne l’étude de l’Inserm, “Ces deux paramètres indépendants constituent donc des marqueurs précoces du potentiel métastatique d’une tumeur, et leur analyse combinée pourrait renforcer l’exactitude de la prédiction“. Cette découverte est très importante car elle confirme tout l’intérêt des immunothérapies qui renforcent les capacités du système immunitaire, en stimulant par exemple l’activité des lymphocytes T.

Toujours en 2016, l’équipe du Professeur Jean-Paul Borg, du Centre de recherche en cancérologie de Marseille, a découvert que la forte capacité à former des métastases dans certains cancers du sein appelés « Triple-négatifs » est liée à l’activité d’une protéine nommée Prickle1. Ces chercheurs ont découvert que ces cellules des cancers « triple-négatifs » produisent deux à trois fois plus de protéine Prickle1 que des cellules de cancer du sein classiques.

Ils ont ensuite élucidé toute une cascade moléculaire qui implique les protéines Prickle1, Mink et Rictor et agit finalement sur l’enzyme AKT, qui va favoriser la dissémination des cellules cancéreuses. Ces chercheurs ont enfin montré, chez la souris, qu’en empêchant l’expression du gène codant Prickle1, on obtenait à la fois une forte réduction du volume de la tumeur primaire et une diminution allant jusqu’à 95 % du nombre de métastases pour ce type agressif de cancer. S’appuyant sur ces résultats, cette équipe travaille à présent sur un projet, avec un laboratoire pharmaceutique, pour développer un médicament capable de bloquer l’activité de Mink1 et de l’enzyme AKT.

Il y a un an, en mars 2017, une autre équipe franco-américaine conduite par le Docteur Géraldine Guasch du Centre de Recherche en Cancérologie de Marseille (CRCM/INSERM), a démontré pour la première fois le rôle déterminant d’une protéine – ELMO1 – dans le processus métastatique de certains cancers. Ces recherches ont notamment montré que les zones dites « de transition », où se rencontrent deux types de tissus épithéliaux, sont susceptibles de développer un cancer agressif ayant une forte capacité à produire des métastases. Ces chercheurs ont pu établir que pour proliférer, ces types de cancers agressifs avaient besoin de l’action d’une protéine spécifique – ELMO1- qui favorise la migration des cellules malignes. Cette étude a enfin montré qu’en agissant sur le gène ELMO-1 et en diminuant la production de cette protéine, ces tumeurs agressives ne parviennent plus à essaimer pour aller former des métastases à distance. “Le gène ELMO1 est un acteur clé dans l’exil des cellules tumorales et, de ce fait, constitue une excellente cible à visée diagnostique et thérapeutique pour prévenir et traiter les métastases, un champ encore peu exploré dans le traitement des cancers” conclut le Docteur Géraldine Guasch.

Une autre avancée remarquable a été annoncée fin 2017 par l’équipe américaine dirigée par le Docteur Yibin Kang de Princeton (Voir NCBI). Ces chercheurs sont parvenus à générer un anticorps – 15D11- qui cible et bloque la protéine « Jagged1 » et limite ainsi de façon drastique la formation de métastases. Utilisé en synergie avec une chimiothérapie, cet anticorps parvient réduire de 99 % le nombre de métastases osseuses chez l’animal ! Des essais cliniques sur l’homme de cette nouvelle thérapie devraient bientôt commencer et cet anticorps pourrait être le premier capable de cibler spécifiquement ces métastases et du même coup révolutionner le traitement de plusieurs cancers métastatiques.

Des chercheurs de l’Université Catholique de Louvain, dirigés par le Professeur Pierre Sonveaux, ont pour leur part réussi à identifier, il y a quelques semaines une nouvelle molécule capable de bloquer la diffusion de métastases. Cette molécule est la catéchine:lysine 1:2. Elle est extraite d’une liane poussant en Indonésie, l’Uncaria gambir. Il y a quatre ans, cette remarquable équipe belge avait déjà découvert une autre molécule, la mitoQ, qui permettait de contrer l’apparition des métastases d’un cancer du sein humain induit chez des souris, et empêchait également la diffusion de métastases due au mélanome chez le rongeur.

Sur le plan fondamental, ces chercheurs ont également découvert ce qui semble être l’un des mécanismes-clés responsable la dissémination de cellules métastatiques. Ce mécanisme impliquerait des signaux migratoires lancés par les mitochondries sous l’action de radicaux libres appelés “superoxyde”. Les deux molécules découvertes par ces chercheurs agissent de manière très efficace en bloquant ce mécanisme.

Autre avancée majeure récente : des chercheurs japonais de l’Institut Riken ont montré qu’un nouveau traitement basé sur l’utilisation d’un sucre modifié, l’analogue 6-Alk-Fuc, limite considérablement la nature invasive des cellules cancéreuses du foie (Voir Cell). Ces scientifiques ont démontré que la présence de l’analogue 6-Alk-Fuc permettait d’empêcher à la fois l’invasion des cellules cancéreuses vers la matrice extracellulaire ainsi que la migration de plusieurs de ces lignées cancéreuses.

Soulignons également qu’il y a quelques jours, une équipe internationale de recherche, associant des chercheurs des universités de l’Ohio, de Virginie, du Missouri, de l’Indiana et de l’Université de médecine traditionnelle chinoise de Shanghai, ont présenté une nouvelle technique efficace pour lutter contre la résistance des cellules cancéreuses aux chimiothérapies (Voir Nature Communications).

Cette approche thérapeutique repose sur la combinaison de nanomédicaments et d’un traitement au laser infrarouge, dans le but d’inhiber la croissance des tumeurs multirésistantes, sans provoquer d’effets indésirables pour les organes sains. Concrètement, cette technique permet d’enrayer le fonctionnement des pompes à efflux qui protègent les cellules cancéreuses en expulsant les molécules chimiothérapiques dirigées contre elles. Comme l’explique le professeur Xiaoming Shawn, « Les cellules cancéreuses conservent encore trop souvent leur capacité à expulser les médicaments et en parvenant à détruire à la source cette capacité nous avons bon espoir d’empêcher les récidives et de bloquer l’apparition de métastases ultérieures ».

Signalons aussi l’étude publiée il y a seulement quelques jours par des chercheurs du Biodesign Institute de l’Arizona State University (Voir Nature). Grâce à une technique innovante appelée NAPPA (nucleic acid programmable protein array) permettant de détecter un grand nombre de protéines simultanément et d’observer leurs interactions avec l’ADN et l’ARN, ces chercheurs ont montré que l’ibrutinib, une « vieille » molécule de la famille des inhibiteurs de tyrosine kinase, déjà utilisée contre certaines formes de leucémie, peut également cibler une autre kinase, ERBB4, impliquée dans la progression et la croissance de nombreux types de cancers agressifs, parmi lesquels le cancer du poumon, du sein, du côlon, et le mélanome. Selon cette étude, l’utilisation de l’ibrutinib, probablement en combinaison avec d’autres médicaments, ouvre une voie thérapeutique nouvelle contre de multiples formes de cancers.

Il faut enfin évoquer, dans ce panorama non exhaustif des extraordinaires progrès récents dans la lutte contre la formation de métastases, l’apport de plus en plus décisif de la nanomédecine. Il y a quelques jours, une équipe sino-américaine a ainsi présenté un nanorobot autonome, de seulement 90 nanomètres de long, capable de tuer les cellules cancéreuses en bloquant leur approvisionnement en oxygène à l’aide d’une enzyme appelée thrombine qui agit directement sur l’ADN de ces cellules malignes. Les premiers tests chez des souris atteintes de mélanome montrent que ces nanorobots parviennent à détruire spécifiquement les cellules cancéreuses et à limiter sensiblement les risques de métastases. Selon le Professeur Hao Yan, cette technologie pourrait être efficace dans la prise en charge de nombreux cancers car la plupart des vaisseaux sanguins irriguant les tumeurs solides se ressemblent.

Si l’on considère l’ensemble de ces avancées et les découvertes récentes, on comprend mieux la rupture à la fois conceptuelle et thérapeutique qui est en train de s’opérer dans cette longue et difficile guerre contre le cancer. On sait à présent que le processus cancéreux s’inscrit au cœur même du vivant et que chacun d’entre nous, à un moment ou à un autre de notre existence, va produire des cellules cancéreuses qui, dans la plupart des cas, vont heureusement être repérées et détruites très efficacement par notre système immunitaire.

Mais, malheureusement, chez certaines personnes, ce processus de production de cellules cancéreuses, pour des raisons multiples et complexes que l’on commence enfin à comprendre dans leur ensemble, va échapper à la vigilance du système immunitaire, avant de déborder la capacité de riposte de ce dernier et de conduire à une dissémination des cellules malignes dans tout l’organisme, sous forme de métastases souvent mortelles pour le patient.

En attendant de pouvoir un jour, sans doute en agissant directement sur certains gènes par différentes méthodes – microARN ou « ciseaux moléculaires » comme CRISPR-Cas9 – à prévenir et à combattre le cancer à la racine, l’objectif à plus court terme de la science et de la médecine consiste à faire en sorte que le cancer, une fois qu’il est apparu et détecté de plus en plus précocement, puisse être contenu, bloqué dans son évolution et incapable de se disséminer sous forme de métastases mortelles.

Cet objectif qui, j’en suis convaincu, pourrait être atteint à l’horizon des années 2025-2030 si nous nous en donnons les moyens, notamment en matière de traitement des données massives et d’utilisation d’intelligence artificielle, consiste donc à faire du cancer une maladie chronique qui ne sera pas forcément totalement éliminée mais contrôlée pendant de très longues périodes et idéalement pendant toute la vie du patient.

Dans une étude publiée en 2013, des chercheurs britanniques avaient estimé à au moins 126 milliards d’euros le coût annuel que représentait le cancer pour l’Union Européenne (Voir The Lancet). Or l’effort total de recherche de l’Union Européenne (hors innovation industrielle) n’est que de 24,4 milliards d’euros pour la période 2014-2020, ce qui représente seulement 0,15 % du PIB annuel des 28 membres de l’UE…

Si nous voulons atteindre cet objectif visant à faire du cancer une maladie chronique d’ici dix ans, nous devons donc agir de manière à ce que le budget global de l’Europe puisse être multiplié au moins par trois d’ici cette échéance, ce qui permettrait de tripler également l’effort européen de recherche scientifique et médicale, et de jouer enfin dans la même cour que les États-Unis, la Chine ou le Japon qui ont bien compris les enjeux économiques et sociaux que représente la lutte contre le cancer.

Souhaitons que nos dirigeants politiques aient la volonté d’engager la transformation politique et institutionnelle de l’Europe qui permettra cette nécessaire rupture en matière de recherche dans ce domaine si essentiel du cancer, et plus largement des sciences de la vie, qui seront demain, avec les nanotechnologies et le numérique, l’un des principaux moteurs de la compétitivité et de la prospérité économique de nos sociétés.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat