Communiqué de l’Académie nationale de médecine[1]
19 janvier 2022
Une équipe chirurgicale de Baltimore (Université du Maryland, USA) vient de réaliser une transplantation cardiaque chez un patient de 57 ans, en utilisant un cœur de porc génétiquement modifié. Le malade, en insuffisance cardiaque terminale, n’était pas éligible pour recevoir une allogreffe en raison d’importantes comorbidités. Dans l’insuffisance cardiaque terminale, une modalité possible de suppléance fonctionnelle est alors la xénogreffe, le cœur artificiel Carmat en étant un autre exemple.
Cette xénogreffe faisait suite à une intense activité de recherche au laboratoire, dans différents domaines : production de porcs ayant subi de multiples modifications génétiques ; mise au point de nouvelles approches immunosuppressives ; prévention des infections transmissibles ; survies prolongées obtenues après xénogreffe de cœur de porc chez le babouin et, récemment, survie d’un rein de porc implanté durant quelques jours au pli du coude d’une femme en état de mort cérébrale. Cette équipe, qui était prête à passer à l’étape clinique, avait reçu, 48h avant, l’autorisation de la FDA de réaliser cette xénogreffe.
Ce n’est pas la première fois qu’une xénogreffe est réalisée chez l’homme. En effet, si l’on occulte les quelques « opérations de la dernière chance » et sans lendemain réalisées dans la première moitié du XXème siècle à partir d’organes prélevés chez le porc, le mouton ou le chimpanzé, deux programmes structurés de xénogreffe avaient été engagés : à partir d’organes prélevés chez le babouin, à Loma Linda (Californie) en 1984 où la petite « Baby Fae » avait été greffée d’un cœur, puis à Pittsburgh (Pennsylvanie) en 1992 où un malade atteint de cirrhose virale B au stade terminal avait été greffé d’un foie. Les greffons avaient, dans les deux cas, fonctionné plusieurs semaines avant que les receveurs ne meurent d’infection nosocomiale.
Cette nouvelle xénogreffe lève implicitement le moratoire international sur les greffes inter-espèces décrété en 1999 et qui suspendait, de fait, l’autorisation des xénogreffes en raison du risque de transmission à l’espèce humaine de rétrovirus endogènes pouvant induire des pandémies incontrôlables. Ce risque a été contrôlé, dans ce cas, par une des modifications génétiques du porc. Elle montre qu’en médecine, la « transgression » peut être encore motrice de l’innovation, dès lors qu’elle s’appuie sur un solide programme de recherche expérimentale, conduit dans ce cas par une entreprise spécialisée dans l’élevage d’animaux transgéniques, et sur la prise de risque par des Autorités capables de surmonter le principe de précaution.
Si le succès de cette xénogreffe de cœur se confirme, les tentatives vont rapidement se multiplier dans la perspective de réduire le déséquilibre permanent, chez l’adulte et chez l’enfant, entre les besoins et le nombre de greffons. On peut s’attendre à de riches débats éthiques sur l’utilisation d’organes d’animaux, particulièrement du porc, mais aussi sur le risque de transmission de pathologies virales, en particulier dans le contexte de la pandémie actuelle. Bien que les problèmes de rejet hyper-aigu semblent en voie de résolution, la prudence oblige à souligner les incertitudes qui persistent concernant le contrôle des phénomènes de rejets aigus cellulaires et humoraux, et de rejet chronique.
Dans la suite de son précédent communiqué, en date du 15 avril 2021, sur les « Nouveautés en transplantation : le défi des prouesses chirurgicales face aux alternatives », l’Académie nationale de médecine :
1) salue cette nouvelle avancée scientifique, et rappelle que les modifications transgéniques des espèces animales utilisées pour les xénogreffes ont pour but d’améliorer la tolérance des tissus greffés sans impact sur l’ADN (le génome) des receveurs ;
2) souligne que, si le rejet précoce humoral et le rejet cellulaire semblent sous contrôle, l’évitement du rejet chronique et le maintien de la fonction du greffon restent d’importants défis à relever ;
3) engage les équipes françaises à développer de tels travaux de recherche interventionnelle, dont la nature réclame une autorisation préalable de l’Agence de la biomédecine, de l’Agence nationale de sécurité des médicaments, du Comité de protection des personnes et du Comité consultatif national d’éthique.
[1] Communiqué de la Plateforme de Communication Rapide de l’Académie validé par les membres du Conseil d’administration le 18 janvier 2022.