MedtechImagerie
Interview
Un biomarqueur d’imagerie pour combiner radiothérapie et immunothérapie dans le traitement des cancers métastatiques
Interview de Roger Sun, oncologue-radiothérapeute à l’Institut Gustave Roussy, lauréat du programme CCA (Chef de clinique Assistant)-Inserm-Bettencourt 2020.
Vous avez bénéficié d’un programme de la Fondation Bettencourt Schueller en 2020. Pourriez-vous me décrire l’impact qu’il a eu sur votre parcours de chercheur ?
Je suis oncologue-radiothérapeute dans le département de radiothérapie dirigé par le Pr Eric Deutch qui est aussi le directeur du laboratoire dans lequel j’ai réalisé ma thèse sur l’application de l’IA en imagerie de 2017 à 2020, puis mon clinicat. En tant que directeur de recherche de l’unité mixte de recherche Inserm 1030 “Radiothérapie moléculaire et innovation thérapeutique”, il m’a permis de finir mes travaux de thèse. En 2020, j’ai été lauréat du Programme CCA-Inserm-Bettencourt, un concours national qui offre la possibilité à un médecin chercheur de garder une activité clinique à mi-temps tout en poursuivant la recherche sur l’autre mi-temps. C’est en cela que le programme était intéressant. J’ai pu en bénéficier et poursuivre mes travaux de recherche dans le laboratoire du Pr Eric Deutch pendant trois ans, ça s’est terminé en novembre 2023 et désormais je suis praticien du Centre Gustave Roussy.
Gustave Roussy a donné deux conférences de presse il y a un mois au cours desquelles ont été largement présentés tous les programmes en cours. Le Pr Fabrice Barlési, le directeur de l’institut GR, a évoqué entre-autres les nouveaux appareils de radiothérapie Flash.
C’est une machine innovante dans le service radiothérapie, c’est la première machine en France à visée clinique pour pouvoir tester une nouvelle modalité de radiothérapie : délivrer de très fortes doses de radiothérapie (plusieurs centaines grays /seconde), au lieu de 2 grays en plusieurs minutes. Un débit de doses (absorbées) très important donc. Dans les études précliniques et quelques cas d’études cliniques, nous avons recueilli des informations montrant que la thérapie Flash permet de traiter les tumeurs de façon efficace tout en préservant les organes à risque grâce à cette modalité de délivrance.
Cet appareil Flash permet de traiter des tumeurs cutanées ou proches de la peau ; dans un second temps, une nouvelle version de cet appareil devrait atteindre des tumeurs profondes?
Pour l’instant, l’appareil permet de traiter des tumeurs assez superficielles (3 à 5 cm), et c’est pourquoi nous allons faire des essais cliniques dans des premiers traitements sur des cancers de la peau. Ensuite, une autre machine en cours de développement, plus puissante, va permettre de faire des traitements plus en profondeur.
Ce n’est pas l’objet de vos propres recherches. Vous avez développé des modèles mathématiques appliquées à l’imagerie au sein de ce département?
J’ai fait ma thèse de sciences sur l’application de l’IA en l’imagerie. A Gustave Roussy, nous avons développé une méthode permettant d’estimer l’infiltration lymphocytaire sur des scanners. C’est le système immunitaire contenu dans une tumeur qui est censé représenter la réponse aux lésions. C’est intéressant en immunothérapie, cela permet de restaurer les fonctions lymphocytaires pour améliorer la réponse à ces traitements.
Les radiothérapies sont des traitements non invasifs qui permettent de prédire la réponse en immunothérapie puisqu’ils viennent restaurer des fonctionnements lymphocytaires mais aussi de guider les traitements locaux.
Comme c’est un outil qu’on peut appliquer sur toute la maladie, sur toutes les lésions du patient, il trouve une application privilégiée avec le cancer poly-métastatique où l’on a une maladie hétérogène au sein d’un même patient. Il n’est pas question de faire des biopsies de toutes les lésions. Dans le cancer métastatique, seuls 10% des patients répondent aux traitements, avec des lésions qui vont répondre et d’autres non. C’est probablement expliqué par l’hétérogénéité de la maladie. Ces outils permettent de faire des biopsies virtuelles et d’analyser les différentes composantes de la maladie du patient et potentiellement d’identifier les cibles qui seraient les plus à risque de progression et, par conséquent, de guider les traitements vers ces cibles spécifiques.
Le Pr Fabrice André, directeur de la recherche en oncologie à Gustave Roussy, a énoncé une vision des chercheurs où le traitement du cancer ne serait plus axé sur l’organe, mais ciblé sur un mécanisme biologique ou une protéine, selon les marqueurs moléculaires d’une tumeur de tel ou tel patient (1). Un changement de classification.
Le cancer est une maladie complexe qui nécessite plusieurs niveaux d’évaluation. Quand on fait des analyses sur biopsies tissulaires ou biopsies liquides, on a une capture de l’état global de la maladie. Avec l‘imagerie, nous avons une évaluation globale de la maladie mais aussi à l’échelle de chaque lésion. Cette technologie est intéressante parce qu’elle peut aider à mieux comprendre la maladie du patient et en particulier guider les combinaisons de traitements. L’immunothérapie est un traitement très intéressant qui a montré des réponses très longues, auquel tout le monde ne répond pas. On essaie d’améliorer ces thérapies en associant d’autres traitements : la radiothérapie peut être synergique avec l’immunothérapie. En effet, il y a toute une mise en jeu immunitaire quand on irradie une lésion. Or, les essais de radiothérapie, d’immunothérapie, ont des résultats qui ne vont pas tous dans le même sens, certaines études sont positives, d’autres négatives. On ne sait pas comment identifier les meilleures cibles à traiter pour mieux optimiser ces combinaisons. C’est tout l’intérêt de ces outils pour nous aider à mieux décrire l’hétérogénéité de la maladie et potentiellement identifier les meilleures cibles pour aider à la détruire.
Quelle sera la mise en application de vos recherches ?
Nous allons chercher à monter des essais cliniques, pour prouver qu’il y a un intérêt, un bénéfice à faire de la radiothérapie guidée par radiomique. Beaucoup d’études rétrospectives cliniques ont été menées qui confirment la preuve de concept. C’est déjà un premier grand pas. Aujourd’hui, il n’y a pas à ce jour de modèles prédictifs en « radiomique » en immunothérapie qui aient été validés plusieurs fois par des équipes indépendantes, à part la signature que nous avons développée dans le laboratoire. Nous avons une preuve de concept robuste qui peut être reproduite par d’autres équipes et être généralisable. C’est pourquoi, nous voulons monter un essai clinique randomisé de prospective pour pouvoir confirmer ces résultats. Nous allons monter un protocole dans l’année. Et, comme pour tous les essais cliniques, il faut d’abord rechercher des financements.
Comment ?
Ce sont des essais cliniques qui vont coûter environ un million d’euros. Nous cherchons un financement par des appels à projet nationaux, des aides de Bpifrance. Ou bien auprès des fondations telles que l’ARC (Fondation pour la Recherche contre le Cancer) qui a soutenu beaucoup de nos travaux ou la FRM ( Fondation pour la Recherche Médicale) ; et il y a d’autres programmes tels que des PHRC (Programmes Hospitaliers de Recherche Clinique), des programmes européens de financement des essais cliniques. Cela pourrait intéresser des industriels mais nous essayons de rester dans l’académique.
Est-ce que ce sont des essais cliniques qui passent par différentes phases ? Sur quelle durée ?
Les essais cliniques vont permettre d’évaluer si ces biomarqueurs peuvent vraiment orienter les traitements ; et quand on les suit, si on a un bénéfice en réponse ou en tolérance selon ce qu’ils auront indiqué. Ce sera directement un essai de Phase 3 randomisé parce que les traitements, nous les connaissons déjà.
Cela devrait aller vite, environ 3 ans, du fait que nous avons déjà la preuve de concept et qu’il y a déjà eu quatre ou cinq publications indépendantes qui ont montré des résultats concordants. Ce projet est mené au sein du département de radiothérapie et conduit avec le Pr Deutsch. Nous allons réaliser de préférence une étude multicentrique pour accélérer les recherches cliniques et la durée des études.
Le cadre de Gustave Roussy est-il propice à l’innovation ?
C’est un cadre très favorable où il y a une concentration de personnes qui ont une vision avancée, stratégique sur le traitement du cancer permettant d’explorer des pistes. En 2018, nous avons obtenu la première preuve de concept que nous pouvions utiliser de l’imagerie pour prédire un phénomène biologique, pour au final prédire la réponse des patients traités par immunothérapie. Cela a fait beaucoup de bruit quand c’est paru dans le prestigieux The Lancet Oncology (2). Et ce résultat a été obtenu grâce à la structure permettant l’accès aux données d’essais cliniques innovants de médecine de précision (MOSCATO), grâce au Pr Eric Deutch et au Dr Charles Ferté qui m’encadrait en Master 2 à ce moment-là et avec lequel nous avons travaillé pour la thèse.
Il y a eu d’autres études indépendantes concordantes depuis, dites-vous ?
Il y a eu 4 à 5 publications indépendantes. L’étude princeps étant celle qui a été publiée dans The Lancet Oncology sur la première combinaison radiothérapie-immunothérapie et la réponse. Nous avons ensuite publié deux autres études à l’IGR notamment dans un cancer du mélanome en immunothérapie. Une équipe multicentrique américaine a mené également deux études qui ont donné des résultats très intéressants pour la prédiction de la réponse des patients traités par radiothérapie et immunothérapie (Korpics et al. JCI 2023).
C’est un outil breveté ?
Oui, le brevet est la propriété de l’IGR. Ce serait un outil compagnon d’imagerie qui permettrait de guider les traitements, un logiciel d’imagerie qui permettrait d’évaluer les lésions des patients et d’indiquer celles qui sont plus ou moins infiltrées.
Vous avez utilisé l’IA pour développer cet outil ?
La signature a été créée ainsi. On prend les caractéristiques d’une image des lésions qu’on veut analyser. Nous utilisons l’IA pour pouvoir entraîner l’ordinateur afin qu’il puisse prédire l’infiltration lymphocytaire des tumeurs qu’on analyse. D’un autre côté, nous avions une base de données des biopsies liquides qui permettaient d’analyser ces lésions par expression ARN. C’est l‘IA qui nous a permis de trouver les meilleures variables pour estimer l’infiltration lymphocytaire. Maintenant ce n’est que de l’application.
Votre équipe est importante ?
Nous avons reçu le soutien d’une équipe de Centrale Supélec, de TheraPanacea, une une spin-off de Centrale dirigée par Nikos Paragios, et de Charlotte Robert qui coordonne le Master 2 de Radio Physique Médicale, le DQPRM. Par ce biais-là, il y a beaucoup d’étudiants en thèse et nous bénéficions de la diversité des compétences, ingénieurs, médecins, physiciens, ce qui est important pour cette recherche à l’interface de plusieurs disciplines scientifiques.
La radiothérapie permet de moduler les quantités de rayonnements à irradier de manière plus précise grâce à l’IA?
Avec l’IA on peut identifier chaque lésion et la radiothérapie permet, selon le dosage, soit de détruire certaines lésions soit de stimuler le système immunitaire. Avec cet outil, c’est le choix dans la manière d’irradier qui est proposé pour moduler ces combinaisons. C’est ce qu’on appelle la médecine d’ultraprécision. On peut moduler le nombre de séances, la dose totale d’irradiation. C’est pour cela que nous travaillons de préférence sur des patients poly-métastatiques, un cancer déjà disséminé dans lequel il y a plusieurs lésions. Ces patients reçoivent jusque-là un traitement veineux systémique. Et l’on pensait qu’il y avait moins d’intérêt à venir irradier toutes les lésions. Ce point de vue a évolué et l’on considère maintenant que c’est possible. Sauf qu’on a du mal à comprendre comment optimiser ces combinaisons. Dans le cas des tumeurs localisées, c’est différent, on va pouvoir tout détruire par radiothérapie.
Cette innovation est destinée à être diffusée partout dans le monde ? Comment sera-t-elle commercialisée ?
La signature est brevetée par l’Institut Gustave Roussy. L’intérêt à l’avenir, c’est qu’elle soit transposée. Nous avons décrit comment elle marchait, il n’y aura pas de problème pour la diffuser afin qu’elle soit appliquée partout, sur tous les scanners injectés (conventionnels) en routine clinique dans les différents centres. A terme, l’idéal serait bien sûr que cette signature puisse être transposée en clinique dans différents centres à travers l’utilisation de licences.
Vous serez associé au déroulement de l’étude clinique ?
L’un de mes projets est de monter ces essais cliniques avec le Pr Eric Deutch. Je serai probablement l’un des investigateurs principaux de l’étude.
Propos recueillis par Thérèse Bouveret
(1)Faut-il arrêter de classer les cancers en fonction des organes ? (radiofrance.fr)
(2) A radiomics approach to assess tumour-infiltrating CD8 cells and response to anti-PD-1 or anti-PD-L1 immunotherapy: an imaging biomarker, retrospective multicohort study – PubMed (nih.gov)