Santé humaine
Édito
Les bases théoriques et conceptuelles de la génétique doivent être repensées
En collaboration avec RTFlash, édito du Sénateur René Trégouët du 6 juillet 2018
De la découverte de la structure de l’ADN par Watson et Crick en 1953 à la première carte complète du génome humain en 2003, il a fallu 50 ans d’efforts et de recherches, tant les difficultés scientifiques et techniques à surmonter étaient immenses. Et lorsqu’au début de notre siècle, cette entreprise pharaonique de décryptage de l’ensemble du génome humain fut enfin achevée, une partie de la communauté scientifique fut tentée de croire que les gènes de notre espèce, à présent entièrement répertoriés et cartographiés, allaient livrer rapidement l’essentiel de leurs secrets.
Pourtant, il faut nous résoudre à admettre que, depuis 15 ans, la montée en puissance de la génomique, puis de l’épigénétique, est venue considérablement enrichir et élargir la vision « mécaniste » que l’on pouvait encore avoir de la génétique à la fin du siècle dernier et ne cesse de dévoiler la prodigieuse complexité du vivant. En voici quelques exemples récents, loin d’épuiser ce foisonnant champ disciplinaire qu’est devenue la génétique.
Il y a deux ans, l’équipe de Giacomo Cavalli, à l’Institut de génétique humaine de Montpellier, a réussi non seulement à changer la couleur des yeux de mouches sans changer leurs gènes, mais aussi à transmettre ce caractère aux générations suivantes (voir Nature). Ces travaux qui ont eu un retentissement considérable dans le monde scientifique ont confirmé qu’il était bel et bien possible à un être vivant d’hériter de façon stable de caractères épigénétiques (c’est-à-dire qui modifient l’activité des gènes mais ne sont pas codés par des séquences ADN).
Ces chercheurs ont en effet réussi à créer des lignées de mouches drosophiles aux yeux blancs, jaunes ou rouges, sans toucher à leurs gènes mais en modifiant la structure de la chromatine, dans laquelle se trouve l’ADN, ce qui a suffi pour transformer complètement les modes d’expression de certains gènes commandant la couleur des yeux de ces mouches. Ces recherches ont donc montré, pour la première fois chez l’animal, qu’il pouvait y avoir une transmission entre générations de nouvelles caractéristiques, sans modification du génome. En montrant à quel point les bases et le champ d’action de l’épigénétique avaient été sous-estimés, ces recherches ont également éclairé d’une lumière nouvelle l’un des grands mystères de la biologie : pourquoi, en dépit de tous les efforts déployés, ne parvient-on pas à identifier les causes génétiques de certains caractères héréditaires normaux ainsi que de nombreuses pathologies humaines ?
Il y a un an, une équipe internationale de recherche associant des chercheurs du Centre Epigénétique et Destin Cellulaire de Paris en collaboration avec des scientifiques du RIKEN Cellular Memory Laboratory a permis de révéler le rôle-clé d’une enzyme humaine dans deux processus cellulaires fondamentaux : la réplication de l’ADN et sa méthylation (Voir CNRS).
Au cours de chaque cycle cellulaire, deux types d’informations doivent être dupliquées, puis transmises aux cellules-filles : l’information génétique et l’information épigénétique. Dans ce processus, les parties méthylées de l’ADN jouent un rôle essentiel dans cette transmission de l’information épigénétique.
De précédentes recherches avaient déjà montré que la protéine UHRF1 jouait un rôle-clé dans ce mécanisme de re-méthylation de l’ADN répliqué. Cependant, on ignorait toujours comment UHRF1 reconnait spécifiquement l’ADN partiellement méthylé. C’est là qu’intervient l’étude réalisée par l’équipe du Centre Epigénétique et Destin Cellulaire de l’Université Paris Diderot et les chercheurs du RIKEN Cellular Memory Laboratory. Ces recherches ont en effet montré que la DNA Ligase 1, qui joue un rôle important dans la réplication de l’ADN, possède un motif méthylé similaire aux histones, des protéines présentes dans le noyau cellulaire et associées à l’ADN. Ces chercheurs ont découvert que c’était ce motif particulier qui permet à la DNA Ligase qui permettait d’agir avec UHRF1 pour guider celle-ci vers les sites de réplication de l’ADN. Ce mécanisme cellulaire assure le transfert de l’information épigénétique portée par la méthylation de l’ADN sur les parties du génome tout juste répliquées.
Ces travaux ont donc permis de démontrer que la DNA Ligase 1 intervient non seulement dans la réplication, mais aussi dans la méthylation de l’ADN, ce qui ouvre une nouvelle voie de recherche en matière de thérapies contre le cancer, car ce processus de méthylation de l’ADN semble jouer un rôle majeur dans l’apparition de nombreux cancers.
Une autre avancée récente concerne l’ARN (Acide ribonucléique), une molécule proche de l’ADN qui assure de nombreuses fonctions dans les cellules, dont la transcription de l’information génétique contenue dans l’ADN. Il était déjà possible depuis 5 ans de modifier l’ADN de façon ciblée, grâce à l’outil Crispr-Cas9, une découverte absolument majeure faite par la biologiste française Emmanuelle Charpentier et sa collègue américaine Jennifer Doudna. Mais depuis la fin de l’année dernière, on sait également modifier l’ARN. Des scientifiques du MIT dirigés par Feng Zheng ont en effet conçu un nouveau système moléculaire, baptisé REPAIR (pour « RNA Editing for Programmable A to I Replacement ») pour modifier l’ARN des cellules humaines sans touche r à l’ADN.
Ce nouvel outil REPAIR, basé sur l’enzyme CRISPR-Cas13 associée à une autre protéine, va bouleverser la biologie en permettant de modifier directement l’ARN. REPAIR est d’autant plus prometteur que, contrairement à CAS9, son action est réversible, car il permet de transformer l’ARN sans altérer l’ADN. REPAIR peut modifier des lettres (les nucléosides) de la séquence d’ARN visée (équivalentes des ACTG de l’ADN) sans provoquer des mutations indésirables. On imagine la puissance thérapeutique de ce nouveau « ciseau génétique », qui a été utilisé avec succès par ces chercheurs pour corriger la mutation délétère qui est responsable de l’anémie de Fanconi.
Autre avancée à signaler, celle réalisée il y a quelques semaines par une équipe de recherche australienne dirigée par Madhi Zeraati, David Langley et Daniel Christ (Centre de recherche génomique de Nouvelles Galles du sud). Ces scientifiques ont découvert, pour la première fois à l’intérieur du noyau de cellules humaines, une structure d’ADN, qui n’avait, jusqu’à présent été observée qu’in vivo. Cette avancée majeure a été publiée le 23 avril dernier dans le revue “Nature-Chimie” (Voir Nature).
Présente à l’intérieur des cellules de tous les êtres vivants, l’ADN porte l’information génétique nécessaire au développement et au fonctionnement de l’organisme. Cette molécule, en double hélice, a été identifiée en 1953 par les chercheurs James Watson et Francis Crick, La molécule d’ADN ressemble à une échelle, dont les « montants », sont constitués d’une alternance de molécules de sucre et de phosphate. Les « barreaux » de cette échelle sont formés quant à eux de deux bases azotées qui se font face. Les scientifiques savaient déjà que l’ADN pouvait, en théorie, exister sous d’autres formes. Mais ces chercheurs australiens ont découvert une structure “i-motif”, radicalement différente de celle en double hélice d’ADN décrite il y a 65 ans par Watson et Crick. C’est en ayant recours à une nouvelle technique utilisant un fragment d’une molécule d’anticorps – qui reconnaît et s’attache spécifiquement aux i-motifs – que ces scientifiques sont parvenus à repérer l’emplacement des i-motifs dans l’une des lignées cellulaires humaines.
Mais cette équipe ne s’est pas arrêtée là et a également découvert que ces i-motifs se forment uniquement lorsque l’ADN est transcrit par un ARN. Ils ont également montré que les i-motifs apparaissent dans les régions de l’ADN qui contrôlent si les gènes sont activés ou non et dans les télomères, les « capuchons » situées aux extrémités des chromosomes qui jouent un rôle important dans le développement des cancers et le vieillissement. Selon le biologiste Daniel Christ, « Cette découverte ouvre la voie à une toute nouvelle compréhension de cette forme d’ADN, et pourrait aider à connaître son impact sur la santé ».
Notons que la génétique est également en train d’être bouleversée par le recours à de nouveaux et très puissants outils numériques et informatiques qui permettent de réaliser en un temps très court des analyses comparatives qui auraient été encore impossibles il y a quelques années. C’est ainsi que, récemment, une équipe américaine de l’Université de San Diego, dirigée par Rizi Ai et Teresina Laragione, a développé une méthode appelée EpiSig. Basé sur un nouvel algorithme, cet outil permet d’identifier en une seule analyse des régions génomiques ayant des profils similaires (Voir Nature). Avec l’aide d’EpiSig, ces chercheurs ont pu montrer que, de manière surprenante, il existait u ne voie de signalisation commune entre la maladie de Huntington et la polyarthrite rhumatoïde. Selon ces travaux, le recours étendu de ce nouvel outil à d’autres gènes pourrait permettre de découvrir de nombreuses mutations génétiques communes à des pathologies apparemment très éloignées, ce qui ouvre également des perspectives tout à fait nouvelles de nouveaux traitements.
Dans ce foisonnement de recherches, il faut également évoquer les travaux d’une équipe de scientifiques polonais dirigée par Jacek Jemielity, Joanna Kowalska, et Edward Darzynkiewicz. Ces chercheurs travaillent sur le développement de nouvelles thérapies contre le cancer qui reposent sur la localisation des parties spécifiques de l’ADN qui en sont la cause (Voir European Patent Office).
Leur procédé permet de corriger le système d’information génétique sans risque d’altérer l’ADN du patient. Pour comprendre ces recherches, il faut rappeler que L’ADN contient les instructions qui permettent la fabrication des protéines, des enzymes et de multiples autres molécules. Ce sont des molécules spécifiques appelées ARNm (acide ribonucléique messager) qui sont chargées de transporter ces instructions de l’ADN. Mais les ARNm présentent un gros défaut, elles sont très fragiles et instables. Pour contourner cet obstacle, ces scientifiques ont conçu une coiffe artificielle destinée à protéger l’ARN messager et à empêcher sa destruction prématurée.
Pour parvenir à ce remarquable résultat, ces chercheurs ont enlevé un atome d’oxygène pour le remplacer par un atome de soufre, ce qui a permis la réalisation de cette coiffe protectrice pour l’ARNm. Ce dernier est ainsi devenu cinq fois plus efficace et sa durée de vie à l’intérieur de la cellule a été triplée, des performances qui ouvrent la voie vers de nouvelles thérapies basées sur les ARNm.
Autre découverte très intéressante révélée il y a quelques jours, celle faite par des chercheurs du CNRS, de l’Inserm et de l’Université de Bordeaux, qui ont réussi à montrer que, non seulement des molécules synthétiques peuvent imiter les structures de leurs modèles biologiques, mais qu’elles peuvent aussi assumer leurs fonctions, en mettant au point une séquence artificielle mimant pour la première fois les propriétés de surface de l’ADN. Cette molécule artificielle est capable d’inhiber l’activité de plusieurs enzymes, y compris celle utilisée par le VIH pour insérer son génome dans celui de sa cellule-hôte. Ces scientifiques ont réussi à synthétiser des molécules hélicoïdales, dérivées de foldamères aromatiques, qui imitent parfaitement les caractéristiques de surface de la double hélice d’ADN. Ces imitations parfaites d’ADN ouvrent la voie à un immense champ d’action concernant la maîtrise des interactions ADN-protéines, une voie thérapeutique nouvelle qui permettra d’agir à la source sur de multiples pathologies, dont le cancer…
Toutes ces avancées et découvertes récentes montrent à quel point les bases théoriques et conceptuelles de la génétique, et plus largement celles de l’ensemble de la biologie, doivent être repensées et sont infiniment plus complexes que ne l’imaginait le modèle « mécaniste » qui prévalait jusqu’au début de ce siècle. Nous savons désormais que la génétique, loin d’obéir à un déterminisme linéaire, ne peut plus être conçue sans considérer la synergie et la dynamique réticulaire qui relient nos gènes, nos comportements et les effets de notre environnement. C’est paradoxalement l’extraordinaire subtilité des lois de la génétique qui fait que les multiples contraintes liées à l’organisation et au fonctionnement de nos gènes intègrent une dimension irréductible d’indétermination, de nouveautés et finalement… de liberté.
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat