COMMUNIQUE DE PRESSE – Chez les bovins, comme chez tous les animaux, le matériel génétique est contenu dans des paires de chromosomes, dont chaque exemplaire est réparti aléatoirement lors de la formation des gamètes (spermatozoïdes ou ovocytes). Au cours de ce processus, il peut arriver que du matériel génétique d’un chromosome se déplace vers un autre n’appartenant pas à la même paire, c’est ce que l’on appelle un réarrangement interchromosomique. La fécondation avec un gamète contenant un ou plusieurs chromosomes réarrangés causera un manque ou un surplus de gènes chez l’embryon et aboutira dans la plupart des cas à sa mort. Pour la première fois, des généticiens d’INRAE, en collaboration avec la société ELIANCE, ont mené une étude de population (sur 5 571 taureaux d’insémination) pour quantifier l’occurrence de ces anomalies, leurs origines et leurs conséquences pour les animaux. Leurs résultats, publiés dans Genome Research, montrent qu’1 taureau sur 450 serait porteur d’un réarrangement interchromosomique, avec des conséquences sur la santé et la fertilité des animaux touchés qui coûteraient à la filière plus d’1 million d’euros par taureau d’insémination porteur. Cette étude se base sur les millions de données de génotypage générées en routine pour l’évaluation génomique des taureaux d’insémination et de leurs descendants. L’approche utilisée est la première étape vers un dépistage généralisé de ces anomalies chromosomiques.
Publié le 07 juillet 2023
Les réarrangements interchromosomiques sont des échanges de matériel génétique entre 2 chromosomes n’appartenant pas à la même paire. Ils apparaissent en général lors de la formation des gamètes. Dans la large majorité des cas, les anomalies induites conduisent à la mort précoce de l’embryon. Dans d’autres cas, les réarrangements chromosomiques peuvent avoir des conséquences pathologiques graves comme cela a été démontré chez les humains. Tous les animaux sont susceptibles d’être touchés, sans distinction de sexe ou de race, qu’ils soient reproducteurs ou non. Le recours fréquent à l’insémination animale fait que les populations bovines sont particulièrement exposées aux aléas d’une diffusion massive de la semence de taureaux porteurs sains (non affectés eux-mêmes) de ces mutations. Pourtant, jusqu’alors, aucune analyse à large échelle n’avait été menée afin d’étudier la prévalence des réarrangements interchromosomiques, leurs origines et leurs impacts sur les animaux et la filière bovine.
Des analyses génétiques faites sur 5 571 taureaux et leurs 2 millions de descendants, de 15 races
L’étude a porté sur 5 571 taureaux de 15 races, pour un total de plus de 2 millions de descendants. Pour leurs analyses, les généticiens ont exploité 50 000 marqueurs balisant le génome de chaque descendant. Ces marqueurs sont utilisés en routine dans le cadre des évaluations génomiques des reproducteurs. Les chercheurs ont étudié les milliards de combinaisons possibles de couples de marqueurs de chromosomes différents afin de déterminer s’il existait des transmissions préférentielles démontrant l’existence d’un réarrangement interchromosomique. Ils ont également estimé les effets de ces anomalies sur des caractères de santé, de survie et de reproduction des descendants à l’aide des millions de données sur ces caractères enregistrées dans les bases de données zootechniques nationales.
1 taureau sur 450 serait porteur de ces anomalies chromosomiques
Leurs travaux ont permis d’identifier 12 réarrangements interchromosomiques, dont certains n’avaient jamais été décrits chez les bovins. Ces anomalies toucheraient environ 1 taureau sur 450. Le suivi transgénérationnel des chromosomes réarrangés a révélé qu’ils résultaient le plus souvent de réarrangements apparus spontanément pendant la formation des gamètes de leurs pères (10 fois sur 12). 10 des taureaux porteurs de réarrangements interchromosomiques étaient classés dans les moins fertiles de leur race et la descendance de l’un d’entre eux affichait un taux de mortalité juvénile record avec 44 % de génisses n’ayant pas survécu au-delà d’1 an. Dans la majorité des cas, l’analyse des données zootechniques de leurs descendantes ayant reçu l’anomalie révèle des retards de croissance et une fertilité dégradée par rapport aux génisses issues du même taureau mais ayant des chromosomes normaux. Les chercheurs estiment qu’1 ou 2 taureaux d’insémination seraient affectés par ces anomalies en moyenne chaque année en France. Dans chaque cas, la diffusion de leur semence coûterait plus d’1 million d’euros du fait de la surmortalité et des baisses de fertilité et de productivité de leurs descendants. Pour résoudre ce problème, les scientifiques recommandent la généralisation de l’utilisation de méthodes de prévention (réalisation d’un caryotype sur les taureaux, c’est-à-dire l’étude de la structure et du nombre de chromosomes). Ils soulignent l’importance d’utiliser en plus l’approche développée dans cette étude (exploitation des données sur les marqueurs génétiques) pour contribuer à un dépistage systématique et généralisé des réarrangements chromosomiques. Cette méthode est de plus facilement applicable à toute population animale ou végétale bénéficiant de vastes ensembles de données génotypiques, avec des applications directes en agriculture.
REPRODUCTION EN ÉLEVAGE BOVIN
La paillette est un minuscule tube qui contient la semence d’un taureau, stocké à – 196°C dans l’azote liquide. L’heure venue, cette paillette permettra d’inséminer une vache qui vit à des kilomètres du taureau. Tous les éleveurs peuvent ainsi accéder aux meilleurs reproducteurs : ceux dont les descendants seront en bonne santé, résistants aux infections et produiront du lait ou de la viande de qualité et en quantité. Ces taureaux sont sélectionnés sur la base de leur valeur génétique. Les meilleurs verront leurs paillettes diffusées à quelques centaines, voire milliers, d’exemplaires. Chaque année, ce sont environ 600 taureaux qui font leur entrée dans les catalogues en France (sur un total de plus de 6 000 taureaux utilisés). Dans les races laitières (Holstein, Montbéliarde, Normande…), presque 90 % des vaches sont inséminées, et environ 20 % dans les races allaitantes (comme la Charolaise ou la Blonde d’Aquitaine).
RÉFÉRENCE
Jourdain J. et al.Large-scale detection and characterization of interchromosomal rearrangements in normozoospermic bulls using massive genotype and phenotype data sets. Genome Research, 33, YYY-ZZZ https://doi.org/10.1101/gr.277787.123
Les travaux ayant mené à la publication de cet article ont été réalisés dans le cadre de la thèse de Jeanlin Jourdain, doctorant pour Eliance au sein de l’unité mixte technologique eBIS. Cette thèse est dirigée par Aurélien Capitan. Elle est réalisée dans le dispositif CIFRE (ANRT) et dispose d’un cofinancement d’APIS-GENE. Cette étude a également bénéficié des travaux réalisés dans le cadre des projets Effitness et Fertiligest (APIS-GENE) et SeqOccIn (FEDER-FSE MIDI-PYRENEES ET GARONNE 2014-2020 et APIS-GENE).