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Scizophrénie : enfin des avancées contre cette maladie déroutante

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Schizophrénie : enfin des avancées contre cette maladie déroutante… En partenariat avec RTFlash N° 1249

 

Cette semaine, je vais vous parler d’une maladie qui reste encore largement ignorée du grand public, la schizophrénie. Cette pathologie psychiatrique, que l’on peut également désigner sous l’appellation de «”troubles de l’intégration”, est beaucoup moins médiatique que d’autres maladies affectant le comportement, comme l’autisme, les troubles obsessionnels compulsif (TOC) ou encore la dépression. Et pourtant la schizophrénie reste un véritable défi pour la médecine et constitue un enjeu majeur de santé publique. Elle toucherait, selon les différentes évaluations épidémiologiques, entre 0,5 et 1 % de la population. Au niveau mondial, l’OMS estime qu’elle affecte au moins 24 millions de personnes et l’Inserm estime à 600 000 le nombre de personnes atteintes de schizophrénie en France, un nombre équivalent à celui des personnes souffrant d’autisme…

En 1898, le psychiatre Emil Kraeplin fut le premier à distinguer la démence précoce des autres formes de folie. En 1908, cette pathologie mentale sera renommée schizophrénie (du grec schizo, “séparé” et phrên, “esprit”) par le psychiatre suisse Eugen Bleuler. La schizophrénie est une maladie psychiatrique qui se déclare, dans la grande majorité des cas, entre 15 et 30 ans. Pour la psychiatrie, cette maladie appartient à la famille très large et diverse des psychoses. Elle se caractérise par la présence de symptômes très variables que l’on regroupe en trois catégories, positif (délires, hallucinations, paranoïa), négatifs (retrait affectif, isolement social, déficit d’émotivité) et dissociatifs (confusion et désorganisation des pensées, comportements et paroles) . On estime qu’environ 40 % des malades souffrant de schizophrénie feront au moins une tentative de suicide dans leur vie et qu’au moins 10 % trouveront la mort par suicide, soit presque 1000 fois plus que dans la population générale. Les personnes atteintes de schizophrénie ont également une espérance de vie inférieure d’environ 15 ans à celle de la population générale : 60 ans pour les hommes et de 68 ans pour les femmes.

Dans un essai publié il y a quelques semaines, “Schizophrénie et Génétique” le Psychiatre Boris Chaumette, chercheur au sein de l’équipe Physiopathologie des maladies psychiatriques de Sainte-Anne, à Paris, rappelle que, pour la schizophrénie, on estime que l’héritabilité est d’environ 80 %, soit autant que l’autisme. Mais Boris Chaumette précise que la part de la génétique varie considérablement d’un patient à l’autre : si certaines formes de schizophrénie sont très associées à la génétique, pour d’autres, les gènes vont simplement permettre une susceptibilité qui ne se révélera qu’à l’occasion d’une cascade d’interactions avec l’environnement.

Et de fait, plusieurs études antérieures ont déjà mis en lumière le caractère héréditaire de la schizophrénie : la maladie, due à des variations génétiques hétérogènes, se transmet souvent d’une génération à l’autre. Il y a deux ans, une étape importante a été franchie quand des chercheurs de l’Institut Feinstein pour la recherche médicale de l’Université de Columbia ont identifié une nouvelle mutation génétique fortement liée à la schizophrénie (Voir Science Direct). Cette équipe, dirigée par le Docteur Todd Lencz, a mené ses travaux sur des patients schizophrènes et volontaires sains issus de la population juive ashkénaze, composée de peu de membres à travers le monde et caractérisée par une faible diversité génétique. Les chercheurs ont prélevé un échantillon de 786 patients schizophrènes et de 463 témoins, analysant leurs génomes à la recherche de nouvelles variantes susceptibles de jouer un rôle dans la maladie. Ces recherches ont permis de confirmer que les patients schizophrènes présentent des mutations dans un ensemble de gènes précédemment identifiés. Mais ces travaux ont également permis de découvrir une nouvelle mutation qui se manifeste par un changement de nucléotide unique dans un gène appelé PCDHA3 (Protocadherin Alpha 3), qui produit une protéine indispensable à la création de connexions intercellulaires dans le cerveau. Cette mutation génétique bloque l’action de cette protéine protocadhérine, révélant ainsi un mécanisme de déclenchement de la schizophrénie.

En 2021, une autre équipe franco-allemande a confirmé le rôle du système immunitaire dans le développement de la schizophrénie. Ces chercheurs ont observé que l’expression accrue du gène C4, un gène du système immunitaire inné, rend plus probable l’apparition d’un trouble schizophrénique (Voir Nature). En insérant des copies supplémentaires du gène C4 dans certains neurones, les chercheurs ont suscité une expression élevée du gène C4 dans le cortex de souris. « Nous avons constaté une réduction de la densité des synapses, c’est-à-dire des contacts entre les neurones, ce qui pourrait correspondre à la perte de synapses observée dans le cortex de patients avec une schizophrénie », souligne Corentin Le Magueresse, chercheur à l’Institut du Fer à Moulin à Paris, qui a coordonné l’étude. Ces travaux ont également montré que ces déficits semblent être causés par une mauvaise formation des synapses immatures. Ces recherches confirment d’autres études qui montrent qu’un récepteur appelé “récepteur NMDA” ne transmet pas l’influx nerveux de manière correcte chez les patients présentant une schizophrénie. Cette étude révèle clairement que chez les souris ayant une expression élevée du gène C4, on observe une nette diminution de la transmission synaptique par les récepteurs NMDA. Par ailleurs, la même étude montre que les anomalies associées à la schizophrénie sont identifiées dans la libération d’un autre neurotransmetteur, le GABA. Ces travaux démontrent donc de manière solide que l’expression élevée du gène C4 provoque des anomalies cérébrales que l’on retrouve chez les patients atteints de schizophrénie.

Dans son essai, Boris Chaumette évoque également les facteurs de risque environnementaux de mieux en mieux identifiés qui favorisent l’apparition de la schizophrénie. Parmi ceux-ci, il cite le cannabis, les problèmes lors de la grossesse ou de l’accouchement, et le stress psychosocial. Mais selon ce scientifique le cannabis serait le principal facteur de risque évitable. Il est vrai qu’en mai 2023, une vaste étude danoise a fait grand bruit en montrant que près de 30 % des cas de schizophrénie chez les jeunes hommes auraient pu être évités en l’absence de consommation intensive de cannabis (Voir Cambridge University Press). Pour ces travaux, des scientifiques des services de santé mentale du Danemark ont analysé les dossiers médicaux de près de 7 millions de Danois âgés de 16 à 49 ans entre 1972 et 2021. L’objectif a été d’estimer la proportion des cas de schizophrénie pouvant être liée à un trouble dû à la consommation de cannabis au niveau de la population globale.

Les chercheurs ont observé une association entre les troubles liés à la consommation de cannabis et la schizophrénie chez les hommes et les femmes, bien que l’association soit beaucoup plus forte chez les jeunes hommes. À l’aide de modèles statistiques, les auteurs de l’étude ont estimé que jusqu’à 30 % des cas de schizophrénie chez les hommes âgés de 21 à 30 ans auraient pu être évités. « Ces résultats plaident pour une approche de prévention et d’éducation de tous les adolescents vis-à-vis des risques associés à l’usage de cannabis dans cette période charnière de constitution du cerveau », souligne Paul Brunault, psychiatre et addictologue, chercheur à l’Université de Tours.

En attendant de pouvoir agir directement sur les mécanismes génétiques et immunitaires de mieux en mieux connus, à l’œuvre dans le déclenchement de ce trouble psychiatrique, la médecine, après plus de 20 ans sans progrès majeurs, en termes de médicaments, a réalisé deux avancées remarquables récemment. Très longtemps, les seuls médicaments efficaces pour traiter la schizophrénie ont été les médicaments antipsychotiques de première génération, agissant essentiellement au niveau de la dopamine, et surtout actifs contre les symptômes dits positifs, tels que délires ou hallucinations. Mais ces médicaments entraînaient souvent de nombreux effets indésirables. Plus récemment, sont apparus des neuroleptiques, de seconde génération, dits atypiques, qui agissent s imultanément sur deux messagers chimiques du cerveau (neurotransmetteurs), la sérotonine et la dopamine. Les principaux antipsychotiques atypiques sont la rispéridone (Risperdal), la quétiapine (Seroquel), l’olanzapine (Zyprexa), la ziprasidone (Zeldox), la palipéridone (Invega), l’aripiprazole (Abilify) et la clozapine (Clozaril). Ces médicaments montrent une plus grande efficacité sur les symptômes négatifs de la maladie (démotivation, troubles de l’humeur, apathie) que les antipsychotiques dits classiques. Plusieurs études ont montré que ces antipsychotiques atypiques sont au moins aussi efficaces que les antipsychotiques classiques, en matière de réduction des symptômes psychotiques, mais s’accompagnent de moins d’effets indésirables.

Il y a un an, l’autorité de santé américaine a approuvé un nouveau traitement très prometteur contre la schizophrénie, mis au point par la firme française Medincell, avec son partenaire Teva Pharmaceuticals, l’un des leaders mondiaux des génériques. Medincell a mis au point la technologie innovante BEPO (un polymère injecté sous la peau qui assure la diffusion contrôlée et régulière d’un principe actif) et a créé un traitement pour la schizophrénie. BEPO permet la diffusion dans l’organisme du patient de doses d’olanzapine, une molécule utilisée dans le traitement de certaines formes de schizophrénies et de troubles bipolaires. L’Uzedy pourrait donc permettre aux personnes malades de suivre correctement leur traitement. Dans un essai clinique de phase 3, Uzedy a démontré une réduction du risque de rechute de la schizophrénie allant jusqu’à 80 % par rapport au placebo.

Il y a quelques semaines, une étude américaine publiée dans le Lancet a révélé des résultats prometteurs d’un essai américain de phase 3 pour un nouveau traitement baptisé KarXT (Karuna Therapeutics) (Voir The Lancet). Il s’agit d’une molécule dite agoniste des récepteurs muscariniques et non dopaminergiques. Cet essai a inclus 252 participants : un groupe recevait la molécule à des doses croissantes, l’autre un placebo. L’étude montre clairement que deux types de symptômes de la maladie, ceux dits “positifs” (hallucinations, délire, agitation) comme aussi les “négatifs” (retrait, apathie, dépersonnalisation…) ont été réduits de manière significative dans le groupe recevant KarXT. Ce nouveau traitement entraîne en outre moins d’effets secondaires (somnolence, prise de poids, rigidité) qu’avec les molécules couramment utilisées. En 2022, un autre antipsychotique de la même famille, l’Enraclidine (un agoniste du récepteur muscarinique M4), avait déjà montré des résultats encourageants dans un autre essai réalisé par l’Université de Yale (Voir The Lancet).

Mais à côté des nouveaux traitements médicamenteux, et souvent en complément avec ces derniers, d’autres voies thérapeutiques ne cessent de progresser contre cette affection. Dès 2017, l’équipe de recherche de Sonia Dollfus, professeur au CHU de Caen, a localisé une zone du cerveau d’où proviennent les “voix” qu’entendent les schizophrènes. Ils ont également mis au point un traitement par impulsion magnétique permettant de soulager ces malades. Au terme de cette étude, plus d’un tiers des patients traités par des impulsions magnétiques dans un essai clinique ont constaté une réduction sensible de ces hallucinations auditives.

L’équipe de recherche française a conduit cet essai avec 26 patients qui ont reçu un traitement de stimulation magnétique transcrânienne (SMT/TMS), permettant d’appliquer les impulsions magnétiques sur le cerveau à travers le crâne, et 33 autres qui n’ont reçu qu’un placebo. « Il s’agit du premier essai rigoureux qui montre une amélioration chez ces patients en ciblant une zone spécifique du cerveau et en utilisant cette stimulation à haute fréquence », souligne la professeur Sonia Dollfus (CHU de Caen, France), chercheuse principale de ce travail. Le premier groupe de patients a reçu une série d’impulsions magnétiques au cours de deux séances par jour pendant deux jours sur la partie du lobe temporal du cerveau associée au langage. Deux semaines plus tard, un tiers des patients traités ont fait part d’une a mélioration sensible de leurs symptômes. Ces recherches ont montré pour la première fois que le traitement par stimulation magnétique transcrânienne à haute fréquence produit des améliorations concrètes de l’état psychique chez certains patients atteints de schizophrénie.

En 2021, l’intérêt thérapeutique de la stimulation magnétique cérébrale dans le traitement de certaines schizophrénies a été confirmé par une équipe du Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon, qui a publié les résultats d’une étude conduite par Marine Mondino et Jérôme Brunelin au Centre Hospitalier le Vinatier, à Bron (69), sur les effets de la stimulation cérébrale non invasive sur les symptômes négatifs de la schizophrénie. Chez environ un tiers des patients atteints de schizophrénie, les symptômes dits négatifs (le manque de motivation, le repli sur soi) de cette maladie mentale ne répondent pas suffisamment aux approches thérapeutiques actuellement disponibles et sont source de handicaps importants.

Des études d’imagerie médicale ont montré que ces symptômes négatifs étaient associés à des anomalies de fonctionnement et de connexion d’une région du cerveau appelée le cortex préfrontal dorsolatéral. Le groupe de recherche lyonnais a décidé de stimuler cette région du cerveau afin d’essayer de rétablir la communication avec les autres aires cérébrales. Ces scientifiques ont utilisé la technique des impulsions magnétiques (rTMS) à haute fréquence pour traiter ces patients. Ils ont parallèlement effectué une étude en double aveugle, combinant évaluations cliniques et neuroimagerie par IRMf. Cette étude a réuni 22 patients atteints de schizophrénie et présentant des symptômes négatifs résistant aux traitements médicamenteux. Ceux-ci ont reçu pendant dix jours 20 sessions de stimulation magnétique appliquée au niveau du cortex préfrontal dorsolatéral gauche. Douze des patients ont reçu de la stimulation active alors que les 10 autres ont reçu de la stimulation placebo. Après six mois de traitement, ces chercheurs ont observé une diminution significative des symptômes négatifs. De plus, cette stimulation cérébrale a entraîné une augmentation de la connectivité fonctionnelle du cortex préfrontal dorsolatéral gauche et de plusieurs autres régions cérébrales, dont celle qui régule la Dopamine, un neurotransmetteur-clé qui est ciblée par les traitements pharmacologiques de la schizophrénie.

Il est important de souligner que les thérapies cognitives et comportementales ont également toute leur place dans la panoplie de traitements contre la schizophrénie. Les personnes schizophrènes présentent souvent des comportements inadaptés aux circonstances de la vie quotidienne. Les symptômes négatifs sont généralement liés à une absence ou à une réduction des émotions, ce qui cause fréquemment des détresses psychologiques et des conflits au quotidien. À ce jour, pour la prise en charge de ces états, l’efficacité des traitements pharmacologiques est limitée. Mais une étude réalisée en 2020 par le service psychiatrique de l’Université de Montpellier a montré qu’une approche globale et pluridisciplinaire, combinant traitements médicamenteux personnalisés, réhabilitation neuropsychologique, habiletés sociales et thérapie cognitive, semblait prometteuse pour la prise en charge des symptômes négatifs dans la schizophrénie (Voir Science Direct).

On le voit, après une longue période de stagnation thérapeutique, des avancées majeures ont été réalisées dans la compréhension des mécanismes fondamentaux – qu’ils soient génétiques, immunitaires ou environnementaux – qui sous-tendent cette pathologie souvent dévastatrice. Ces avancées permettent aujourd’hui une bien meilleure prise en charge des symptômes de cette maladie complexe, multifactorielle et invalidante. Mais on peut espérer que, dans un futur proche, des interventions par ARNi, ARNm ou outils d’édition génomique, sur le système immunitaire et les principaux gènes impliqués dans cette pathologie, permettront, en synergie avec les thérapies cognitives et comportementales et une prévention des principaux facteurs de risque, d’agir directement sur les causes de ce trouble psychique complexe et de permettre enfin une meilleure intégration sociale et affective des personnes très nombreuses atteintes par cette maladie….

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com