Interview d’Antoine Barouky, DG d’Alnylam France et du business développement
A l’occasion de la Journée Mondiale de l’Amylose, une maladie rare au diagnostic complexe à établir qui touche environ 50 000 personnes dans le monde, retour sur les 20 ans de la biotech Alnylam. La société américaine vient d’obtenir l’autorisation du premier traitement ARNi pour l’amylose h-ATTR ( à transthyrétine héréditaire).
Les ARNi ont été découverts en 1999 par deux chercheurs américains, Craig Mello et Andrew Fire, ce qui leur a valu le prix Nobel de Physiologie et de médecine en 2006, 4 ans après avoir co-fondé la société Alnylam pour développer des thérapies prometteuses. L’interférence ARN (ARNi) représente une avancée majeure dans la compréhension de la régulation des gènes dans les cellules. Les ARNi inactivent directement l’ARN messager (ARNm) – précurseurs génétiques – qui codent pour les protéines à l’origine de la maladie, empêchant ainsi leur production. Il s’agit d’une approche révolutionnaire, qui a le potentiel de transformer les soins aux patients atteints de maladies génétiques et d’autres pathologies. Les chercheurs se focalisent d’abord sur les maladies rares, puis s’attaquent aux maladies du foie (hypercholestérolémie, NASH). Ils veulent aujourd’hui « craquer » les maladies du SNC (Système Nerveux Central).
En 2022, vous avez fêté les 20 ans d’Alnylam ? Créée en 2002, la société annonce un chiffre d’affaires de 663 millions de dollars avec une croissance de 83% en un an ?
Notre biotech n’est pas encore rentable. En 2002, à partir du Prix Nobel sur le mécanisme de l’ARN interférent, nous avons voulu créer de nouveaux médicaments. Ces médicaments arrivent maintenant sur le marché. Nous avons 5 médicaments enregistrés aux Etats-Unis, 4 en Europe ainsi qu’une thérapie pour l’Amylose récemment autorisée.
Actuellement, nous sommes en plein lancement de ces médicaments à ARNi, d’où notre croissance. Et d’où nos investissements de R&D. Vous devez regarder le développement des ARNis comme le fut celui des anticorps monoclonaux il y a 20 ans. D’ici 30 ans, le nombre de médicament à base de cette technologie sera multiplié, d’autant que les vaccins à ARNm ont été plébiscités durant l’épidémie de COVID-19.
Nous avons prouvé l’efficacité de l’ARNi dans les maladies rares. Les 4 premiers médicaments à avoir reçu l’accord de la FDA et de l’EMA visent les maladies rares, le cinquième l’hypercholestérolémie, et nous allons sur l’hypertension. Le bénéfice-risque de cette technologie est favorable. Alnylam a amené quelque chose de disruptif sur le marché, nous avons réussi en 20 ans à trouver des traitements inexistants jusqu’ici.
Dans les maladies chroniques, par exemple, vous prenez 3 ou 4 médicaments en continu. Si vous arrivez à soigner les patients avec seulement deux injections par an, dans le cas de l’hypertension par exemple, vous imaginez l’impact que cela peut avoir sur le système de soins. Avec la croissance des volumes, le prix de ces thérapies deviendra plus accessible.
Alnylam vient notamment de recevoir en septembre 2022 l’approbation d’AMVUTTRA™ (vutrisiran) en Europe, pour le traitement de l’amylose à transthyrétine héréditaire (hATTR) chez les patients souffrant de polyneuropathie de stade I ou II, après avoir reçu l’approbation de la FDA en juin dernier.
Les résultats de l’étude HELIOS-A de Phase 3 ont démontré le potentiel d’AMVUTTRA pour bénéficier aux patients atteints d’une maladie rare, l’amylose hATTR avec polyneuropathie de stade I ou II, tout en contribuant à la réduction de la charge de traitement grâce à une administration sous-cutanée une fois tous les trois mois. Le traitement avait reçu la désignation de médicament orphelin auprès de la FDA et de l’EMA. Et il est également en cours d’examen auprès des autorités de santé brésiliennes et japonaises.
Les volumes de production sont plus faibles dans les maladies rares ?
C’est un défi industriel de fabriquer des produits en plus grande quantité à des coûts plus bas. C’est commun à toutes les maladies qu’elles soient rares ou non. Dans le cas des médicaments à ARNm, Sanofi a beaucoup investi sur son site de Marcy l’Etoile pour améliorer la fabrication.
Vous êtes partenaires de Sanofi Genzyme ?
Alnylam a donné un produit à Sanofi sous licence : l’antithrombine qui peut traiter l’hémophilie A et B sans inhibiteurs. Ils ont publié récemment les résultats de Phase 2. Nous transférons la fabrication à Sanofi. Ils nous ont désigné une usine Sanofi à Francfort (avant qu’ils ne décident de fabriquer les produits à ARNm à Marcy l’Etoile). Nous avons également conclu un partenariat d’amélioration de fabrication avec Novartis et AstraZeneca dans le cadre d’un consortium avec le gouvernement anglais et ces deux industriels de la pharma pour innover sur la fabrication des ARNm en diminuant le coût de fabrication des ARNi.
Avec la Chaire santé d’Essec Business School, vous avez lancé un projet de recherche à partir de la théorie des jeux , pour que le prix de vente de ces médicaments soitacceptable pour les gouvernements ? Pouvez-vous nous expliquer comment il procède ?
Dans chaque dossier médicament, vous avez des points à risque : vous allez faire une étude de phase 3 avec une population donnée, nous cherchons à répondre à la question : est-ce que cette étude peut être extrapolée à la population générale ? Nous avons une sorte de check list pour identifier les risques, en collaboration avec les autorités de santé. Nous avançons plus vite de cette manière. L’objectif est de conclure un accord le plus rapidement possible pour que les produits soient le plus vite disponibles sur le marché. Dans les jeux, c’est la rétention d’informations d’un camp qui peut induire du retard. Une information, c’est du pouvoir, en quelque sorte. Le fait de partager les points où le dossier pose problèmes et d’avoir un même langage, ça permet d’accélérer la décision et de trouver ensemble des solutions convenables, pour l’industriel et pour les autorités de santé. Si c’est un objectif commun, il n’y a pas de raison de ne pas trouver d’accord. Sinon, on perd six mois.
La R&D occupe une place prépondérante chez Alnylam?
L’un de vos fondateurs a reçu le Prix Nobel sur les ARNi ?
La découverte du siRNA (ARN interférent en anglais) a été faite en 1999. Les 5 co-fondateurs de l’entreprise en 2002 ont décidé de créer des médicaments alors qu’ils n’avaient pas encore obtenu la preuve de concept. L’un d’eux est venu en France, Phillip Allen Sharp qui a reçu (avec Richard Roberts) en 1993 le Prix de Physiologie et de Médecine pour sa découverte des introns. Le prix Nobel de physiologie et Médecine sur le siRNA a été obtenu en 2006 conjointement par Andrew Z.Fire et Craig C. Mello.
Dans les années 2008, nous avons commencé à travailler sur les nanoparticules lipidiques qui ont été utilisées dans les vaccins. C’est un patient français à Marseille qui, en phase 1, a réussi à “silencer” le gène dans l’amylose héréditaire. C’est comme pour la découverte de CRISPR-Cas, cette annonce a suscité un grand intérêt de la part des laboratoires pharmaceutiques. Alnylam avait alors signé des accords avec Roche, avec Merck. A partir de 2010, la rumeur s’est répandue sur les marchés financiers que la biotech ne savait pas faire. C’est alors qu’Alnylam a racheté les brevets, a continué et développé ses propres projets de R&D.
Une biotech ne doit pas être enfermée, elle doit travailler de concert avec les médecins/pharmaciens. Moderna et BioNtech utilisent d’ailleurs une variante de cette nanoparticule lipidique. Nous avons découvert un autre vecteur, un sucre, que l’on a attaché à la molécule d’ARN, encapsulé, après avoir modifié chimiquement la séquence pour qu’elle soit stable à température ambiante. Ce sucre a ses récepteurs dans les cellules hépatiques. Nous pouvons ainsi casser l’ARNm des cellules hépatiques dans n’importe quel gène et ce, grâce à l’ARNi. Avec l’ARNi, on réussit à rentrer et à agir dans les gènes pour les “silencer”. Les possibilités sont immenses.
On réussit même aujourd’hui à coupler deux gènes. Alnylam est en étude préclinique avec la plateforme GEMINI. En une seule injection et en couplant les deux séquences d’ARNi, nous voulons démontrer que l’on peut réduire à la fois par exemple l’hypercholestérolémie et l’hypertension. Des maladies courantes avec l’âge. On peut imaginer aussi de coupler l’hypercholestérolémie et la NASH en une seule injection.
Combien de chercheurs comptez-vous au siège de votre société à Cambridge (Massachusetts, Etats-Unis) ?
La recherche d’Alnylam est à Cambridge, la R&D emploie 400 personnes sur 1500 salariés. Pour ma part, j’ai rejoint les activités commerciales en Europe depuis 2016 quand elles ont commencé. J’étais le 4ème employé en Europe en 2016. Aujourd’hui nous sommes environ 300 salariés.
Vous avez noué des partenariats en R&D avec des laboratoires en France ?
Nous menons des études précliniques avec certains laboratoires publics qui ont des modèles animaux intéressants, nous avons une quinzaine d’études cliniques en cours en France et même des études précliniques avec l’AP-HP, les HCL (Hospices Civils de Lyon), des institutions publiques ou des centres des recherche d’excellence. Et évidemment avec énormément de CRO (Contract Research Organization). Toutes les études sont gérées conjointement avec les CRO.
Pouvez -vous nous décrire votre stratégie P5-25 ?
Notre objectif : à l’Horizon 2025, mettre 5 médicaments sur le marché, et inventer de nouvelles molécules. Aujourd’hui, après nous être attaqués aux cellules hépatiques, nous visons le SNC (Système Nerveux Central). Une étude est en cours pour silencer le gène, la partie APP, une composante monogénique, qui marque la maladie d’Alzheimer. Nous pourrions tester une deuxième mutation combinée sur le même nombre de patients. Une fois qu’on a prouvé qu’on peut silencer un gène, on va aller directement sur cet autre gène. La maladie d’Alzheimer, c’est comme le cancer dans les années 60. Il y a énormément de patients qui sont recrutés pour participer à des essais dans cette maladie. Le SNC, c’est le deuxième organe qu’on va « craquer ».
Bien sûr, dans cette maladie on ne pourra pas traiter tout le monde, il faut une composante génétique. Notre technologie à ARNi ne pourra marcher que si vous avez un gène ou une autre composante génétique qui peut contribuer au lancement de la protéine en cause dans cette maladie. Avant de vouloir cibler du bigénique, il faut démontrer que ce défaut génétique est bien responsable de la maladie.
C’est une révolution médicale qui est en train de se produire?
Prenons l’exemple de la BioBank anglaise, ils séquencent le génome de 5 millions d’anglais. Pour illustrer l’importance de ces bases de données génétiques, nous menons un projet sur la goutte, et nous avons trouvé, à partir de cette BioBank, un gène responsable de la goutte. Ces analyses de bases de données permettent d’identifier des cibles génétiques ce qui était inimaginable jusque-là.
Le plan France Genomique 2025 en France est-il aussi avancé ?
Il est plus en retrait, et concerne d’abord les maladies rares. La France est un peu en retard, vous l’avez vu avec le diagnostic de la COVID. Les Anglais sont mieux équipés, plus investis, moins fragmentés. Une fois le problème identifié, on peut avancer plus vite. D’autres laboratoires travaillent aussi avec la base de donnée finlandaise.
Vous intervenez en France, au niveau politique pour faire avancer la reconnaissance des thérapies comme les vôtres ? Alnylam a été l’un des signataires d’un appel des PDG de la biotech pour la création d’un secrétariat d’Etat aux Biotechnologies au printemps 2022.
Pourquoi cet appel ? Par comparaison avec le secteur du digital, nous revendiquons la nomination de quelqu’un qui soit chargé des biotechnologies, au niveau interministériel, et qui soit donc basé à Bercy. Cela pourrait contribuer à faire avancer le secteur des biotechnologies, reconnu comme une des priorités stratégiques de la France. Certes, en Biotech on avance. Le programme France 2030 fixe le cap. Si quelqu’un supervise l’action au niveau gouvernemental, en plus de créer une agence d’innovation Santé, et de donner des pouvoirs au MESR (Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche), ce serait différent. En France, la Recherche académique est très bonne, l’argent commence à affluer (les investissements). Reste le problème réglementaire qui peut tuer les biotech s’il n’est pas résolu au niveau de l’administration centrale. Les biotech ne demandent pas que de l’argent public, elles ont de l’argent privé (c’est le cas notamment d’Alnylam ou Cellectis). Ces biotechs veulent pouvoir mettre l’argent privé et les processus réglementaires au service de leurs innovations sur le territoire français, pour concurrencer des pôles comme Boston.
On ne va pas réinventer, on va fluidifier, on ne va pas faire des législations pour les grands laboratoires pharmaceutiques alors que 78 % des médicaments ces dernières années sont issues des biotech. Il faut surtout aider ces dernières à avancer rapidement. Or le discours actuel est le suivant : Si vous réussissez bien, vous allez être achetés. Souvent la législation donne une prime aux personnes déjà sur le marché. Or, il faut que les sociétés de biotech existantes continuent à exister, embauchent. C’est notre point de vue. Alnylam est une société innovatrice, qui a 20 ans : c’est l’adolescence. Il faut accompagner ces jeunes sociétés de biotech jusqu’à l’âge adulte. Elles peuvent innover parce qu’elles prennent des risques. Sur 10 histoires de biotech, il y en a une qui réussit. En 5 ans, 5 médicaments. Tel est notre programme.
Vous êtes cotés au Nasdaq, vous êtes une société américaine, donc vos accès aux financements sont plus faciles ?
En effet, mais nous mettons en avant la problématique du financement, avant d’aller en IPO. Il faut saluer le gouvernement français, je suis conscient de là où l’on a démarré, de là où l’on va arriver. Il y a de bons signaux, les fonds d’investissement commencent à augmenter leurs apports. Nous demandons quelque chose de focalisé à Bercy pour que cela commence à avancer.
Est-ce qu’on réussira à exécuter le programme France 2030 ? Est-ce qu’on met les fonds au bon endroit, est-ce qu’on résout les difficultés au niveau réglementaire en ce qui concerne l’accès aux nouveaux traitements? Il y a une explosion d’innovations. En étant acteur de ces innovations, nous soulignons qu’il faut accompagner ces biotech, en tant que citoyens ou pouvoirs publics, c’est un enjeu technologique.
Avec la révolution de l’ARNm, la France a pu observer qu’il y avait un trou dans la raquette et qu’elle est passée à côté de cette innovation de rupture. On ne peut pas être aussi efficace dans l’aéronautique, dans le nucléaire, et dans les sciences du vivant. On ne peut pas avoir d’ARNm et d’ARNi en France sans soutenir les entreprises de biotech qui les promeuvent.
Projetez-vous d’avoir des unités de production en Europe ?
Nous avons construit notre première usine aux Etats-Unis. Avec l’augmentation de la demande, et dans le cadre des consortiums, peut-être aurons-nous des unités en Europe. Demain, s’il y a des consortiums sur le territoire français auxquels participer, nous le ferons. Dans l’hypercholestérolémie, on veut traiter 300 000 anglais. Une étude va être menée pour les suivre d’une manière longitudinale dans le système de soins anglais, au sein du consortium déjà évoqué. Le prix proposé par Novartis sera évalué. Ensemble, nous travaillons à la baisse des coûts. Ce type de partenariat public/privé repose sur un contrat global incluant l’étude clinique, la mise à disposition du médicament à un prix préférentiel, l’amélioration de la production.
Par ailleurs, Alnylam a un accord de recherche avec Regeneron sur la NASH (Phase 2), en combinant des anticorps monoclonaux et l’ARNi, et un autre avec VIR pour l’Hépatite B (Phase 2).
A échelle de 5 ans, en 2025, aurez-vous atteint cette stratégie ?
Nous en serons à 6 médicaments commercialisés. Six en phase 2/3, il suffit qu’un réussisse. Il faut parfois un an pour obtenir l’agrément des autorités. Nous cherchons aussi à avoir des molécules pour alimenter le pipeline 2022. Il faut atteindre l’équilibre financier, grâce à des investisseurs sur le long terme. Notre objectif est que les ventes équilibrent les dépenses de recherche. Nous voulons être à l’équilibre pour avoir notre autonomie.