IndustriePharmacologie

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Voeux du Leem à la presse :« Deux impératifs pour 2023 : garantir l’accès aux médicaments et repenser la régulation et le financement du médicament en France. »

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Voeux du LEEM, de gauche à droite, Thierry Hulot, Corinne Blachier-Poisson, Philippe Lamoureux, Philippe de Pougnadoresse

INTERVENTION DE THIERRY HULOT,
PRESIDENT DU LEEM

Bonjour à toutes et tous,
Bienvenue dans cette traditionnelle rencontre de début d’année avec les entreprises du médicament.
Avant de commencer je voudrais vous souhaiter à tous ainsi qu’à vos proches une bonne année 2023
remplie de joie et d’optimisme malgré les turbulences que nous traversons.
Je forme également des vœux pour que tous les acteurs de notre secteur – entreprises du médicament,
pouvoirs publics et parties prenantes -se mobilisent autour d’un objectif commun : servir les patients !
Servir les patients, en leur garantissant dans la durée l’accès aux traitements, matures ou innovants,
dont ils ont besoin.

Vous vous souvenez certainement qu’il y a un an, les entreprises du médicament faisaient preuve
d’optimisme. La crise de la Covid avait rappelé à tous le caractère stratégique de notre industrie tout
comme la nécessité de retrouver une souveraineté industrielle en produits de santé. Des réformes
profondes avaient été engagées, comme celle de l’accès précoce, et nous étions parvenus à retrouver
une dynamique nouvelle, tant en matière de recherche clinique, que d’investissement ou d’emploi. Le
chemin à parcourir s’annonçait long mais il semblait que la France avait repris en main une politique
du médicament tournée vers l’avenir, avec, à travers les plan Innovation Santé 2030, une feuille de
route claire.

Or, l’année qui vient de s’écouler a marqué un coup d’arrêt de cette politique volontariste. En cette
période de vœux, espérons qu’il ne sera que transitoire. En effet, le PLFSS 2023 nous a fait retourner
à un système de régulation économique basé sur des baisses de prix à répétition et une fiscalité
sectorielle sans limite. Avec notamment l’explosion de la clause de sauvegarde, qui confisque
l’essentiel de notre croissance, et ce dans un contexte hyper inflationniste que vous connaissez tous.

En un mot : nous sommes revenus à une approche purement comptable et courtermiste de la
politique du médicament. Ce que nous déplorons.

Certes, le médicament est un bien de consommation courante financé par la dépense publique, mais
il obéit aux règles d’un marché, qui lui est mondial. Avoir en France une approche purement comptable
envoie à toutes les entreprises du médicament, nationales comme internationales, un message
délétère en termes d’attractivité de la France pour la recherche, pour la présence industrielle, pour
l’emploi et, à terme, pour l’accès à l’innovation.
Je pourrais facilement passer la matinée à vous présenter, représenter tous ces effets contreproductifs. Mais aujourd’hui, je souhaite donner à mon propos une autre tonalité car la question n’est
pas de s’enfermer sur ce qui ne va pas, mais de fermement indiquer ce que nous devons construire
ensemble – entreprises du médicament, pouvoirs publics, parties prenantes – pour une politique du
médicament au service de nos concitoyens. Le Leem, que nous représentons tous les quatre ce matin,
se veut constructif » par rapport à ces enjeux. C’est notre devoir vis-à-vis des patients français.

Dans ce contexte, nous voyons deux priorités, je dirais deux impératifs, pour 2023.

1. Le premier impératif est de garantir l’accès aux médicaments et donc :

1.1. Adresser le problème des ruptures
1.2. S’assurer de l’accès aux médicaments innovants.

2. Le deuxième impératif est de réinventer le système de régulation et de financement du
médicament. Le modèle actuel ne correspond pas aux enjeux actuels et encore moins à ceux de
demain.

Ce sont ces deux impératifs que je souhaite développer maintenant en commençant par la
problématique de l’accès.

Vous, représentants de la presse, vous êtes fait l’écho ces dernières semaines de la problématique des
ruptures, ruptures que les Français vivent au quotidien quand ils vont dans leur pharmacie. Ils en sont
malheureusement les premiers pénalisés. Concrètement, Plus de 660 ruptures déclarées au premier
semestre 2022, contre 900 sur l’ensemble de l’année 2021. Le phénomène s’amplifie de jour en jour.
Il s’agit principalement de produits matures – le plus souvent « génériqués ». Ces ruptures
d’approvisionnement ont des causes multifactorielles, d’où la difficulté de pouvoir les combattre
efficacement. Ces causes, je vous les rappelle :

• Un regain des pathologies hivernales post-confinements qui n’avait été anticipé par personne ;
• Une augmentation de la demande mondiale de médicaments supérieure à l’augmentation des
capacités de production ;
• La concentration des fournisseurs de matières premières et d’excipients, avec un risque de
rupture fort si un quelconque problème survient dans l’une de leurs usines ;
• La fragmentation de la chaîne de production.
Sans oublier que, dans une activité industrielle, nous ne sommes jamais à l’abri d’un arrêt de
production lié à un problème de qualité, un défaut de personnel, un accident industriel… Chaque fois
qu’un fabricant est à l’arrêt quelque part dans le monde, il met en tension l’ensemble de la chaine.
Mais nous savons aussi que la France est plus exposée à ce phénomène que ses voisins européens pour
plusieurs raisons :
• Première raison, nous avons les prix parmi les plus bas d’Europe, ce qui a plusieurs
conséquences : non seulement cela n’incite pas les industriels à investir en France ; mais en
plus, la France n’est plus prioritaire en cas de tension d’approvisionnement et ces prix bas
encouragent l’exportation parallèle avec un système d’achat-revente par les short-liners vers
des marchés étrangers plus attractifs ;

• Deuxième raison, les obligations de stockage en particulier sur les Médicaments d’Intérêt
Thérapeutique Majeur à faible marge – qui n’existent pratiquement qu’en France – et qui
conduisent certains industriels à finalement abandonner le marché ;

• Troisième raison : à ces difficultés spécifiques s’ajoute l’explosion des coûts de production,
qu’il s’agisse des matières premières, des intrants (principes actifs, emballages en verre,
aluminium, carton, dérivés du pétrole…), de l’énergie ou encore de la masse salariale. Les
médicaments sont, comme vous le savez, des produits à prix administrés. Nous n’avons donc
pas la possibilité de répercuter ces augmentations sur le prix de nos produits à la différence
de la quasi-totalité des autres secteurs producteurs de biens de consommation.

Permettez-moi de prendre un exemple d’actualité : comment s’étonner des problèmes
d’approvisionnement en amoxicilline, lorsque l’on sait que le prix fabricant hors taxe de la boite se
situe à 0,76 euros ? Comment, avec ces niveaux de prix, prétendre en relocaliser la production ?

Un autre exemple : prenons un soluté courant à l’hôpital, le bicarbonate de sodium. Le flacon d’un
demi-litre est vendu 1,40 euros. En 2014, le fabricant gagnait 13 centimes par flacon. Aujourd’hui il en
perd 17 ! Le fabricant en question est français. Quand il aura disparu, où nous approvisionneronsnous ?!
Face à cette situation, l’Allemagne, où les prix sont pourtant plus élevés, vient d’annoncer son
intention de relever de 50% le prix de certains médicaments matures a risque de tension. En France,
les propositions d’accompagnement proposées par le Leem, que vous retrouverez sur notre site
internet, sont restées lettre morte.

Nous devons tous – entreprises du médicament, pouvoirs publics, parties prenantes – répondre de
concert au problème des ruptures. C’est une priorité absolue en ce début d’année. Le Leem se veut
force de proposition et, d’ici la fin du trimestre, nous reviendrons vers vous pour vous présenter le
plan d’action et les recommandations que nous proposerons aux pouvoirs publics. Ces propositions
viseront à un meilleur partage de l’information, à la nécessaire mise en place d’un outil de pilotage en
temps réel à l’échelle européenne et à une priorisation claire en se focalisant sur les molécules
d’intérêt stratégique, c’est-à-dire des 2 à 300 molécules dont les ruptures ont ou auraient des
conséquences immédiates sur la santé des patients et dont il est urgent que l’Europe établisse la liste.
J’appelle d’ores et déjà à ce que nos propositions soient au cœur du plan d’urgence 2023 que le
Gouvernement s’est engagé à mettre en place.

Pour réussir, il faudra mettre tous les acteurs autour de la table. Il faudra très certainement travailler
non pas à la seule échelle française mais au niveau européen. Et il faudra aussi dépasser les
incantations et les actions punitives pour atteindre un objectif commun : réduire au plus vite les
ruptures d’approvisionnement en molécules majeures.

Au-delà des propositions que nous ferons, on ne peut pas parler des ruptures d’approvisionnement
sans parler « production en France » ET « réindustrialisation ».

Je laisse la parole à Philippe de Pougnadoresse, Directeur général d’Ipsen France et Administrateur du
Leem, qui va vous partager un point de situation ainsi que les pistes d’action qui permettront à la
France d’être un acteur clé de la souveraineté européenne.

INTERVENTION DE PHILIPPE DE POUGNADORESSE,
ADMINISTRATEUR DU LEEM ET DIRECTEUR GENERAL D’IPSEN FRANCE

Vous connaissez le constat en matière d’industrialisation. Il n’est pas brillant.

La France est passée de 1er producteur européen de médicaments en 2004 à 5ème aujourd’hui.
Nous attirons moins les nouveaux médicaments : sur 488 AMM (Autorisations de Mise sur le Marché)
enregistrées entre 2016 et 2021, 42 médicaments seulement sont fabriqués en France contre 112 en
Allemagne.

Produire en France est devenu coûteux. 50% des entreprises pharmaceutiques en France sont des PME
réalisant moins de 10 millions d’euros de CA annuel. Certains petits industriels sont en difficulté
aujourd’hui.

Plus inquiétant encore, 80% des principes actifs des médicaments consommés en Europe sont produits
en Chine ou en Inde, où des industriels se sont hyperspécialisés dans la production de masse à tous
petits prix. (Source : Agence Européenne du Médicament)

La France et l’Europe se trouvent donc dans une situation d’ultra-dépendance en matière de
médicaments vis-à-vis de l’Asie et même des États-Unis qui semblent devenir plus attractifs pour
certains industriels.

Certes, nous sommes fiers que la France reste l’un des leaders en production de vaccins dans le monde.
Mais il faut se rendre à l’évidence : nous avons perdu notre rang de grande puissance du médicament.
La bonne nouvelle, c’est que ce n’est pas une fatalité. Et que nous pouvons encore changer la donne.
Il y a en France, dans les territoires, un véritable savoir-faire français de la production de médicaments,
une tradition d’excellence, avec nos 271 sites de production – dont 32 de bioproduction. Nous avons
une capacité à produire des médicaments de haute qualité. Il faut à tout prix la conserver, et la
redynamiser. Nous voulons tous pour nous-mêmes, nos parents, nos enfants, des médicaments de
qualité, et à ce titre, le made in France pour les médicaments prend tout son sens.

D’autre part, l’envie de produire en France est là.

• Nos sites pharmaceutiques investissent dans leur modernisation et leur décarbonation.
2 milliards d’euros sont ainsi investis chaque année par les industriels dans leurs sites français
selon l’Observatoire des investissements du Leem. L’envie de produire en France, et de
produire mieux, est bien là ;
• Chez Ipsen, nous avons récemment relocalisé un anticancéreux des Etats Unis vers la France,
et 60% de notre production mondiale est en France. Nous voulons jouer la carte du made in
France. Encore faut-il qu’elle soit viable, et que la régulation ne décourage pas les
investissements…
Enfin, le Gouvernement partage notre constat et a en conséquence enclenché le plan France Relance
et le Plan Innovation Santé 2030.
C’est bien, et il faut accélérer. Il nous faut un vrai sens de l’urgence.

1. Sens de l’urgence dans la mise en œuvre par le Gouvernement des mesures à notre disposition
L’article 65 de la LFSS 2021 prévoit d’intégrer l’implantation industrielle comme critère important dans
la négociation de prix. Utilisons-le !
Le CEPS peut utiliser l’article 28 de l’accord-cadre avec le Leem pour renforcer la souveraineté
d’approvisionnement du marché français et permettre des hausses de prix. Utilisons-le !
La réforme des appels d’offres hospitaliers pour favoriser le « Fabriquer Europe et fabriquer vert » ne
demande qu’à être plus utilisée. Utilisons-la !
2. Sens de l’urgence dans la priorisation des médicaments à rapatrier
La France a identifié les 40 premiers principes actifs essentiels et donc à rapatrier en France. Comme
le disait Thierry il y a un instant, il s’agit d’un enjeu européen. L’Europe doit donc rapidement finaliser
cette liste, et lancer d’urgence un grand plan d’investissements pour aider les industriels, petits ou
grands, à relocaliser ces médicaments en Europe.
3. Nous devons investir plus, mieux et plus vite dans l’outil industriel
150 millions d’euros ont déjà été engagés par l’Etat dans le cadre du plan France Relance pour
119 projets d’industriels dans le secteur de la santé. C’est bien. Mais parmi ces projets, seuls 18
prévoient de rapatrier la production de principes actifs ou d’ingrédients.
De plus, il semble que 5 biomédicaments soient produits en France depuis le lancement du Plan
Innovation Santé 2030, sur les 20 annoncés, et 10 nouvelles lignes de bioproduction ont été installées.
C’est bien, et nous devons mettre les bouchées doubles. La France a une réelle opportunité de prendre
le leadership européen de la bioproduction, qui représente 50% des médicaments en développement
aujourd’hui. D’ailleurs, le lancement du projet France BioLEAD en décembre 2022 va dans le bon sens,
avec une aide exceptionnelle de 800 millions d’euros d’aides apportées par l’Etat.
Encore une fois, nous devons aller plus vite et plus fort. Pour cela, nous demandons des dispositifs
incitatifs, tels que les crédits CSIS, plus attractifs, mieux dotés, et plus transparents.
Tout cela étant dit, et pour que les choses soient claires, nous n’arriverons pas à changer la tendance
si nous ne traitons pas aussi le sujet en aval : les industriels ne prendront pas des décisions
d’investissements en France si les prix restent aussi bas.
En conclusion sur la partie industrielle, nous formulons le vœu pour 2023 de passer ensemble à la
vitesse supérieure. La production de médicaments en France est une priorité absolue dans notre
contexte actuel d’ultra dépendance envers la Chine et l’Inde. Une situation risquée, étant donné
l’évolution géopolitique du monde. Nous avons tout pour réussir ce pari, le savoir-faire et la volonté.
Il nous faut maintenant des dispositifs incitatifs à la hauteur de cet enjeu colossal.

SUITE DE L’INTERVENTION DE THIERRY HULOT,
PRESIDENT DU LEEM

Encore une fois j’insiste, nous devons être réalistes : on ne rapatriera pas la production de 12.000
spécialités sur le sol européen … Concentrons-nous sur les 200 à 300 molécules essentielles à sécuriser.
Pour ce faire, il est urgent que les Etats membre se coordonnent sur ces priorités en se mettant autour
de la table.

Et tout en nous attaquant collectivement à ce sujet, nous devons en parallèle mener le combat de
l’accès des patients aux molécules innovantes de demain.

Comme je le disais en introduction et comme le montre le dernier rapport du CEPS, la réforme de
l’accès précoce a permis ces dernières années de traiter des patients français avec les dernières
innovations avant même leur mise sur le marché et nous devons nous en réjouir. Il n’empêche que la
phase d’accès au marché reste la plupart du temps compliquée et dans certains cas nous nous
retrouvons avec des médicaments disponibles dans toute l’Europe sauf en France. Pourquoi ?

• Parce que la commission de la transparence de la HAS diverge souvent de l’AMM européenne ;
• Parce que les médicaments utilisés comme comparateurs dans les négociations de prix avec le
CEPS ont souvent des prix nets tellement bas que tout accord est hors de portée.

Les prix nets français (PFHT) sont la plupart du temps les plus bas des 5 grands marchés européens et
à cela vient s’ajouter une clause de sauvegarde (taxe sur notre croissance) confiscatoire et
exponentielle. Ainsi, pour beaucoup d’entreprises – souvent parmi les plus innovantes – le marché
français apparaît de plus en plus inaccessible et elles renoncent progressivement à y commercialiser
leurs produits.

Dernier exemple emblématique, les anti-migraineux de nouvelle génération sont accessibles dans
beaucoup de pays d’Europe – mais pas encore en France. Même si nous avons progressé, nous avons
donc encore un long chemin pour garantir l’accès aux innovations de demain.

Dans ce contexte, le plan « Innovation santé 2030 » annonçait une ambition forte de faire de la France
une nation européenne innovante en recherche et souveraine en santé à l’horizon 2030. Je laisse la
parole à Corinne Blachier Poisson, Présidente d’AMGEN France et Administratrice du Leem. Où en
sommes-nous aujourd’hui et qu’elles sont les priorités à relever en 2023 ?

INTERVENTION DE CORINNE BLACHIER-POISSON,
ADMINISTRATRICE DU LEEM ET PRESIDENTE D’AMGEN FRANCE

Je suis heureuse de me faire le porte-voix aujourd’hui de toutes nos entreprises qui innovent au
quotidien pour améliorer la santé des Français.

Car même si cela va de soi, j’aimerais insister sur cette idée simple mais qui fonde tout le
raisonnement :
• L’innovation thérapeutique, celle qui part d’une découverte et qui au gré d’un parcours long
et complexe d’études cliniques devient un médicament, reste en 2023 une prouesse
scientifique, technologique et industrielle fabuleuse ;
• Elle n’a qu’un seul objectif : repousser les limites de la médecine pour les patients qui en ont
besoin. C’est ce qui fait que tous les jours nous nous levons avec une telle passion et que nous
faisons preuve d’une telle ardeur à la défendre.

Les 3 ans de COVID illustrent parfaitement le sujet : l’industrie qui permet l’innovation thérapeutique
est une industrie qui peut changer le cours du monde, et qui sait se mobiliser sur les enjeux de santé
publique.

Au-delà des vaccins Covid, sur les années qui viennent de passer, nous avons aussi vu une vague
d’innovations sans précédent qui offrent des espoirs de vie dans de nombreuses maladies. Et les
années à venir sont encore plus prometteuses car nous ne sommes qu’au démarrage des premières
applications de la thérapie génique et cellulaire et de l’immunologie, pour apporter encore plus
d’espoir dans le cancer, les maladies rares, les maladies génétiques, et bien d’autres.
Pour y arriver, des investissements privés massifs et à très haut risque sont nécessaires. Le cœur de
notre activité, la découverte et le développement, est par nature incertain. Le cadre dans lequel nous
opérons doit donc lui apporter la stabilité et la visibilité nécessaires pour nous permettre d’investir
dans les technologies et découvertes de demain.

C’est la raison pour laquelle nous devons nous assurer que nous avons un système de financement et
de régulation adapté aux enjeux de santé de demain pour accueillir ces innovations.

Alors où en sommes-nous ?

Nous avions mis beaucoup d’espoir dans le plan innovation santé 2030 en juin 2021, et nous nous
étions réjouis de l’ambition annoncée pour rendre la France plus attractive pour permettre une
recherche forte en France, une réindustrialisation et un meilleur accès aux patients aux innovations.
Les laboratoires pharmaceutiques ont suivi, avec une dynamique d’investissements inédite, et en
répondant présent sur des réformes importantes, je pense notamment à celle de l’accès précoce. Des
milliers de patients ont pu avoir accès en 2022 à des nouvelles innovations dans des temps records.
Mais soyons clairs, depuis le dernier PLFSS, la France est redevenue illisible et imprévisible pour notre
industrie ; c’est décourageant. Un pas en avant, 3 pas en arrière.

Cela met à rude épreuve la confiance de nos groupes pour investir en France.
D’un côté, des réformes importantes sont mises en route pour accélérer l’accès aux innovations ; de
l’autre, la France les rend inopérantes en n’accordant pas les budgets suffisants pour les mettre en
œuvre. Qui investirait raisonnablement dans une activité dont les découvertes ne sont pas valorisées ?
qui investirait raisonnablement dans une activité qui se développe sur 10-15 ans en moyenne en
sachant que les règles économiques de ce marché changent tous les ans ?

Alors que faut-il faire pour que la France ne passe pas à côté des thérapies innovantes et favorise
l’émergence de biotech françaises qui innovent en France ?

Trois éléments me paraissent nécessaires :

1. La condition sine qua non : que le pays se dote d’un budget médicament réaliste et à la hauteur
des besoins des patients, du vieillissement de la population, de la chronicisation des maladies, et
qu’il permette une reconnaissance de l’innovation pour attirer les investissements nécessaires
pour faire de la France une terre d’innovation.

Quand souvent on nous objecte que les prix sont chers, il est important de relativiser par rapport
aux pays voisins, et de rappeler que les médicaments en France sont 40 % moins chers en France
qu’en Suisse, 33% moins chers qu’en Allemagne, 18 % moins chers qu’en Italie[1]. Et le prix moyen
européen est déjà très inférieur à celui des Etats-Unis…

2. L’attractivité de la France en matière d’innovation, c’est aussi une recherche clinique forte : c’est
tout d’abord un accès très précoce aux innovations pour les patients, et c’est aussi une activité
stratégique pour les médecins chercheurs et le rayonnement de la France. Nous devons continuer
à simplifier et renforcer l’expertise pour une approbation plus rapide des essais innovants, sinon
nous perdrons en compétitivité. Nous devons également mieux informer les patients des essais
en cours. C’est pourquoi nous travaillons avec la DGOS et les hôpitaux sur un portail national des
essais cliniques pour aider les patients à identifier les essais vers lesquels ils pourraient se tourner.

3. Enfin, l’agence d’innovation en santé vient d’être créée pour mettre en œuvre le plan
d’innovation santé 2030. Nous attendons qu’elle ait les moyens de ses ambitions pour qu’elle
puisse épauler petites et grandes entreprises d’innovation pour simplifier, accélérer, valoriser
l’innovation à son juste niveau. Pour créer la transversalité nécessaire entre les acteurs, petits et
grands, public et privé. Parce que l’industrie pharmaceutique qui innove est aussi une industrie
stratégique de progrès et de relance économique.

Et soutenir l’innovation, c’est avant tout investir dans la santé des Français.
Seul le prononcé fait foi

SUITE DE L’INTERVENTION DE THIERRY HULOT,
PRESIDENT DU LEEM

Je veux vous assurer de la mobilisation des entreprises du médicament pour répondre au problème de
l’accès des patients aux produits matures comme aux produits innovants. Cependant, je suis convaincu
que nous devons en toute transparence partager en temps réel avec nos concitoyens et les pouvoirs
publics la réalité de la situation et les difficultés rencontrées.
Nous avons donc décidé collectivement de mettre en place un Baromètre de l’accès aux médicaments
et de la dynamique industrielle.
Ce baromètre rendra publique chaque trimestre toute une série d’indicateurs et permettra aux
Français de constater par eux-mêmes la perte de chance qu’ils subissent. Y figureront tous les
indicateurs de performance de notre système en matière de médicament, ainsi que des comparaisons
internationales à chaque fois que les données seront disponibles. Je pense ici en particulier :

• Aux ruptures d’approvisionnement en France et à l’étranger et aux arrêts de
commercialisation ;
• Aux indicateurs d’accès précisant les délais et la disponibilité des innovations en France et à
l’étranger ;
• Aux difficultés économiques d’entreprises ;
• Aux données économiques d’investissement, d’exportation et de créations/suppressions
d’emplois ;
• A la création/destruction de valeur ajoutée pour l’économie nationale.
Ces données seront objectives et vérifiables. Elles seront complétées par des indicateurs plus
qualitatifs de la perception de l’environnement français par les entreprises du médicament.
Ce baromètre sera alimenté par les entreprises du secteur. Mais pour en garantir l’objectivité, le LEEM
n’en assurera pas le fonctionnement ; il sera confié au cabinet Roland Berger. Il permettra à chaque
citoyen de se rendre compte de l’ampleur de la réalité de la situation du secteur. Nous vous donnons
rendez-vous en avril pour une première restitution des résultats de ce baromètre.

La situation sans précédent que nous vivons et que permettra d’objectiver ce baromètre est la
conséquence mécanique de 15 ans de politique de régulation comptable du médicament. Le chiffre
d’affaires des médicaments remboursables net de remises et de clause de sauvegarde n’a pas évolué
de 2009 à 2020. D’où mon deuxième impératif : reconstruire un système de régulation aujourd’hui
inadapté.

Concrètement, laissez-moi vous rappeler l’ampleur de cette régulation comptable.

Quelques exemples :
• Le montant des baisses de prix voté en LFSS est à l’identique des années passées : 800 millions
d’euros ;
• Comme vous le savez, le budget du médicament remboursé voté par le Parlement est de 24,6
milliards d’euros, alors que les besoins réels des patients représentent 28 milliards d’euros.
• Cela va donc donner lieu à une clause de sauvegarde payée par les entreprises du médicament,
de 2,4 milliards. Car nous devrons rembourser 70% de ce qui n’avait pas été budgété. En
résumé, le budget est sous-dimensionné.
• Pire encore, le PLFSS 2023 prévoit que toutes les dépenses d’achats de médicaments de Santé
Publique France seraient intégrées à partir de 2024 dans l’enveloppe régulée. Cela aggraverait
encore un peu plus l’explosion de la clause de sauvegarde ! Pour mémoire, ces dépenses
d’achats de médicaments ont représenté en 2020, au plus fort de la crise de la COVID, 2,5
milliards d’euros, soit 1,7 milliard de clause de sauvegarde supplémentaires.
• La régulation du médicament représentera en 2023, selon nos estimations, 12 à 13% du chiffre
d’affaires du secteur. Cette régulation vient s’additionner à une fiscalité déjà très lourde.
• Pendant ce temps, notre demande d’un plan d’urgence médicament dans le contexte de
l’inflation est restée lettre morte.

Finalement, comme le montre une étude du cabinet EY (en ligne sur le site du LEEM) : la France est le
seul des grands marchés européens à avoir connu une contraction du marché du médicament entre
2018 et 2021.

Au-delà de régler les problèmes de rupture et d’accès aux innovations, vous l’aurez compris, il faut
construire – reconstruire même – les bases de la régulation et du financement du médicament pour les
années qui viennent. Le système actuel ayant atteint ses limites, il y a urgence si l’on ne veut pas l’an
prochain, lors des vœux 2024, être dans une situation encore plus dégradée.

La Première ministre semble consciente que nos outils de régulation et de financement doivent être
adaptés aux nouveaux enjeux de l’industrie et de l’innovation tout comme aux attentes des patients.

Elle m’a ainsi annoncé fin décembre son souhait de lancer dans les prochaines semaines une mission
ministérielle afin de proposer des voies de réformes structurelles de nature à mieux concilier soutien
aux industries de santé et à l’innovation, accès aux médicaments pour nos concitoyens et impératifs
de responsabilité budgétaire. Je tiens à saluer cette initiative qui montre malgré une année 2022
difficile, une volonté de dialoguer et de travailler ensemble.

Le Leem et ses adhérents seront au rendez-vous et force de proposition. Dans le cadre de cette
mission, il nous semble important que soit :

• Posé un diagnostic partagé de l’impact de la régulation des 10 dernières années sur l’accès et
l’attractivité scientifique et industrielle de la France en matière de médicaments ;
• Etabli une vision prospective pluriannuelle des besoins (démographiques, épidémiologiques,
d’innovation) ;
• Tracé des perspectives de croissance pour l’industrie pharmaceutique nécessaires aux futurs
investissements ;
• Formulé des recommandations permettant de définir de manière explicite un niveau de
capitalisation du budget des médicaments adapté aux besoins, prenant en compte les
économies attendues ;
• Proposé de nouvelles sources de financement (par exemple au travers d’un fonds pluriannuel
financé par l’Etat pour les innovations de rupture à fort impact sociétal ;
• Proposé un nouveau cadre général de régulation selon une temporalité pluriannuelle en
étudiant la possibilité de rendre compte de l’impact des médicaments sur l’organisation des
soins et les autres postes de l’ONDAM ;
• Proposé de nouveaux leviers permettant de réguler les dépenses de médicaments de manière
prévisible et cohérente avec les objectifs d’accès à l’innovation, de souveraineté et
d’attractivité ;
• Proposé de nouvelles sources d’économies notamment par le bon usage, la pertinence des
soins, la prévention, en envisageant si besoin la conventionnalisation avec l’assurance
maladie ;
• Mis en place un pilotage fort à travers l’ensemble des administrations des recommandations
retenues et de la politique du médicament. Faut-il un haut-commissaire au médicament ?

Nous espérons que cette mission sera très rapidement mise en place afin que ces recommandations
puissent être incorporées dans la LFSS 2024. J’espère qu’elle donnera lieu à une nouvelle lettre
d’orientation ministérielle au Président du CEPS.

En cohérence avec ces attentes, l’accord cadre en vigueur arrivant à échéance en mars 2024, nous
avons décidé de ne pas demander la réouverture des négociations tant que nous ne connaitrons pas
les décisions gouvernementales qui feront suite à la mission lancée par la Première ministre.

Nous avons toujours été, et serons toujours, apporteurs de solutions.

Mais soyons clairs, on ne pourra pas relocaliser les usines, qu’il s’agisse de médicament ou d’API, on
ne permettra pas l’accès aux innovations, on ne luttera pas contre les ruptures d’approvisionnement
sans un budget médicament à la hauteur des ambitions fixées par le président de la République il y a
près de 2 ans.

Je suis convaincu que :

• Malgré nos différences, nous poursuivons tous un objectif commun : la santé des patients ;
• Le médicament est plutôt une solution qu’un problème. D’ailleurs, l’innovation
pharmaceutique est sans doute la réponse la plus adaptée aux tensions de l’organisation des
soins ;
• La France conserve les moyens de redresser la barre, même si le temps presse et qu’il nous
faut retrouver l’élan du plan Innovation Santé 2030 ;
• C’est ensemble que nous y parviendrons – entreprises du médicament, pouvoirs publics,
parties prenantes – en renouant les fils du dialogue et en restaurant une confiance réciproque.
Mais pour y parvenir, encore une fois, nous avons deux impératifs en 2023 :
• traiter le problème des ruptures
• et reconstruire les bases d’un système de régulation et de financement du médicament qui
corresponde aux enjeux de demain.
Nous le devons aux patients français.