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Interview

« Smart Immune porte haut les couleurs de l’innovation française en Thérapie cellulaire »

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Depuis un an, Smart Immune a annoncé une participation à son capital de 5 millions d’euros (M€) de la fondation Bill Gates ; sa sélection parmi les 20 sociétés de biotechs françaises disruptives du programme French Tech Health 20, et un financement de 17,5 M€ de l’EIC (European Innovation Council) pour accélérer le développement de sa plateforme ProTcell, conçue pour réarmer le système immunitaire contre les tumeurs et les infections, grâce au pouvoir du thymus.

Interview de Karine Rossignol, Co-fondatrice et CEO de Smart Immune

biotech info articles portrait karine rossignol
Directrice générale et co-fondatrice de Smart Immune, Karine Rossignol est docteure en pharmacie et diplômée d’HEC.
Elle a débuté sa carrière dans l’industrie cosmétique, chez Guerlain, l’Oréal puis Chanel avant de rejoindre, à sa création, en 2006, l’Institut maladies génétiques Imagine comme co-secrétaire générale. De 2016 à 2019, elle est directrice générale de la Fondation pour l’Audition, avant de participer à la création, en 2019 de la société de biotechnologie Smart Immune, spin-off de l’Institut Imagine, aux côtés de Marina Cavazanna et d’Isabelle André.

 

Quel a été le point de départ de l’aventure Smart Immune ?

Il faut partir, je crois, de l’histoire des deux co-fondatrices scientifiques de la société. A l’Hôpital Necker-Enfants malades (AP-HP) et à l’Institut Imagine, Marina Cavazzana et Isabelle André ont cherché, des années durant, à accélérer la reconstitution immunitaire de jeunes patients ayant reçu une allogreffe de cellules souches sanguines. Ces enfants, comme les adultes bénéficiant de cette intervention d’ailleurs, restent vulnérables de très longs mois après la greffe, le temps que se reforme leur force d’élite immunitaire, c’est-à-dire leur compartiment de lymphocytes T. Il faut 18 mois en moyenne. Un temps durant lequel les malades restent fragiles, présentent des infections, des rechutes. Pour sauver ces patients et améliorer leur qualité de vie après une telle greffe, Marina et Isabelle ont mis au point une technologie qui permet de faire en 7 jours ce que la moelle osseuse produit en 15 mois : des progéniteurs de lymphocytes T, baptisés ProTcell, prêts à être injectés pour être éduqués dans le thymus du patient et y former un nouveau système immunitaire.

biotech info articles portrait marina cavazzana
Pionnière en thérapie génique, pédiatre et hématologue, la Professeure Marina Cavazzana a réalisé 9 “First-in- human” (Premières chez l’humain) en thérapies géniques ou cellulaires. Elle a reçu le Grand prix de l’Académie de médecine en 2016.

C’est une découverte majeure. Les progéniteurs de lymphocytes T sont très fugaces, impossibles à prélever dans le sang. Le fait qu’on puisse les produire ex-vivo puis les rendre fonctionnels grâce au thymus du patient change la donne : nous n’avons plus à craindre le rejet des cellules thérapeutiques par l’organisme du patient. Le fait d’utiliser des cellules très immatures est aussi prometteur : les cellules issues de donneur sont probablement en meilleure « forme » ( « potentes » ) que des cellules venant d’un patient qui peut être âgé ou avoir reçu plusieurs cycles de chimiothérapie, par exemple.

In fine, cette technologie permet de réarmer le système immunitaire complètement, rapidement et, nous l’espérons, durablement.

Quelles sont les applications de cette nouvelle approche thérapeutique ?

La maladie des bébés-bulles (déficit immunitaire combiné sévère) a été le point de départ de cette invention. A Necker, ces tout jeunes patients décédaient à cause d’infections ou des réactions du greffon contre l’hôte. Nous avons depuis étendu le champ des applications aux leucémies aiguës de l’adulte et à différents cancers du sang pour lesquels la greffe de cellules souches représente parfois encore l’unique option curative.

Nous avons annoncé, le 29 septembre, le traitement de deux patients français dans le cadre d’une nouvelle étude clinique sur les leucémies aiguës  soutenue financièrement par la Fondation Bill et Melinda Gates et pour laquelle nous avons 4 centres cliniques participant en France : Nantes, Toulouse, Paoli Calmette à Marseille, Saint Louis à Paris. Nous sommes heureux que cette innovation puisse bénéficier à des patients français. Nous menons également un autre essai sur la leucémie aiguë aux Etats-Unis, au Memorial Sloan Kettering Cancer Center.

Une fois l’efficacité de la technologie démontrée, nous projetons d’étendre encore ce champ d’application à de nouvelles indications en association avec d’autres immunothérapies comme les anticorps bispécifiques par exemple ou en modifiant génétiquement les cellules pour exprimer un CAR (Chimeric Antigenic Receptor, en français, récepteurs antigéniques chimériques).

Combien de patients comptez-vous faire entrer dans cet essai clinique et d’ici combien de temps envisagez-vous de passer en Phase 3 ?

Pour l’essai de phase I/II leucémie aigue adulte, nous allons tester 3 dosages dans une escalade de dose qui comprend 9 patients pour un total de 41 patients traités d’ici fin 2024.  Ce protocole se déroule dans un setting (cadre) de plus en plus fréquent, que l’on appelle « haploidentique » PTCy pour « post transplant cyclophosphamide ». Si les résultats sont positifs à l’analyse intermédiaire, nous ferons soit un essai PIVOT directement soit un cheminement plus classique avec une phase 3 randomisée qui pourrait commencer fin 2026.

L’essai de phase I/II pour les bébés bulles est important pour nous car c’est une preuve de concept. Cette pathologie entrant dans la catégorie des maladies ultra-rares, nous ne devrions pas avoir besoin d’un essai randomisé pour enregistrer une autorisation conditionnelle de mise sur le marché (Conditional marketing approval) qui pourrait être obtenue dès 2026.

Si cette thérapie peut être mise en pratique courante, quels changements peut-on entrevoir dans les protocoles de prise en charge des cancers du sang à l’avenir ?

L’enjeu est d’arriver, demain, à mieux soigner les patients, adultes et enfants, avec moins de chimiothérapies et donc moins de toxicité.

L‘introduction des CAR-T, il y a moins de dix ans, a déjà changé considérablement les protocoles : ces thérapies cellulaires sont progressivement passées de la 4ème à la 2nde ligne de traitement dans certaines indications. Pour autant, les CAR T cells approuvés aujourd’hui sont autologues, ils utilisent les cellules du patient et sont complexes et très onéreux à produire. La seule façon de surmonter les contraintes de production et de coûts est de produire ces médicaments à l’avance, à partir de cellules saines de donneurs. Cette approche, dite allogénique, permet le développement de thérapies cellulaires « prête à l’emploi » ou « off the shelf ». Le défi de l’allogénique est de faire cohabiter deux systèmes immunitaires, non programmés pour vivre ensemble ; de fait les essais cliniques des CAR T allogéniques en cours posent des problèmes d’efficacité due à la faible persistance des cellules.

La plateforme ProTcell permet de répondre à ce double défi en apportant un système immunitaire neuf, mais éduqué par le thymus du patient. C’est une nouvelle brique et une alternative thérapeutique potentielle pour optimiser efficacité, accessibilité et coût de production.

Cette technologie est extrêmement prometteuse car elle offre potentiellement le meilleur des deux mondes en matière de thérapie cellulaire : l’avantage de l’allogénique (produit à l’avance, à partir de cellules de donneurs anonymes et immédiatement disponibles à l’hôpital) et l’avantage de l’autologue (des cellules reconnues par le système immunitaire des patients et à longue durée de vie).

La Fondation Bill & Melinda Gates s’intéresse également aux applications potentielles de votre technologie dans le domaine du VIH ?

Notre plateforme nous permet effectivement d’aller plus loin, en modifiant les progéniteurs de Cellules T pour éliminer les récepteurs spécifiques au virus du SIDA, que l’on rendrait ainsi « hermétiques au virus ». Nous explorons aussi des applications dans d’autres indications en oncologie et dans le champ des maladies auto-immunes.

Qui sont vos principaux partenaires hospitaliers ?

Nous nous appuyons sur des sites hospitaliers de premier plan. Les hôpitaux Necker et Saint-Louis à Paris, ainsi que des centres à Marseille, Toulouse et, Nantes ont des équipes cliniques formidables, très intéressées par notre approche pour améliorer le pronostic clinique de leurs patients.

Aux Etats-Unis, nous collaborons avec le Memorial Sloan Kettering Cancer Center (MSKCC) à New-York et le Dana Faber Cancer Institute au sein de la Harvard Medical School.

Nous nous appuyons aussi sur le CDMO public-privé MEARY, pour produire nos thérapies cellulaires. Située sur le Campus de l’Hôpital Saint Louis, MEARY produit nos lots cliniques de ProTcell aussi bien pour la France que pour les Etats-Unis. Son directeur, le Pr Jérôme Larghero a monté avec talent le Centre MEARY de Thérapie Cellulaire et Génique répondant au besoin de jeunes biotechs comme la nôtre de produire en France des lots cliniques de thérapies innovantes avec la rigueur essentielle au GMP et la souplesse nécessaire aux petites structures. Ajoutons que MEARY a obtenu le go de la FDA pour produire les batchs cliniques des essais américains, ce qui est exceptionnel pour des phase I/II,.

Vous avez évoqué un projet de série A. Quel est l’enjeu ?

Nous sommes soutenus, depuis le départ, par des family office qui ont été formidables, qui nous ont fait confiance et qui ont financé la société à hauteur de 6 M millions d’euros en equity et 12 millions en convertibles depuis 2017. Aujourd’hui, nous avons aussi besoin du capital-risque institutionnel pour poursuivre le développement de la société, passer à un autre stade. Quand on développe un médicament comme SMART 101, on parle de centaine de millions d’euros d’investissement pour arriver au marché. C’est le moment d’accélérer pour nous. La prochaine étape, si jamais les marchés boursiers s’ouvrent à nouveau, pourrait être une entrée en bourse ou un rachat avec un groupe pharmaceutique. Certes, nous sommes les premiers de notre catégorie (First-in-class) et nous bénéficions toujours d’une avance technologique significative. Mais nous avons des concurrents qui nous talonnent. La confiance du Conseil européen de l’Innovation et de la Fondation Bill & Melinda Gates, qui ont misé sur Smart Immune cette année, est un excellent signal.

A quoi seront affectés ces capitaux en priorité ?

Nous allons bien-sûr financer les développements de la société, en particulier nos trois essais cliniques en cours : une phase I/II sur les bébés-bulles en Europe et aux Etats-Unis et nos deux essais sur les leucémies adultes en Europe et aux Etats-Unis. Nous voulons avoir une vraie compréhension de nos candidats-thérapie cellulaire pour valider le design des phases d’enregistrement auprès des agences réglementaires, la FDA et de l’EMA. C’est le vrai jalon de création de valeur. Les essais cliniques dans la leucémie aiguë ne seront pas achevés avant 2025-2026. Il faut anticiper. Par ailleurs, nous sommes aujourd’hui 22 salariés et 13 consultants et nous prévoyons de nouveaux recrutements.

Vous êtes 3 femmes entrepreneures. Quelles valeurs les femmes apportent-elles dans l’entreprise ?

Le développement de Smart Immune est guidé par des valeurs qui nous ont réunies depuis le départ : l’agilité, pour apporter plus vite l’innovation thérapeutique au patient, la combativité, car nous nous nous battons contre la montre, contre des maladies très dures, et dans un contexte de forte concurrence ; l’esprit pionnier et la responsabilité. Personne n’a fait quelque chose de similaire auparavant, nous sommes les premières et les premiers à exploiter le pouvoir du thymus pour réarmer le système immunitaire en 100 jours contre les cancers et les infections. Nous portons ces valeurs en tant que femmes et surtout en tant que professionnelles animées par un seul but : libérer l’accès aux meilleures thérapies cellulaires allogéniques pour les patients qui en ont besoin. Ils sont très nombreux.

Propos recueillis par Thérèse Bouveret