Medteche-Santé
Interview
Une croissance exponentielle des applications d’IA dans le secteur de la santé
Interview Philippe Gesnouin, EIT Digital & EIT Health Project Officer à l’Inria, Vice-Président du DAS Santé numérique de Medicen Paris Region. Il est aussi Coordinateur de l’action Interpôles Tic & Santé (Cap Digital, Medicen et Systematic).
Inria est en charge de coordonner le plan IA. Comme l’a présenté récemment Bernard Braunchweig, ce plan comprend la mise en place des instituts 3IA.
Oui nos collègues chercheurs sont fortement impliqués. Après plusieurs « hivers » de l’IA, nous sommes dans une période où la puissance des machines et surtout la disponibilité de grandes masses de données rencontrent les méthodes développées depuis de nombreuses années par les chercheurs, dont mes collègues d’Inria. Bien entendu ce n’est qu’une facette des travaux de l’Institut.
On dispose à présent d’une grande quantité de données qu’on a pu étiqueter, ranger, on a de quoi nourrir les programmes. En médecine, c’est d’abord en radiologie que se sont développées les méthodes de diagnostics assistées par de l’IA. La disponibilité d’un grand nombre d’images sous format numérique permet d’entraîner des réseaux de neurones qui travaillent directement pixels par pixels et apprennent de l’expertise des radiologues qui ont annoté les images du set d’apprentissage.
Lors de la dernière édition des Journées Francophones de la Radiologie, un des challenges IA a été remporté par la startup Pixyl, (1) une spin-off de l’Inria. C’est intéressant parce qu’initialement, les chercheurs de l’équipe sont spécialistes des statistiques et des méthodes d’apprentissage, et pas forcément des réseaux de neurones et du deep learning. Ils s’y sont mis.
Vous êtes coordinateur de l’action TIC&Santé ?
Personnellement, je ne suis pas un spécialiste de l’IA, mais je suis par mon travail en contact avec les chercheurs. Je dois pouvoir comprendre les enjeux et restituer ce qu’ils sont en mesure de proposer.
Contribuer à l’animation de l’écosystème avec et pour les membres des pôles de compétitivité d’Ile-de-France dont Medicen Paris Region, Systematic Paris Region et Cap Digital est le prolongement logique. Cela fait partie de mes activités.
A ce titre, vous avez animé l’atelier IA à APInnov 2019 et vous avez présenté quelques projets qui sont issus de la recherche interne de l’AP-HP? Etes-vous à l’interface des grands groupes et des start-ups ?
Les grands groupes peuvent faire appel à des startups pour innover, c’est une tendance de fond. Sur le sujet de l’IA ils peuvent bénéficier d’une grande diversité d’initiatives et de projets.
Les techniques d’IA permettent d’obtenir des gains rapides de productivité et d’efficacité. Elles sont par essence capables de reproduire la manière d’analyser d’un Humain, d’un spécialiste. C’est pourquoi, les chercheurs en IA ont besoin souvent d’un set d’apprentissage. On va retrouver par exemple Therapixel ou Therapanacea qui combinent leur maîtrise des méthodes et du développement logiciel à l’accès à des images de multiples provenances, IRM, petscan, radios annotées par des radiologues, considérées comme la référence et qui peuvent constituer les sets d’apprentissage.
La machine ne va pas remplacer de sitôt l’expertise de ces radiologues vu leur nombre d’années d’études et de pratique médicales ?
Vous pouvez par exemple regarder ces projets avec au départ l’implication de médecins radiologistes. Gleamer, AZmed, MILVUE. Ces trois programmes sont capables d’aider des urgentistes à pouvoir classer rapidement des images, les aider dans la priorisation des cas à toujours à soumettre aux radiologistes qui sont souvent devenus une expertise moins disponible dans les services.
Cela permet de capter l’expertise et de la rendre disponible. Le programme a appris sur un type de données. Il faut s’assurer ensuite de la compatibilité des données de diverses provenances.
Une chronique récente parue dans Nature montre qu’on peut tromper les systèmes d’IA : un paresseux est pris pour une voiture de course. Il suffit qu’on fasse des altérations de l’image, il peut y avoir des bruits de fond pas nécessairement détectables.
Pour que les systèmes d’IA soient fiables, il faut donc s’assurer d’une interopérabilité des données ?
C’est très important, il faut attendre et apprendre aux programmes à entraîner leurs algorithmes. Il faut donc pouvoir s’appuyer sur des standards, les diffuser et continuer à les développer. Les industriels comme Siemens Healthineers, GE Healthcare ou Philips y sont associés depuis des années et contribuent à des initiatives telles que IHE (Integrating the Healthcare Enterprise).
Pensez-vous que les GAFAM soient capables de rivaliser dans le domaine des solutions thérapeutiques ?
On peut se tromper sur Google, ou Amazon, au niveau académique, ils sont des sérieux compétiteurs. Ils ont tellement d’images et ont réussi à recruter de scientifiques de haut niveau. Historiquement IBM a recruté des prix Nobel. Microsoft Research est de très haut niveau dans l’académique. Sans parler des salaires : ils offrent des conditions de travail qui peuvent être très attrayantes sur des sujets de pointe.
Ils ont de plus un fort pouvoir de communication quand, par exemple, Google signe un partenariat avec Sanofi c’est une publicité pour les deux parties.
Et sous l’aspect du secteur santé ?
Au sein des pôles nous voyons beaucoup de projets basés sur l’imagerie notamment sur les aspects fractures traumatologiques. Nous en avons également beaucoup en dermatologie, en ophtalmologie, en particulier pour la rétinite diabétique ; en anatomopathologie aussi où le manque de praticiens se fait sentir même en France et où nous avons besoin de plusieurs années de pratique pour former des spécialistes.
Tous ces systèmes, toutes ces applications, connaissent une croissance exponentielle. Cela peut contribuer à modifier favorablement l’organisation des établissements et les parcours de soins dans les hôpitaux.
Beaucoup de médecins de l’AP-HP ont une approche pro-active. Avec nos collègues de CentraleSupelec, nous avons organisé des réunions entre médecins et chercheurs pour favoriser l’émergence de projets et créer des groupes de travail. Cela se concrétise déjà par une Chaire commune, AP-HP/ Centrale Supélec/Inria pour travailler sur l’exploitation des données médicales.
Les données structurées sont-elles bien avancées en France ?
Il paraît difficile aux médecins, compte tenu de la façon dont ils travaillent, de remplir des comptes-rendus en faisant entrer leurs remarques, diagnostics, précisions, en cochant des cases A, B, C. Il faudrait structurer mieux les comptes-rendus et ce n’est ni simple ni toujours souhaitable. Une des voies et une des applications de l’IA est l’analyse du langage naturel, ce qui implique de lire les comptes-rendus des médecins. C’est par exemple un sujet de recherche entre une équipe d’Inria et les personnes de l’AP-HP en charge de l’Entrepôt des données de l’AP-HP.
Au sein des pôles, vous voyez défiler toutes sortes de projets de start-ups. Quand vous examinez leurs projets, quelle est votre approche vis à vis d’elles en tant que coordinateur ?
Pour la labellisation, le business model est très important. J’insiste sur ce point. Il ne s’agit pas d’avoir une posture idéologique et de dire que tout est résolu par la loi du marché. L’innovation mise en place doit s’assurer qu’il y a un modèle économique. Il n’y a pas que le remboursement par la sécurité sociale et les mutuelles!
Parmi les axes de réflexion que je peux donner aux startups, l’un des principaux est de comprendre comment leur innovation va s’insérer dans les organisations de soins : comment la rendre pérenne et quels seront les moyens associés? Au sein d’Inria, pour les gens qui ont des projets je contribue par ma connaissance du secteur mais surtout ils bénéficient de l’accompagnement de mes collègues au sein du Startup Studio. Inauguré en septembre 2019, il a pour objectif ambitieux de générer 100 projets de startups par an dans le domaine de la deeptech. Il s’agit de reconvertir les chercheurs en créateurs d’entreprise.
Propos recueillis par Thérèse Bouveret
(1) https://www.inria.fr/centre/grenoble/actualites/pixyl-une-start-up-au-service-de-la-sant