Une équipe internationale de chimistes a développé une méthode ultra-rapide pour réaliser la synthèse de molécules ramifiées géantes, dotées d’une activité antivirale. En effet, ces méga-molécules inhibent très efficacement l’entrée du virus Ebola dans des cellules en culture : leurs très nombreux bras (jusqu’à 120) portent des sucres qui se lient fortement au récepteur utilisé comme porte d’entrée par le virus. Ces travaux, réalisés par des chimistes du CNRS et de l’Université de Strasbourg(1), en collaboration avec des collègues belges et espagnols(2), sont publiés le 9 novembre 2015 dans la revue Nature Chemistry.
Sentinelles de l’immunité présentes notamment dans le sang et les muqueuses, les cellules dendritiques repèrent les agents infectieux grâce aux récepteurs qu’elles portent à leur surface et alertent les autres acteurs du système immunitaire. En particulier, le récepteur DC-SIGN reconnait certaines glycoprotéines (protéines sur lesquelles sont greffées des sucres) arborées par les pathogènes. Mais ce récepteur est détourné par certains virus (VIH, virus Ebola, virus de la dengue?), qui s’en servent pour infecter les cellules : la liaison de ces pathogènes au récepteur DC-SIGN favorise alors leur internalisation.
Pour bloquer l’infection, une piste consiste à concevoir des molécules qui se lient au récepteur avec une affinité plus grande que les pathogènes. Or, la force de l’interaction est due au fait que plusieurs des sucres portés par les glycoprotéines du pathogène se lient simultanément au récepteur. Les chimistes se sont donc naturellement tournés vers des molécules ramifiées, appelées dendrimères(3), portant des sucres au bout de leurs nombreuses branches. Cependant, la synthèse de ce type de molécules nécessite en général un grand nombre d’étapes : elle reste donc extrêmement fastidieuse et souffre d’un faible rendement.
Une collaboration internationale de chimistes a trouvé un moyen de réaliser des molécules globulaires géantes à base de fullerènes(4), portant 120 sucres (de type mannose) à leur périphérie (voir l’illustration). Pour cela, ils ont utilisé une approche appelée chimie click(5) : ils ont d’abord préparé des fullerènes portant chacun dix mannoses, puis ont greffé ces unités sur un fullerène central à douze branches. C’est la première molécule à treize fullerènes synthétisée. Surtout, ce mode de construction représente la croissance dendritique la plus rapide jamais réalisée. De fait, les molécules géantes sont préparées en un nombre minimum d’étapes de synthèse (six, alors qu’il en faudrait une vingtaine avec des méthodes traditionnelles), ce qui permet un rendement global assez élevé, de l’ordre de 20 %.
La capacité de ces méga-molécules à inhiber l’entrée du virus Ebola a ensuite été testée in vitro. Ces composés sont solubles dans l’eau et ne présentent aucune toxicité pour les cellules en culture. Leur activité antivirale s’est révélée remarquable ? supérieure de 33 % à celle des antiviraux classiques. Cette efficacité est due au grand nombre de sucres périphériques de la molécule : une molécule modèle n’en possédant que 12 est environ 1 000 fois moins active et une molécule ne possédant qu’un seul sucre l’est 100 000 fois moins.
Au-delà du virus Ebola, d’autres pathogènes (comme le virus du sida et celui de la dengue) utilisent aussi le récepteur DC-SIGN comme porte d’entrée dans les cellules. Ceci ouvre donc le champ d’applications possibles pour ces méga-molécules. Cependant, avant que des molécules construites sur ce principe ne se retrouvent peut-être sur le marché, il reste de nombreuses étapes de développement et de tests in vivo.