Je suis particulièrement heureux de vous retrouver pour cette conférence de presse des vœux du LEEM, dans un format inédit.
Vous le savez, cette conférence de début d’année est l’occasion de regarder dans le rétroviseur les événements de l’année écoulée. Et surtout de dresser les perspectives pour l’année qui s’ouvre.
L’actualité est ainsi faite que ce que nous voyons dans le rétroviseur (en rétrospective) et dans le parebrise (en prospective) semble – au 1er abord – identique. Passé, présent, futur, tout nous ramène à un sujet prioritaire : la pandémie de Covid-19. Depuis maintenant un an, ce virus dicte le rythme de nos vies personnelles et professionnelles, le rythme de notre pays et du monde entier.
En réalité, l’année passée ne doit pas être observée uniquement sous l’angle de la crise de la COVID mais également au travers d’un agenda particulièrement dense qui a mobilisé le Leem et l’ensemble des acteurs publics et privés du secteur. Nous avons poursuivi la nécessaire transformation de la politique du médicament alors même que la santé est devenue la première priorité des Français.
Cette année a été si riche de transformations pour notre secteur !
Je souhaiterais que la tonalité de ces vœux, malgré le contexte, soit délibérément positive.
Quels enseignements tirer de cette crise sanitaire ?
Premier enseignement : nous n’avons pas flanché. Le secteur a tenu le choc.
Au moment où l’on parle beaucoup de pénuries de médicaments, les tensions d’approvisionnement observées au plus fort de la crise ne se sont jamais transformées en ruptures.
Nos entreprises et nos collaborateurs ont répondu pleinement et parfaitement à l’urgence sanitaire avec une priorité absolue : assurer aux patients, à l’hôpital comme en ville, la continuité d’accès aux médicaments qui leur sont indispensables, en particulier dans les maladies chroniques. Tous les métiers de notre industrie -recherche, développement, production, force de vente, sans oublier les responsables administratifs- se sont incroyablement mobilisés. Je salue ici leur engagement sans faille pendant toute la crise.
Un exemple : celui des produits de sédation. La consommation exponentielle de ces produits durant la première vague de l’épidémie a représenté près de 4 ans de consommation « habituelle » en seulement quelques semaines.
La crise sanitaire a fait apparaître la formidable capacité de résilience, d’agilité et d’engagement de notre industrie. Sa mobilisation à l’échelle planétaire a permis de faire face à des niveaux de demande de médicaments sans précédent.
Car c’est bien grâce à la mondialisation de nos capacités de production que nous avons su relever un tel défi.
Bien sûr, 2020 ne fut pas un long fleuve tranquille. La crise par son caractère inédit, rapide, évolutif et imprévu a mis également en lumière un certain nombre de faiblesses du système de santé sur lesquelles nous avions alerté de longue date.
Tout d’abord, elle a mis en évidence la dépendance de l’Europe et plus encore de la France vis-à-vis de l’étranger pour ses approvisionnements en matières premières et en médicaments. Ce qui a amené la Commission européenne et le Gouvernement français à s’interroger sur les voies et moyens de recouvrer une plus grande autonomie stratégique. Notre enjeu est aujourd’hui et sera demain de savoir relocaliser sans démondialiser.
La crise a également mis en exergue le défaut de coopération et de coordination européennes :
Absence de stratégie commune de dépistage,
Mesures de confinement hétérogènes,
Résurgence des tensions et divisions au plan sanitaire comme au plan budgétaire. De ce point de vue, l’annonce récente de la mise en place à l’échelle européenne d’un équivalent du BARDA[1] américain mérite d’être saluée.
Ce qui m’amène au second grand enseignement de cette crise, à savoir la reconnaissance du caractère véritablement stratégique de notre secteur.
C’est depuis une dizaine d’année le leitmotiv du LEEM. Or, aujourd’hui, à la lumière de la COVID, plus personne ne conteste le caractère vital de notre industrie. Nous l’avons d’ailleurs mesuré dans notre dernière étude Ipsos : l’utilité des entreprises du médicament est unanimement reconnue par tous les publics avec des scores allant jusqu’à 97 % pour les médecins.
Des jalons avaient certes été posés depuis trois ans et singulièrement depuis le dernier CSIS, mais la crise a accéléré cette tendance de fond. Le caractère stratégique des entreprises de santé est désormais une idée unanimement partagée.
Quelques illustrations concrètes :
Dans la fiscalité : l’annonce d’une baisse significative des impôts de productionqui pénalisaient tellement l’industrie française au regard de ses concurrents économiques. C’est une mesure de portée générale bien sûr mais elle impactera positivement la compétitivité de la France dans notre secteur.
Autre illustration : le « Plan France relance ». Il témoigne de la détermination des pouvoirs publics à tirer toutes les conséquences de la crise de la Covid-19. L’idée est de renforcer l’attractivité et la compétitivité industrielle de la France. 35 milliards sur les 100 annoncés porteront sur la réindustrialisation. Cette relance est d’autant plus opportune à mes yeux que notre secteur est largement constitué de PME, loin du cliché de la « big pharma ». Nos PME ont fortement subi les impacts de la crise, qu’il s’agisse de fabricants de produits matures ou de biotechs innovantes…
Troisième illustration : le fléchage de notre filière comme l’une des cinq reconnues comme prioritaires dans ce plan de relance ambitieux. Je le dis ici très clairement, nous entendons être des acteurs engagés de cette relance. N’oublions jamais que la spécificité de notre industrie est d’être tout à la fois un acteur de santé et un acteur économique de premier plan.
Quatrième illustration du caractère stratégique de notre industrie : les décisions actées dans la récente loi de financement de la sécurité sociale, à savoir une baisse de la contribution nette de notre secteur à la politique de maîtrise des dépenses de santé (640 millions d’euros vs 920 en 2019). On ne rappellera jamais assez l’impact négatif qu’a eu – pendant toute une décennie – le prélèvement d’un milliard par an (sous forme de baisses de prix des produits matures) au titre de la régulation des produits de santé. Cette ponction a lourdement pesé sur l’appareil de production national.
Enfin, le nouvel accord cadre, en cours de finalisation, dans lequel nous espérons enregistrer des avancées dans le domaine des délais d’accès au marché des médicaments ou encore la reconnaissance des investissements.
Nous voulons croire à la cohérence et la lisibilité de cette politique de reconstruction qui doit être consolidée en 2021. Car cette crise nous impose de réfléchir au jour d’après. De poser sans tarder les jalons d’une véritable politique du médicament en France à l’ère post-Covid. Une politique qui embrasse le médicament dans toutes ses dimensions : industrielle bien sûr, mais aussi de santé publique, d’organisation et de distribution des soins, et enfin d’engagement sociétal et environnemental. Une politique plus prévisible qui réconcilie les actions de court terme et les objectifs de moyen/long terme si stratégiques pour notre secteur.
De ce point de vue, j’ai le sentiment que nous progressons, comme en témoigne l’implication croissante du Ministère de la santé et, personnellement, du Ministre lui-même, dans les enjeux de politique industrielle. Ainsi, et c’était une première, nous avons tenu en 2020 une réunion du CSF en présence des deux Ministres : Monsieur Véran et Mme Pannier-Runacher, ce qui constituait un signal fort à notre secteur.
Le troisième enseignement de cette crise sanitaire, c’est celui de la formidable capacité de résilience et d’innovation de notre secteur.
Début 2020, avec l’émergence de ce nouveau coronavirus, nous étions face à une inconnue. En termes de connaissances scientifiques, nous partions d’une feuille presque blanche. Nous ne savions rien de ce virus, de sa contagiosité, de ses modes de transmission, d’incubation, de sa virulence, de son évolution, de sa létalité, des traitements…
Onze mois plus tard, nous avons fait des pas de géant. La séquence autour du développement des vaccins contre la COVID revêt un caractère exceptionnel. Par la contraction de l’échelle du temps et par la prise de risque de l’ensemble des acteurs : les Etats bien entendu mais aussi, ne l’oublions surtout pas, les industriels.
En l’espace de quelques mois, près de 2.500 essais cliniques ont été lancés à travers le monde pour identifier une solution thérapeutique ou vaccinale. La France s’est trouvée en deuxième position (derrière les Etats-Unis) pour initier ces essais. Jamais dans l’histoire de la médecine, la recherche vaccinale n’a été aussi massive et rapide. Près de 300 candidats vaccins sont développés aujourd’hui, dont 20 sont en phase III et déjà 2 vaccins ont été approuvés en Europe et sont disponibles pour les patients Français.
Je laisserai Claire ROGER, qui a assuré ces douze derniers mois la présidence du Comité Vaccin du Leem, vous dresser un point plus détaillé de l’effort de recherche sans précédent de notre industrie. Je la remercie d’avoir accepté de s’associer à cette conférence de presse.
Nous avons également, en quelques mois, enregistré des progrès conséquents dans la recherche de traitements. Nous avons aujourd’hui des solutions thérapeutiques qui se sont révélées efficaces, notamment au travers de l’association des corticoïdes et des anticoagulants. Ces traitements réduisent de façon drastique la mortalité chez les patients atteints de forme sévère de Covid-19. Et la recherche se poursuit au-delà même des vaccins dont nous savons qu’ils ne sont qu’une partie – essentielle certes, mais pas exclusive – de la réponse au virus.
Vous le voyez, tout s’est accéléré. Des collaborations inédites ont vu le jour en des temps records entre des entreprises habituellement concurrentes mais aussi une myriade de collaborations entre privé et public, grandes entreprises et biotech.
La Covid-19 a ouvert une faille spatio-temporelle. D’un côté, la vitesse de propagation de la pandémie, de l’autre, la rapidité de réaction des acteurs de la chaîne du médicament. Je pense aux professionnels de santé, aux soignants, aux établissements de santé. Je pense aussi aux 100.000 collaborateurs des entreprises du médicament en France. Ces salariés de l’ombre, mobilisés jour et nuit pour répondre à la demande sans précédent de médicaments pour les patients souffrant de la Covid-19. Mais aussi pour assurer la production et la disponibilité des autres traitements pour les malades chroniques. C’est ici pour moi l’occasion de rendre hommage à ces combattants de seconde ligne : nos chercheurs, nos salariés des sites de production, nos logisticiens…
J’en viens à la deuxième partie de mon intervention.
Au-delà de la reconnaissance de son caractère stratégique, la crise sanitaire a montré que notre secteur était, plus que jamais, à l’écoute des aspirations de la société
Les résultats de notre étude Ipsos pour 2020 montrent une nette amélioration de l’image du secteur. 2/3 des Français considèrent que les entreprises du médicament ont activement participé à l’effort contre la Covid-19. Ces résultats sont encourageants et confirment la bonne perception des Français sur la contribution de nos entreprises pendant la crise sanitaire.
Ils sont encourageants mais pas suffisants.
Nous avons encore des points d’amélioration, qui sont autant de défis collectifs à relever. Nous identifions trois problématiques sur lesquelles nous pouvons, nous devons mieux faire et agir rapidement :
Les ruptures d’approvisionnement ;
La transparence ;
Le prix des innovations.
Reprenons les…
Sur la problématique des ruptures :
Nous l’avons souvent dit : nous prenons notre part de responsabilité. Mais les pénuries de médicaments sont des problématiques mondiales et multifactorielles. Elles ont pris plus d’ampleur ces dernières années en raison de la complexification de la chaîne de production, des technologies, des contrôles et des obligations réglementaires. Mais aussi de facteurs externes, notamment des capacités de production insuffisantes face à l’augmentation de la demande mondiale, des problèmes d’approvisionnement de principes actifs…
Les ruptures de stocks et d’approvisionnement de médicaments sont un sujet de préoccupation majeur des entreprises du médicament. Car notre mission consiste à mettre à disposition des patients les traitements dont ils ont besoin, dans les meilleurs délais, et dans le respect absolu des normes de qualité et de sécurité.
Nous avons fait de ce sujet l’une de nos toutes premières priorités d’actions – et ce dès février 2019, c’est-à-dire quatre mois avant les premières annonces gouvernementales. Nous avons mis en débat plusieurs propositions, telles que les efforts à conduire de part et d’autre sur une liste de médicaments, particulièrement essentiels pour les patients, la mise en place d’appels d’offre hospitaliers multi-attributaires, la restriction des exportations parallèles ou encore la mise en place de prix planchers pour les médicaments à risque de rupture.
Nous n’avons donc pas attendu les débats parlementaires du dernier PLFSS pour prendre la mesure du sujet. Mais la généralisation à 4 mois de l’obligation de stockage, dont il a été de nouveau question dans les débats de la LFSS, nous est clairement apparue comme « un remède pire que le mal ».
En effet, dégrader les conditions d’exploitation économique de produits très souvent largement génériqués et à très bas tarif de remboursement ne pourrait qu’aboutir à une raréfaction de l’offre.
Nous allons accroître notre engagement en 2021 avec une priorité : mieux anticiper, aux côtés des autorités de santé les tensions d’approvisionnement. Et nous lançons pour cela un outil inédit : la plateforme TRACStocks… Nathalie Le Meur, administratrice du Leem et responsable du projet, vous en détaillera les modalités dans quelques instants. Je la remercie également de participer à cette conférence de presse.
Sur la question de la transparence :
Là-aussi nous entendons les aspirations de la société. A cet égard, figure dans la LFSS pour 2021 une mesure sur la transparence des aides publiques (c’est l’article 79). Le Leem n’est, par principe, nullement opposé à accroître la transparence entre les entreprises pharmaceutiques, le Comité économique des produits de santé et le public. Il n’a donc pas exprimé d’opposition à la disposition selon laquelle les entreprises déclarent auprès du CEPS les investissements publics de R&D dont elles ont bénéficié lors du développement de leurs produits. Nous sommes en train de travailler avec le CEPS à une disposition de l’Accord-cadre entre le CEPS et le Leem qui permettra de traduire dans les faits cette nouvelle mesure. Je me félicite que les recommandations du Leem aient été entendues, notamment la nécessité d’attacher la déclaration à l’ensemble des médicaments d’un laboratoire et non pas à un produit spécifique, et ce afin de la rendre applicable.
Nous veillerons à ce que cette transparence ne soit pas unilatérale, qu’elle ne se fasse pas à sens unique. Le Leem milite en effet pour que soient également transparents les financements des entreprises du médicament vers la recherche publique.
C’est en effet pour nous un moyen de faire apparaître la notion d’écosystème. L’avenir est à la « cross fertilisation » entre recherche fondamentale, recherche appliquée et développement. Savoir transformer une invention en innovation est notre cœur de métier. Il nécessite des moyens économiques considérables, mais aussi un savoir-faire.
Oui, l’industrie pharmaceutique a besoin de la recherche académique et du tissu des startups en particulier dans le monde des biotechs pour trouver les pépites qui seront les médicaments innovants de demain ! Mais que serait la recherche publique sans la capacité de développement planétaire de l’industrie pharmaceutique, avec ce que cela implique de rigueur scientifique et de mobilisation internationale ?
Il me faut quand même préciser qu’aujourd’hui, de multiples informations sont déjà publiques :
les prix des produits de santé sont publiés au Journal officiel,
les données mensuelles et annuelles sur les médicaments remboursés par l’Assurance Maladie sont disponibles en ligne,
les montants des produits de santé à l’achat par les hôpitaux sont accessibles sur le site de l’ATIH (scan santé),
le rapport d’activité du CEPS qui informe sur le montant annuel des remises est public,
les contrats liant l’industrie pharmaceutique à la recherche publique sont rendus publics sur la base transparence.santé.fr et soumis au dispositif « Encadrement des avantages »…Notre instance d’éthique et de déontologie, le CODEEM, veille attentivement au respect des règles déontologiques de notre profession.
Enfin, sur le débat autour du prix de l’innovation :
Tout d’abord, le retour de l’innovation est une réalité.
Des essais cliniques sont en cours dans le monde entier pour des thérapies géniques, cellulaires et tissulaires avec une forte présence de la France. Nous sommes en 2ème position derrière les Etats-Unis et en 6ème position pour les essais de phase III. Dans l’hémophilie sévère, la dystrophie musculaire de Duchenne, le myélome multiple, la sclérose latérale amyotrophique, la béta-thalassémie ou encore la drépanocytose, ces médicaments de thérapie innovante offrent des perspectives de guérisons inédites. Certaines de ces thérapies vont révolutionner la prise en charge des patients avec, pour certains traitements, une guérison définitive en une seule administration. Je parle ici de pathologies aujourd’hui mortelles ou particulièrement invalidantes. De même, le développement des immunothérapies est très prometteur dans la lutte contre de nombreux cancers.
Face à ces révolutions, la question de l’accessibilité pour les patients est essentielle.
C’est pourquoi je voudrais, à titre liminaire, commencer par saluer la réforme de l’accès précoce qui a été menée par le Gouvernement, dans un souci de concertation avec les industriels mais aussi avec les associations de patients. La loi de financement de la sécurité sociale, dans son article 78, procède à une réforme profonde avec deux objectifs : la simplicité et la prévisibilité. Beaucoup reste évidemment à faire au niveau de l’appareil réglementaire qui reste à élaborer. Je laisserai Corinne Blachier-Poisson, administratrice du Leem et Présidente de notre Commission « accès au marché » vous présenter ce nouveau mécanisme d’accès qui vient notamment se substituer aux anciennes ATU. Je la remercie de s’être rendue disponible.
D’autre part, nous entendons les interrogations légitimes qui portent sur le prix de ces innovations.
Et nous sommes conscients que nous devons faire preuve de pédagogie.
Tout d’abord, pour rappeler que les innovations passées, pour coûteuses qu’on ait pu les juger, ont été financées à coûts constants pour la collectivité : l’enveloppe de dépenses de médicaments (en chiffre d’affaires industriel) est restée stable de 2009 à 2019.
Ensuite, pour expliquer qu’un prix ne reflète pas le coût d’un produit, mais qu’il permet de financer :
D’une part, les recherches passées – avec les nombreux et inévitables échecs – mais surtout les futurs médicaments (le « pipeline »), avec une prise de risque énorme et un taux d’attrition des recherches très élevé ;
D’autre part, une immobilisation de capital extrêmement longue – 10 à 12 ans en moyenne ;
La prise de risque est particulièrement importante, s’agissant de produits de haute technologie – avec (nous l’assumons) la nécessité de rémunérer nos actionnaires puisque ces recherches s’effectuent sur fonds propres (c’est l’une des caractéristiques de notre industrie).
… Le tout sur des populations de plus en plus souvent étroites, compte tenu de l’approche personnalisée que permet de développer le progrès des connaissances.
Ces innovations de rupture, dans la prise en charge des cancers, des risques infectieux ou encore des pathologies orphelines, vont transformer profondément le devenir de nombreux malades. Elles vont bouleverser l’organisation des soins. Elles auront un coût, mais offriront d’incroyables opportunités de modernisation de notre appareil de santé.
Elles doivent donc nous amener logiquement à nous interroger sur la façon de les financer. Il est clair que le système de santé et de protection sociale actuel ne possède pas les bons outils pour faire face à ces enjeux. A l’innovation scientifique et technologique doit impérativement répondre l’innovation administrative et financière. Dans ce débat, le LEEM entend être force de proposition.
Venons-en maintenant aux perspectives pour 2021
La crise a suscité une dynamique nouvelle en consacrant le caractère stratégique de notre industrie. Elle nous a également appris beaucoup sur nos capacités d’anticipation, sur notre organisation du travail, nos modes de fonctionnement, nos interactions avec la société.
Aujourd’hui, en 2021, nous sommes plus que jamais une industrie de sortie de crise, aux côtés des pouvoirs publics pour entamer le lourd travail de reconstruction sanitaire et économique de notre pays.
Pour y parvenir, nous devons ouvrir six chantiers prioritaires :
Premier chantier : tirer toutes les conséquences de la crise sanitaire pour bâtir l’avenir de notre système de santé.
En septembre dernier, j’ai eu l’occasion de vous présenter le rapport du cabinet AT KEARNEY, mandaté par le LEEM pour nous donner son éclairage sur les enseignements de la première vague de la crise de la COVID-19. Je ne reviendrais pas ici sur l’intégralité de ce travail particulièrement riche (le dossier intégral est sur notre site). Mais il nous invite à réfléchir avec l’ensemble de nos interlocuteurs, au premier rang desquels les pouvoirs publics et les patients, autour de quelques axes :
La lutte contre les ruptures d’approvisionnement dans toutes leurs dimensions – j’insiste sur le « toutes ».
L’opportunité de capitaliser sur ce qui a bien fonctionné durant cette crise, comme par exemple l’accélération des autorisations d’essais cliniques, la dématérialisation de certaines procédures ou encore la pénétration des solutions numériques en France.
La nécessité d’améliorer les procédures de gestion de crise Etat/Industrie, là où cela est nécessaire – par exemple en matière de commande publique ou de flexibilité de l’outil de production.
L’amélioration de l’anticipation des risques sanitaires émergents. De ce point de vue la création d’une nouvelle Agence de recherche contre les risques infectieux retient évidemment toute notre attention. Mais il nous faut aussi agir en aval sur le développement de nouvelles solutions thérapeutiques – notamment en matière de lutte contre l’antibiorésistance – ce qui nécessitera, là encore, une interaction renforcée avec les autorités de santé.
Deuxième chantier : renforcer nos écosystèmes d’innovation.
En octobre dernier, nous avons rendu publique notre dernière étude relative à l’attractivité de la France dans la recherche clinique. Cette étude fait globalement état d’une situation stable, mais à un niveau insatisfaisant, puisqu’elle place notre pays au 4ème rang européen. Et ce, malgré les efforts accomplis depuis le dernier CSIS. Toutefois, un certain nombre de choses se sont passées depuis le dernier terrain de cette étude, en particulier la crise de la COVID à l’occasion de laquelle on a vu s’accélérer spectaculairement certains délais d’autorisation de recherche. La LFSS devrait aussi se traduire par une augmentation des moyens des CPP. Surtout, la loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 devrait renforcer le financement des priorités publiques de recherche. Pour ce qui concerne le LEEM, nous considérons trois priorités importantes pour 2021en matière d’innovation :
Un : l’amélioration du pilotage et de la coordination des activités de recherche et d’innovation sur le territoire. Ceux-ci restent en effet insuffisamment lisibles pour les groupes internationaux, complexes à appréhender pour les start-ups porteuses d’innovations et anticipant insuffisamment l’impact de ces innovations sur les dispositifs de soins.
Deux : la fluidification des partenariats publics / privés, ainsi que le développement des passerelles entre les deux secteurs.
Trois : la recherche d’une plus grande attractivité du territoire pour les activités de R&D. Ça passe par un meilleur accompagnement des start-ups innovantes, la création de guichets dédiés ou encore la dématérialisation des procédures d’autorisation et de mise en place des essais cliniques.
A cet égard, nous regardons avec beaucoup d’intérêt l’initiative prise par le Ministère de la défense portant sur la création d’une agence d’innovation en défense. Il y a là, une source d’inspiration dans notre dialogue avec la puissance publique.
Troisième chantier : rendre de la lisibilité à nos mécanismes d’évaluation médico-techniques.
Il s’agit là d’un sujet très technique, mais extrêmement important pour les entreprises opérant en France. Les problématiques d’accès au marché post-AMM, qu’il s’agisse de la lisibilité de l’évaluation, de sa prévisibilité ou encore des délais, constituent aujourd’hui le principal décrochage d’attractivité entre la France et l’Allemagne. Et c’est encore une piste de réflexion pour l’avenir.
J’ai souligné dans mes propos généraux un certain nombre d’avancées en 2020, mais elles sont insignifiantes en matière de lisibilité. En effet :
La réforme de l’évaluation que nous appelions de nos vœux est restée à l’état d’ébauche. C’est un sujet que nous devons réactiver de façon prioritaire en 2021, car le décrochage de la France par rapport à ses voisins est préoccupant. Le LEEM entend être force de proposition en la matière.
De même, le compromis trouvé par la présidence allemande entre les Etats-membres sur l’HTA européenne est très décevant, et ne permettra pas de progresser sur l’évaluation commune de la « clinical efficacy ».
La problématique de l’expertise très spécifique à la France reste entière. Voyons les choses telles qu’elles sont : nous souhaitons une transparence totale des liens d’intérêt. Nous partageons l’objectif d’exempter toute décision administrative de conflit d’intérêt. Mais tout ceci doit être remis à plat : il faut cesser d’assimiler lien d’intérêt et conflit, rendre sa juste part de voix à l’expertise industrielle, mieux organiser la carrière des experts publics, préciser les règles de passerelles public/privé indispensables pour conserver une expertise de niveau international. Je crois profondément que le débat doit être apaisé et se tenir sur des bases scientifiques, plutôt que d’être un territoire abandonné aux idéologues.
Enfin, il nous faut nous interroger collectivement sur la médico-économie. Elle n’a sans doute pas encore trouvé toute sa place dans les méthodes d’évaluation dans notre pays.
Quatrième chantier : renouer avec des politiques industrielles ambitieuses en termes d’attractivité et de compétitivité, pour renforcer l’autonomie stratégique de la France.
En novembre dernier, nous avons rendu publiques nos propositions en matière de politique industrielle. Vous savez que, depuis des années, le LEEM attire l’attention des pouvoirs publics sur le recul industriel de la France, puisqu’en dix ans, nous sommes passés du rang de premier producteur européen à celui de quatrième. Cette politique industrielle du médicament que nous appelons de nos vœux, et dont nous avons aperçu les prémices en 2020, doit reposer sur deux piliers :
La compétitivité, qui doit nous permettre de maintenir notre production traditionnelle de médicaments chimiques, d’optimiser l’utilisation de nos capacités de production et d’engager une politique volontariste de relocalisation industrielle.
Mais également l’attractivité, afin de pouvoir attirer sur notre territoire la production des médicaments les plus innovants. Car c’est à cette seule condition que nous assurerons le futur de notre industrie en France.
Pour atteindre ce double objectif, nous devons agir sur tous les leviers :
Alléger la fiscalité générale et spécifique de notre secteur,
Réduire drastiquement nos délais d’accès au marché,
Utiliser tous les outils de la nouvelle politique conventionnelle,
Travailler sans relâche à la simplification de nos normes souvent illisibles pour les entreprises internationales.
Et garder en tête deux idées qui constituent la clef du succès :
Penser et agir en européens, car une approche industrielle Etat par Etat n’est pas envisageable pour la plupart de nos entreprises.
Penser et agir dans la durée, car les décisions que nous sommes amenés à prendre nous engagent sur la durée et c’est souvent la vision à long terme qui fait défaut à notre pays.
Cette politique ambitieuse ne saurait se mettre en place sans actions concrètes en matière de développement des compétences des collaborateurs du secteur pour répondre aux enjeux identifiés, et d’insertion de nouveaux talents, notamment les jeunes au travers du développement de l’apprentissage. En 2020, ce sont plus de 6.000 contrats signés dans notre industrie sur tous les métiers.
Cinquième chantier : retrouver de la croissance pour financer ces ambitions industrielles ainsi que la vague d’innovations sans précédent qui se dessine pour les prochaines années.
Bien entendu – et c’est dans doute la clef de voûte de ce qui précède – nous devons convaincre les décideurs politiques et administratifs que l’on ne pourra mener de front les politiques industrielles et les politiques d’accès à l’innovation qu’en retrouvant ce qui nous fait tant défaut depuis déjà une décennie : la croissance.
La comparaison européenne est, de ce point de vue, très défavorable pour la France. Le marché national stagne depuis 10 ans, là où nos voisins – l’Allemagne notamment, mais aussi l’Italie ou le Royaume-Uni – connaissent une réelle croissance sous la double influence d’un important flux d’innovations et d’une forte volonté industrielle : les biotechs en Allemagne, la chimie en Italie. Même un pays aussi rigoureux que le Royaume-Uni propose des perspectives de croissance aux entreprises du médicament, par crainte de voir cette industrie stratégique pour l’économie britannique –comme elle l’est pour l’économie française– déserter l’Angleterre pour cause de Brexit.
Bref, nous avons besoin de cohérence dans les politiques du médicament. Les actes doivent coïncider avec les discours – et nous jugerons si les promesses entrevues en 2020 se trouveront consolidées en 2021.
De ce point de vue, la saisine du HCAAM sur la construction de l’ONDAM par le Ministre de la santé, Olivier Véran, est un signal fort. J’observe que cette saisine adresse justement un certain nombre de points cruciaux tels que la pluriannualité ou encore le décloisonnement des enveloppes…
Cette meilleure anticipation que nous réclamons peut également permettre une meilleure restitution des gains d’efficience que génère souvent l’innovation thérapeutique. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous proposons depuis plusieurs années aux pouvoirs publics un exercice partagé « d’horizon scanning ».
Mais la révolution thérapeutique qui se profile nous amène également à bouleverser le cadre classique de la régulation. Nous allons devoir imaginer en 2021 :
De nouveaux outils financiers, et pourquoi pas un fonds de financement de l’innovation ?
De nouveaux mécanismes conventionnels : contrats d’étalement de charges, contrats de gestion de l’incertitude.
Et de nouveaux moyens d’analyse médico-technique, notamment au travers du développement des études en vie réelle.
Sixième et dernier chantier : développer un leadership européen de la France dans la perspective de la Présidence française de l’Union Européenne en 2022.
2021 sera également une année orientée vers l’Europe. La Commission européenne a publié en décembre dernier sa feuille de route qui comprend un important volet pharmaceutique (la « Stratégie pharmaceutique européenne »).
La crise du Covid-19 a démontré la nécessité de renforcer la coopération entre les pays européens, pour mieux coordonner les efforts des politiques de santé nationales et pour sécuriser l’approvisionnement des médicaments dont les européens ont besoin.
Nous serons des partenaires engagés, actifs et vigilants sur les mesures qui seront prises dans cette « Stratégie pharmaceutique européenne ».
Et la France, qui assurera la présidence du Conseil de l’Union européenne en 2022, doit mettre à profit 2021 pour bâtir sa présidence en étant extrêmement attentive à ce que l’Europe, dans un contexte accru de compétition entre les USA et la Chine, ne pratique pas le désarmement unilatéral. C’est-à-dire qu’elle n’adopte pas de nouvelles normes risquant de porter atteinte à ses règles de propriété intellectuelle, et qu’elle ne renonce pas non plus à certains outils d’attractivité tels que ses règlements sur les médicaments pédiatriques et orphelins.
J’en arrive à la conclusion :
Nous aurons bien entendu l’occasion de porter ces différents sujets lors du prochain CSIS de cet été ou encore à l’occasion de la campagne pour l’élection présidentielle qui s’ouvrira à la rentrée prochaine.
Nous sommes, vous l’avez compris, une industrie stratégique, une industrie à l’écoute des aspirations de la société, une industrie de sortie de crise…
Mais nous sommes également une industrie engagée :
Engagée en faveur des patients au travers de la recherche et de l’innovation. Il suffit pour s’en convaincre de mesurer l’ampleur des innovations de ces trois dernières années et de celles qui se profilent pour les années à venir. 2021 marquera, je l’espère, un redressement de la place de la France dans la recherche clinique, un renforcement des partenariats public/privé, un investissement accru de notre secteur sur les enjeux de santé publique, d’environnement et de réputation. Ainsi bien sûr que la poursuite de la révolution thérapeutique engagée depuis plusieurs années.
Engagée en faveur de l’investissement. Nous publierons prochainement les résultats de notre premier observatoire de l’investissement, mais nous observons déjà des signaux qui nous laissent à penser que la France revient dans la partie : la relocalisation de la production de certains principes actifs, des investissements significatifs de grands groupes français et internationaux sur le territoire, un tissu de PME innovantes, dynamiques ou encore – tout un symbole – le choix de la France comme site de production de tout ou partie des nouveaux vaccins contre la COVID.
Engagée en faveur de l’emploi et de la formation. Durant les dix dernières années, malgré un contexte économique national très dégradé, nous n’avons pas détruit d’emplois au global et je rappelle que tout jeune formé dans nos filières trouve un emploi à l’issue de sa formation. En 2021, nous entendons fournir un effort particulier sur l’emploi des jeunes, sur les quartiers défavorisés ou encore sur les métiers des nouvelles technologies.
En somme, nous entendons être au rendez-vous, pourvu que l’action des pouvoirs publics se confirme et se consolide en 2021, et qu’elle s’inscrive dans la durée.
L’année 2020 a révélé l’engagement exceptionnel des personnels soignants pour sauver des vies et, à leurs côtés, de tous les combattants en seconde ligne dont nos 100.000 collaborateurs font partie. Dans le contexte sanitaire de ce début d’année, nos entreprises représentent un formidable espoir. Le vaccin est le moyen de mettre un terme à l’épidémie dans le monde entier et de reprendre une vie presque normale. Forts de l’expérience de l’année passée et de la capacité de mobilisation sans précédent de tous nos collaborateurs, nous voulons participer à la construction du cadre de soins de notre pays et permettre à chacun d’avoir accès aux traitements dont il a besoin, dans les meilleures conditions et les meilleurs délais quelles que soient les circonstances.
Je termine donc en vous souhaitant le meilleur pour 2021 et en formant le souhait que, lorsque nous nous retrouverons pour les vœux de l’année prochaine, nous ayons – grâce à notre industrie – surmonté la plus grave crise sanitaire, mais aussi économique, qu’ait connu l’humanité depuis la seconde guerre mondiale.
Avant de répondre à vos questions, je voudrais maintenant donner la parole à trois femmes de notre secteur, particulièrement engagées, et qui ont porté des dossiers stratégiques pour notre industrie :
Claire Roger (GSK), qui était, jusqu’à de cela quelques jours, Présidente de notre comité vaccins, sur la question des vaccins anti-COVID.
Nathalie Le Meur (Sanofi), Présidente de notre task force « ruptures », sur la lutte contre les ruptures d’approvisionnement.
Et enfin Corinne Blachier-Poisson (Amgen), Présidente de la Commission Accès des patients à l’innovation, sur la réforme de l’accès précoce.
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[1] BARDA : Biomedical Advanced Research and Development Autority